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 Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris]

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MessageSujet: Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris]   Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris] Icon_minitime10.10.12 19:00

Le carrosse stoppa dans la cour d'entrée de l'hôtel des Longueville et les grilles, lentement, dans un grincement qui résonna dans le silence d'un après-midi froid mais sec, se refermèrent derrière lui. A l'intérieur du véhicule, deux femmes, muettes, regardaient s'agrandir devant elle la façade majestueuse de l'hôtel particulier aux lignes épurées et droites. Rien n'avait changé en apparence mais rien ne paraissait devoir l'être dans cette bâtisse qui supportait le poids du passé malgré les années. Gabrielle de Longueville rongeait son frein et se sentait brusquement fébrile à l'idée de reprendre la place qu'elle n'aurait jamais dû quitter, de réinvestir le premier étage de ses malles, de ses paroles mielleuses et de ses complots, de nouveau pouvoir faire dire qu'elle était là. Elle avait attendu cet instant avec tant d'impatience ! Pendant de longs mois, elle avait été contrainte de se tenir éloignée de la ville de Paris. Certes, pour lui occuper l'esprit, il y avait eu le dépaysement et surtout son complot contre la favorite mais elle avait en permanence songé à la capitale, à ce qui pouvait bien s'y passer pendant son absence, aux rumeurs qui y circulaient et aux salons dans lesquels on avait probablement détruit la réputation de plusieurs écrivaillons. Et bien sûr un peu à son frère. C'était la première fois qu'ils s'étaient quittés aussi longtemps depuis leur enfance. Aussi loin qu'elle s'en souvienne, la jeune femme avait toujours eu Paris non loin d'elle, depuis le moment où il n'était qu'un bébé en jupe que leur mère chérissait plus que tout à son arrivée à Versailles. Il était présent dans chacun de ses souvenirs, généralement pour l'agacer ou lui mettre des bâtons dans les roues. Pire encore, elle n'avait reçu aucune nouvelle de lui pendant ces dernières semaines, tout comme elle ne lui avait rien envoyé. En effet, ils s'étaient quittés en mauvais termes car Gabrielle avait appris que son frère avait comploté son exil de la cour avec leur cousine de Noailles – bien punie de ses mauvaises actions par ailleurs, paix à son âme - avant de le retrouver en compagnie de Perrine. Ce manque d'informations sur ce qu'il faisait ou comment il allait, au lieu de la soulager ou de lui permettre de l'oublier, l'avait encore fait plus penser à lui qu'elle ne l'aurait du. Elle avait hâte de le revoir. Même si, sous quelques formes de torture que ce soit, elle ne l''aurait jamais avoué à personne. Elle avait déjà bien assez de mal à se l'avouer à elle-même.

Si l'impatience l'avait gagnée, elle n'en laissa toutefois rien paraître et lorsque la voiture stoppa et que l'un des laquais portant la livrée de la famille ouvrit la porte, elle prit tout son temps pour remettre ses gants et réajuster sa coiffure avant de daigner poser un pied au sol. Elle ne leva pas les yeux vers les étages supérieurs pour ne pas donner une quelconque satisfaction à un Paris qui pourrait songer qu'elle le cherchait du regard et se contenta de donner quelques ordres pour que ses bagages soient amenés au bon endroit et pour que la nourrice conduise le bébé qui n'avait pas été réveillé par la dernière secousse du carrosse du côté des domestiques. Il serait alors temps d'aviser ce qu'on allait faire de la petite Mathilde et si on la laissait grandir du côté des services comme elle en avait eu le débat avec Perrine. Pour le moment, Gabrielle se contenterait de sa propre installation. Une fois ses directives données, elle fit volte face et d'un pas lent et assuré, elle monta les quelques marches du perron pour être accueillie dans le hall d'entrée. Sa curiosité fut tout d'abord déçue : elle avait appris par leur cousin Enghien que Paris avait organisé une fête pendant leur absence mais rien dans ce qu'elle voyait ne lui laissait entendre que des invités étaient venus festoyer à cet endroit. Si ses servantes l'attendaient au pied de l'escalier, point de Paris. Elle en fut tout déçue malgré elle aussi reporta-t-elle sa frustration sur la pauvre bête au pelage blanc immaculé qui vint miauler à ses pieds. Chevreuse était toujours là malheureusement. Et Gabrielle ne la supportait pas plus que son homonyme humaine. Elle se pencha et au lieu de la caresser comme l'attendait la chatte en ronronnant, elle la saisit par la peau du cou et la tendit à Perrine qui se trouvait derrière elle :

- Occupe-toi de ce chat, j'ai déjà dit que je ne voulais pas le voir se promener çà et là, il n'y a donc aucune souris à chasser dans cet hôtel ?... Mon frère, le prince, est-il bien là ?
- Oui, madame la duchesse, risqua une servante en baissant la tête alors que Gabrielle se retournait vers sa fidèle Perrine :
- Peux-tu aller voir si la petite se porte bien ? Tu l'installeras avec sa nourrice dans l'une des chambres vides à l'étage des domestiques et tu expliqueras à tout le monde que j'entends qu'elle soit bien traitée. Puis tu me retrouveras dans mes appartements, j'aurais besoin de toi...

Elles se comprenaient si bien que Gabrielle n'eut pas besoin de préciser davantage ce qu'elle attendait de sa confidente. Perrine chercherait à savoir ce qui s'était produit durant leur absence avec d'autant plus de zèle que cela la concernait directement. Elle aussi chercherait bien à savoir ce qu'était réellement cette fête. Gabrielle savait bien qu'elle ne devait pas être la seule à avoir envie de revoir Paris, surtout au vu de la conversation qu'avait eue les deux amies en Saintonge mais elle différait en toute connaissance de cause, les retrouvailles entre son frère et celle dont il avait fait son amante. C'était dans l'ordre des choses. Et pour une fois, elle ne voulait pas l'interférence de Perrine. Et surtout ne pas montrer à son frère qu'elle s'était résignée à leur propos. Entrant dans le grand salon, elle ôta négligemment son manteau puis ses gants, perdue dans ses pensées. Mais cette fois-ci quelque chose avait changé depuis son départ... Elle fit un tour sur elle-même en fronçant les sourcils pour arriver à voir ce dont il s'agissait. Les meubles avaient été déplacés. Non, il manquait un, la vieille console ayant appartenu à leur grand-père de Longueville. Qu'est-ce que cela signifiait-il ? Paris s'était-il pris de passion pour la décoration intérieure ? En voilà quelque chose qui n'était pas crédible venant de lui. Le rire qui se formait dans la gorge de Gabrielle se bloqua brusquement lorsqu'elle comprit quel objet manquait également. Sur cette commode, il y aurait du avoir son précieux et son royal présent...

- Mon vase ! S'exclama-t-elle, horrifiée.

De la porcelaine de Chine, un cadeau de Monsieur lui-même, fin connaisseur de vases s'il en était qui valait énormément d'argent. Si elle avait pu partir en laissant des instructions (ce qui aurait été une mauvaise idée, il se serait empressé de prendre cela comme une liste de choses « à faire »), c'est une des choses qu'elle aurait mis en premier de la liste « Faire attention à mes objets de valeur » avec « Ne pas pénétrer dans mes appartements ». « Ne pas organiser de fête » en aurait sûrement fait partie également tout comme « éviter de se battre en duel ». Cette pensée la frappa et elle sut en un éclair ce qui s'était produit pour son pauvre vase. Comment avait-il osé ne serait-ce que faire une fête dans sa maison alors qu'elle n'était pas là ? Mais quel imbécile, souhaitait-il montrer qu'il ne savait pas se tenir quand elle n'était pas présente ? Désormais bien plus contrariée, en colère, Gabrielle passa la tête par la porte du grand salon et cria d'un ton féroce en direction des étages supérieurs :

- Paris ! Paris, vous pouvez descendre me voir une minute ?
- Voulez-vous que j'aille chercher monsieur le prince ? Lui proposa timidement un valet qui passait là.
- Non, répliqua Gabrielle en le chassant d'un geste, s'il fait mine de ne pas m'entendre, il aura à faire à moi !... Oh et puis non, allez le chercher et ramenez-le moi par la peau du cou.

C'était certes une manière assez radicale de provoquer des retrouvailles mais Gabrielle avait terriblement envie de voir son frère en cet instant, ne serait-ce que pour l'écharper. Elle en regrettait même la destruction de son vase, elle n'aimait pas spécialement Monsieur – qu'elle cherchait à écarter de la ligne de succession par ailleurs – mais elle aurait été ravie de tester ses méthodes d'assassinat en cet instant et de lancer l'objet dans la figure de son frère lorsqu'il aurait daigné se présenter !
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Paris de Longueville


Paris de Longueville

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MessageSujet: Re: Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris]   Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris] Icon_minitime10.11.12 12:59

-Si monseigneur acceptait de ne pas bouger encore quelques courtes minutes, j’aurais bientôt terminé ce premier travail.
-Ah, soupira Paris en levant les yeux au ciel, faites aussi vite que vous le pouvez je crois que je ne sens plus mon bras droit!

Le peintre s’écarta de la toile et se pencha sur le côté pour observer son modèle. Il n’avait pas trop bougé, le croquis serait suffisant!
Le jeune homme, malgré l’amitié qu’il portait à l’artiste, ne pu s’empêcher de lui jeter un regard noir, dont l’homme se formalisa très peu, habitué aux caprices de l’enfant dès les premiers âges de ce modèle.
-L’heure tourne également, rajouta Paris en observant l’horloge dont les aiguilles poursuivaient leur lente marche.

Le jeune prince maudissait silencieusement sa mère depuis le début de la journée. Il détestait rester ainsi immobile durant de longues heures et il se rappelait qu’enfant, il insistait pour que le peintre fasse de lui des portraits endormi. Sans succès hélas!
Mais Paris était maussade depuis le début de la semaine, après les retombées lentes de la fêtes olympiennes. Cette soirée avait été un véritable succès de libertinage, malgré une console, un vase et quelques petites figurines qui avaient décidé de visiter l’hôtel. C’était là une merveilleuse revanche sur ses deux démons Gabrielle et Perrine. Durant les semaines qui avaient suivi la fête de l’année - selon lui - il n’avait cessé de sortir, d’embarquer Mathilda à sa suite pour lui faire découvrir le Versailles qu’il connaissait et de passer de nombreuses nuits blanches. Les jours avaient passé, le manque de sommeil le rattrapait, emmenant avec lui le souvenir des deux jeunes femmes. Voilà une semaine qu’il ruminait, qu’il ne cessait de faire guetter la cour dans l’espoir de voir le carrosse de Gabrielle passer le porche.

Ils n’avaient jamais été séparés aussi longtemps que ces derniers mois. S’il ressentait une certaine colère à son encontre, il y avait également cette impatience peu retenue à l’idée de la retrouver. Sa chère aînée, sa tête de mule, sa victime préférée et la soeur qu’il adorait par-dessus tout. Que ces derniers mois avaient été mornes sans ses grincements et ses piques! Gabrielle et son nez mutin, ses yeux pétillants de machiavélisme....et son machiavélisme. Gabrielle si vénale qu’elle avait pu l’abandonner à des heures sombres et atroces!

-Voilà, monseigneur! Je vous libère!
-Pardieu enfin! Cela vous suffira-t-il?
-Ah je connais monseigneur depuis assez longtemps pour savoir ce qu’il plaira à madame la duchesse.
Le jeune prince esquissa un sourire amusé et saluant le peintre, sortit enfin de cette prison lambrissée. Qu’avait-il prévu aujourd’hui? Un départ pour Versailles, un salon de jeu chez Madame, toujours si peu avare d’amusements en tout genre, peut-être même une soirée des plus amusantes. Mais à peine avait-il fermé la porte du couloir du 2ème étage qu’il entendit des éclats de voix provenir du rez de chaussée. Allons bon! Esclandre de domestiques? Cet hôtel ne pouvait-il donc pas être en paix sans ces menus problèmes de maisons? Que faisait son maître d’hôtel!

-Mon vase!

La voix de Gabrielle avait résonné sur le marbre et la pierre de l’escalier. Paris se figea, un étrange sourire aux lèvres. Elle était donc revenue, enfin! Encore en colère contre Perrine, il s’efforça de ne pas penser à elle. Perrine avait des atouts que ne possédait Gabrielle. Il ne pouvait jouer avec les nerfs de Perrine comme il jouait avec ceux de son aînée.
Mais le ton de la jeune femme avait tout sauf de l’aménité et accoudée à la balustrade, le jeune prince tendait l’oreille pour écouter les ordres qui remontaient jusqu’à lui. Au fur et à mesure des directives, ses sourcils se froncèrent. Gabrielle n’avait en rien changé, elle semblait toujours aussi détestable et en une courte seconde, sa joie de la revoir se mua en une amertume peu camouflée. Cette peste le resterait donc jusqu’à ce qu’elle en crève! Cette adorable soeur, avec qui il cherchait...parfois...la réconciliation, repoussait en réalité chaque main tendue. Il s’était montré bien sot de penser qu’elle voudrait se faire pardonner son départ, elle ne pensait qu’à elle, comme toujours! Et lui, grand naïf, avait cru en la rédemption.
Soupirant de lassitude, il se redressa, s’aprêtant à retourner dans son bureau terminer quelques lettres pour Neuchâtel. Perrine devait certainement être là, mais l’amertume le lui fit oublier.

-Elle est rigolote, elle, mais elle ne sait pas ce que c’est d’aller déranger son frère! Ils sont aussi... La voix de la femme de chambre s’arrêta net lorsqu’elle aperçu le sourire mielleux de son jeune maître. Les joues en feu, elle inclina légèrement la tête.
-Ils sont aussi quoi, demanda Paris d’une voix curieuse?
-...difficiles à trouver l’un que l’autre dans cet hôtel, monseigneur,termina la camériste morte de honte.

Paris détestait cette femme, qu’il voyait toujours rôder dans les couloirs à la recherche de quelques cancans sur lui. Il prenait un malin plaisir à la prendre en défaut et ce jour-là, il savourait ce petit instant victorieux sur elle.
-Relevez-vous et dites-moi ce que veux ma soeur.
-Elle souhaiterait que vous la rejoignez dans ses appartements, monseigneur.
-Je viens dans quelques instants. Hors de ma vue à présent, lâcha-t-il avant de s’éloigner. Bah! Gabrielle attendra! Il n’était pas l’un des chiens de la cousine Alençon!

Ce fut donc un long quart d’heure après la demande qu’il consentit enfin à rejoindre Gabrielle. La faire patienter après l’un de ses ordres était l’un des jeux que Paris préférait. Il avait ainsi l’impression d’avoir cette petite emprise sur elle, et lui confirmer qu’elle ne détenait rien de sûr dans ses doigts ne pouvait que le satisfaire. Mais cette entrevue l’agaçait néanmoins et l’avait plongé dans ces petites bouderies dont seules les petites cajoleries de Gabrielle pouvaient le faire sortir. Peut-être était-ce inconsciemment ce qu’il désirait: provoquer la culpabilité de son aînée par ce chantage affectif.

-Ma chère soeur, je mentirai si je parlais du réel plaisir que j’ai de vous voir enfin de retour, lança-t-il en entrant dans le salon de la jeune femme! Il lui jeta un regard amer avant de refermer la porte derrière lui.
-Ne me jetez pas des excuses qui sonneront aussi faux que votre intérêt envers moi, je m’y suis habitué, continua-t-il sur un ton bougon. Sans attendre un geste de la part de sa soeur, il s’installa de lui-même sur la banquette et planta son regard pâle sur celui de la jeune femme.
-Je vous écoute. Si vous m’avez fait appeler, c’est que vous avez une annonce à me faire, ou peut-être, si la folie vous prend, des excuses à formuler. Dites-moi avant que je ne remonte pour terminer ces affaires neuchateloises.

Un court instant, l’idée que Gabrielle veuille le tancer sur la perte de son vase lui effleura l’esprit. Mais lancer le sujet sur sa faute ne pouvait que la mettre en défaut! Comment accuser le cadet d’avoir cassé un vase - horrible de surcroît - alors qu’elle-même m’avait honteusement abandonné durant de longs mois?!
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MessageSujet: Re: Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris]   Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris] Icon_minitime29.11.12 23:16

Cela aurait été trop beau – et fort étrange – que Paris daigne descendre pour saluer sa sœur et lui souhaiter la bienvenue... Et même son cri dans les escaliers n'avait, semble-t-il, pas alerté le jeune homme. Ou du moins avait-il choisi de faire la sourde oreille. Et s'il y avait une chose que haïssait Gabrielle, c'était qu'on l'ignore, surtout quand cette prétendue indifférence, prétendue car elle savait bien que son frère partageait aussi bien ses sentiments de haine que d'amour, venait d'une personne qu'elle désirait ardemment revoir. Il le faisait exprès évidemment. Depuis qu'il était tout petit, il se débrouillait fort bien pour la faire enrager et connaissait toutes les astuces pour faire souffrir ses nerfs. Mais elle décida que pour une fois, il ne gagnerait pas. Il voulait bouder ? Et bien qu'il boude seul dans son coin, il finirait bien par montrer le bout de son nez ! Mais s'il croyait échapper aux remontrances, il se trompait lourdement. Poussant un soupir exaspéré, elle quitta le salon et monta les escaliers jusqu'à ses appartements du premier étage alors que les domestiques se hâtaient de rendre un peu de vie à ces lieux fermés – ou presque mais il valait mieux qu'elle n'en sache rien – pendant son absence. D'un geste, elle se débarrassa de son manteau et se dirigea vers sa chambre pour revêtir une robe d'intérieur plus agréable à porter. Déjà, un valet avait allumé un feu dans la cheminée et la chaleur pénétrait dans les murs des pièces, rendant l'atmosphère plus agréable et presque douillette. Qu'il était bon de rentrer chez soi ! A ce tableau, il ne manquait que son frère dans une scène de retrouvailles familiales touchante – mais ça, c'était trop demander aux Longueville, ils se déchiraient plus facilement qu'ils ne savaient s'aimer.

Choisissant de chasser son frère de son esprit car trop penser à lui, c'était lui offrir une sorte de victoire même s'il n'en savait rien, elle allait s'installer dans un fauteuil pour reprendre tout son courrier. Qui craquerait le premier ? Lequel se précipiterait le premier chez l'autre pour réclamer des comptes ? Elle se posait justement cette question en ouvrant sa première lettre quand la porte de son salon laissa soudain apparaître Paris en personne. Elle eut une vague satisfaction à l'idée d'avoir gagné leur bras de fer mais celle-ci s'effaça bien vite devant la joie qui montait en elle en voyant son frère. Il n'avait pas changé durant ces quelques mois et il avait même conservé cet air sombre sur lequel elle l'avait quitté. La jeune femme se releva pour le saluer mais les premiers mots de son frère l'arrêtèrent dans son mouvement :
- Ma chère sœur, je mentirais si je parlais du réel plaisir que j’ai de vous voir enfin de retour.
Ne me jetez pas des excuses qui sonneront aussi faux que votre intérêt envers moi, je m’y suis habitué.
D'un air terriblement las, il s'assit sur la banquette sans attendre ce que pouvait bien vouloir lui dire sa sœur et Gabrielle, un peu vexée, se laissa aller contre le dossier de son fauteuil, plus aussi disposée à l'accueillir chaleureusement. Elle savait bien que ces mois avaient été longs et qu'il lui en voudrait de ne pas l'avoir très officiellement prévenu de son départ. Elle ne s'était jamais attendue à ce qu'il lui saute dans les bras – ce n'était pas leur genre. Mais elle avait pensé que peut-être la rancœur s'évanouirait au moment où il la verrait de retour. Les verrait de retour, elle et Perrine, puisqu'elle connaissait leur secret désormais. Mais elle s'emmura de nouveau derrière son masque de froideur et armée d'un fin sourire entièrement faux, elle écouta en silence la suite des remontrances de son frère :
- Je vous écoute. Si vous m’avez fait appeler, c’est que vous avez une annonce à me faire, ou peut-être, si la folie vous prend, des excuses à formuler. Dites-moi avant que je ne remonte pour terminer ces affaires neuchâteloises.
- Vous me voyez terriblement désolée de vous déranger alors que vous vous épuisez à la tâche pour votre principauté, ironisa-t-elle, je m'en voudrais de vous prendre de votre temps, Neuchâtel ne peut attendre... Et si vous choisissiez de m'écouter, vous seriez déçu car je n'ai pas préparé d'excuses. J'avais juste envie de vous revoir, avouez que c'est faible comme raison pour vous demander de venir.

Elle lui lança un regard accusateur et croisant les bras en attendant un instant qu'il fasse mine de la quitter, comme un signe de défi. Puis elle reprit d'un ton plus sombre, comme si l'attitude de son frère l'avait réellement blessée – ce qui était en partie le cas :
- Mais avant que vous ne partiez, dites moi donc ce que j'ai fait pour mériter ainsi votre courroux et pour que vous jugiez qu'il me faut me faire pardonner ? N'ai-je donc pas obéi en tout à vos désirs en m'éloignant quelques mois de la cour ? N'est-ce pas ce que vous imaginiez avec cette pauvre Victoire de Noailles avant qu'elle ne trépasse ? Ne cherchez pas à nier ! Combien même, les semaines précédant mon départ, vous n'avez cessé de me battre froid, de m'en vouloir pour une raison connue de vous seul. Et maintenant vous me réclamez des excuses pour être partie ? Et bien j'ai décidé d'aller au devant de vos adjonctions, voilà qui aurait du vous contenter, je ne mérite pas cet air si boudeur ! Si ma vue vous est tellement insupportable, nous pouvons très bien nous éviter, je vais partir pour Versailles prochainement.
Gabrielle s'était levée au fil de sa tirade, se tordant les mains assez nerveusement, en proie au trouble. Évidemment, l'hypocrisie dictait ses paroles car elle n'avait pas choisi de s'éloigner en raison de Paris mais pour exécuter des tâches bien plus sombres. Mais il y avait quelque chose de vrai dans ses paroles néanmoins. Une certaine sincérité qui transparaissait dans son ton et qui montrait assez qu'elle estimait avoir autant de raison que lui de se montrer contrariée. Elle ne désirait pas le moins du monde ne plus voir son frère et de toute façon, elle serait bien incapable de tenir ce genre de promesse mais elle ne pouvait s'empêcher d'utiliser ces termes définitifs comme un chantage affectif pour tenter de le faire plier. Combien aurait-elle donné à cet instant pour le voir lui sourire et pour retrouver les moments où ils pouvaient être alliés et amis sans arrière-pensées – car cela leur arrivait parfois ?

- Avant de revenir à Paris, je suis allée chez notre oncle à Chantilly. D'après les dires de notre cousin, vous ne vous êtes guère lamenté de mon absence de toute façon. J'ai bien cru comprendre que vous vous amusiez à défier les édits royaux et surtout que vous aviez organisé une fête chez nous... Ne mentez pas, j'ai assez de contacts à la cour qui se sont empressés, dans leur gentillesse, de me prévenir. Et la disparition de mon vase, que vous ne vous êtes pas donné la peine de remplacer, en est une preuve suffisante. Vous en avez bien profité, je l'espère. Sans doute, vous vous êtes alors rendu compte du bonheur que cela serait pour vous de vous retrouver seul, sans m'avoir à déranger vos projets, lâcha-t-elle d'un ton plein d'amertume, alors, je vous prie, abandonnez-là vos remontrances et vos réclamations, ce n'est qu'hypocrisie à mes yeux !

Gabrielle avait commencé à faire les cent pas devant l'endroit où était assis son frère sans le regarder mais elle s'arrêta et le fixa droit dans les yeux. Les yeux verts rencontrèrent ceux bleus de Paris, brillant à la fois de colère et de tristesse. Elle semblait au bord des larmes mais elle ignorait elle-même si c'était de la rage ou du chagrin.

- Je suppose que tu vas partir maintenant que je t'ai dit ce que j'avais sur le cœur, s'exclama-t-elle en utilisant le tutoiement spontanément, sans doute ai-je blessé ton orgueil. Mais je t'en prie, détourne toi, je ne veux pas que tu me vois te pleurer, tu ne le mérites pas !
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Paris de Longueville


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MessageSujet: Re: Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris]   Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris] Icon_minitime05.05.13 22:30

L’époque était à la joute verbale, mais nul à la cour n’avait pu profiter du plus beau duel du genre : celui dans lequel le frère et la sœur Longueville se défiaient. L’on ne pouvait jamais dire par avance lequel allait prendre la main sur l’autre, et chacun des deux concurrent ne pouvait prévoir quelle pique acide allait être lancée à son encontre. Peut-être était-ce là l’essence-même de leur bataille : déstabiliser l’autre, afin de profiter de son emprise sur lui.

Et pour Paris, il n’y avait rien de plus délicieux que cela. Nulle autre que Gabrielle ne pouvait lui procurer autant d’agacement et de muette admiration.
-Et si vous choisissiez de m'écouter, vous seriez déçu car je n'ai pas préparé d'excuses. J'avais juste envie de vous revoir, avouez que c'est faible comme raison pour vous demander de venir. !
-Oh bien sûr, j’oubliais combien vous teniez à votre petit frère, se railla-t-il en levant les yeux au ciel. A d’autres, Gabrielle.
Malgré ses dires, il n’avait aucune envie de quitter la place. Ses affaires ne présentaient en réalité aucune urgence, et savoir ce que sa chère aînée cachait dans son sac attisait sa curiosité. Il s’installa plus confortablement dans le fauteuil, laissant ses bras reposer sur les accoudoires.

- Mais avant que vous ne partiez, dites moi donc ce que j'ai fait pour mériter ainsi votre courroux et pour que vous jugiez qu'il me faut me faire pardonner ? !Paris émit un petit rire sarcastique. N'ai-je donc pas obéi en tout à vos désirs en m'éloignant quelques mois de la cour ? N'est-ce pas ce que vous imaginiez avec cette pauvre Victoire de Noailles avant qu'elle ne trépasse ? !
-Quoi ?! Je…, commença-t-il, presque offusqué d’entendre la vérité !
-Ne cherchez pas à nier ! Combien même, les semaines précédant mon départ, vous n'avez cessé de me battre froid, de m'en vouloir pour une raison connue de vous seul. Et maintenant vous me réclamez des excuses pour être partie ? Et bien j'ai décidé d'aller au devant de vos adjonctions, voilà qui aurait du vous contenter, je ne mérite pas cet air si boudeur ! Si ma vue vous est tellement insupportable, nous pouvons très bien nous éviter, je vais partir pour Versailles prochainement. !

Paris s’était redressé un moment, faussement choqué d’être ainsi pris en défaut, mais s’affala de nouveau dans le fauteuil, le sourire goguenard. Gabrielle réussissait peut-être à manipuler quelques idiots de cette manière, mais elle semblait avoir oublié qui se trouvait en cet instant en face d’elle. Croyait-elle vraiment qu’il allait sottement tomber dans ce petit tableau qu’elle lui peignait ? Le voyage l’avait rendue bien trop douce…
Il l’observa, le regard biaisé, se lever, troublée peut-être par sa propre hypocrisie. La mine toujours boudeuse, il prit dans ses mains les bouts des accoudoirs du fauteuils, dessinant distraitement les motifs du bout de son index.
-L’air de la province vous rend naïve, au point de croire que je vais me tordre de douleur devant mon peu d’humanité à votre encontre, lâcha-t-il d’une voix sombre. Ne parlez pas de Victoire de Noailles, car elle souhaitait voir votre délicieux visage s’éloigner de son honnête mari. Peut-être avait-elle raison de craindre votre présence à ses côtés, ajouta-t-il. Lorsqu’on grandit à vos côtés, on ne peut qu’appuyer les craintes de feue madame de Noailles.

Mais il se tu, jaugeant sa sœur du fond de son fauteuil. Il n’avait pas relevé le prochain départ versaillais de Gabrielle, car il se doutait qu’elle l’avait mentionné bien volontairement. Il ne désirait nullement son départ prochain. Cette petite partie de lui souhaitait même la garder près de lui, comme de nombreuses années auparavant. Sa colère était avant tout une réponse à l’absence de sa sœur, non à des excuses informulées.
-Bien sûr, que je suis heureux que vous soyez rentrées, admit-il enfin d’une voix boudeuse, après quelques secondes de silence. Ne partez pas pour Versailles tout de suite, parvint-il à prononcer après un long effort psychologique. Admettre cela était une victoire qu’il lui était difficile de donner à Gabrielle.
Il tourna les yeux, balaya la salle du regard en quête d’un soutient imaginaire, avant de lâcher succinctement :
-Vous m’avez manqué. Voilà tout. N’est-ce pas compréhensible ?
- Avant de revenir à Paris, je suis allée chez notre oncle à Chantilly. !
Paris fit une grimace significative. Qu’avait donc pu lui dire son oncle ? Certainement pas ses efforts ni son attitude irréprochable envers leur pauvre cousine. Gabrielle avait ce don de tirer du nez de leur oncle ou de leur cousin les vers qu’elle voulait avoir. Il avait d’excellentes raisons de craindre son passage à Chantilly.
-D'après les dires de notre cousin, vous ne vous êtes guère lamenté de mon absence de toute façon. J'ai bien cru comprendre que vous vous amusiez à défier les édits royaux et surtout que vous aviez organisé une fête chez nous... !
-Pfff !
-Ne mentez pas, j'ai assez de contacts à la cour qui se sont empressés, dans leur gentillesse, de me prévenir. Et la disparition de mon vase, que vous ne vous êtes pas donné la peine de remplacer, en est une preuve suffisante. Vous en avez bien profité, je l'espère. !
-Beaucoup, siffla-t-il.
-Sans doute, vous vous êtes alors rendu compte du bonheur que cela serait pour vous de vous retrouver seul, sans m'avoir à déranger vos projets, alors, je vous prie, abandonnez-là vos remontrances et vos réclamations, ce n'est qu'hypocrisie à mes yeux ! !
-Gabrielle !
Les mots de sa sœur avaient fait mouche. La garce avait réussi son coup et Paris venait de tomber dedans sans même prendre garde…ou peut-être volontairement. Il leva vers elle des yeux de chien battu, croisant ceux, émeraude et brillants de Gabrielle. Croyait-elle à ses propres paroles, ou ne les avait-elle lâchés que pour jouer avec les sentiments de son cadet ? Sans réfléchir et par crainte de la voir à nouveau s’enfuir, Paris jeta son jeu.
-J’ai bravé les édits, cela est vrai. Mais je l’ai fais pour conserver l’honneur de notre nom, qu’un italiens, vicieux comme ils savent l’être, avait insulté. J’ai été blessé pour garder de l’honneur, et toi, qu’as-tu fais ?
Paris avait rarement été aussi sincère qu’en ce moment, et croisant les bras sur sa poitrine, dos collé au dossier du fauteuil, il releva les yeux vers son aînée, croisant son regard émeraude. Le tutoiement était venu, naturellement, comme à chacune de leur entrevue, lorsque nulle oreille indiscrète ne venait les troubler.
-J’ai donné une fête, soit. Tu préférais surement caresser ton orgueil en sachant que ton petit frère tant aimé se morfondrait sans toi, restant tel un moine abstinent, cloîtré à Chantilly à cultiver quelques œillets pour notre oncle !
Il se tut un instant, l’œil brillant à son tour. Il ne pouvait imaginer sa sœur croire en ses paroles. Une fois de plus, elle avait du les lancer pour l’agacer, jouer avec ses sentiments. Elle avait gagné hautement, mais elle l’avait aussi blessé plus qu’elle ne le souhaitait peut-être. Paris ne pouvait souffrir d’être ainsi perçu par son aînée.
-Mais crois-tu vraiment à ce que tu dis ? Je suis ton frère, Gabrielle !

Il avait un instant détourné les yeux d’elle, mais les reposa à nouveau sur ses prunelles. Les larmes couleraient-elles vraiment ? Elle, Gabrielle, pleurer devant lui ? Cette soudaine détresse fut comme une pique dans son cœur durci par la rancœur et s’avançant dans son siège, resta muet, ne sachant par quels mots l’empêcher d’en venir à cette extrémité. Il la connaissait assez pour savoir jusqu’où elle était capable d’aller pour l’attendrir…mais il reconnaissait ce soir-là qu’elle touchait au but.
- Je suppose que tu vas partir maintenant que je t'ai dit ce que j'avais sur le cœur, sans doute ai-je blessé ton orgueil. Mais je t'en prie, détourne toi, je ne veux pas que tu me vois te pleurer, tu ne le mérites pas !
-Gabrielle, fit-il d’une voix presque plaintive ! Je suis ton frère…nous avons vécu tellement de choses, accomplis tellement d’œuvres ensemble…crois-tu réellement que je te souhaite loin de moi, que je n’attends que tes départs pour fêter ton absence, espérant me retrouver seul loin de toi ?

Forcée ou sincère, l’émotion de Gabrielle avait atteint sa cible. Se penchant vers elle, Paris pris ses mains blanches, caressant les doigts fins de la jeune femme. Il sentit une larme couler effrontément sur sa joue, suivie par une autre impudente.
-Alors tu me crois si atroce que ça ? Moi qui t’adores toujours autant qu’avant ? Je serais bien ingrat si j’agissais ainsi par calcul. Sais-tu combien tu m’as manqué, Gabrielle ? Combien aussi je t’ai détesté pour avoir gâché notre dernière entrevue ?

Il releva des yeux humides vers elle, sachant pertinemment derrière sa sincérité qu’il allait à son tour l’atteindre de cette manière.
-Nous n’avons jamais été séparés aussi longtemps, et je n’ai reçu aucune nouvelle de toi ! Je ne pouvais t’attendre alors que toi, ingrate, n’envoyais aucune missive à ton petit frère. Tu m’aurais grondé d’avoir été sot de patienter ces longs mois en vain. Ne serais-je donc jamais à la hauteur de tes attentes ? Je croyais pourtant bien faire.

Il essuya furtivement une nouvelle larme, embrassant les mains de sa sœur. En vérité, elle lui avait terriblement manqué, même s’il ne pouvait le dire de cette manière sans réveiller l’orgueil de Gabrielle.
-Savoir que tu es fière de moi est l’une des choses les plus importantes pour moi, mentit-il d’une voix contrite. Combien ais-je pu accomplir pour que tu me regardes enfin, que tu me dises que tu es heureuse de m’avoir pour frère. Tu me fais souffrir parce que tu sais combien je t’adore, Gabrielle.
Il posa sur elle un regard si sincère qu’il espérait la voir baisser définitivement les armes, puisque telle était son espérance. Flatter l’autre était un exercice que tous deux pratiquaient allègrement, car il fonctionnait à coup sûr. Paris lui avait volontiers donné l’avantage – par franchise et par manipulation – afin de l’emmener sur un terrain plus neutre, sur lequel ni l’un ni l’autre ne poursuivrait leurs récriminations.

-Je ne te demanderai pas pardon pour ce que j’ai fais en ton absence, reprit-il en plantant son regard dans le sien, sans lâcher ses mains. Pour te prouver que je ne suis pas un ingrat, je suis prêt à te donner la lettre que je devais te remettre il y a fort longtemps. Je sais qu’elle te plaira, puisqu’elle parle de la bigote d’Armentières, mais je ne sais pas si tu le mérites. A toi de me dire. Si tu la veux, alors je te prouverai que je vaux bien ton esprit, en espérant t’en convaincre. Lances-moi donc tous les défis que tu souhaites, si je peux te le montrer!



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MessageSujet: Re: Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris]   Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris] Icon_minitime10.06.13 16:16

Quelle était la part de sincérité et celle de dissimulation dans les paroles et l'attitude de Gabrielle de Longueville ? Il était bien peu aisé de le dire car rien de ce qu'elle n'entreprenait n'était fait sur un coup de tête, tout était dûment calculé et il lui arrivait fort rarement de se laisser aller aux élans de ce cœur qu'elle avait bien glacial – seules les lettres qu'elle avait adressées à Guillaume du Perche pendant son séjour saintongeais pouvaient prétendre à une part de vérité si on en excluait les (nombreux) mensonges sur ses prétendus voyages dans le sud. Mais les joutes verbales qui l'opposaient à son frère avaient la fâcheuse tendance à faire appel à la fois à ses capacités de manipulation mais aussi à ses véritables sentiments, autant de haine que d'affection éperdue pour ce petit frère qui l'avait jamais quittée. Aussi, tout au long de la discussion qui s'apparentait davantage à une partie d'échecs qu'à des paroles de retrouvailles qui auraient eu leur place dans n'importe quelle autre famille, la jeune femme, malgré les reproches ou les tirades mielleuses, gardait un œil intéressé sur Paris, décortiquant tout ce qu'il faisait, tout ce qui, dans son attitude, trahirait une faiblesse qu'elle pourrait ensuite pousser à son avantage. Étrange fratrie que celle-ci, dont la cruauté pouvait rivaliser avec celle dont avait fait preuve la première dynastie d'empereurs romains créée par Auguste, s'aimant, se déchirant puis s'entre-tuant tous jusqu'à ce qu'il n'en reste plus un seul. Sadique sœur qui se satisfaisait de faire souffrir son cadet autant que de le voir l'adorer. Que désirait-elle en cette journée qui aurait dû être triomphale parce qu'il s'agissait de celle de son retour ? La satisfaction de se sentir dominer encore ou celle de savoir qu'elle avait été attendue et désirer ? Quoi qu'il en fut, Paris de Longueville n'était pas décidé à offrir le moindre présent de ce genre à son aînée. Assis sur son fauteuil, il gardait une expression fermée, commentant d'un ton acerbe les paroles de Gabrielle, tout en dessinant les motifs des accoudoirs du bout de ses doigts d'un air un peu absent. Il lui évoquait terriblement le petit garçon de leur enfance, un peu boudeur. Mais toujours conscient du charme qu'il avait sur sa sœur.

En tout cas, le jeune homme se méfiait – non sans raison – et n'était pas encore prêt de tomber dans le piège que tissait avec délectation Gabrielle.
- Ne parlez pas de Victoire de Noailles, lui défendit-il alors qu'elle haussait un sourcil, car elle souhaitait voir votre délicieux visage s’éloigner de son honnête mari. Peut-être avait-elle raison de craindre votre présence à ses côtés. Lorsqu’on grandit à vos côtés, on ne peut qu’appuyer les craintes de feue madame de Noailles.
La duchesse, outrée par les sous-entendus, lui lança un regard noir qui valait un « comment osez-vous ? » sans répliquer pour autant car elle ne tenait guère à ce que la discussion en vienne sur leur cousine qui avait eu le bon goût de disparaître pour lui laisser toute emprise sur son Norfolk d'époux, même si Gabrielle soupçonnait la façon terrible dont cela s'était produit. Au moins, Paris ne se doutait pas du véritable enjeu que représentait l'Anglais, bien loin des querelles féminines et des sordides histoires de coucheries.
- Bien sûr que je suis heureux que vous soyez rentrées, poursuivit le jeune homme pour briser le silence pesant qui s'était installé, ne partez pas pour Versailles tout de suite...
Si le visage de la jeune femme n'en laissa rien paraître, elle fut contente de l'entendre le lui demander même si la suspicion ne l'avait quittée. Peut-être ne disait-il cela que dans l'espoir de la voir baisser ses défenses et l'entendre donner des excuses qu'il ne méritait en aucun cas. Elle préféra d'ailleurs se taire pour enchaîner sur sa visite à Chantilly, afin d'exploiter ce début d'avantage qu'elle avait gagné de dure lutte. Il lui restait encore bien des remontrances à lui, des rancœurs qu'elle conservait et qu'elle mourrait d'envie de lui cracher à la figure ce dont elle ne se priva pas. Gabrielle fit tant et si bien que ce fut lui qui interrompit la litanie de sa sœur par un seul cri :
- Gabrielle !
Elle se tut brusquement, les prunelles brillantes et se retourna vers lui, s'approchant à quelques pas de son frère qui s'était redressé dans son fauteuil pour mieux plaider sa cause. Croyait-il vraiment les paroles qu'elle avait dites ? Ou était-ce là un faux semblant de plus ? Tout serait plus simple si elle pouvait lire en lui mais il lui résistait comme toujours. Il était le seul qui fut à sa hauteur et c'était aussi peut-être pour cela qu'elle l'aimait plus que tout au monde. Elle croisa les bras, l'air buté tandis que Paris, visiblement blessé, se jetait à l'eau :
- J’ai bravé les édits, cela est vrai. Mais je l’ai fait pour conserver l’honneur de notre nom, qu’un Italien, vicieux comme ils savent l’être, avait insulté. J’ai été blessé pour garder de l’honneur, et toi, qu’as-tu fait ?
Je suis allée défendre les prérogatives de notre famille et reprendre la place qui nous revient de droit, faillit-elle cracher dans sa colère. Elle ne connaissait pas le fin mot de l'histoire mais elle détestait l'idée que son ancien amant eut pu blesser son cadet. Ce n'était pas là la moindre des choses pour lesquels il payerait.

La jeune femme releva la tête vers Paris qui, s'il conservait son air maussade, continuait à parler de manière véhémente, presque... Sincère. Elle aurait du en ressentir de la joie mais il savait mettre le doigt sur ce qui la troublait et il le faisait d'une manière qui la blessait. Ne disait-on pas, après tout, qu'il y a des paroles qui ressemblent à des confitures salées ? Il s'était mis à la tutoyer, rompant cette distance qu'ils avaient placé entre eux, retrouvant derrière les façades d'adulte les enfants qu'ils étaient restés. Évidemment qu'elle pensait ce qu'elle disait, évidemment qu'elle avait été vexée de savoir qu'il ne se préoccupait pas davantage de l'endroit où elle se trouvait pour donner des fêtes dont Versailles parlerait encore longtemps, évidemment qu'elle aurait voulu qu'il mette sa fierté de côté pour lui écrire – même si elle avait toujours su qu'il ne le ferait jamais, il était aussi fier qu'elle. Plus que tout, c'était cet accueil détestable, cette manière de la recevoir qui lui laissait penser qu'elle lui était indésirable. Et il continuait à en douter ?
- Mais crois-tu vraiment à ce que tu dis ? Je suis ton frère, Gabrielle !
Pour la première fois depuis longtemps, les yeux de la jeune femme se remplirent de véritables larmes. Rage ou tristesse, elle n'aurait su le dire mais au moins, elles n'avaient pas été commandées, elles ne couleraient pas sur ordre. Et étrangement, ce fut peut-être ce qu'elle n'avait pas planifié, ce qui ne faisait pas parti du piège – pensait-elle encore à ce piège qu'elle voulait lui dresser ? – qui fit fléchir Paris qui enchaîna d'une ton plaintif :
- Gabrielle ! Je suis ton frère… Nous avons vécu tellement de choses, accomplis tellement d’œuvres ensemble… Crois-tu réellement que je te souhaite loin de moi, que je n’attends que tes départs pour fêter ton absence, espérant me retrouver seul loin de toi ?
- Je ne sais que penser, répliqua-t-elle d'une voix faible en le laissant prendre ses mains, il me semble parfois que tout ce que nous avons vécu n'est plus qu'un souvenir et que la seule chose qui nous reste, c'est ta haine à mon égard, ta volonté de m'écarter car je te gêne. J'en suis certainement fautive mais Dieu me soit témoin que ce n'est pas mon cas et que je souhaite plus que tout redonner un sens à cet « ensemble ».
Des larmes coulaient désormais sur les joues de Paris et la carapace que Gabrielle avait mis si longtemps à construire et dont elle était si fière se fissura lentement. Elle venait d'être prise dans sa propre toile. Comme le sage La Fontaine aurait l'occasion de l'écrire : La ruse la mieux ourdie/Peut nuire à son inventeur,/Et souvent la perfidie/Retourne sur son auteur. Rien n'était plus vrai en cet instant.
- Alors tu me crois si atroce que ça ? Moi qui t’adores toujours autant qu’avant ? Je serais bien ingrat si j’agissais ainsi par calcul. Sais-tu combien tu m’as manqué, Gabrielle ? Combien aussi je t’ai détesté pour avoir gâché notre dernière entrevue ? Nous n’avons jamais été séparés aussi longtemps, et je n’ai reçu aucune nouvelle de toi ! Je ne pouvais t’attendre alors que toi, ingrate, n’envoyais aucune missive à ton petit frère. Tu m’aurais grondé d’avoir été sot de patienter ces longs mois en vain. Ne serais-je donc jamais à la hauteur de tes attentes ? Je croyais pourtant bien faire.

La jeune femme voulait répondre mais un reste de méfiance l'en empêcha et la suite parut lui donner raison. Elle tiqua en particulier sur une expression qu'il utilisa. Paris attendre qu'elle lui dise qu'elle était heureuse de l'avoir pour frère ? Pour qui la prenait-elle ? Comment pouvait-elle seulement croire cela alors que la seule opinion qui lui importait était peut-être celle de leur père en son temps ou celle de leur oncle ? Elle ôta donc les mains qu'elle lui avait abandonnées mais elle se contenta d'essuyer les larmes sur son propre visage, vide toute expression. La même question se posa une nouvelle fois : franchise ou manipulation ? Mais quelle importance toutefois ? Ils venaient tout deux de baisser les armes l'un devant l'autre, ce qui comptait c'était le résultat.
- Pour te prouver que je ne suis pas un ingrat, je suis prêt à te donner la lettre que je devais te remettre il y a fort longtemps. Je sais qu’elle te plaira, puisqu’elle parle de la bigote d’Armentières, mais je ne sais pas si tu le mérites. A toi de me dire. Si tu la veux, alors je te prouverai que je vaux bien ton esprit, en espérant t’en convaincre. Lance-moi donc tous les défis que tu souhaites, si je peux te le montrer !
Une lueur passa dans les yeux de Gabrielle et doucement, avec une tendresse qui lui était peu coutumière, elle se pencha vers son frère pour lui caresser la joue et effacer les sillons des larmes qui avaient couler. Un sourire s'ébaucha au coin de ses lèvres qui s'entrouvrirent pour murmurer :
- Très bien, il est inutile de nous donner des excuses hypocrites, tu n'en fais pas, je n'en fais pas, nous sommes quittes. Es-tu capable d'oublier toutes nos offenses pour que nous puissions nous aimer autant qu'un frère et une sœur le doivent ? Elle laissa cette question en suspens avant de poursuivre : donne-moi cette lettre en signe de pardon et réconcilions-nous. Nous sommes capables de grandes choses. La bigote d'Armentières nous a tous deux offensés, vengeons-nous sur elle, montrons à tous combien il est dangereux de s'en prendre aux Longueville ! Tu n'as rien à me prouver, nous sommes du même sang, nous avons le même esprit, tout ce que je te demande, c'est de cesser de comploter contre moi et je te promets que je serais la plus fidèle des sœurs et la plus aimante des complices.
Et il n'y avait pas erreur dans le choix des termes. Elle était désormais penchée sur lui, prête à se lancer dans toutes les intrigues qu'il pourrait bien lui demander, de souscrire à toutes les propositions qu'il pouvait bien lui faire. En un instant, la jeune femme éplorée s'était transformée en diable ardent et tremblant. Mais le diable avait-il seulement une seule fois disparu ? Gabrielle de Longueville se laissa donc tomber aux pieds de son frère pour se serrer contre lui et cette fois-ci, ce fut elle qui lui saisit les mains.
- Je sais que tu es mon frère, ajouta-t-elle en le fixant droit dans les yeux, je ne le montre pas toujours parce que je suis orgueilleuse mais je t'adore plus que tout et je ne veux pas te faire de mal. Personne ne doit te faire de mal et je te jure que le premier qui ose te blesser subira mes foudres. Ce chien de Vénitien le payera très cher... Mais il ne vaut pas la peine que tu te mettes en danger même si je suis fière de toi que tu aies pris les armes pour notre nom. Tu m'entends ? Je suis folle d'inquiétude à l'idée de pouvoir te perdre et si tu meurs, je mourrais avec toi !
C'était probablement la première réelle déclaration qu'elle faisait à sa frère et les accents qu'elle y avait mis étaient autant sincères que machiavéliques. Mais leur réconciliation et leur alliance valaient au moins bien ça. Versailles allait bientôt connaître ce que cela faisait de se frotter à la famille Longueville réunie ! Et il n'y avait pas besoin de bien les connaître pour savoir qu'ensemble, ils étaient invincibles.
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Paris de Longueville


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MessageSujet: Re: Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris]   Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris] Icon_minitime27.08.13 23:04

On ne pouvait imaginer Fronde plus violente que celle qui opposait la soeur au frère. Contre l’autre se dressait toutes les armes que ces fiers descendants des Condé pouvaient lever contre leurs ennemis. De la morgue à l’orgueil, du machiavélisme aux douceurs hypocrites, des larmes aux plaintes fugaces: la joute se transformait en lutte et au bout de la vallée, on entendait le son d'une corne d'un chef ennemi qui rappelait toute sa horde. Avait-ils compris qu'ils lutteraient même en enfer? Certainement et ça n’était que par les plus basses manipulation que l’un et l’autre parvenaient enfin à baisser les armes et en déposer certaines aux pieds de cet ennemi pourtant tant adoré.

Paris se vantait d’être un homme, mais face au désarroi de Gabrielle, face à ce mur qui s’ébranlait à ses paroles, il n’était qu’un adolescent, prêt à tout pardonner et peut-être, il s’en rendit compte à la lueur dans le regard de son aînée, à accepter ce qui le rabaisserait à nouveau aux yeux de Gabrielle. La sincérité avait teinté ses paroles mais il semblait que sa soeur, étouffée dans son orgueil, resterait éloignée de ses douceurs, écoutant ce mauvais démon lui insuffler de la défiance. Nul autre que Paris ne connaissait aussi bien Gabrielle, pas même leur mère, pas même celle qui avait partagé leurs jeux. Il savait ses forces, ses faiblesses et s’il abusait bien souvent de ce savoir, il regrettait presque aujourd’hui de sentir les liens qui retenaient Gabrielle.

Elle avait cédé à ces quelques larmes qui avaient impunément coulé et sentant les mains fermes de sa soeur, Paris cru un moment avoir vaincu ce diable en corset, mais les paroles de son aînées furent de nouveau un stylet enfoncé dans sa naïveté. Il se défendit, osa se placer en victime pour attiser les instincts fraternels de Gabrielle et su qu’il avait enfin remporté une manche lorsque ses traits s’adoucir enfin, que son regard, brillant et humide, se posa sur lui. Sa main glissa doucement sur sa joue, récompense ultime pour les efforts qu’il venait de faire, pour tout ce qu’il avait étouffé de fierté et d’orgueil. Ce geste, ces doigts presque maternels qui essuyaient son visage était celui qu’il avait attendu depuis de longs mois, peut-être même de longues années et en un fugace instant, il oublia leur querelle, comme si leur existence n’était vouée qu’à se porter cet amour fraternel qui les unissait.
Le bourreau reçoit l’amour cruel qu’il mérite et chacun d’eux obtenait aujourd’hui le prix de ce déchirement.

Peut-être un ultime atout était-il nécessaire, et Paris baissa totalement les armes, sans pourtant laisser glisser son bouclier à terre, proposant cette négociation inévitable en tant de guerre.
Encore si proche de Gabrielle, il essaya de déchiffrer les lignes de son front, les traits de son visage pour dévoiler sa sincérité. Il savait au fond de lui qu’elle ne cesserait de se défier, parce qu’il était aussi sournois qu’elle et parce qu’elle seule était à la hauteur pour supporter tout le mal dont il était capable de faire preuve.
- Très bien, répondit-elle à sa demande de trêve. Il est inutile de nous donner des excuses hypocrites, tu n'en fais pas, je n'en fais pas, nous sommes quittes. Es-tu capable d'oublier toutes nos offenses pour que nous puissions nous aimer autant qu'un frère et une sœur le doivent ?
Paris répondit silencieusement, plongeant son regard clair dans celui de sa soeur. Son visage s’ouvrit lentement et sans ouvrir la bouche, il se contenta de hausser les épaules en affichant une petite moue d’acquiescement. S’il avait appris de longues leçons de son oncle, outre celle de construire une gondole pour naviguer sur le grand Canal, c’était cette soumission de façade afin de contenter son ennemi. L’idée d’inimitié qui les séparait, Gabrielle et lui, déchirait le coeur du jeune prince, mais il accepta, devinant une nouvelle lutte en cas de refus et las de devoir continuellement brandir l’épée face à son aînée.
-Donne-moi cette lettre en signe de pardon et réconcilions-nous. Nous sommes capables de grandes choses. La bigote d'Armentières nous a tous deux offensés, vengeons-nous sur elle, montrons à tous combien il est dangereux de s'en prendre aux Longueville ! Tu n'as rien à me prouver, nous sommes du même sang, nous avons le même esprit, tout ce que je te demande, c'est de cesser de comploter contre moi et je te promets que je serais la plus fidèle des sœurs et la plus aimante des complices.

Gabrielle avait su trouver les mots qui pouvaient faire sombrer le coeur de Paris, ou peut-être était-ce ce visage si près du sien qui signa le traité de paix. Savait-elle, cette si terrible soeur, combien de nuit ses traits avaient hanté son petit frère? Combien de fois sa voix l’avait-elle troublé, au point de la détester pour tout ce qu’il ressentait afin de mieux éloigner de lui ce danger? Si d’autres se détestaient de ces sentiments, il avait préféré la haïr, elle, pour ce magnétisme, cette malsaine passion qu’elle lui insufflait. Ce soir, elle aurait pu lui demander la tête du roi qu’il lui aurait remise sur l’heure et c’est à ses pieds qu’elle venait de se laisser glisser, le poussant à oser s’approcher et enfin, sans qu’elle ne se raille ni le rabroue, la prendre dans ses bras, telle la plus unie des fratries.
Se pouvait-il, aux yeux de ce cadet, qu’il y eu la moindre once de machiavélisme dans le jeu de sa soeur? Il l’adorait bien trop pour cela et même s’il fut une trace d’hypocrisie, il préférait pour l’heure s’en moquer. La bataille n’avait-elle point été rude? Les armes lancées contre l’autre n’avaient-elles pas été soigneusement aiguisées durant de longs mois? Pourquoi gâcher des retrouvailles avec de telles rancoeurs, lorsque l’on pouvait enfin se retrouver et partager ce vice commun qu’était un mauvais tour à une bigote?

Paris en oublia presque la teneur de leur dispute, tant ces retrouvailles le rassurait enfin sur les mois à venir. Le répit en était presque salvateur, après les dernières semaines avant le départ de Gabrielle, qui n’avaient été qu’une suite de dispute et de sournoiseries habituelles.
-Nous sommes du même sang, répéta-t-il comme pour effacer de lui ce qu’il ressentait depuis son enfance. Mes complots répondent à tes intrigues contre moi mais nous savons tous deux que nul ne peut nous égaler en esprit.  Alors autant que toi, je souhaite que nous cessions ces jeux qui nous divisent. La cause de nos parents n’a-t-elle pas été plus forte lorsque notre oncle a rejoint notre mère?  Je serai, moi, le plus loyal et tu sais déjà combien je peux t’aimer, Gabrielle, répondit-il de la plus franche sincérité sans la quitter des yeux, sans détourner son regard de ce visage.

La jeune duchesse avait relevé ses yeux vers lui et penché vers son cadet, la déclaration qu’elle lui fit valait bien toutes ses cajoleries, tant elle contenait tout ce qui les animait et les poussait à se déchirer autant qu’à s’aimer.
- Je sais que tu es mon frère. Je ne le montre pas toujours parce que je suis orgueilleuse mais je t'adore plus que tout et je ne veux pas te faire de mal. Personne ne doit te faire de mal et je te jure que le premier qui ose te blesser subira mes foudres. Ce chien de Vénitien le payera très cher... Mais il ne vaut pas la peine que tu te mettes en danger même si je suis fière de toi que tu aies pris les armes pour notre nom. Tu m'entends ? Je suis folle d'inquiétude à l'idée de pouvoir te perdre et si tu meurs, je mourrais avec toi !
-Gabrielle! Reste donc dans mes bras, et le premier qui s’essayera à nous séparer devra trembler et périr de notre main ou de notre esprit, osa Paris, prenant le bras de sa soeur. Ne meurs pas pour moi, je ne suis que Pâris, et Juliette n’aima-t-elle pas que Roméo? Je resterai ton ange gardien, car tu es mon unique soeur, Gabrielle. Je défendrai le moindre de tes cheveux et prendrai les armes autant de fois qu’il le faudra pour cela!

Fougue de la jeunesse, témérité aveugle! Gabrielle avait gagné le coeur de son frère, si peu résistant face à cet abaissement de celle qu’il adorait bien trop dangereusement. Pour elle, il aurait ouvert toutes ses petites caches où restaient enfoncés les billets teintés de fiel que leur cousin lui envoyait, il aurait montré tous ses mauvais tours et peut-être même accepté de lui dévoiler ce qu’il avait prévu pour le prochain complot qu’elle aurait ourdi contre lui. Mais ce dernier point rencontra une ultime résistance: celle de la raison, qu’il ne pouvait annihiler aussi aisément. Qu’aurait-il fait, il elle lui avait dévoilé de tels desseins? Ceux-ci auraient certainement été retournés contre elle et Gabrielle ressemblait bien trop à Paris pour que le jeune prince prit ce risque.
Maryse d’Armentière était un jouet bien plus innocent, bien plus à la hauteur de leur esprit et ce jeu les réconcilierait définitivement. Paris s’arracha à Gabrielle douloureusement, même s’il n’en laissa rien paraître et prenant sa main, il la releva, la mena au petit canapé dans lequel il s’assit proche d’elle, craignant inconsciemment de perdre à nouveau cet attachement s’il restait éloigné d’elle plus d’un mètre.
Il embrassa fiévreusement les doigts de sa soeur avant de sortir le billet de sa poche. L’idée de l’atroce intrigue contrastait avec ce visage encore juvénile, dont les yeux brillaient d’une lueur innocente. Il fallait y lire tout le danger qui pouvait brûler dans cette petite flamme, et l’assentiment de Gabrielle ne pouvait qu’attiser un peu plus ce feu du complot.

Oublié, le vase! Oubliée, la fête importune! Il y avait tant de desseins plus importants, de sujets plus brûlants qui demandaient tout leur esprit!
-Je ne veux plus parler de cette querelle, Gabrielle, elle me déchirerait le coeur, es-tu d’accord? Et comme je te connais, puis-je te demander de ne pas en parler à...à Perrine, fit-il d’une voix douce mais non sans fermeté? Vous m’avez toutes deux quitté sans mot dire et si je te connais car je suis ton frère, si nous connaissons assez nos forces et nos faiblesses pour baisser les armes dans nos luttes, tout est mené différemment avec Perrine. Il croisa son regard et osa une expression si déroutante à ses yeux tant elle n’était jamais prononcée: S’il te plaît, ajouta-t-il enfin, comble de la résignation.
Assuré de la sincérité apparente de Gabrielle, il déplia enfin le billet et à cette relecture des mots qu’il contenait, son visage s’éclaira enfin, comme si aucune lutte n’avait failli diviser éternellement le frère et la soeur.
[color=darkred]-Voilà les mots qu’elle a dit à notre encontre chez Ninon de Lenclos, il y a de cela cinq jours. Celle-ci les a répété à Madame de Sablé, qui s’est empressée, comme tu t’en doutes, de les rapporter à Madame de Scudéry qui, au lieu de prendre notre défense, nous laisse tout ce loisir de le faire par nous-même. Adorable Sopho, n’est-ce pas?! Je pense que ces mots méritent une douce et cruelle punition et avec ton accord, je voudrais prouver à cette jolie et écervelée princesse qu’on ne badine pas avec la réputation de ce si beau nom qu’est Longueville. Peut-être a-t-elle voulu faire de l’esprit, pour ma part je n’en vois point et Sapho, dans toute sa délicatesse, m’a même dit qu’un auteur de maximes de notre connaissance s’en était également offusqué. Sans parler de la tournure qui est affreuse![/b]

Paris avait, avec délicatesse, omis de prononcer le nom du duc de la Rochefoucauld, mais en homme de lettre, il ne pouvait qu’apprécier le regard de son père sur cette affaire, et jugeait même son avis comme un véritable argument.
-Vois-tu, Gabrielle, chacun attend dans l’ombre que nous agissions à notre manière, c’est à dire bien fortement et bien cruellement. Aussi, serais-tu d’accord pour agir d’une autre manière? Calenberg ne se doutera de rien lorsqu’au prochain salon, nous nous montrerons affables à son encontre.

Un mince sourire, celui que devait connaître Gabrielle tant elle l’avait vu auparavant, éclaira le visage du jeune homme et le garçon qui pleurait quelques minutes auparavant au bras de sa soeur avait laissé sa place au prince de Neuchâtel, dont l’esprit était connu pour sa séduisante cruauté envers ses ennemis. Maryse d’Armentière venait d’entrer de plein-pied dans cette case, pour avoir osé faire un vilain jeu de mot sur leur nom et lancé une rumeur touchant ce lien si profond - à ses yeux - qui unissait le frère et la soeur. Ce crime ne pouvait rester impuni, mais jouter aurait été trop simple. Le défi, aux yeux de Paris, était une affaire qu’il ne pouvait éluder lorsqu’on touchait à la morale de leur famille.
-Gabrielle, cela serait bien trop simple si nous nous contentions de basses vengeances, comme celle dont nous avons tous deux usés l’un contre l’autre. Je te laisse juge de cette affaire: mets-moi donc au défi et je tâcherai de le relever avec panache. En échange, car tout à un prix, ma tendre soeur, choisi ton prix. Je sais combien tu me connais et combien tu sauras me faire plaisir, n’est-ce pas?

Lui envoyant enfin un sourire pétillant, il embrassa à nouveau avec ferveur la main de sa soeur, attendant ce verdict avec cette passion peu dissimulée, sujette de toutes les rumeurs les plus venimeuses.
Mais les Longueville avaient baissé les armes. “Encore!” “Pour combien de temps, cette fois?” pourraient lancer les langues les plus acides, ce à quoi le jeune prince voulait ce soir répondre: “S’il plaît à Dieu, toujours!”, du haut de son athéisme grandissant!
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Qui a raté ses adieux, à quoi peut-il s'attendre de ses retrouvailles ? [Paris]
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