Comment un imbécile comprit sa vraie nature... [Francesco]
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Francesco Contarini
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• DON JUAN • Revenu des Enfers
► Âge : 27 ans
► Titre : Nobilis Homo vénitien, Ambassadeur déchu, Banquier de la Main de l'Ombre & bras droit de Victor d'Amboise
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Sujet: Comment un imbécile comprit sa vraie nature... [Francesco] 02.05.15 17:45
Ta prison est en toi. Le poison est en toi.
Dans la cellule plongée dans l’obscurité du soir, la chaleur était étouffante. L’air fauve était comme nimbé d’une poussière lourde et affolante. Le sol était plus sec qu’un désert et les pierres des murs aux bords tranchants semblaient vouloir lacérer la peau de quelqu’un, férocement. Près de la porte, une gamelle remplie d’une bouillasse sans couleurs ni parfum n’avait pas même été goûtée tandis que les mouches en faisaient un festin. Un cliquetis de chaînes se fait entendre dans un coin. Affalé sur le sol, recroquevillé sur lui-même et ses cheveux sales masquant son visage, Francesco avait une respiration sifflante. Trempé de sueur sous la chaleur maudite et légendaire de sa prison, il n’avait la force à rien. Après avoir passé des jours à hurler après le vénérable paternel, à insulter les gardes qui se relayaient tour à tour dans le couloir devant sa cellule, à jeter rageusement sa gamelle infecte au visage de celui qui l’amenait, il avait fini par s’épuiser sous la cuisson du toit de plombs. Son père l’abandonnait, ses gardes se moquaient de lui sans la moindre gêne…
Autrefois tu avais trop d'amis et maintenant tu n'en as plus. Cela veut dire que tu n'en as jamais eu, pensa l’ambassadeur déchu en laissant apparaitre un sourire faiblard sur son visage sale marqué d’une barbe. Au fond du trou, on ne pouvait pas en dire mieux sur sa situation. Sa vie revenait de façon épisodique à son esprit. Tout cela était brumeux et avec toute cette chaleur il avait l’impression que les souvenirs venaient eux-mêmes l’attraper à la gorge pour l’étrangler et écraser ses poumons. Par moment il tournait de l’œil, parfois un bruit dans le couloir le réveillait en sursaut… Tout était décousu. Quel jour sommes nous ? Quelle heure est-il ? Est-ce le matin ?
A force de se voir enfant choyé, bercé, adoré, adolescent fougueux, gâté,… Tout cela avait fini par l’amener dans cette cellule. C’était inéluctable. Ce qui restait, c’était les mots de son père. Dur. Froid. Il avait planté ses paroles comme n’importe quel homme de cette ville plantait un poignard pour une poignée de pièces d’ors. En plein cœur.
« Je t’ai tout donné pour que tu sois le meilleur des hommes, Cesco… Mais tu n’es que le pire d’entre eux… », Raisonnait encore la voix rauque du Doge dans son esprit.
- Je crois qu'à la base, je voulais faire le bien autour de moi…, murmura le vénitien en réponse au vide. Mais ça n'a pas été possible… »
- Laisse-moi rire ! » pouffa une voix des plus familières à l’autre bout de la pièce.
A l’entendre, Francesco sursauta en levant enfin le visage vers l’obscurité de sa cellule. Il la connaissait beaucoup trop bien pour l’ignorer.
- Sofia ? demanda le vénitien dans un souffle.
Elle était sous ses yeux, apparaissant dans une unique raie de lumière en face de lui. Debout, le regardant de haut, son habituel petit sourire mutin aux lèvres : la Farnèse avait des airs de Madone avec sa peau de porcelaine, ses cheveux d’ébène lâchés sur ses épaules et sa silhouette drapée dans une robe d’un bleu nuit piquée d’étoiles d’or. La jeune femme posait sur lui un regard étrange. Il n’aurait su dire si elle se moquait de lui ou si elle était en colère. La jeune femme ne lui répondait pas.
- Tu l’entends ? demanda-t-elle d’un air surpris avant de se reprendre d’une voix de velours, mystérieuse. Bien sûr que tu l’entends. Le murmure. Il rampe et glisse doucement jusqu’à ton oreille… C’est le son de cloche de ton procès. Haha ! Tu l’as fui depuis si longtemps… Mais tu ne peux plus désormais… Quelle mine pitoyable tu as là… Il est loin le paon des salons et le goujat de ses dames. Tu es fier de toi ? Tu veux que l’on te félicite de ta monstruosité infatigable ?
-Vas-t-en…
-Je ne sais quelle flèche invisible à pu traverser ton esprit lorsque tu m’as abandonné, Francesco… Mais ce dont je suis sûre c’est que cela te perce l’âme et t’empoisonne.
Francesco ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il délirait ? C’était certainement la lettre de son frère Alvise qui lui embrouillait l’esprit. Qu’est-ce que Sofia lui racontait ? Tant bien que mal, il ne pu s’empêcher de rire d’une voix cassée. C’était ridicule. Il était ridicule. Une hallucination ! Rien que ça. Amusé dans son malheur, il écarta la lettre de son cadet pour ne plus la voir avant de lancer à l’apparition un sourire :
- Chère Obsession, pourrais-tu avoir la gentillesse de me sauver de moi-même ? Sinon je me passerai moi-même une corde autour du cou, dit-il en soupirant d’un air cynique.
Mais la vision de Sofia poursuivait sans vraiment faire attention à lui.
- Qu’est-ce qu’il te prend de faire des choses pareilles ? demanda-t-elle intriguée. Pourquoi fais-tu du mal comme ça ? Qu’est ce qui ne va pas ? »
- Arrête avec tes questions »[/b], commençait grogner le vénitien en regardant ailleurs en espérant que cela la ferait disparaitre… en vain.
- Parle-moi, tu sais que tu peux tout me dire. C’est des fadaises tout ça, tu le sais. Regarde moi dans les yeux, ordonna la Farnèse sans succès laissant la cellule retomber dans le silence avant d’insister. Regarde-moi. Nous n’avons que faire de cette cellule et de ces chaines. Ce n’est PAS important ! »
- C’est censé être drôle ? demanda Francesco, aussi vexé qu’épuisé. Tu n’as rien de réelle mais sois réaliste ! S’exclama-t-il d’un sourire amer en levant ses chaînes pour les lui montrer. Je suis loin de ma superbe habituelle.
- Moi je te trouve magnifique, dit-elle en haussant les épaules. Depuis la première fois où je t’ai vu. D’ailleurs, je ne m’en suis toujours pas remise… Et puis comment je ferais sans toi, moi ? »
Ses mots attisèrent soudain l’intérêt de Francesco qui posa sur elle un regard intrigué avant qu’elle ne rit aux éclats. La princesse se moquait de lui ouvertement :
- Et puis comment l’univers ferait sans toi ? demanda-t-elle, hilare.
- Arrête.
- Ca ne pourra jamais fonctionner ! C’est impossible ! Dit-elle d’un ton théâtral avec un sourire radieux.
- Pfff tu veux me faire pleurer ? demanda le vénitien d’une voix trainante. Pourquoi me dis-tu cela ? ajouta-t-il d’une voix éteinte.
- Parce que nous sommes de ceux que rien n’arrête, répondait la princesse aux airs de poupée en s’agenouillant près de lui avant de prendre le visage de Francesco entre ses mains en plongeant ses yeux dans les siens. Un jour, tout ça sera loin, oublié, comme si cela n’avait pas existé.
- Je crois qu'à la base, je voulais faire le bien autour de moi, avoua le Contarini déchu. Mais ça n'a pas été possible parce qu'on m'en a empêché…
Le regard de Sofia devint alors plus glacial qu’un vent du nord. Elle se releva furibonde et cracha ses paroles, furieuse :
- Qu’est ce qu’il faut que je fasse, Cesco ?! Pour que tu te sortes de là. Que tu enlèves cette boue que tu as dans les yeux ?
- Je…
- Tu avais tout ! S’exclama-t-elle sans faire attention à lui en déambulant dans la cellule comme un animal en cage. Toutes les cartes en main ! Continuait-elle en agitant ses mains nerveusement avant de lancer vers le vénitien un regard brillant. Tu es un monstre… un imbécile… Un prince moisi dans des eaux croupies…
Un lourd silence retomba dans la cellule. L’image de Sofia regardait dans le vide tandis que Francesco l’évitait du regard. Il ne se sentait pas bien. Soudain il suffoqua et se traina lourdement sur sa paillasse avant d’aller vomir dans un coin. Après de longues minutes, la jeune femme jeta sur son ancien fiancé un regard. Des larmes cascadaient sur ses joues blanches.
- Tu me brûles ! Tu me brûles trop, siffla la Farnèse. Et tous les autres aussi… C’est comme des cicatrices…, dit-elle en regardant une bague à son annulaire avant de relever ses yeux vers lui. Mais je suis là. Je suis prête à tout ! S’exclama-t-elle en s’approchant de nouveau du Contarini. Et toi, tu es assis, dit-elle d’une voix glaciale. Tu es planté là. Tu refuses de sortir de ta cellule…
- Quel humour, fit le vénitien. Tu te surpasses, Sofia. Comme si j’avais choisi d’être ici…
- Mais tu ne vois pas que j’ai besoin de toi ? demanda Sofia, désemparée. Ne vois-tu pas que si tu ne fais rien…tu ne sers à rien ? Cela va continuer combien de temps comme ça ? Combien de temps vas-tu rester comme un âne qui regarde les charrettes passer… Jusqu’à ce que tu n’en puisses plus ou… que l’on finisse par te mettre entre quatre planches ?
Tandis qu’elle lui jetait un regard insistant, lui regardait ailleurs, plongé dans ses pensées.
- Je pensais à quelque chose…, dit-il. Je crois que si les hommes font tant de peine aux femmes, c'est sans doute parce qu'elles sont plus belles quand elles pleurent… C’est drôle non ? Demanda-t-il avec un sourire goguenard.
Sans attendre, Sofia se précipita vers lui et le gifla sans ménagement.
- Arrête de sourire ! s’écriait la Farnèse, excédée. Ce sourire là ne vaut rien !
Mais il continuait de rire en se protégeant des coups avec ses mains.
- D’un autre côté tu as raison, ajouta la brune en redevenant tout à coup plus calme, lui tournant le dos. C’est tellement plus facile de sourire, plutôt que d’être heureux…
Ces quelques mots avaient balayé l’hilarité du vénitien qui contemplait le dos de Sofia redevenue silencieuse, encadrée par une aura étrange.
- Au tout début, je voulais faire le bien autour de moi. » répéta Francesco, pensif.
- Vraiment ?
- Ça n'a pas été possible parce que… j'ai abdiqué, laissa-t-il échapper, les épaules tombantes.
Sofia se retourna de nouveau vers lui, plus douce.
- Le plus important Cesco, n’est pas ce que tu es, mais ce que tu as choisi d’être…
Elle lui tendait alors sa main fine et blanche portant l’alliance. Il voulut la prendre entre les siennes pour retirer cet affront à ce qu’ils étaient l’un pour l’autre. L’imbécile qui l’avait offerte à Sofia n’était rien. Rien. Mais il ne comprenait pas pourqu…
La porte de la cellule s’ouvrit en trombe réveillant en sursaut le Contarini, seul, couché sur sa banquette de bois dur. La lumière du matin venait lui agresser les pupilles. Un garde rentra en lui jetant un sourire moqueur et mauvais.
« Vostra Altezza ! S’écria le garde sans la moindre délicatesse en jetant une gamelle par terre. Voilà ton repas…, dit-il en regardant de la tête au pied l’état pitoyable de celui qui se moquait de lui autrefois. Mon pauvre…, constata-t-il avec un grand sourire. La prison ça ne t’réussit pas hein ?
Pour seule réponse, Francesco leva fièrement le menton et lui jeta à son tour un sourire mauvais.
- En attendant, c’est toi qui apporte toujours mes repas… Laquais…
Immédiatement le militaire devint rouge écrevisse. La remarque avait fait mouche.
« Figlio di una cagna, lâcha le garde d’une voix trainante. Tu rigoleras moins quand je t’apprendrais la grande nouvelle…, dit-il avec un sourire tordu. Tu savais qu’ta principessa va se marier ?
-Je sais, fit l’ambassadeur déchu en crispant sa mâchoire.
-Haha ! Faut croire qu’elle en a eue assez de t’attendre… Lui c’est un prince : un vrai ! Le Prince de Chimay. L’est français… mais c’est toujours mieux qu’toi, non ?
Il continua de rire comme un ivrogne en tapant sur sa bedaine puis il quitta la cellule sans un mot de plus. Francesco avait dû parler dans son sommeil... Sofia mariée à un autre que lui ? Oh non, pensa-t-il en regardant de nouveau la lettre d’Alvise avec des yeux neufs. Cela n’arriverait pas, pensa-t-il avec un sourire qu’on ne lui avait pas vu depuis très longtemps. Serrant les poings, un incendie venait d’être allumé au fond de son être. Tout ce temps, toutes ces années pour en arriver là… Cette nuit, tout avait changé. Francesco venait de comprendre quelque chose qui venait de transformer son existence à jamais. Le vénitien comprenait alors qu’il existait une chose qui était bien pire que la prison ou la mort : c'était d'être sans elle...
Il comprenait tout. Son mépris pour le reste du monde était l’expression d’un vide en lui. Ce vide immense… Elle était la seule à le combler. Oh ! Ne vous attendez pas à ce que Francesco Contarini soit soudainement un ange en une seule nuit. Non, ce n’était pas ça. On n’effaçait pas 27 ans d’une vie dissolue d’un claquement de doigt. Il s’avérait simplement que pour la première fois de sa vie Francesco Contarini comprenait qu’il était capable d’aimer. Qu’il le ressentait au fond de lui. Ardent. Puissant. Face à cela le reste de sa vie, de ce qu’il avait pu faire, n’avait plus aucun sens. C’était déjà le cas auparavant mais le vénitien n’en n’avait que faire… Il aimait toujours autant les complots, le vice et piétiner le monde jusqu’à la fin. Sofia, elle, était intouchable. Le diamant inaltérable de sa vie. Il repensait aux derniers instants qu’il avait passé en compagnie de la Farnèse… Ce dîner avait tout changé sans qu’il ne s’en rende compte. Quel crétin !
Aujourd’hui, il constatait que ces actes engendraient des conséquences qui le dépassaient… Sofia sans lui ? Il ferait tout, n’importe quoi, mais cela n’arriverait pas. Ce Chimay, aussi princier soit-il, il l’égorgerait à mains nues pour l’écarter de son chemin. Sans hésiter.
Francesco ne s’était jamais autant sentit vivant. Il allait sortir, la retrouver et ils s’envoleraient vers un zénith glorieux. En cet instant, Il était rayonnant de l’intérieur, mais lamentable à l’extérieur. Au fond de lui, très profondément, c’était une nouvelle naissance. Le monde connaissait les monstres sans cœur, sans âme… Mais ce monde n’avait pas encore vu naitre de monstre amoureux. Francesco leur ferait voir à tous ce dont il était vraiment capable. Avant, ce n’était rien…
Assis sur sa banquette au fond de sa cellule des Plombs, Francesco exaltait. Jamais crétin irresponsable n’a été aussi puissant que lui depuis 1600 ans.
Il sentait comme un brasier au fond de ses entrailles. C’était ardent, puissant, féroce et terriblement exaltant. L’aube n’allait pas encore pointer le bout de son nez sur la péninsule avant quelques heures et Francesco sentait un soleil dévastateur se lever à travers sa chair. La douleur des chaînes à ses poignets, de ses muscles endoloris, de son squelette qui craque lorsqu’il se relève enfin de sa paillasse… L’air qui entrait et ressortait de ses poumons était sifflant à travers ses lèvres. Cela faisait affreusement mal et le prisonnier ne pouvait pas se sentir aussi bien… Il était vivant.
Francesco Contarini
« s i . v e r s a i l l e s » Côté Coeur: Je m'aime tellement ! Quoique, il est possible que je l'aime elle aussi... Côté Lit: C'est open bar ! Entrée gratuite pour les libertins Discours royal:
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Sujet: Re: Comment un imbécile comprit sa vraie nature... [Francesco] 03.05.15 3:11
Alors qu’il exaltait comme un fou furieux dans sa cellule, le visage rongée par une vilaine barbe, Francesco sursauta lorsqu’il entendit une lourde voix geindre de la cellule juste à côté de la sienne :
« Hey sucre d’orge ? Tu peux la fermer ? fit la voix avec un accent à couper au couteau. T’écouter délirer la nuit c’est une chose mais si j’peux plus pioncer le jour je vais m’arranger pour te coller une beigne !
Cela faisait plusieurs jours que Francesco était enfermé aux Plombs et le vénitien était persuadé d’avoir toujours été seul dans cette partie de la prison. Il s’étonnait d’être à ce point ravi de pouvoir sociabiliser avec quelqu’un d’autre qu’un abrutit de garde. Le vénitien s’approcha du mur qui le séparait de son codétenu affichant un sourire charmant qui dénotait fort avec le reste de son apparence totalement négligée
-Très heureux de faire votre connaissance cher voisin, dit-il d’un ton badin. Je suis Francesco Contarini, le fils du…
-Ha ! s’exclama le prisonnier avec un rire forcé. Ca on sait hein ! Contarini par-ci, Contarini par-là : y’en a que pour la jolie princesse enfermée dans sa cellule maintenant hein ?
Le rouge monta aux joues de l’intéressé qui serra les poings.
-Si vous croyez que c’est le grand luxe de mon côté du mur…
-Pfff ! Amateur ! lâcha d’un ton trainant son voisin. Svi su isti ti malo govno knezovi....
-Vous n’avez pas fini de m’insulter, stronzo ? s’énerva Francesco sans réussir à rester courtois plus longtemps avec ce qui semblait être un croate. Vous êtes qui d’abords ?
-Moi ? C’est Bosko, la terreur des mers, fit fièrement le prisonnier.
Le Contarini eut un sourire railleur en entendant sa présentation.
-Hum… Vous n’êtes pas si terrible pour un pirate croate alors… Vous aussi vous êtes enfermés là.
-C’est la troisième fois qu’on me jette dans une cellule, sucre d’orge, indiqua le pirate d’un ton blasé. Alors ne fait pas l’malin.
A ces mots, Francesco fit les yeux ronds. C’était bien la première fois qu’il rencontrait un homme ayant réussi par trois fois à tromper les fers, les barreaux et la pendaison ! Etonné de trouver un codétenu aussi intéressant, le vénitien se disait que ce pirate pouvait après tout l’aider à sortir de son trou. Cependant, il fallait réussir à convaincre ce qui semblait être un molosse… Malgré qu’il soit hors de la vue de son voisin, le Contarini afficha son air le plus commerciale et jeta aux vieilles pierres de sa cellule un regard brûlant comme lorsqu’il s’amusait à faire tourner la tête des femmes (et des hommes, parfois…) :
-Dites-moi, mon ami ? C’est une bonne situation, ça : pirate ?
-Bah vous savez je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaises situations, fit le croate dans un profond soupir. Moi si je devais résumer ma vie aujourd’hui : ce sont avant tout des rencontres. Des gens qui m’ont tendu la main peut être à un moment où je ne pouvais pas ou j’étais seul chez moi et c’est assez curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une destiné. Parce que quand on a le goût de la vie, le goût de la chose bien faite ou du beau geste parfois on ne trouve pas l’interlocuteur en face. Je dirai même le miroir qui vous aide à avancer. Et…
-Oui bon j’ai compris, merci, fit rapidement Francesco pour couper son codétenu dans son élan lyrique avant de reprendre d’une voix de velours. Mais justement… Vous qui parliez de rencontres, de hasards et d’opportunités… Vous ne pensez pas qu’on pourrait... Que sais-je ? S’entraider ?
-Hein ? s’étonna la voix de l’autre côté du mur.
-Oui ! Vous semblez être quelqu’un de tout à fait débrouillard. Un fringuant vagabond des mers et moi… Je suis un homme riche… Très riche, dit-il en insistant particulièrement sur ses derniers mots.
-Tu rigoles ? ricana Bosko. T’es ptet riche mais la rumeur à couru, mon gars : T’as l’air aussi stupide qu’un tonneau pour t’être fait pincer comme ça…
-Le tonneau vous emmerde ! se vexa Francesco. Qu’est ce que cela vaut une rumeur, hein ? Rien ! C’est du vent ! s’exclama-t-il avant de reprendre un ton dur et déterminé. Moi ce que je vous propose c’est la belle vie : celle que vous n’avez jamais eu ! Vous n’aurez plus à fuir ou vous cacher, vous aurez de l’argent, des femmes…
-Mais oui c’est ça ! Et ma sœur c’est la reine de Siam ! pesta le pirate. Z’êtes tous les mêmes les nobliaux, vous promettez monts et merveilles mais vous faites toujours tout pour votre pomme. Y’a pas de partenariats qui tienne avec vous. Dites-moi donc un peu la vérité pour commencer, Contarini. Maintenant foutez-moi la paix : je dors !
Le silence retomba entre les deux cellules et Francesco laissa s’affaisser ses épaules tout en soupirant de lassitude. Il n’avait rien, plus rien et son seul espoir était un inconnu derrière un mur. Il allait devenir fou, sauf si ce n’était déjà fait étant donné qu’il avait désormais des hallucinations de Sofia… Si cela continuait encore quelques mois de plus, le Contarini ne donnait pas cher de sa survie autant mentale que physique. Il ne pouvait pas rester ici ! Sofia allait être mariée à un vieux croulant et il était hors de question qu’il n’ait pas voix au chapitre. Le vénitien voulait changer, tout changer. S’il voulait s’échapper de cette cellule ce n’est certainement pas en faisant des ronds de jambes à son voisin pirate qu’il s’en sortira… Cette pensée lui fut particulièrement douloureuse !
Alors qu’il s’était éloigné du mur pour pester sur son sort, Francesco jeta un regard aux vieilles pierres qui le séparait de ce Bosko et soupira en levant les yeux au ciel. Il savait ô combien de personnes auraient donné cher pour le voir faire ce qu’il s’apprêtait à faire et cela lui déchirait les entrailles… Il s’approcha du mur en se triturant les doigts, plus crispé que jamais avant de réussir à lâcher d’une voix véritablement désespéré :
« D’accord, Bosko, fit le vénitien. [b]Tout ce que vous avez entendu à mon sujet est… peut-être… vrai… J’insiste vraiment sur le « peut-être » ! On est sûr de rien de nos jours…
-Mais encore ? grogna le pirate.
-Je… suis un imbécile, lâcha-t-il dans un souffle. Cela fait des mois que je tourne en ronds et il faut absolument que je sorte… Vraiment ! Et…
-Et ?
-Je ne peux pas m’évader tout seul… Et tout travail mérite salaire… Cela vous va ? S’impatienta Francesco. Dois-je aussi consigner tout ça par écrit et vous en envoyer une copie ?
-Boarf… Inutile : je sais pas lire.
-Ah…
-Mais tu fais des progrès, sucre d’orge, fit Bosko d’un ton plus amicale. Je vais voir ce qu’on peut faire…
Durant les semaines qui suivirent, Francesco et son nouvel ami improbable, en la personne de Bosko, continuèrent leurs petites conversations à travers le mur tout en s’organisant pour monter le plan idéal pour les faire sortir d’ici. La garantie que tout cela fonctionnerait était mince mais les deux hommes n’avaient plus rien à perdre. Bosko se chargeait de la logistique tandis que Francesco se trouva un rôle qui lui allait à merveille : faire illusion. Durant les mois qui s’écoulèrent, le vénitien eut le comportement le plus impeccable : il ravala toutes ses réflexions envers les gardes, montra une discipline presque militaire et devint le détenu idéal ! Tant et si bien que le Doga accepta de rendre peu à peu certains privilèges à son fils emprisonné. On lui apporta un lit, un secrétaire, un fauteuil, une bibliothèque et même un nécessaire à toilette. Il fût également autorisé à faire des promenades sous surveillance et ses repas s’améliorèrent un peu. Doucement les plaisanteries à son sujet se raréfièrent et il put se concentrer pleinement sur son objectif : s’évader des Plombs et déguerpir au plus vite de Venise !
Francesco et son complice pirate développèrent une confiance mutuelle qu’il ne pensait pas possible. D’autant plus en ne l’ayant jamais vu ! Mais ce qui plaisait par-dessus tout au Contarini, c’était que Bosko ne passait jamais par quatre chemins pour l’insulter ou lui dire le fond de sa pensée. Il n’y avait pas de parades, pas de cour, d’apparences, de courtisans et encore moins de femmes… Ils en parlèrent de tant à autre pour passer le temps… Francesco lui parla même de Sofia ! Lorsque le pirate apprit toute l’histoire de ses fiançailles annulées et de ses aventures libertines, le croate s’exclama sans détours :
« Attends… T’es en train de me dire que t’étais fiancé à la plus belle femme que t’as pu voir dans ton existence et… T’as tout envoyé baladé ? Raaah Štocon ! Tes quoi ? Un animal ?
-Mais… Mais non ! se vexa Francesco. J’aime la liberté et je hais les conventions : tu devrais me comprendre toi, le truand des mers…
Bosko se mit à juré dans sa langue maternelle avant dire comme un dicton :
-On ne peut pas faire n’importe quoi avec les femmes. Ca non, sucre d’orge ! »
Quelques jours plus tard pendant une promenade dans la cour intérieure des Plombs, Francesco sentit son soulier se frotter contre quelque chose de métallique. Il baissa les yeux et trouva à ses pieds une petite tige en métal qui dépassait légèrement d’un tas de détritus. Sentant un frisson lui remonter dans le dos, il jeta un œil discret sur le garde qui faisait sa ronde plus loin avant de faire mine de lasser les lacets de son soulier. Le plus discrètement possible il essaya de faire glisser la tige jusqu’à lui avec un doigt, puis deux avant de vite la cacher dans sa manche. C’était exactement ce qu’il manquait à leur plan !
Revenant plus tard en cellule, le Contarini s’empressa d’annoncer la nouvelle à son acolyte. Tout avait été minutieusement préparé : Francesco ayant acquis doucement d’avantage de privilèges, il essaya peu à peu d’amasser un maximum de draps avant de les nouer entre eux pour pouvoir constituer la plus longue corde possible. Il dissimula l’ensemble à l’intérieur même de son matelas qu’il avait progressivement vidé de son contenu en plumes pour les jeter peu à peu par sa petite lucarne qui donnait directement sur la mer. Quand à la tige en métal, Bosko lui conseilla de la frotter le plus vigoureusement possible contre les pierres afin de rendre la tige bien pointue : cet outil allait leur être d’une aide précieuse pour l’évasion. Après plusieurs jours d’efforts (plus ou moins discrets), le Contarini réussit enfin à obtenir la pointe souhaitée pour leur plan. Tout se mettait doucement en place sans que personne ne se doute de quoique ce soit…
Dans la nuit du 14 juillet 1667, une plaque recouvrant le toit de la prison des Plombs se délogea dans un grincement avant de se soulever difficilement pour laisser apparaitre le visage de Francesco. Le vent et les embruns de la mer vinrent lui caresser le visage et ce fut un délice sans pareil qu’il ne pensait pas un jour apprécier. Tant bien que mal, à l’aide de sa tige métallique il poussa la plaque qu’il puisse continuer à se frayer un passage et se retrouver sur le toit avant de hisser son cordage de draps. Les plaques étaient glissantes : un seul faux pas et il n’y avait que la gouttière un peu plus bas pour se rattraper et ne pas tomber dans le vide. Sans perdre un instant il s’accroupit et commença à toquer une à une sur les plaques qui étaient censées être au-dessus de la cellule de Bosko. Lorsqu’il entendit enfin son complice lui répondre il s’activa pour dévisser la plaque que le croate lui avait désigné. La nuit était si sombre qu’il était bien difficile de savoir s’il faisait les choses correctement. Peu à peu ses yeux s’habituèrent à l’obscurité et il sentit le croate pousser de toutes ses forces pour l’aider à déloger la lourde plaque. Une fois cela fait, il aida l’homme à se hisser à ses côtés et le découvrit enfin après ces mois de captivité. Bosko était un homme qui devait bien faire une demi-tête de plus que Francesco, les traits dur et le regard acéré. Une grande barbe lui dévorait le visage lui donnant des airs de bête féroce. Le croate remarquant que le vénitien l’observait durement lui répliqua :
« Quoi ? Tu t’attendais à une jolie blonde ? »
A ses mots, les deux hommes échangèrent un sourire mais rapidement il fallait mettre de côté les plaisanteries car ils étaient loin d’être sorti d’affaire ! Prudemment, les deux hommes, escaladèrent les plaques jusqu’à atteindre le sommet du toit et de s’y hisser à califourchon pour trouver plus de stabilité. Le dos tourné à l’île Saint-Georges, Francesco repéra aisément les nombreuses coupoles de l’église Saint Marc accolée au Palais ducal qui se dessina dans la pénombre lointaine. Il respira profondément, étrangement nostalgique, avant de placer son maigre paquetage et son cordage devant lui avant de donner une seconde corde à Bosko qui l’imita. Il ne fallait surtout rien faire tomber, sinon le moindre objet pouvait se retrouver dans la cour du palais et être vu par les arsenalotes (gardes). Les deux hommes devaient être des ombres. Toujours avec une extrême minutie, Francesco et son pirate observèrent pendant presque une heure chaque coin, recoin et corniches du toit pour voir ils pouvaient accrocher leurs cordes pour assurer leur descente. Rien. Ils étaient bien perplexes. C’est alors que le regard du Contarini s’arrêta sur une lucarne qui se trouvait du côté du canal du Palais, à deux tiers de la pente. Elle se trouvait assez loin où les deux fugitifs étaient mais ils s’empressèrent de l’atteindre pour voir de quoi il en retournait. Il fallait être sûr que cette lucarne ne donnait pas directement dans la prison ou qu’elle ne débouchait pas dans un endroit trop fâcheux du palais. Francesco étant le plus fin des deux, il n’y eut pas à tergiverser longtemps pour savoir qui devait jouer les éclaireurs.
La cloche de Saint-Marc sonna minuit, tandis que le Contarini s’étendait prudemment sur le toit assuré de sa corde retenu par Bosko. Le nez devant la lucarne, il entreprit bien vite de dévisser la petite grille qui la recouvrait avant de briser sans ménagement la vitre retenue par des joints de plombs. L’italien ignora le saignement qui coula de sa main gauche et remonta aux côtés de son compagnon pour préparer la suite. Un problème se posait : comment parvenir ensemble jusque dans ce grenier sans que l’un ou l’autre ne tombe ? Le premier pouvait assurer le second avec la corde pour qu’il atterrisse sans soucis à l’intérieur. Mais quand était-il du second ?
-Je n’ai qu’à passer devant si tout ça t’inquiètes, fit Bosko avec un sourire railleur. Tu auras tout le temps de réfléchir à une solution si tu as un risque de chute, non ?
- Figlio di una cagna, répliqua l’ambassadeur déchu avec son sourire de requin.
La proposition avait de quoi inquiéter mais le vénitien accepta le marché. Il prit sa corde et l’attacha solidement par-dessous les aisselles de son complice avant que celui-ci ne se laisse glisser le long du toit. Francesco tirait de toutes ses forces pour garder l’équilibre et ne pas le suivre dans une chute mortelle. C’est qu’il pesait son poids ce pirate ! Celui-ci atteignit la lucarne et fit signe au Contarini qu’il allait à son tour l’assurer avec la corde. Vu la taille du molosse, l’italien ne douta pas une seconde de sa sécurité et se laissa glissé à son tour jusqu’à la lucarne par laquelle son complice venait de rentrer. Arrivés dans le grenier, ils en firent rapidement le tour et trouvèrent à son bout une porte à deux battants composés de barreaux de fers. Bosko crocheta la serrure avec la pointe métallique puis ils s’avancèrent plus loin dans une pièce remplie que quelques meubles et fauteuils poussiéreux. Francesco ne savait pas du tout où ils pouvaient se trouver. Il s’approcha d’une des fenêtres et ouvrit doucement les volets pour vérifier mais cela ne le renseigna pas plus que cela.
-Il ne connait même pas son palais, se moqua Bosko. Tu parles d’un grand seigneur…
-Je n’ai jamais eu l’habitude de m’aventurer par ici, se justifia l’intéressé en relevant fièrement le menton. Je ne suis pas un valet ! soupira-t-il, exaspéré.
Sentant soudain ses nerfs redescendre, il se laissa tomber lourdement dans un fauteuil en fermant les yeux quelques minutes. Résultat il dormit pendant trois heures ! C’est la lourde main de Bosko qui secoua Francesco pour l’arracher des bras de Morphée. Heureusement, ils avaient encore du temps et la pénombre hantait encore Venise. Ce sommeil imprévu avait revigoré l’italien qui se releva plus énergique encore.
à suivre...
Francesco Contarini
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Sujet: Re: Comment un imbécile comprit sa vraie nature... [Francesco] 03.05.15 16:48
Retrouvant toute sa vivacité, Francesco se releva de son fauteuil en époussetant ses vêtements déchirés avant de s’avancé à l’autre bout du grenier :
« Ce lieu n’est pas une prison, il doit y avoir une issue simple qu’on doit facilement trouver. »
Ils observèrent chaque recoin de cet endroit jusqu’à ce que le vénitien sente ce qu’il semblait être une petite porte dérobée. Celle-ci portant une serrure, il s’empressa de prendre la tige métallique pour faire sauter le verrou en espérant que cela ne soit pas juste la porte d’un placard. Après trois ou quatre secousses, la porte s’ouvre et dévoile une petite chambre. Une clef se trouvait sur la table. Francesco la saisit et l’essaya de le verrou qu’il venait crocheter. C’était bien la clef de cette porte. Il pressa Bosko d’aller chercher leurs affaires dans le grenier avant de refermer la porte et de remettre la clef en place. Il fallait ne pas laisser la moindre trace de leur passage. Les deux hommes sortirent de la petite chambre et se retrouvèrent dans une galerie à niches remplies de cahiers. C’était des archives. A la vue de cette pièce, Francesco reconnut immédiatement cette pièce dans laquelle il trouvait souvent son frère à feuilleter les vieux registres. Son cœur se serra à cette pensée. A cette époque, Alvise lui portait une admiration sans bornes. Bosko le ramena au présent en l’interpellant à l’autre bout de la pièce : il avait trouvé un escalier en pierre court et étroit. Ils l’empruntèrent avant d’en reprendre un autre qui les amena au bout à une porte vitrée. Francesco retrouvant ses vieilles habitudes l’ouvrit pour qu’ils arrivent dans une pièce qu’il connaissait très bien : la chancellerie ducale. Plus à l’aise, le vénitien s’avance vers une fenêtre tandis que Bosko ne peut s’empêcher de s’extasier sur le décor parfaitement enchanteur.
Le Contarini ouvre doucement la fenêtre et voit qu’ils leur seraient aisés de descendre. Seulement cela les amenait dans le labyrinthe des petites cours qui entourent l’église de Saint-Marc. Autant dire qu’il fallait mieux éviter de se compliquer la tâche. Son regard courut à travers la pièce à hauts plafonds quand son regard s’arrêta sur un bureau. Il s’y trouvait un outil de fer à manche de bois à pointe arrondie, le même dont les secrétaires de la chancellerie se servent pour percer les parchemins auxquels ils attachent à une ficelle les sceaux de plombs. Le jeune homme s’en saisit puis ouvre le bureau et trouve la copie d’une lettre destinée au vieux Provéditeur Général à Corfou. Celle –ci lui annonçait le gain de trois mille sequins pour la restauration de la vieille forteresse. Francesco, ne perdant pas le Nord, s’empressa de vérifier dans le bureau s’il n’y trouvait pas la somme, en vain. Il n’aurait pas boudé son plaisir à s’emparer de cette somme, mais elle n’y était pas.
Le fugitif vint auprès de la porte de la chancellerie et commença à essayer de crocheter le verrou. Après trois tentatives, la manœuvre semblait bien inutile. Francesco se demanda alors s’il ne devait pas se cogner la tête contre un mur de désespoir mais Bosko arriva auprès de lui et lui arracha ses outils des mains. Il semblait déterminé à vouloir faire un trou dans l’un des deux battants ! Il choisit celui qui comportait le moins de nœuds et commença à entamer la planche. Le croate enfonça l’outil à manche de bois dans les fentes puis poussa autant qu’il pouvait de droite à gauche. Tant bien que mal, il parvint à rompre, fendre et crever le bois en méprisant tout le boucan qu’il pouvait faire. Qu’importe le bruit : Ils pouvaient être entendus de loin mais les deux hommes avaient désormais la nécessité de braver le danger. En une demi-heure, le trou fût enfin assez grand et Bosko cessa son ouvrage. Il y aurait eut besoin d’une scie pour contrer les nœuds entourant l’ouverture.
Celle-ci avait de quoi faire peur, car elle était toute hérissée de pointes. Rien de mieux pour déchirer les habits et lacérer la peau ! Il se trouvait à une hauteur de cinq pieds. Bosko plaça un tabouret en dessous avant de soulever Francesco comme on soulève une poupée pour qu’il s’engouffre dans le trou. Le vénitien passa ses bras joints avec sa tête pendant que son ami le saisissait aux cuisses puis aux jambes. Le jeune fuyard retomba dans la pénombre mais ne s’en soucia guère : il connaissait très bien cet endroit. Bosko lui jeta leurs paquetages et laissa les cordages à l’intérieur de la chancellerie. Tant bien que mal, le pirate aux airs de molosse s’extirpa du trou en déchirant par endroit ses vêtements et Francesco l’aida en l’attirant à lui, tenant fermement ses épaules. L’effort terminé, le vénitien prit toute la conscience de la douleur qui le lançait aux flancs et aux cuisses. Ce trou leur laisserait un souvenir cuisant.
Ils saisirent leurs affaires puis descendirent deux escaliers avant de passer une porte les amenant dans l’allée où se trouvait la grande porte de l’escalier royale et à son côté le cabinet du Savio alla scrittura. Cette grande porte était fermée tout comme celle de la salle aux quatre portes. La porte de l’escalier était comparable à la porte d’une ville. Il n’était pas difficile de voir qu’il était hors de leurs capacités de parvenir à la crocheter. A cette pensée, Francesco soupira et se laissa glisser contre le mur :
« Abbia chi regge il ciel cura del resto, O la Fortuna se non tocca a lui…
Bosko lui jeta des yeux ronds :
-Quoi ? fit-il laissant retomber ses larges épaules. Après tout ça tu t’en remets à Dieu et à la Fortune ? T’es catholique maintenant ?
Francesco se contenta de lui lancer un sourire en coin songeur :
-Je ne sais pas… Si les balayeurs du palais s’avisent à venir aujourd’hui, jour de la saint Antoine de Padoue, ou même demain. Si quelqu’un vient, je me sauverai d’abords quand je verrai cette porte ouverte, dit-il en désignant la grande porte. Et tu me suivras sans broncher.
-Et si personne ne vient ? fit le pirate avec dédain.
-Si personne ne vient : je ne bouge pas d’ici… Et si je meurs de faim je ne sais pas quoi y faire…
Devant de telles paroles, Bosko entra dans une fureur noire. Il le traita de fou, désespéré, séducteur, menteur et des tas d’autres insultes chamarrées dans sa langue maternelle que Francesco ne comprenait pas. Mais celui-ci resta de marbre. Quatre heures du matin sonna. Depuis son réveil dans le grenier et son arrivée jusqu’ici il ne s’était écoulé qu’une heure ?
Francesco se releva : il fallait préparer une alternative, n’importe quoi. La tenue de Bosko pouvait laisser à penser qu’il portait une vieille robe de bure tandis que le vénitien faisait pitié voir même horreur lorsqu’il aperçut son reflet dans une vitre ! Il était tout déchiré et tout en sang. Ses bas de soie étaient tout déchiquetés et laissaient apparaitre une plaie à chaque genou. La gouttière et les plaques de plombs l’avaient mit dans un bien bel état. Le trou de la porte de la chancellerie quant à lui avait déchiré gilet, chemise, culottes, hanches et cuisses. Il était recouvert d’écorchures effrayantes ! Le Contarini déchira des mouchoirs avant d’en faire des bandages retenues par des ficelles puis il saisit dans son paquetage son bel habit qui, en de telles circonstances, avait quelque chose d’un peu comique. Il arrangea ses cheveux, mit des bas blancs et une chemise à dentelle avant d’aller jeter derrière un fauteuil ses vêtements en lambeaux. Puis il attrapa sa belle cape avant de la jeter sur les épaules du pirate. Cela lui donnait l’air de l’avoir tout bonnement volé tandis que Francesco affichait l’apparence d’un homme qui avait été à un bal puis dans un lieu de débauche où on l’avait échevelé. Seuls les bandages à ses genoux gâtaient toute l’élégance du personnage…
« Ca y est ? La princesse s’est faite toute belle ? se moqua Bosko, ne comprenant pas très bien où voulait en venir le Contarini.
Le jeune homme ne releva pas la raillerie et se contenta de lui lancer son sourire de requin habituel à travers sa barbe taillée en pointe avant de s’avancer avec une démarche de prince jusqu’à une fenêtre donnant sur la cour du palais. Le croate commença à paniquer lorsqu’il le vit vouloir l’ouvrir mais il était trop tard… Quelques fainéants qui se trouvèrent là relevèrent la tête et aperçurent ce gentilhomme à la fenêtre, ne comprenant pas bien comment quelqu’un de son rang pouvait se trouver de si bonne heure à la fenêtre. La barbe de Francesco avait vraisemblablement le don de changer son visage : ils ne le reconnurent pas. Un des hommes crut qu’il y pouvait y avoir enfermé quelqu’un la veille sans s’en apercevoir et partit bien vite chercher ses clefs avant de venir leur ouvrir.
Bosko était fâché que son complice se soit fait volontairement repéré de la sorte et continua de grogner dans sa barbe et dans son coin jusqu’à ce qu’ils entendent un bruit de clefs jouer dans la serrure avant d’entendre quelqu’un monter l’escalier royal. Le vénitien vint bien vite près de la porte et observa à travers une fente de la grande porte qui donc venait pour les libérer…
Son cœur fit alors un bond dans sa poitrine ! C’était son ancien valet Paolo, celui-là même qui l’avait trahi quelques mois plus tôt. Ainsi cet imbécile travaillait maintenant au palais… Un sourire de dément se dessina sur les lèvres de l’ambassadeur déchu puis il indiqua d’un claquement de doigt à son acolyte de venir se cacher près de lui. La clef se fit entendre dans la serrure puis le battant de la porte vint dissimuler Francesco et Bosko de la vue de Paolo qui s’avançait dans la pièce. Sans un bruit, le Contarini s’avança dans son dos et le saisit sans ménagement et l’empêcha de hurler d’une main ferme sur sa bouche.
« Comme on se retrouve, dit-il d’une voix doucereuse qui fit trembler le domestique de tout son corps.
Il lui parlait tout contre son oreille et le vénitien savait toute la terreur qu’il pouvait inspirer. Bosko restait à l’écart et observa son complice d’un œil nouveau. Paolo essayait de se débattre mais il était d’une constitution plus faible que son ancien maitre et celui-ci n’était pas près de relâcher sa prise, trop content de pouvoir enfin se venger de cet imbécile. Il dégaina sa tige de métal pointue et la plaça tout contre la gorge du désespéré. Il lui murmura que s’il s’aventurait à hurler, sa vie n’en serait que plus courte. Enlevant sa main de la bouche de Paolo, celui-ci était complètement terrorisé, des sueurs froides lui coulant sur le front.
« Co..Comment ?... Vous…Vous êtes sortis ?
-Ouiii, sussura Francesco à son oreille. Tu m’as manqué... Il fallait bien que je revienne te voir… Pour bavarder comme au bon vieux temps.
-Je..Je vous en prie ! implora le valet. J’ai toujours été à votre service, signore.
-C’est bien pour cela que je t’en veux, ricana Francesco en pressant d’avantage la tige sur la peau du malheureux. Tu as été très très vilain, Paolo. Ta mère ne serrait pas bien fier de voir un tel comportement… Tu ne crois pas ?
Son ancien domestique se mit à fondre en larmes tandis que Francesco demanda à Bosko d’ouvrir une fenêtre donnant sur le canal. Il poussa sa victime tout contre la balustrade et attrapa fermement ses cheveux entre ses doigts.
-Ayez pitié ! Je ne suis qu’un domestique, signore ! Continuait de geindre Paolo. Je ferai tout ce que vous voudrez… Tout !... Pardonnez ma faiblesse !
-C’est bien cela que je te reproche, stronzo », fit froidement Francesco avant de planter la tige dans la gorge du malheureux.
Le sang se mit à couler en quantité jusque dans le canal et Francesco retira sèchement son arme avant de pousser le corps de sa victime par-dessus le garde-fou avant que celui-ci ne plonge lourdement dans les eaux noires de Venise… Le vénitien sorti un petit mouchoir de sa poche et nettoya consciencieusement la pointe avant de la rendre à Bosko qui était resté muet durant toute la scène. Il lui jeta un regard étrange.
« Tu es bien rancunier pour une princesse, fit le pirate.
Ce à quoi Francesco lui répondit par un sourire glacial :
-Je me moque que l’on m’insulte, Bosko. Mais je hais par-dessus tous ceux qui peuvent me trahir. Note ça quelque part », indiqua-t-il fermement avant de récupérer ses affaires et de partir en hâte par la grande porte désormais ouverte, le pirate à sa suite.
Rapidement ils descendirent l’escalier puis sans allèrent lentement pour n’éveiller les soupçons d’aucuns des manants dans la cour. Ils prirent alors l’escalier des Géants ce qui ne plus pas trop à Bosko, il y avait plus discret comme sortie. Mais le vénitien ne l’écouta point. La porte de l’église était maintenant à vingt pas de l’escalier. Le pirate se pencha à l’oreille de son complice :
« Allons dans l’église.
-Pourquoi faire ? s’étonna Francesco. Ne sais-tu donc pas que les églises de Venise ne jouissent plus de la moindre immunité envers les criminels ? Il n’y a plus personne qui aille se retirer pour mettre un obstacle aux archers.
Il y eut un silence puis Francesco murmura à son tour à son compagnon :
-Pourquoi n’y vas-tu donc pas ?
-J’aurai aimé prier, avoua Bosko. Mais je n’ai pas le cœur de t’abandonner, sucre d’orge.
Cette réflexion fit sourire le vénitien. Cette mésaventure lui avait offert un allié précieux.
L’immunité que recherchait Francesco était bien au-delà de la Sérénissime République. Il commençait peu à peu à se faire à cette idée. Son esprit y était, près de Sofia. Il fallait désormais acheminer son corps.
Ils passèrent la porte de la Carte, qui est la porte royale du palais, sans regarder personne de sorte d’être moins regardé. Ils traversèrent la piazetta, s’avancèrent vers le rivage et entrèrent dans la première gondole qu’ils trouvèrent. Francesco jeta son paquetage avant de s’adresser impérieusement au gondolier qui se trouvait sur la poupe :
« Je veux aller à Fusina, appelle vite un autre homme. »
Le gondolier s’exécuta tandis que le Contarini se jeta nonchalamment sur le plus gros coussin et Bosko se contenta de la banquette en jetant à Francesco ce regard qu’on jette aux enfants lorsqu’ils font les imbéciles. La gondole se détacha alors du rivage.
A peine eurent-ils dépassés la douane, les gondoliers commencèrent à fendre les eaux du grand canal de la Giudecca avec vigueur. Il fallait passer par là pour atteindre Fusina. Francesco quitta le confort de sa banquette pour sortir interpeler les gondoliers en plein effort :
« Dans combien de temps seront-nous à Fusina ?
-Dans trois quart d’heure, signore »
C’est alors que le Contarini contempla le paysage qui se dessina dans son dos, le beau canal sur lequel pas un seul bateau ne circulait à cette heure. Alors que les premiers rayons du soleil pointait à l’horizon, Francesco repensa à cette nuit mouvementée puis à tout ces autres jours de calvaire qui avaient précédés cette évasion… Une force incroyable tonnait dans sa poitrine et tout cela allait le ramener à Sofia, à sa nouvelle maison. Car désormais il en était certain : le jeune homme ne pourrait plus jamais revoir sa chère Venise avant longtemps. Cette pensée lui fit un frisson étrange puis il retourna à l’intérieur de la gondole, chassant ses mauvaises pensées.
à suivre
Francesco Contarini
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Sujet: Re: Comment un imbécile comprit sa vraie nature... [Francesco] 08.11.15 19:32
En cette fin d’été à Dijon, Monsieur Bouille et sa femme recevaient leurs amis pour un grand repas. Dans l’hôtel de ses petits bourgeois tout était en effervescence ! Les bougies scintillaient doucement, leur lueurs se reflétant dans les grands miroirs donnant une ambiance aussi intime que luxueuse autour de la grande tablée de la salle de réception où les mets les plus raffinés s’entassaient laissant à peine encore voir la nappe blanche. Monsieur et madame Bouille se tenant chacun d’un bout à l’autre de la table, alimentant les conversations, les commérages et autres traits d’esprits, se donnant l’illusion d’être le fin du fin de la haute société de leur temps… La magie semblait en tout cas opérer car les invités étaient subjugués par le menu qui leur était offert !
« Madame Bouille, s’extasiait le curé Hermont après avoir tamponné ses lèvres d’un geste précieux avec un bout de la nappe. Ce repas est diviiiin ! Auriez-vous volé un chef cuisinier de Versailles ?
-Je plussoie le père Hermont ! renchérit la veuve Grégaut aux côtés de sa jeune fille de quinze ans. Ce poulet mariné, ces entremets aux canards et petits légumes… Aaaah quel délice !
-Vous nous gâtez, vraiment ! complimenta le maire de Dijon, Jean Joly, alors qu’il continuait de racler le fond de son assiette pour déguster encore cette sauce au poivre qui accompagnait le morceau de d’agneau qui l’avait littéralement englouti.
Madame Bouille posa une main sur son cœur comme si elle était elle-même la cuisinière de talent ayant réalisée le plus beau de ses chef-d ‘œuvres :
-Oh ! Vous êtes trop aimables ! Ce n’est trois fois rien vous savez…
-Il faut tout de même reconnaitre que nous avons bien de la chance, reconnut monsieur Bouille en tapotant sa bedaine bien remplie et satisfaite. Le cuisinier que nous avons engagé depuis quelques semaines est une vraie perle !
-C’est un enfant de la région ? demanda à tout hasard le curé, toujours curieux
Madame Bouille gloussa de bon cœur.
-Du tout, mon père ! Il est italien !
C’est la stupeur générale autour de la table.
-Et comment se prénomme ce mystérieux ‘ritale’ que vous nous avez caché aussi jalousement ? demanda la vieille madame Jarssant tandis que le reste des invités approuvaient silencieusement sa question.
Le secret qui révolutionnait les papilles des invités de monsieur et madame Bouille n’était autre que…
-Signore Angelo Zuppa* ! s’exclama Francesco avec emphase, le visage maculé de farine alors qu’il mélangeait consciencieusement ses ingrédients dans une jatte au fond de sa cuisine de l’hôtel des Bouille. Je m’habituerais presque à tant de succès ! dit-il avec un sourire sans aucune modestie. Avoue que je les rends tous fous là-haut, ajouta-t-il à l’attention de Bosko qui était prostré dans un coin sur un gros sac de farine, les bras croisés et son air de molosse sur le visage. Il était dépité.
(*zuppa : soupe en italien)
-Ca fait plus d’un mois qu’on est là, Sucre d’Orge… Faut vraiment qu’on se taille d’ici.
-Bosko, fit le Contarini enfariné avec une petite moue exagérée vers son nouvel homme de main. Un peu de patience ! Nous n’avons pas encore assez d’argent pour nous tirer de ce trou et tu sais que l’on doit faire profil bas !
-Si j’te vois encore un jour de plus te pavaner devant tes fourneaux : je fais frire tes deux bourges à la broche ! J’te jure que je vais le faire ! S’exclamait le colosse excédé dont l’accent croate s’était quelque peu atténué avec le temps.
L’ambassadeur en cavale le somma de baisser le ton avec un claquement de langue impatient avant de pointer du doigt quelque chose enveloppé dans un gros torchon.
-Cesse d’agiter l’air inutilement ! S’énerva le chef cuisinier en essayant presque de murmurer. Ma pâte à gâteau repose ! Tu vas la faire retomber avec tes âneries !
Bosko jeta sur son maître un regard désespéré.
-Non mais sérieusement Contarini : tu t’es vu ? C’est ça le fils du doge de Venise ? C’est ça l’un des criminels les plus recherchés du coin ? Un pauvre cuistot complètement tarte ?
Francesco leva les yeux au ciel.
-Alors déjà, je ne suis pas « cuistot » mais chef cuisinier et pâtissier. Un peu de respect et d’exactitude je te prie…
-Damn !!! S'emporta Bosko en frappant du poing le sac de farine. J'ai pas signé pour être commis de cuisine !!!
La pâte enveloppée dans le torchon s'affaissa d'un coup. Francesco ignorait complètement les remarques de son complice, il était catastrophé :
-Et bah voilà ! Ma tarte aux pommes est foutue ! Bravo Bosko !
Le pirate croate se releva de son sac de jute, et se précipita hors de la cuisinie comme un taureau qui charge. Son pas lourd et peu discret remonta dans les étages à une vitesse effrayante et une certaine agitation commença à se propager dans les étages... Non ! Pensa le Contarini. Il n'allait pas vraiment faire ça ?... C'était complètement inconsidéré vu la situation de... Des hurlements stridents commencèrent à se faire entendre avant que des bruits sourds ne replongent la maisonnée dans le silence le plus totale. Merda ! Il les a tous tués ?! Mais quel crétin ! Les voilà encore plus dans la panade ! La prison vénitienne était une chose mais les prison françaises en était une autre et Francesco n'avait pas du tout envie d'y mettre les pieds... Les pas lourdaud de Bosko se rapprochèrent et voilà qu'il revenait dans la cuisine, le dos chargé d'un gros sac au bruit sonnant.
« On a le blé : maintenant on fout le camp, Sucre d’orge ! ordonna fermement le croate avec ses airs d’ours mal léché.
-Stronzo ! Pourquoi les tués ? explosa Francesco en lui balançant au visage son tablier. Tout allait très bien !
Sans ménagement, Bosko attrapa son maître avec une facilité déconcertante avant de le balancer par-dessus son autre épaule aux côtés du sac et de sortir dans la cour de l’hôtel.
- Non Contarini, ça va pas du tout…
-Tu les as tués ! C’est complètement inutile et on va avoir la police sur nos traces avec ça ! Désespérait Francesco qui n’essayait même pas de se dégager de la prise de son complice (combat perdu d’avance).
Bosko s’approcha d’une des berlines stationnées dans la cour puis détacha les chevaux avant de balancer son paquetage et l’italien avec sans aucune délicatesse sur le dos d’un des deux animaux.
-Ils sont pas morts, Sucre d’orge. Juste assommés… Ptet juste le curé qui se noie dans son potage mais bon…
Un peu déboussolé par le remue ménage soudain, Francesco jeta un regard sur l’hôtel particulier plongé dans le silence avec une moue dubitative.
-J’aurai bien emmené mon service de couteaux en souvenir…
-On a pas le temps pour ça, soupira Bosko en montant à son tour sur sa monture. Tu n’allais quand même pas rester serviteur pour le reste de tes jours, ajoute-t-il avec un sourire moqueur alors qu’ils reprenaient la route dans les rues sombres de Dijon.
Ils restèrent silencieux quelques minutes puis le Contarini quitta alors son mutisme :
-Tu as raison, mon bon Bosko, dit-il sur un ton étrangement reconnaissant. C’était insupportable ! Toujours cette odeur de sueur dans cette baraque, leurs réflexions complètement stupides, leurs mauvais goût ! Raaah ! Tous des paysans… Puis le Bouille venait tout le temps me tripoter dans la cuisine dès qu’il en avait l’occasion… J’aurai du l’étouffer avec ma pâte à tarte pour la peine…
Le croate jeta sur le vénitien un regard aussi perplexe qu’effrayé… Chassez le naturel, il revient vite au galop comme dit le dicton.
En parlant d’ailleurs de galop, c’est avec une motivation toute renouvelée que nos deux fuyards empruntèrent de nouveau les routes de France pour remonter jusqu’à Versailles. Ils passèrent non loin de Châtillon-sur-Seine, Les Riceys, Bar-sur-Seine, traversèrent en toute hâte Troyes (Francesco trouvant que cela sentait trop le gueux dans ce coin-là) puis filèrent vers Marigny-le-Châtel, puis Saint-Aubin avant de franchir la Seine à Nogent-sur-Marne où ils firent une halte pour changer de monture. Les deux cavaliers traversèrent ensuite Provins, Mormant, Guignes, Brie-Comte-Robert avant de filer tout droit vers Paris. Ils firent un crochet discret par la maison close de Paulette pour se « restaurer » puis reprirent la route quelques heures plus tard, cette fois vers le manoir de la Sérénissime.
« T’es sûr que c’est une bonne idée ? demanda Bosko. Tu ne m’as pas raconté que ta sœur ne peut pas t’encadrer ? En plus ton paternel a du te remplacer par un autre ambassadeur, non ?
Francesco lui jeta un large sourire en coin, les yeux brillants de sa malice légendaire.
- Laisse-moi dont faire, Bosko. Je suis un vénitien en terre étrangère après tout : ils me doivent bien l’hospitalité ! -Un étranger banni de chez lui surtout…
La confiance plus qu’optimiste du vénitien laissait le pirate incrédule… Ca allait tourner au vinaigre cette histoire ! Alors qu’ils franchissaient les grilles du manoir plongé dans le noir, Bosko put admettre que l’italien ne s’était pas moqué de lui quand il lui racontait qu’il était riche… très riche.
-Dire que j’ai galéré pour t’extirper d’une cuisine minable… T’es une blague à toi tout seul, Sucre d’Orge, se moqua le colosse en descendant de selle.
Francesco l’imita puis s’avança le torse fièrement déployé vers la grande porte et d’agiter la cloche qui se trouvait près de l’entrée. Le vénitien n’avait pas oublié comment enquiquiner son monde, et il ressentait un véritable plaisir à réveiller tout le monde en pleine nuit. Quelques lumières de bougies commencèrent à apparaitre à travers les fenêtres du manoir et les deux hommes pouvaient entendre toute l’agitation ensommeillée qui se profilait derrière la porte. Lorsqu’on vint enfin leur ouvrir c’est une camériste qui leur jeta un regard horrifié avant de hurler à pleins poumons et de s’enfuir en courant :
« Maledizione ! Un fantasma ! Un revenant !
-Ah ! C’est encore plus amusant que je ne le croyais, remarqua Bosko.
-Qu’est ce que c’est que ces fadaises ? fit Francesco en fronçant le nez avant de rentrer dans le manoir où la terreur s’étendait à tout les étages.
Dans le hall d’entrée les deux complices enlevèrent leurs capes et leurs chapeaux comme si de rien n’était tandis que les serviteurs semblaient hurler dans tout les sens que c’était le jour de l’Apocalypse. C’est alors qu’une grande rousse au teint pâle, enveloppée dans une robe d’intérieur fit son apparition en haut de l’escalier. Donatella Contarini jetait sur son frère un regard aussi effrayant qu’étrange.
« Dis-moi Dona’, fit son frère cadet avec un sourire de requin. On peut savoir ce qui se passe ?
A peine il eut le temps de prononcer ces quelques mots que la jeune femme avait dévalée les escaliers avant de venir lui coller une grande gifle dans la figure.
-Ce qui se passe ? lui hurle Donatella, complètement hors d’elle. Tu es mort, deficiente buio ! MORT !
-Navré de te décevoir mais je vais très bien, répliqua Francesco avec un sourire forcé en se massant la joue.
Ne sachant comment accueillir la résurrection de son frère, la rousse en tremblait presque. De rage ou d’émotion ? Diffcile à dire...
-Il y a un mois qu’on a reçu la nouvelle... ton corps a été retrouvé dans les canaux le lendemain de ton évasion avec... ça, puis elle jeta un regard presque dégoûté sur le criminel aux côtés de son frère. Il parait que c’est lui ton meurtrier !
-Ca c’est Bosko, fit le Contarini d’un air ravi comme s’il présentait son nouvel animal de compagnie.
-Qu’est ce qui t’es passé par la tête de revenir ici ? Tu es complètement fou !
Francesco continuait d’ignorer la colère de sa soeur avec un flegme et une détente déconcertante.
-J’ai des choses à faire dans les environs. Tu ne vas pas m’en vouloir pour ça, Dona’, si ? Après tout je suis l’ambassadeur de Venise auprès de la cour...
-Signore Contarini ? s’exclama une voix en haut de l’escalier.
-Ah ! Sagremachin-chose ! s’exclama à son tour le vénitien avant de se tourner vers Bosko. C’est mon secrétaire particulier, une crème de gratte-papier !
-En réalité, signore, vous pouvez m’appeler “Votre Excellence”, précisa Pietro Sagredo en s’approchant à son tour du revenant, aussi souriant qu’une porte de prison.
-Votreuh quoi ? répéta Francesco presque hilare. Haha ! Pardon mais ça c’est moi...
-Après votre départ insensé et votre gestion catastrophique de notre politique : il fallait bien que quelqu’un s’en inquiète enfin ! accusa le nouvel ambassadeur en le fusillant du regard. Votre père, lui-même, m’a fait nommer. Vous ne pouvez rien contre ça, signore Contarini...
Cette remarque acide n’entamait pas le moins du monde l’hilarité de Francesco que les trois autres observaient en gardant bien leur distance. La prison n’avait pas vraiment arrangée sa santé mentale apparemment...
-Haha ! Toujours aussi drôle mon p’tit Pietro ! fit le vénitien en cavale en donnant une tape étrangement amicale sur l’épaule de Sagredo. Bon c’est pas le tout mais je vais aller me coucher ! Bosko : mes bagages ! s’exclame-t-il d’un ton théâtrale en commençant à gravir les escaliers pour retrouver ses appartements.
-Francesco ! s’écria Donatella, autoritaire. Qu’est ce que tu viens faire ici ? Réponds !
Le sourire du criminel en fuite s’estompa puis il posa ses yeux bleus perçants dans ceux identiques de sa soeur.
-J’ai des choses à voir avec ce bon roi Louis...
-Parfait ! Je vous accompagnerai sous bonne garde jusqu’à Versailles, fit Sagredo sur un ton sec. En attendant je ne vous passerai pas les fers...
Francesco lui adressa un large sourire hypocrite :
-Son Excellence est trop aimable !
Puis il disparut dans les étages sans plus se préoccuper du reste du monde. Le monstre vénitien était rentré...
Le lendemain, tôt dans la matinée, Francesco fût escorté jusqu’au château du Roi de France aux côtés de (ce sale petit arriviste de) Sagredo qui ne semblait pas bouder son plaisir à trainer son prédécesseur comme un vrai malfrat. Le Contarini ne s’inquiétait pas outre mesure, il savait exactement (enfin presque) ce qu’il faisait... Enfin arrivés à Versailles, Pietro Sagredo demanda une audience auprès de Louis XIV. On les fit attendre comme de coutume quelques heures dans une antichambre puis on les autorisa à rejoindre le souverain en comité restreint. Le château semblait en émoi…
« Votre Excellence Sagredo, fit Louis XIV en jetant un œil distrait sur les nouveaux venus qui lui faisait la révérence avant d’apercevoir Francesco. Et monsieur Contarini vivant ? En voilà une surprise… Ne serait-ce pas à la République de s’occuper de son cas plutôt que Notre personne ?
-Pardonnez ce dérangement, Votre Majesté, fit le remplaçant de Francesco. Mais il semblerait que ce fugitif aurait des choses à vous faire savoir…
-Nous espérons ne point être dérangé pour de vagues commérages, fit le Roi de France en relevant un sourcil perplexe avant de poser les yeux sur le criminel en question. Et bien, monsieur Contarini, dites-nous donc ce qui vous ramène en France…
Francesco lui adressa son plus beau sourire et lui conta les bruits qu’il avait entendu d’un complot contre la personne de Louis XIV. De prime abords, le souverain était d’une extrême méfiance mais il continua d’écouter le vénitien (à la grande surprise de celui-ci). Il sentait qu’il en fallait plus pour convaincre le roi, de simples bruits n’étaient certainement pas suffisants. Le jeu auquel jouait le Contarini était extrêmement risqué… Il jouait sa place à la Main de l’Ombre, sa sécurité et celle de tous les autres membres du complot… Plus qu’une rumeur, il lui fallait un nom ! De quoi faire illusion pour se racheter auprès du Roi qui accepterait (il l’espérait) de l’accueillir en son royaume et de le laver de ses crimes connus qui, après tout, n’avaient rien à voir avec la France. C’est alors qu’un éclair traversa l’esprit du vénitien.
« Il paraitrait que le Duc de Saxe-Weissenfels, Derek de Saxe, trempe dans quelques affaires plutôt louches, Votre Majesté… »
Le mal était fait. Une rivalité superficielle et sans fond avec un prince étranger et voilà que Francesco le mettait dans de beaux draps. L’effet fut plus efficace qu’il ne le pensait car un conseiller du Roi se pencha alors à son oreille dès l’évocation du nom de Saxe. Derek devait déjà être dans le collimateur de la politique française… Mais pour le coup, cette accusation totalement gratuite semblait bien fondée… Louis XIV resta pensif quelques minutes avant de reporter son attention sur les deux italiens devant lui :
« Vous avez le don d’arriver toujours au mauvais moment, monsieur Contarini, soupira le souverain d’un ton las. Nous sommes en pleines préparatifs du départ de la cour pour Chambord et Nous n’avons pas le temps de nous préoccuper de vos histoires pour le moment… Nous démêlerons le vrai du faux à un autre moment… Venez donc à Chambord : Nous vous garderons à l’œil…
-Merci pour votre sollicitude, Votre Majesté, remercia Francesco avec une révérence tandis que Sagredo serrait les poings et les dents.
Lorsque les deux hommes quittèrent Versailles, Francesco était de nouveau un homme libre (du moins pour un temps) et il n’attendait qu’une chose : pouvoir enfin revoir Sofia !
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Sujet: Re: Comment un imbécile comprit sa vraie nature... [Francesco]
Comment un imbécile comprit sa vraie nature... [Francesco]
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