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| "Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! ..."{Frédérick & Milena} | |
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| Sujet: "Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! ..."{Frédérick & Milena} 03.04.10 22:34 | |
| " Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges Jeter l’ancre un seul jour ? "
Alphonse de Lamartine Un soleil printanier filtra à travers les épais rideaux que Cristina ouvrait comme à l’accoutumée. Milena s’éveilla, s’étira, se redressa quelques secondes … puis un large sourire fit apparaître ses dents nacrées. Elle retomba alors sur ses oreillers et roula sur son matelas, en laissant résonner un petit rire dans la chambre. La jeune femme goûta quelques instants à cette joie non dissimulée due à deux hommes : Gabriel de Gonzague bien sûr, et Frédérick Von Lobkowicz ! Le premier lui inspirait un doux sentiment qui la faisait flotter sur ce merveilleux nuage de l’amour, le second, ami chéri entre tous, animait en elle tendresse et curiosité.
En effet, ce jour si attendu était arrivé. Celui de l’arrivée de l’ambassade impériale, venue annoncer officiellement au Roi et à la Reine le mariage de Marguerite Thérèse d’Espagne avec Léopold Ier. Cette union tant attendue depuis trois ans, puisque les bans étaient publiés depuis 1663, avait été une union repoussée à cause du jeune âge de la fiancée. Cependant elle allait donc enfin avoir lieu. Son père avait été un des hommes liés à la négociation du contrat nuptial, en compagnie du Comte de Pötting et du duc de Medina de las Torres. A songer à sa famille, à l’affection qu’elle portait à la petite Marguerite depuis le célèbre tableau : les Ménines, auquel Vélasquez lui avait demandé de poser, la nostalgie la submergea … mais également certaines interrogations.
Frédérick faisait-il partir de cette délégation ? Milena l’espérait de tout cœur, malgré quelques doutes légitimes. Le prince allemand possédait soit une place enviée à la Cour d'Autriche, lorsqu’ils s’étaient quittés, mais peut-être pas suffisamment élevée pour faire partir d’une aussi prestigieuse assemblée de diplomates. Qu’importait, la belle espagnole se réjouissait néanmoins à l’idée de s’entretenir avec des personnes le connaissant et qui pourraient la renseigner au mieux à son sujet. Huit années qu’il ne s’étaient vus, qu’ils n’avaient eu qu’une courte correspondance durant plusieurs mois … puis Frédérick avait tout à coup cessé de lui écrire. Plusieurs de ses missives demeurèrent encore sans réponses. Elle n’avait point compris cette réaction, lui en avait voulu, l’avait regrettée puis en avait compris les raisons. Milena ou plutôt la pauvre orpheline Eugenia de Santil n’ignorait pas sa désastreuse position, indigne d’un aristocrate de sa puissance, la famille du jeune homme avait dû influencer cette décision. Se confortant dans cette idée, sa rancœur s’apaisa, car elle portait au prince une confiance inébranlable, solide toile construite par le fil de sa raison, et elle ne put se persuader bien longtemps que tout ceci était de sa faute.
Que devenait-il donc depuis tant d’années ? Avait-il pris épouse ? Avait-il engendré une lignée d’héritiers Von Lobkowicz ? Ou tout au contraire avait-il adopté la robe de bure, puisqu’on l’avait envoyé au Pérou dans ce but ultime ? La princesse de Cortès se perdait dans les suppositions les plus vraisemblables mais aussi dans les plus farfelues, était-il demeuré célibataire ? Peut-être avait-il rompu avec sa famille et s’était fait ermite ou voyageur solitaire sur les océans de ce monde ? Un aventurier, voilà qui lui ressemblait, un homme sensible aux charmes que cette terre offrait … Cette ultime pensée élargit d’autant plus son sourire tandis que son regard ne vit point passer Cristina devant elle.
- Señorita ? Voici votre eau parfumée.
Milena sursauta légèrement et revint tout à coup à la réalité … Elle se leva donc de son lit, trempa ses mains, et son visage dans le récipient creux que sa camériste lui tendait. Ses cheveux lavés la veille, grâce aux plantes importées du Pérou, en passant par le henné ou le musc, sentaient toujours agréablement le jasmin. La jeune espagnole ne comprenait guère les français, qui disait-on ne possédaient guère d’aspiration pour la toilette. Pour rien au monde elle n’aurait abandonné son train de vie pour adopter celui des courtisans versaillais. Sa suivante passa justement son peigne au cœur de sa chevelure pourtant abondante, sans le moindre mal.
- Quelle robe portera votre seigneurie aujourd’hui ? - Ma robe de velours bleu de Prusse, s’il te plait Cristina.
La domestique partit en direction de la garde robe qui se situait dans une pièce avoisinante, la belle hispanique s’installa elle devant son déjeuner copieux, auquel elle toucha à peine, tant elle aurait voulu forcer le temps, à passer plus vite. Milena regarda ainsi ce cadran imposant, qu’elle apercevait à travers ses fenêtres, les minutes lui parurent interminables … Et dire qu’elle devait ainsi endurer toute l’éternité d’une matinée. Frédérick serait-il du nombre des hôtes de marque attendus par le Roi Louis XIV ? Cette question tambourinait sans cesse à son esprit … D’ailleurs, un souvenir soudain zébra son esprit et elle se dirigea elle-même vers l’imposante penderie ! - Oubliez ma tenue de velours bleu de Prusse, et apportez moi plutôt celle de soie d’azur clair.
Cristina sembla un instant décontenancée par ce revirement, mais obéit promptement. Milena avait ôté robe de chambre et chemise de nuit, et se tenait déjà devant son psyché. Le défilé des jupons, corset, bas commença et ce fut enfin le tour de sa superbe robe qui fut convenablement lacée. L’échancrure légèrement décolletée lui arracha une moue désapprobatrice, mais elle n’avait qu’un vêtement de cette teinte, et il s’agissait de la couleur préférée du prince. Qu’il soit présent ou non, aujourd’hui était un jour spécial où ses souvenirs du Pérou en compagnie de Frédérick prenait le dessus sur tout ou presque … Donc elle porterait cette robe, donc elle interpréterait le quatre mains qu’il lui avait appris. A ce propos, elle envoya Cristina aux nouvelles … cette dernière revint quelques minutes plus tard. - Que vous a-t-on dit ? Sait-on si l’ambassade sera bientôt au Palais ?
- En vérité Señorita, dans la hâte de porter l’heureuse nouvelle à Leurs Majestés, la délégation aura certainement de l’avance sur l’horaire prévu.
- La hâte de leur message ou le besoin d’en terminer avec ce fatiguant périple ?
Les deux jeunes femmes se sourirent avec espièglerie, Milena imaginait fort bien l’inconfort d’un tel voyage, pour en avoir elle-même subi tous les affres, entre l’Amérique du Sud et l’Espagne, ou l’Espagne et la France. Hélas son sourire s’effaça bientôt car passa sur le front de la jeune femme tout à coup un nuage d’appréhension …
- Mais si ces personnes arrivent au château avant l’heure programmée, il faut que nous reprenions les répétitions dès maintenant … point la danse, car je ne pourrais guère me changer, en revanche mon chant ?
- J’y ai songé Princesa, n’ayez crainte, Monsieur Lulli qui a terminé ses propres répétitions vous permet d’utiliser le clavecin de l’opéra royal et vous invite à le rejoindre.
- Vous êtes une perle Cristina ! Vite finissez de me coiffer.
La domestique se hâta donc, et fit une merveille de sa chevelure grâce à ses doigts de fées. La princesse de Cortès n’aurait su comment se passer de sa camériste et la remercia grandement avant de quitter sa chambre. Milena la partition de son morceau en mains, se dirigea alors vers l’opéra royal en grandes enjambées, elle y pénétra et gagna aussitôt le petit banc qui faisait face à l’instrument de musique.
Le majestueux opéra désert lui parut impressionnant lorsqu’elle commença à jouer et à chanter. Au fur et à mesure de ses répétitions, les sièges se remplissaient de curieux ou d’admirateurs. Monsieur Lulli lui-même avait quitté les coulisses pour s’asseoir face à la scène et l’écouter. Milena rougissante, mal à l’aise s’efforça de n’en rien montrer … elle fit silence quelques instants, afin de reprendre une contenance puis reprit à nouveau ce morceau enchanteur … Als ich fortging … Le visage de Frédérick lui apparut alors comme une évidence tandis qu’elle se plongeait au cœur d’un magnifique souvenir et que ses doigts effleuraient les touches.
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| Sujet: Re: "Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! ..."{Frédérick & Milena} 04.04.10 20:09 | |
| « Vous irez en France, Frederick, vous n’avez pas le choix ! »
Cette scène ressemblait étrangement à celle où, il y a neuf ans, sa mère lui annonçait son départ pour le Pérou. Comme toujours, le prince Von Lobkowicz n’avait pas son mot à dire. Comme toujours, il devait obéir, sans sourciller, sans répliquer. Tel était son rôle. Une carrière de religieux était désormais impossible, mais il était toujours sous les ordres de la famille.
« Soit, puisque tel est votre désir. Je ne suis que votre pantin après tout, destiné à suivre le moindre de vos ordres.
-Ne soyez pas si stupide. L’Empereur vous fait un immense honneur en désirant vous envoyer en France. Vous assisterez à un événement important pour les années à venir ! Comment pouvez-vous prendre cela comme une…corvée ! Cessez de parler avec tant de mélancolie. Vous verrez le Roi de France et la Reine, et assisterez à des fêtes incroyables ! La cour de France est réputée pour sa magnificence. Remerciez-donc l’Empereur.
-Bien, Mère. Combien de temps devrai-je rester en France ?
-Le temps qu’il faudra. Après, vous serez libre d’accomplir vos desseins…jusqu’à votre prochaine mission. Comportez-vous bien, là-bas, et ne vous laissez-pas entrainer par les courtisans et par leurs manières parfois douteuses…Ne salissez pas notre nom.
-Vous n’avez aucun souci à vous faire. Je vais faire préparer mes affaires. »
Frederick sorti du bureau. Tous ses plans étaient mis en suspens. Le Vatican ne se trouvait, malheureusement, pas sur le chemin qui le mènerait à Versailles. Depuis son retour du Pérou, il n’avait qu’une seule idée en tête : dénoncer Gabriel de Gonzague. Mais les événements s’étaient multipliés, et depuis la mort de sa femme, il avait cru qu’il pourrai, enfin, accomplir son dessein. Cela était sans compter sur l’Empereur, et son futur mariage. Frederick devait aller en France. Il appela un domestique, et lui ordonna de préparer ses affaires pour le voyage qui l’attendait.
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Le voyage était terriblement long. Ses compagnons bavardaient, et riaient. Tous étaient heureux de découvrir Versailles, et de voir si la cour de France était à la hauteur de sa réputation. Frederick observait rêveusement le paysage qui défilait sous ses yeux. Il était déjà venu en France, et le souvenir de la mort de Vittoria lui vint à l’esprit. Il s’était dépêché pour rejoindre Gabriel en France, et le soutenir. Quel idiot ! Pourquoi n’avait-il pas fait le rapprochement entre cette mort, et l’impossibilité pour ses deux meilleurs amis de se marier ? Il avait cru la thèse de l’accident. Le voyage était désagréable. Les chemins étaient parsemés de pierres et de trous, et la pluie rendait le tout boueux. Frederick ne cessait de râler, comme lors de voyage vers le Pérou. Les matelots n’en pouvaient plus de cet homme jamais satisfait. Il en était de même pour ses compagnons, qui se lançaient des regards interrogateurs dans le dos du jeune prince. Etait-il donc si fou, au point de prendre ce séjour comme une corvée ? Frederick regardait le ciel, gris et sombre. Il se demandait comment il était, là où se trouvait Eugénia de Santil. Eugénia…Ce nom résonnait si délicieusement à ses oreilles. Il aurait tant aimé rester au Pérou, ne jamais revenir ! Etait-elle toujours là-bas ? L’attendait-t-elle encore ? Peut-être l’avait-elle tout simplement oublié…Mais comment oublier cette merveilleuse année passée à ses côté. Frederick avait tant appris près d’elle !
« Eh Prince, regardez les belles paysannes, près de l’auberge où nous nous arrêtons ! On va passer du bon temps ! »
Ses compagnons rirent en chœur. Frederick ne répondit pas, et descendit du carrosse. La nuit tombait doucement. Les hommes s’amusaient avec les paysannes, trop flattées par leur intérêt pour être choquées par leurs propos. Frederick était à l’écart. Il alla relativement tôt dans sa chambre. Il s’endormit, et ses rêves furent hantés par Eugénia, Gabriel et des évêques, le Pape…Toutes ces personnes se mélangeaient dans son esprit, il ne distinguait plus rien.
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Ils approchaient de Versailles. Les compagnons n’en pouvaient plus d’attendre, et Frederick devait avouer que l’excitation de découvrir le palais le gagnait. Si ce séjour l’éloignait du Vatican, au moins il lui apporterait des distractions. Soudain, le carrosse entra dans la cour du palais. Tout était si…grand, immense. Le jeune prince admira tant de magnificences. Ils furent accueillis avec joie, et une armée de domestique vint à leur rencontre pour prendre leurs affaires et les mener vers l’entrée du palais. Les nuages menaçaient d’éclater à tout moment en de fortes pluies, et personne ne semblait vouloir s’aventurer dans les jardins. Les compagnons de Frederick se laissèrent guider par les domestiques, et discrètement, l’allemand rompit les rangs pour visiter par lui-même l’immense palais.
Il n’avait assez d’yeux pour admirer tant de merveilles. Même les palais où il avait l’habitude de vivre ne décelaient tant de trésors. Il restait des minutes entières, seul, à fixer les plafonds peints de mille couleurs. Il avait beaucoup entendu parler de Versailles, évidemment. Mais jamais il ne s’était attendu à voir cela. Il voyageait ainsi, de pièces en pièces, quand il entendu une voix, lointaine. Il essaya de suivre cette voix, cherchant d’où elle pouvait bien venir. Elle paraissait lointaine, et pourtant terriblement proche. Frederick aperçut alors un groupe de courtisans qui parlaient d’un opéra…Il comprenait le français, mais il lui était difficile de traduire des chuchotements. Il entreprit de suivre le groupe, discrètement. La voix semblait de plus en plus proche. Cette voix…Frederick la reconnut, mais n’y croyait pas. Il était victime d’hallucinations, il en était certain. Il était impossible qu’elle fût là, maintenant…Mais il reconnut les paroles de la chanson. Il blêmit. Comment cela pouvait-il être possible ? Il marchait en plein rêve. Il entra dans l’opéra, à la suite des courtisans. Soudain, il crut défaillir, et s’assit sur la première chaise qui s’offrit à sa vue. Son regard ne quitta plus alors la scène. Elle était là, tel un ange. Il n’y croyait pas, et était au bord des larmes. Si c’était un rêve, alors il espérait ne plus jamais se réveiller. L’allemand n’admira même pas les décorations du majestueux opéra. Il n’avait d’yeux que pour la déesse qui se dressait devant lui. Il admirait sa longue chevelure brune, dans laquelle il avait tant de fois failli passer sa main. Il admirait ses yeux sombres, sa peau qui semblait si douce…et sa robe…Elle était légèrement décolletée, ce qui étonna Frederick. Cette robe, bleu azur, était magnifique, mais cela venait surtout du fait qu’elle était portée par la belle espagnole. Frederick se souvint alors du jour où, au Pérou, il avait dit à Eugénia que sa couleur préférée était le bleu azur…Ils observaient alors le ciel, dans un moment de tendre complicité qui manquait tant à l’allemand. Il lui avait alors dit à quel point il aimait regarder le ciel, et qu’il aimait la teinte qu’il avait alors : bleu azur. Frederick espérait que le choix de cette robe s’était fait en pensant à lui, sans toutefois y croire vraiment. La voix d'Eugénia était incroyablement belle. Et cette chanson ! Etait-ce le signe qu’elle pensait toujours à lui ? Il se souvenait du jour où il lui avait appris cette chanson, sous les doux rayons du soleil du Pérou. Ce temps lui semblait révolu, tant d’eaux avaient coulé sous les ponts…Pourtant, revoir Eugénia était comme une renaissance. Ils pourraient tout reprendre là où tout s’était arrêté. Comme avant. Comme au Pérou. Elle chantait parfaitement bien allemand, et la musique ne souffrait d’aucune fausse note. Tout était comme dans un rêve. Les yeux de Frederick brillaient. Il était heureux. Que c’était bon de sentir le bonheur l’envahir ! Il ne voulait pas rester caché plus longtemps aux yeux d’Eugénia. Il se leva, et reprit le refrain de la chanson avec elle :
« Nichts ist unendlich, so sieh das doch ein »
Alors, leurs vois s’unirent, comme huit ans auparavant. |
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| Sujet: Re: "Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! ..."{Frédérick & Milena} 12.04.10 16:57 | |
| L’appréhension passée, Milena demeurait plongée au cœur de cette magnifique mélodie, un sourire nostalgique affiché aux lèvres. Son attention la conduit donc à ne point regarder autre chose que les notes qui s’égrenaient au fil de ses doigts courant, sur les touches du clavecin. Combien étaient-ils à la regarder, à l’écouter ? Venaient-ils ici par goût, par curiosité, pour lui complaire ou tout simplement pour éviter le temps qui menaçait au dehors ? Qu’importait à la princesse de Cortès, elle ne songeait à présent qu’aux vastes collines du Pérou, à sa terre rouge, à la simplicité du pays, aux coutumes qu’elle aimait tant. En vérité, l’accueil, l’attachement sincère de la population péruvienne lui avait fait supporter toute sa tragédie et un certain sentiment de liberté l’avait conforté des années durant, loin si loin de son ennemie.
Les pensées de la jeune femme convergeaient donc en toute logique sur son compagnon d’exil, cet ami si précieux, Frédérick Von Lobkowicz. Le manque la submergea tout comme la nostalgie, tandis que la musique et sa voix emplissaient toujours l’opéra royal. L’impatience qu’elle éprouvait au matin se fit plus forte encore, elle n’avait plus qu’un seul désir, apprendre de ses nouvelles, pouvoir peut-être le retrouver bientôt en Autriche, converser avec lui à nouveau, garderaient-ils malgré ce changement brutal de pays, leur complicité d’antan, et même ces petits conflits qui les faisaient rire aussitôt l’orage passé ? Cette chanson était un moyen d’apaiser les tourments que lui infligeait ce temps par trop lent à son goût, comme un trait d’union invisible entre ces deux êtres chers l’un pour l’autre.
Néanmoins, et contre toute attente ce trait d’union se fit soudain bien visible. Une voix s’éleva dans l’opéra, une voix masculine … qui pouvait bien connaître cette chanson sinon Frédérick ? … Pourtant il était impossible qu’il soit ici, la langueur la faisait rêver toute éveillée. Cependant, quelqu’un chantait bel et bien. Sans doute avait-elle tellement répété les paroles, qu’un gentilhomme devait à présent la connaître la chanson dans les moindres détails. La seconde phrase du refrain mourut dans la gorge de Milena, sous l’effet de la surprise et elle détourna un instant la tête pour apercevoir cet inconnu. La surprise fit place à la stupéfaction, Frédérick ! Oui c’était bien lui ! Ses cheveux toujours aussi blonds, ses dents toujours aussi blanches, ses yeux sombres toujours aussi mutins … Frédérick se tenait là et chantait à l’unisson avec elle. Elle n’avait guère espéré autant et cette apparition la combla de joie, son sourire s’élargit au même instant, et ses prunelles brillèrent d’un nouveau feu. Le confident, l’ami, l’adorable Frédérick se trouvait à Versailles, elle ne le laisserait point quitter la cour sans l’avoir harcelé de questions et avoir obtenu de lui, des promesses de rencontres bien plus fréquentes.
Milena se décala légèrement de la banquette en velours, afin de lui permettre de s’asseoir à ses côtés. Un quatre mains était ce qu’elle souhaitait le plus en sa compagnie … Ponctuer de la sorte ces agréables retrouvailles, pour surtout ne pas en rompre le charme. Et la chanson s’égrena sous leurs doigts, tous deux paraissaient ne jamais vouloir qu’elle ne cesse, ils se souriaient autant qu’ils se dévisageaient intensément. Non il n’avait pas changé, et à son regard pétillant elle vit qu’il ne l’avait point oubliée, qu’il avait dû penser bien souvent à elle. Cette intuition devint rapidement une conviction qui calma ses craintes. A la répétition du dernier refrain ils mirent toute leur âme dans leur voix, comme si chacune des paroles s’adressaient à l’autre, comme si les mots s’accordaient à leurs pensées, à leur joie de se trouver assis côte à côte après huit ans.
Hélas la mélodie s’arrêta au bout de ces fugaces minutes au diapason, et les applaudissements qui crépitèrent à la fin de leur duo cassèrent de par leur bruit, ce moment particulier de tendresse amicale. En aucun cas, ils n’altérèrent néanmoins la joie qu’elle ressentait de le voir à seulement quelques centimètres d’elle. Elle réprima une envie irrésistible de le serrer contre elle pour ne pas alimenter certaines rumeurs, mais posa sa main sur la sienne qu’il tenait sur ses genoux. Ce geste lui sembla plus discret, mais pas moins complice. - Quelle joie de vous retrouver Frédérick ! J’ose à peine à y croire, vous êtes là devant moi, mon cher ami après tant d’années !
Ce discours agrémenté d’un charmant éclat de rire de la part de la princesse, fut prononcé à voix basse de sorte que seul le prince Von Lobkowicz avait sans doute pu l’entendre. Mais la jeune femme ne put aller plus loin dans ses exclamations, ou même dans ses interrogations, car Lully montait sur les planches de la scène, ses mains battant l’une contre l’autre et ne s’arrêtant plus.
- Bravo, bravissimo ! Princepesa vous formez avec questo signore un MAGNIFICO duo.
- Grazie mille.
Milena se leva de la banquette afin de saluer avec grâce le compliment du compositeur de Sa Majesté.
- Prince, permettez moi de vous présenter Monsieur Lully, artiste de talent qui a bien gentiment enduré toutes mes répétions et ce durant plusieurs semaines.
- Ne dites point de sornettes, signorina de Cortès, ce fut avec plaisir. Enchanté de faire votre connaissance signor.
Son ami et le maître de ballet du Roi de France se serrèrent la main, puis Lully repartit aussi vite qu’il était venu, mais toujours enchanté par leur quatre mains. La jeune princesse revint alors vers Frédérick qu’elle fixa longuement, ne trouvant pas quels mots seraient les plus justes en cette circonstance. L’Opéra se vidait peu à peu quant à lui …
- Frédérick … Freddy …
Elle n’avait guère oublié le petit surnom qu’il désirait entendre de sa bouche au Pérou. Mais peut-être n’en voulait-il plus, aussi elle hésita avant de reprendre. Son interlocuteur paraissait lui assez interloqué, elle en devina aisément la raison. Son nom !
- Si nous avons guère changé, tout au moins vous c’est certain … bien des choses ont dû nous transformer durant cette longue séparation. Par exemple, vous ne vous adressez plus à la pauvre orpheline Eugenia de Santil mais bien … à la princesse Eugenia de Cortès. Me voilà ainsi votre égale si ce n’est par le sexe mais tout au moins par le titre, très cher.
Elle agrémenta ses propos d’une révérence gracile ainsi que d’un sourire espiègle. |
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| Sujet: Re: "Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! ..."{Frédérick & Milena} 23.05.10 21:53 | |
| Ils se dévisageaient tout en chantant, et Frederick ne pouvait s’empêcher de poser ses yeux sur le visage de son amie. Elle n’avait pas changé. Il se rendait compte à quel point son regard lui avait manqué, tout comme son sourire qui faisait faire à son cœur un bond dans la poitrine. C’était comme s’ils s’étaient quittés hier. Comme s’il n’y avait pas eu huit ans depuis leur dernière rencontre. Personne ne parlait, n’osant rompre le charme qui s’opérait à l’instant même. Le temps semblait s’être arrêté, laissant leur deux voix s’élever vers les voûtes célestes. Frederick revivait cette journée au Pérou, où il apprit cette chanson à Eugénia. Pour rien au monde il n’aurait voulu la quitter. Assis tout près d’elle, il sentait sa chaleur l’effleurer doucement, il respirait cette odeur qui lui avait tant manqué. Il lui lançait souvent un regard qu’il voulait discret, mais quiconque l’observait pouvait remarquer son manège. Alors que ses doigts survolaient les notes du clavecin, il caressait les mains de la belle brune qui chantait à ses côtés. Le jeune allemand croyait vivre un rêve. Pourtant, la fin de la chanson arriva, bien trop vite au goût de Frederick. Des applaudissements conclurent ce moment de tendre complicité. Il ne savait que faire à ces instant, ni que dire. La prendre dans ses bras serait bien mal interprété, et pourtant il brûlait de la sentir contre lui. Heureusement, Eugénia mit fin à ce questionnement en posant sa main sur la sienne. Ce contact, doux et chaud, lui réchauffa le cœur. Il aurait donné tout l’or du monde pour cette sensation. La bouche du prince allemand restait hermétiquement close. Il ne savait comment engager la conversation, et pourtant il avait tant de choses à dire à la belle espagnole ! Il se sentait tel un adolescent maladroit et gauche devant une déesse. Eugénia, apparition divine, vint à sa rescousse. Pleine d’assurance, elle lui manifesta sa surprise et sa joie de le voir. Souriant, il s’apprêtait à lui répondre, lorsqu’un homme, somme toute assez exubérant aux yeux de l’allemand, les rejoignit en applaudissant à pleines mains. Il les félicita pour ce duo délicieux, et Eugénia se leva pour remercier l’italien. Celle-ci les présenta, et Frederick apprit qu’il faisait face à monsieur Lully, un artiste talentueux. Il en avait évidemment entendu parler à la cour de Vienne, et les compliments le touchèrent d’autant plus qu’ils venaient d’un homme plein de talent, dont la renommée dépassait les frontières. L’allemand le remercia, mais s’arrêta lorsque Lully reprit la parole, et… de Cortès ? Parlait-il donc vraiment à Eugénia ? Son Eugénia ? N’était-elle point une Santil ? Eugénia de Santil était une orpheline, il n’y avait donc qu’une explication : elle s’était mariée. Cela était d’autant plus étonnant qu’un de Cortès n’aurait jamais accepté d’épouser une simple orpheline. Frederick l’aurait voulu, mais sa famille l’en avait interdit. Il se rendit compte qu’il avait cru, pendant tout ce temps, qu’Eugénia l’attendrait, ou tout au moins, il n’avait jamais envisagé la possibilité qu’elle puisse se marier. Dans ses pensées, Frederick serra la main du musicien, et celui-ci prit congé, les laissant à deux. Le public se dispersait et quittait l’Opéra, laissant les deux amis seuls. Une nouvelle fois, Frederick ne trouvait pas de mots. La déception prenait possession de son être. Il sentit le regard d’Eugénia se poser sur lui, mais il n’osait affronter ce regard. De Cortès…Ainsi, elle avait fait un bien beau mariage…Alors il l’entendit prononcer son surnom. « Freddy » Elle seule l’appelait comme cela.
« Si nous avons guère changé, tout au moins vous c’est certain … bien des choses ont dû nous transformer durant cette longue séparation. Par exemple, vous ne vous adressez plus à la pauvre orpheline Eugenia de Santil mais bien … à la princesse Eugenia de Cortès. Me voilà ainsi votre égale si ce n’est par le sexe mais tout au moins par le titre, très cher. »
Un sourire aux lèvres, elle s’inclina devant Frederick. Celui-ci ne pouvait empêcher la surprise d’envahir son visage. Il s’inclina à son tour, lui prit la main et la baisa, avant de se relever et de répondre :
« Eh bien, je suis ravi de vous revoir, Eugénia de Cortès. Pardonnez ma surprise, mais, vous ayant quitté Eugénia de Santil, je ne m’attendais pas à vous retrouver Eugénia de Cortès. Je suis néanmoins ravi de voir que votre condition s’est nettement améliorée depuis notre séparation. Vous n’aviez cependant pas besoin de ce titre pour que je vous considère comme mon égal, dans mon cœur. »
Il sourit, pensant à leur première rencontre au Pérou, lorsqu’il l’avait ouvertement méprisée à cause de son statut de femme. Comme il s’était senti idiot lorsqu’elle lui avait répondu en allemand !
« Je ne m’attendais pas à vous voir à la cour de Versailles. Quelle surprise ! Je dois avouer que je croyais avoir une hallucination lorsque je vous ai entendu chanter à travers les couloirs qui mènent à l’opéra. Ainsi, vous n’avez pas oublié ma chanson. »
L’idée du mariage d’Eugénia ne quittait plus son esprit. Il s’adressait à une femme mariée, et il y avait tant de choses qu’il aurait aimé lui dire ! Cependant, il était maintenant trop tard. La surprise et la joie de revoir son amie laissaient place à la déception. Lui-même s’était marié, mais il était maintenant libre, et pendant quelques minutes il avait cru avoir une chance de rattraper tout le temps perdu avec Eugénia…de Cortès. Il était maintenant trop tard, et il devrait ne voir en cette sublime femme qu’une amie, certes très chère, mais non une possible future épouse. Si seulement sa mère ne l’avait pas empêché de l’épouser ! Si seulement il avait pu retourner au Pérou pour ramener Eugénia en Autriche, et en faire sa femme ! Ces huit années auraient été merveilleuses. Elle aurait même peut-être offert un fils aux von Lobkowicz, tâche que sa femme n’avait pas accompli. Comme il aurait été heureux ! A la place, il avait épousé une cousine qu’il n’aimait pas, ne passant du temps avec elle que pour accomplir leur devoir. La seule chose qui l’avait rendu heureux était d’être devenu père. Sa fille le comblait de joie. Il pourrait mourir pour elle, mais Eugénia lui avait toujours manqué. Il tentait néanmoins de garder le sourire face à elle, pour ne pas laisser apparaitre sa déception. Cependant, la curiosité fut plus forte que sa raison.
« Vous voilà donc mariée. Pardonnez une nouvelle fois ma surprise, mais un de Cortès ! Racontez-moi tout ! Durant ces huit longues années, je n’ai eu aucune nouvelle de vous, vous deviez être très occupée ! »
Tout ce qu’il voulait savoir, c’était comment elle avait rencontré son époux, et comment elle lui avait passé la corde au cou. Il ne pouvait s’empêcher de lui en vouloir, comme si elle l’avait oublié sitôt son départ. Pourtant, lui-même s’était marié, mais il était obligé. Elle n’avait par ailleurs envoyé aucune lettre, rien. Il cachait sa déception par un sourire de circonstance, mais le cœur n’y était plus. |
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| Sujet: Re: "Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! ..."{Frédérick & Milena} 15.07.10 14:45 | |
| Abracadabra ! Tout ceci lui paraissait encore si irréel, Frédérick qui l’avait délaissé juste au moment où … des sentiments sincères naissaient dans son cœur, lui apparaissait comme par magie, il fallait bien l’avouer. Et comme pour tout rocambolesque tour, les yeux de la princesse brillaient, Milena flottait et exultait de joie intérieurement, elle avait tant de choses à lui dire depuis tout ce temps. Pour commencer, lui narrer toutes les péripéties de sa fausse adoption, et comment s’était-elle retrouvé à Versailles. Le prince avait toujours été son confident et malgré une rencontre plus que houleuse, ils avaient appris à s’apprécier et peut-être même à s’aimer. Mais il ne lui avait jamais rien dit, rien avoué, peut-être s’était-elle fait des idées au moment de son départ. Elle conservait la bague qu’il lui avait offerte et bien des soirs à la lueur d’une bougie, elle la faisait tournoyer entre ses doigts, un sourire aux lèvres en songeant à lui. Tous ses souvenirs semblaient si lointains, et d’ailleurs à cette époque où le manque de lui se faisait cruellement sentir, elle se surprenait de ne rien recevoir de lui. Pas le moindre mot, pas la moindre lettre, l’avait-il oubliée ? Aussi avait-elle repris bien amèrement le cours de son existence, Milena la naïve et l’innocente, persuadée de l’attachement sincère d’une personne, avait déjà cessé d’être. Elle s’était refusée à souffrir pour lui, ayant trop souffert à cause d’une autre qui lui avait volé son amitié en même temps que son sang. Milena s’était renfermée au fil des mois, un étau dans l’âme, et au bout d’une année cessa d’écrire. Ils avaient donc en effet besoin d’une explication, car étrangeté du destin il paraissait faire comme si de rien n’était ! Elle n’aimait pas ça ! Pire il paraissait ne rien connaître de son adoption … certes elle n’était pas rentrée dans les détails mais cependant, elle la lui avait bel et bien annoncée dans une ultime lettre.
« Eh bien, je suis ravi de vous revoir, Eugénia de Cortès. Pardonnez ma surprise, mais, vous ayant quitté Eugénia de Santil, je ne m’attendais pas à vous retrouver Eugénia de Cortès. Je suis néanmoins ravi de voir que votre condition s’est nettement améliorée depuis notre séparation. Vous n’aviez cependant pas besoin de ce titre pour que je vous considère comme mon égal, dans mon cœur. »
La belle hispanique arbora une mine réellement stupéfaite, son sourcil se leva instantanément dans cet élan de totale incompréhension. Pourquoi lui jouait-il cette comédie ?
- Vous ne vous attendiez pas à retrouver Eugenia de Cortès en ces lieux, c’est cela que vous voulez dire ?
C’était la seule explication, car il savait pour son nouveau nom, elle le lui avait spécifié dans la lettre. Se moquait-il d’elle comme au temps de leur rencontre ? A quoi rimait cette plaisanterie ? A peine la retrouvait-il qu’il se permettait de la taquiner. Seulement voilà, Milena aurait pu rire de toute autre farce mais pas à celle qui faisait d’elle une menteuse quand elle ne l’était pas, ou pire une … folle. Car oui, il se mettait dans la peau de celui qui n’avait rien reçu, n’avait jamais rien lu, comme si elle n’avait jamais rien envoyé, par tous les bateaux en partance de l’Europe.
« Je ne m’attendais pas à vous voir à la cour de Versailles. Quelle surprise ! Je dois avouer que je croyais avoir une hallucination lorsque je vous ai entendu chanter à travers les couloirs qui mènent à l’opéra. Ainsi, vous n’avez pas oublié ma chanson. »
Elle se sentit aussitôt rassurée, c’est bien ce qu’elle pensait. Il savait tout mais était surpris de sa présence à la Cour, alors que logiquement adoptée par un espagnol, elle aurait dû se trouver à l’Escurial et non pas ici à Versailles. Elle émit un petit soupir de soulagement, il ne se gaussait pas d’elle !
- Oui je suis à Versailles depuis quelques mois, le Roi Louis soucieux du bien être de son épouse a désiré ma présence à la Cour, afin de lui tenir compagnie durant sa grossesse. Je serai parait-il, le portrait craché d’une de ses plus proches amies, morte il y a une dizaine d’années. Et c’est vrai qu’à chaque fois que nous nous croisons, elle semble ne pas faire la distinction entre la décédée et moi.
Un rictus diabolique se dessina sur ses lèvres l’espace de quelques secondes et son regard brun s’illumina de haine. Le souvenir de leur retrouvailles au sein de la bibliothèque ne pouvait provoquer que cette satisfaction, de pénétrer son esprit et de la faire douter de son identité ! Milena ou Eugenia ? Elle l’avait nommée Milena mais son sang froid lui avait permis de tenir son rôle de petite orpheline sortie du fossé, triste et malheureuse de n’être pour le monde que le sosie de la princesse de Cortès. Marie Thérèse semblait persuadée d’avoir Milena en face d’elle et non pas Eugenia, et la jeune espagnole s’en délectait. Le doute rendrait-il bientôt folle la Reine, qu’elle s’en réjouirait. Mais pour l’heure, elle n’était pas en face de son ennemie mais de Frédérick. Un Frédérick au sourire presque crispé, que se passait-il donc depuis qu’elle lui avait annoncé son nom, il ne semblait plus si heureux de la retrouver !
« Vous voilà donc mariée. Pardonnez une nouvelle fois ma surprise, mais un de Cortès ! Racontez-moi tout ! Durant ces huit longues années, je n’ai eu aucune nouvelle de vous, vous deviez être très occupée ! »
- Pardon ?
Milena ouvrit une bouche ahurie. Mariée ? C’était pousser loin la plaisanterie là tout de même ! Et le fait qu’il lui reproche n’avoir eu aucune nouvelle depuis huit ans … non il ne plaisantait pas, il semblait même très sérieux. Alors, la princesse réfléchit un instant et reconstitua au fil de ses pensées un puzzle logique. Elle lui avait écrit, était-il possible que ses missives se soient toutes perdues ? Que tous ses navires aient coulé ? Elle se savait maudite, mais à ce point ? Non l’explication était ailleurs, la plupart des lettres étaient arrivées à destination, mais alors pourquoi n’en avait-il pas eu connaissance ?
Soudain, la princesse scella ses lèvres face à la terrible réalité. Les parents de Frédérick ! C’est sans eux qui avaient intercepté ses lettres, sa mère en particulier ne semblait pas la porter dans son cœur à cause de sa naissance ou du moins ce qu’elle croyait être la naissance d’Eugenia de Santil, obscure petite paysanne péruvienne. La cruauté de cette vérité entra dans l’âme de Milena et la serra à un point inouï. Elle s’était habituée à la méchanceté des gens, mais cela faisait toujours aussi mal de l’affronter en face et de la recevoir en plein cœur pire qu’une gifle ! Le coup fut rude et Milena dut s’asseoir, tant la pâleur s’inscrivait sur son visage. Comment faire part de ses affreux soupçons au prince ? La croirait-il ? Il s’agissait de sa mère et pourtant … c’était la seule explication logique ! C’est d’une voix presque éteinte qu’elle lui répondit mais sans détacher ses yeux des siens.
- Frédérick, je n’étais pas occupée … je vous ai écrit des dizaines de lettres pendant plus d’un an, dès qu’un navire partait en direction de l’Empire, je transmettais moi-même celles-ci au capitaine ! N’en avez-vous donc reçu aucune, tout comme moi ? Car jamais lorsque les bateaux mouillaient au pont et que je me précipitais, jamais entendez-vous, on me donna une de vos lettres ! … Se sont-elles perdues ? Ou … avait-on intérêt chez vous à ce que celles-ci se perdissent ?
Milena rougit légèrement face à son audace mais il fallait bien que Frédérick réfléchisse à cette autre hypothèse : le vol de leurs lettres ! Même si cette hypothèse ne serait évidemment pas aisée à admettre. Elle lui laissa quelques instants de réflexion, puis renchérit …
- Si vous aviez lu le dernier courrier que je vous ai fait parvenir il y a tout juste un an, vous sauriez que je ne suis pas du tout mariée, mais que j’ai été adoptée tout simplement par le prince de Cortès. Justement à cause de cette ressemblance étrange avec sa fille, la meilleure amie de la Reine. Je ne me suis jamais mariée, et je ne suis plus fiancée à monsieur de Bragelonne, le parti que souhaitait mon nouveau père.
Elle ne pouvait guère lui parler de Gabriel, leur relation était de l’ordre du secret. Mais qu’importait après tout, ce qui devait intéresser Frédérick à cet instant n’était pas à qui son cœur était lié, mais bien que leurs lettres avaient été interceptées ! |
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| Sujet: Re: "Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! ..."{Frédérick & Milena} 16.07.10 18:15 | |
| «Oui je suis à Versailles depuis quelques mois, le Roi Louis soucieux du bien être de son épouse a désiré ma présence à la Cour, afin de lui tenir compagnie durant sa grossesse. Je serai parait-il, le portrait craché d’une de ses plus proches amies, morte il y a une dizaine d’années. Et c’est vrai qu’à chaque fois que nous nous croisons, elle semble ne pas faire la distinction entre la décédée et moi »
Frederick observait Eugénia tandis qu’elle lui parlait, et ce qu’il vit sur son visage lui fit soudainement peur. Non pas que ce rictus qu’elle arborait déforma son visage, elle était au contraire belle à mourir, mais il ne connaissait que trop bien cette lueur dans son regard. Comment ne pas reconnaitre l’illumination d’un tel regard, alors que le sien brillait de la même haine, lorsqu’il se regardait dans un miroir tout en pensant à Gabriel de Gonzague. Il se demanda ce qui motivait une telle lueur diabolique dans le regard de sa belle Eugénia. En toute évidence, cela concernait la reine, mais pourquoi la divine espagnole aurait-elle intérêt à desservir l’épouse du roi ? Néanmoins, malgré la franchise qui régnait entre les deux amis, il décida de ne rien lui en dire. Après tout, sa fatigue et l’exaltation de la revoir avaient pu lui donner quelque hallucination. A la place, il lui demanda de lui donner des explications concernant son mariage, tant il était curieux de connaitre les circonstances d’une telle union. Si lui-même n’avait pu épouser la pauvre orpheline, comment un Cortès aurait-il pu accepter la main d’Eugénia ? Evidemment, Frederick ne mettait pas en doute les qualités humaines extraordinaires de son amie, ni sa sublime beauté, mais les mariages, malheureusement, se faisaient en fonction de l’argent et des titres de noblesse.
« Pardon ? »
Etonné qu’Eugénia n’ait pas comprit sa question, il se trouva quelque peu gêné, croyant qu’elle s’indignait de son audace. Pourtant, cette audace ne l’avait jamais mise en colère, au Pérou. Mais, évidemment, elle n’avait plus le même rang, et peut-être n’acceptait-elle plus qu’un homme lui parle de cette façon.
« Excusez-moi, Eugénia, je ne voulais pas vous indigner par mes questions, qui, je l’avoue, sont assez indiscrètes. »
Elle ne répondit pas tout de suite, mais Frederick continuait de l’observer. Il vit son visage perdre toute couleur, et devenir blanc. La jeune femme sembla perdre ses forces et Frederick se rapprocha d’elle pour la tenir, de peur qu’elle ne s’effondrât, mais elle s’assit doucement, et le jeune prince se trouva stupide, espérant qu’elle ne l’ait pas vu esquisser ce mouvement vers elle. Pour chasser ce sentiment de honte, il chercha une réponse à ce comportement énigmatique. Quelles pensées avaient pu la rendre si faible ? Elle répondit d’elle-même à ses interrogations.
« Frédérick, je n’étais pas occupée … je vous ai écrit des dizaines de lettres pendant plus d’un an, dès qu’un navire partait en direction de l’Empire, je transmettais moi-même celles-ci au capitaine ! N’en avez-vous donc reçu aucune, tout comme moi ? Car jamais lorsque les bateaux mouillaient au pont et que je me précipitais, jamais entendez-vous, on me donna une de vos lettres ! … Se sont-elles perdues ? Ou … avait-on intérêt chez vous à ce que celles-ci se perdissent ? »
Elle rougit, sûrement gênée d’accuser si ouvertement les proches du jeune allemand. Lui-même ne savait comment réagir, ni que répondre à ces paroles. Ainsi elle lui avait écrit, et pourtant, jamais il n’avait vu la couleur de ses lettres. Jamais il n’avait eu la joie de la lire, de savoir ce qu’elle faisait, ce qu’elle devenait. Jamais. Durant ces huit longues années, chaque jour il se demandait ce que faisait Eugénia de Santil, sans savoir qu’elle était devenue Eugénia de Cortès. Jamais il n’avait su que l’amour de sa vie s’était marié. A qui devait-il sa nostalgie de ces temps heureux du Pérou, à qui devait-il la déception de ne rien recevoir de cette si chère amie, à qui devait-il la colère d’être si vite oublié ? Devait-il cette peine, cette tristesse, ces espoirs perdus, à ses…parents ? Ainsi ses parents, sa propre famille, avaient-ils volontairement perdu les lettres tant attendues d’Eugénia ? Accablé par la colère qui bouillonnait en lui, il se dirigea vers le clavecin et y posa ses mains, sentant lui aussi ses forces le perdre. Il ferma les yeux, tentant de réfléchir calmement, mais rien n’y faisait. L’image de ses parents hantait ses esprits. Leurs sourires hypocrites lors de son retour ; leur refus catégorique lorsque Frederick leur parla de ses intentions d’épouser Eugénia de Santil. D’ailleurs, celle-ci devait attendre une réponse, mais il ne savait que lui dire. Il ne pouvait lui parler de son envie de l’épouser lors de son retour en Autriche, non, il ne pouvait pas parler de cela à une femme désormais mariée. Il remercia alors silencieusement son interlocutrice pour prendre la parole sans attendre de lui une réponse.
« Si vous aviez lu le dernier courrier que je vous ai fait parvenir il y a tout juste un an, vous sauriez que je ne suis pas du tout mariée, mais que j’ai été adoptée tout simplement par le prince de Cortès. Justement à cause de cette ressemblance étrange avec sa fille, la meilleure amie de la Reine. Je ne me suis jamais mariée, et je ne suis plus fiancée à monsieur de Bragelonne, le parti que souhaitait mon nouveau père. »
A ces paroles, le cœur du jeune allemand se libéra d’une lourdeur qui l’oppressait depuis qu’il avait appris qu’Eugénia était désormais une Cortès. Tout à cette joie qu’il essayait de contenir, il ne se posa pas de question sur cette adoption assez mystérieuse et énigmatique. Tout ce qui comptait était que sa chère amie n’était point mariée. Il se sentit soudain idiot, il lui aurait suffit de poser son regard sur les mains de la belle espagnole pour remarquer qu’elle ne portait aucune alliance. Mais l’amour vous rend idiot, et Frederick en faisait l’expérience. Néanmoins, il restait toujours cette question des lettres interceptées, et il se devait de fournir une explication, désormais claire à son esprit, à Eugénia. Devait-il tout lui avouer, oui ou non ? Il le voulait, puisqu’il pouvait dorénavant convoiter sa main, mais cela ne serait-il pas un peu précipité ? Il était par ailleurs effrayé à l’idée de gêner la belle espagnole. Que lui dire, alors ?
« Je suis si désolé pour vos lettres. J’aurai tant aimé avoir de vos nouvelles, savoir ce que vous deveniez ! Cependant, je ne pensais pas que vos lettres aient pu être interceptées, et je pensais que vous m’aviez oublié. Je vous avez moi-même envoyé une lettre, et puisque je n’ai jamais reçu de réponse, j’ai tenté de me faire une raison… »
Il pensa à ce jour où il écrivait à Eugénia, où il lui parlait de son amour, et du refus catégorique de ses parents. L’écrire était beaucoup plus facile que le dire, et il ne se sentait pas la force de faire ses aveux aujourd’hui. Pourtant, il ne pouvait expliquer autrement l’acte de sa famille.
« …sans y parvenir, pourtant. Mes parents doivent être à l’origine de cette perte mystérieuse de nos lettres. Ils sont assez envahissants, concernant ma vie, et je me vois obligé de leur obéir. Vous devez sûrement vous demander pourquoi ils avaient tant intérêt à intercepter nos lettres…C’est qu’ils pensaient que vous aviez pris une trop grande place dans mon cœur, place qui n’était pas destinée à une pauvre orpheline sans argent et sans nom. »
Même s’il n’avait pas à proprement parler prononcé le mot mariage, ses paroles ne laisseraient aucun doute dans l’esprit d’Eugénia. Ne sachant la réaction de son amie, Frederick n’osait pas la regarder. Cependant, ce sujet le gênait quelque peu. Il venait enfin, au bout de huit longues années, de retrouver cette si chère amie, et déjà le poids des sentiments et des secrets se faisait ressentir sur leurs conversations, autrefois si enjouées. Espérant revoir un sourire sur le visage d'Eugénia, il changea de sujet.
« Mais nous venons de nous retrouver, et mon séjour en France sera allez long pour que nous ayons tout le loisir de découvrir la vérité sur ces lettres perdues. Aurai-je l'honneur de me faire accompagner par la plus jolie des espagnoles ce soir, à la soirée organisée en l'honneur de la Délégation Allemande? »
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