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 How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair!

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Frances Cromwell


Frances Cromwell

« s i . v e r s a i l l e s »
Côté Coeur: Certes, mon époux y occupe une place, mais le reste est tout entier dévoué à ma vengeance.
Côté Lit: Personne, hormis mon époux, à l'occasion, en Angleterre. Mais comme je suis en France à présent...
Discours royal:



La B e l l e D a m e sans Merci

Âge : 28 ans
Titre : Comtesse de Longford
Missives : 716
Date d'inscription : 06/06/2008


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MessageSujet: How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair!   How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair! Icon_minitime04.05.13 22:49



'How small a part of time they share
That are so wondrous sweet and fair!'

Go, Lovely Rose. Edmund Waller


Innocence by Cecile Corbel on Grooveshark


S’il y avait bien une chose que l’on reprochait à Lucy of Longford, c’était sa nature changeante. Tantôt rieuse, charmeuse, discrète, amusante, tantôt distante, froide et sévère. Les quelques gentlemen britanniques qui la connaissaient bien s’amusaient souvent à la qualifier de française lorsqu’après deux ou trois plaisanteries, la comtesse changeait d’attitude en se murant dans un silence absolu, oubliant presque le monde autour d’elle. Lucy, l’insaisissable petite comtesse irlandaise dont nul courtisan ne pouvait se vanter de l’avoir entraînée dans sa couche, s’était faite bien discrète ces derniers temps, au point que certaines de ses connaissances pensèrent qu’elle était retournée en Irlande, quand d’autres murmuraient qu’elle s’était enfuie au bras d’un ambassadeur de Charles II après l’avoir épousé. Quelle ne fut leur surprise en voyant un soir débarquer la jeune femme, un sourire distrait sur le visage et donnant à ceux qui lui posaient la question quelques prétextes vagues pour justifier son absence—de près de trois semaines—de Versailles, ou de tout autre salon parisien. Une visite à une amie souffrante, des affaires de famille à régler… Aucune version n’était la bonne.

En réalité, Frances Cromwell était demeurée cloîtrée au couvent de Longchamp, le temps pour elle de digérer l’agression dont elle avait été victime—qui, au reste, avait déjà été reléguée dans un coin de ses pensées après quelques jours seulement—mais surtout pour attendre la disparition complète des traces de la-dite agression, traces qu’elle voulait à tout prix dissimuler aux yeux du monde : des bleus et une entaille qu’elle avait néanmoins soignés en utilisant une décoction préparée par son amie Helle. Mais ces trois dernières semaines n’avaient pas seulement été mises à profit du repos, elles avaient aussi été l’occasion pour Frances de s’interroger sur l’étrange engagement qu’elle avait pris auprès du Duc de Sudermanie et concernant un certain apprentissage qui lui permettrait de se défendre si à l'avenir elle décidait de se promener à nouveau dans les petites rues louches de la capitale—ce qu’elle ferait assurément, ne serait-ce que pour se fournir en ingrédients. Devait-elle faire confiance à cet homme qu’elle ne connaissait à peine ? Chercherait-il à la retrouver si elle ne lui écrivait point comme elle avait promis de le faire ? Et si le Duc voyait clair dans son jeu, et finissait par découvrir qui elle était ? Ces questions, Frances se les posait inlassablement, fixant la miniature de son père, seule preuve de son identité. Un soir pourtant, ce fut vers sa sœur Elizabeth que ses pensées se tournèrent. Elizabeth, l’intrépide demoiselle Cromwell qui se serait empressée d’accepter la proposition de Christian de Sudermanie, trop heureuse de recevoir un enseignement habituellement dispensé aux hommes. Le sort en fut alors jeté : Frances irait se présenter chez le Duc. Sous le nom de Lucy, elle ne risquait pas grand-chose se disait-elle, et puis, il fallait bien rapporter le mouchoir que son sauveur lui avait aimablement laissé.

Après grande quantité d’encre et de papier utilisés—dont les vestiges recouvraient presque entièrement le sol de la cellule de la comtesse de Longford au couvent de Longchamp, Frances était parvenue à écrire un court billet au Duc, lui indiquant, sans trop d’insistance, sa volonté de recevoir son enseignement, si toutefois il y était encore disposé. La réponse ne tarda pas, et l’enthousiasme que semblait manifester Christian de Sudermanie dans sa missive fit presque sourire la jeune Cromwell. Et ce fut ainsi qu’elle se retrouva en début d’après-midi devant l’Hôtel Vasa, se demandant, à la vue d’une telle magnificence, si elle ne s’était point trompée d’adresse. Il y avait dans toute cette grandeur, une allure de château de contes de fées—contes que Frances n’avaient point souvent lus, puisqu’ils étaient contraires à l’éthique puritaine, mais que sa chère Elizabeth lui récitait autrefois pour l’endormir lorsqu’elle était enfant—sans doute de par la profusion de tourelles qui donnait à l’ensemble une fantaisie dont les austères demeures de la couronne anglaise étaient dépourvue. Un coup d’œil sur le papier que le Duc lui avait laissé lui indiqua qu’il s’agissait effectivement de la bonne adresse, aussi se dirigea-t-elle d’un pas lent vers la porte d’entrée, les yeux toujours fixés sur les hauteurs du bâtiment. Sur le perron, elle eut la surprise de voir la porte s’ouvrir avant même qu’elle eut frappé, et elle se retrouva devant la gouvernante de la maison, qu’un heureux hasard avait placée là, alors qu’elle s’apprêtait à sortir. L’instant de sursaut passé, Frances jugea bon de se présenter, afin de rassurer sa malheureuse interlocutrice qui venait de porter une main à son cœur témoignant presque d’un certain effroi devant l’apparition de cette mystérieuse jeune femme.

‘Bonjour, je suis la comtesse de Longford, invitée par le Duc de Sudermanie,’ avança gentiment Frances. Elle pouvait avoir un air angélique quand elle le voulait, et en cet instant, elle le souhaitait ardemment. Il y eut un court silence pendant lequel Mrs McKenna jaugea la nouvelle venue, et la jeune femme eut la désagréable impression que la modestie de ses vêtements donnait à la gouvernante le sentiment d’avoir affaire à une petite comtesse désargentée venue faire l’aumône de quelques deniers auprès de son maître. Ne sachant en quoi consisterait exactement l’enseignement de Christian, Frances avait en effet préféré aux tenues qu’elle portait habituellement à la cour une simple robe de jour de couleur brune—agrémentée néanmoins de dentelle aux manches puisque c’était la mode de l’époque—et pour ne point se retrouver gênée par ses cheveux, elle avait renoncé à ces coiffures à la Henriette-Marie, et relevé le tout dans un chignon, orné d’un simple ruban. A son cou, une petite croix dorée enfilée sur un lacet lui conférait un petit air austère. Mais sous le regard inquisiteur de Mrs McKenna, la jeune femme se demandait s’il n’aurait point été plus avisé de se parer autrement, puisque le Duc ne semblait pas souvent recevoir de personnes de... moindre qualité.

‘Longford dites-vous ? Are you Irish ?’ finit par demander la gouvernante. ‘Indeed I am,’ s’empressa de répondre Frances, quelque peu surprise de se retrouver confrontée à une… Écossaise ? Elle était néanmoins enchantée de pouvoir se cacher à nouveau sous le masque de Lucy. ‘You look more English though. And so does your accent.’ Ou pas. Frances essaya de ne rien laisser voir de son trouble, mais la gouvernante venait de la déstabiliser. Fort heureusement, cela ne dura guère. ‘The Duke is expecting you. Come,’ acheva finalement Mrs McKenna d’un air aimable en faisant signe à la visiteuse de rentrer. Elle la conduisit dans un petit salon et laissa là Frances, précisant qu’elle s’en allait quérir son maître pour lui indiquer sa présence. La comtesse de Longford la remercia d’un air distrait, à nouveau toute entière à sa contemplation puisque le décor dans lequel elle se trouvait à présent l’émerveillait tout comme l’extérieur de l’Hôtel Vasa. Petit mais extrêmement lumineux, ce cabinet était surmonté d’un plafond somptueux, bien loin encore de tout ce qu’elle avait pu connaître en Angleterre où bon nombre de demeures arborait un air austère. Et les murs ! Presque entièrement recouverts par des étagères chargées de livres. Des quartos, des folios épais s’alignaient dans les rayonnages, et Frances ne put s’empêcher d’y jeter un coup d’œil, curieuse de voir le genre de littérature qui pouvait tant passionner le Duc pour qu’il décide d’en tapisser les murs. La plupart des ouvrages portait sur les sciences. Ici un traité révolutionnaire de médecine, là des théories astronomiques, un petit livre sur les plantes—qu’elle aurait bien aimé feuilleter d’ailleurs—, un autre bien plus épais sur les mathématiques… Se retournant soudain, Frances sursauta en apercevant son propre reflet dans le grand miroir qui surplombait la cheminée. S’approchant d’un pas lent, elle considéra le visage qui apparaissait dans l’encadrement des dorures. Etait-ce Lucy of Longford ? Frances Cromwell ? Difficile à dire. C’était le reflet d’une jeune femme blonde, au teint pâle, fronçant légèrement les sourcils. Lucy ? Frances ? A qui donc appartenait cet air grave ? La demoiselle n’eut cependant pas le loisir de disserter sur la question plus longtemps : dans un léger grincement, une petite porte située en face du miroir et qu’elle n’avait pas remarquée tout de suite s’entrouvrit pour laisser entrer le Duc de Sudermanie, un sourire aux lèvres. D'un bond, Frances se retourna.

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MessageSujet: Re: How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair!   How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair! Icon_minitime30.09.13 17:05

Le départ n’était plus très éloigné, et Christian devait mettre ses affaires en ordre avant de quitter Versailles pour quelques temps. Le duc de Sudermanie était l’un des derniers représentants du Nord à ne pas avoir quitté Versailles pour rejoindre les lignes lorraines à Nancy, et il n’avait aucune intention de suivre ses petits camarades et compatriotes ; malgré les demandes répétées de ses frères de leur prêter main-forte ou au moins de servir d’ambassadeur bien que la Suède ne soit pas tellement impliquée dans ces conflits, il avait catégoriquement refusé de s’impliquer ou d’impliquer ses hommes dans cette guerre, envoyant promener tous les messagers qu’on avait pu lui envoyer de Stockholm. Et comme le roi était encore bien trop jeune pour prendre une décision et qu’on ne pouvait l’exclure du conseil de régence, on avait finalement renoncé à convaincre cette tête de mule qui ne s’était d’ailleurs pas inquiétée outre mesure. Mais Christian n’avait aucunement l’intention de rester inactif pendant cette guerre : il allait profiter du vide soudain de Versailles pour vaquer un peu à ses occupations et voyager pour mener ses nombreux projets à terme ! Il laisserait Mrs McKenna garder l’hôtel particulier jusqu’à son retour, quant à son fils Hannes, son grand ami Huygens qui était lui aussi à Paris avait proposé de le prendre chez lui le temps de son absence afin de perfectionner sa maîtrise des mathématiques et l’initier un peu plus avant à l’astronomie, art délicat s’il en était. Tout était donc comme il le fallait dans le meilleur des mondes, et Christian pouvait tranquillement préparer son expédition aux Pays-Bas et à Rome sans s’inquiéter de rien. Debout sur une échelle dans l’une des bibliothèques de l’hôtel, c’était donc l’esprit dégagé de tout souci qu’il sélectionnait soigneusement quels ouvrages emmener dans ses malles, soit parce qu’il voulait les prêter à une connaissance qu’il croiserait sur la route, soit pour les étudier un peu plus avant pendant son voyage. A quelques mètres de lui, Hannes était assis à un bureau et s’appliquait à déchiffrer un ouvrage en français sur la botanique écrit par un éminent naturaliste du Roi Soleil. Aucun bruit ne venait les déranger, comme d’habitude : les domestiques avaient appris depuis longtemps que la tranquillité devait régner en maître en ces lieux et il ne serait venu à l’idée d’aucun d’entre eux de venir la perturber.

L’heure tournait, et Christian s’en aperçut en levant les yeux vers la pendule. L’heure de son rendez-vous avec lady Lucy of Longford approchait, et il n’aurait pas été très correct de l’accueillir dans cette bibliothèque avec de la poussière sur les mains et les manches de sa chemise. Il descendit donc de son perchoir avec trois volumes sous le bras, attirant l’attention de son fils qui leva les yeux de son ouvrage.
« Est-ce déjà l’heure de notre invitée, père ? » demanda Hannes avec une lueur d’excitation dans le regard. Le petit garçon toujours très curieux de tout ce qui était nouveau brûlait d’impatience de découvrir en chair et en os la demoiselle à l’accent anglais que son père avait aidée dans la rue, et qui avait accepté de prendre des leçons de défense avec lui. Malin comme il était, il se doutait qu’il ne devait pas s’agir d’une dame ordinaire pour accepter une proposition aussi originale, et il n’en avait pas fallu plus pour éveiller son intérêt.
« Pas encore Hannes, mais il est effectivement temps d’aller se préparer. Mrs McKenna me tirerait les oreilles si j’accueillais la comtesse dans cette tenue. » répondit Christian en déposant ses trois volumes sur la table où travaillait l’enfant.
« Et elle aurait bien raison, a-t-on idée d’accueillir une dame tout poussiéreux ? »

Esquissant un sourire amusé, Christian ébouriffa les cheveux auburns de son fils et tous deux remontèrent à l’étage (Hannes avait suivi Christian car il voulait s’assurer que son étourdi de père soit présentable pour la nouvelle venue). Pendant qu’il enfilait une nouvelle chemise, Christian songeait à sa mystérieuse invitée, dont il n’avait jamais été complètement sûr qu’elle viendrait jusqu’à recevoir sa réponse positive. Réservée, mais positive. Si Christian avait été ravi de ne pas se voir opposer un refus, il n’avait pas été surpris outre mesure par le ton adopté dans le court message que lui avait adressé la comtesse. Tout en elle respirait la réserve et l’introspection, et il la suspectait fortement de ne laisser apparaître aux yeux du monde qu’une très infime partie de sa personnalité. De son expérience du monde, Christian avait tiré la conclusion que c’était toujours les gens qui parlaient le moins qui renfermaient le plus de trésors en eux. Et Christian était un scientifique, quelqu’un qui résolvait les énigmes et, en un sens, dénichait les trésors. Y compris chez les autres. Lucy of Longford l’avait intrigué dès le début, et le duc se demandait bien ce qui pouvait se cacher derrière le masque aux traits de marbre et les yeux bleus impénétrables de la jeune femme. Il ne savait pratiquement rien d’elle, si ce n’était son nom. Le mystère qui l’entourait était encore complet. Et c’était précisément ce qui attirait l’esprit de Christian vers elle comme un aimant dès que ses pensées se mettaient à vagabonder. Aujourd’hui, peut-être que les choses seraient différentes.
Une heure plus tard, alors qu’il était au milieu d’une partie d’échecs avec Hannes, Mrs McKenna vint frapper à la porte du petit salon.

« Monsieur le duc ? La comtesse de Longford est arrivée, elle vous attend dans le cabinet. »
« Je vous remercie Mrs McKenna, je descends tout de suite. »

S’exécutant, Christian descendit au rez-de-chaussée et lorsqu’il tourna la poignée de la porte, celle-ci s’ouvrit sur la jeune femme qui intéressait tant le suédois. Cette dernière, absorbée dans une méditation face au miroir visiblement, ne l’avait pas entendu approcher et fit volte-face, prise au dépourvu. Christian, lui, s’était une fois de plus armé de son sourire le plus chaleureux pour accueillir son invitée.

« Lady of Longford. » dit-il simplement en s’avançant tranquillement vers elle avant de la saluer d’une révérence courtoise. Il prit le temps de la détailler du regard, sans insistance mais comme un homme qui serait heureux de retrouver une ancienne connaissance après de longues années de séparations et prend le temps d’observer pour déceler les infimes changements que le temps a pu laisser sur son interlocuteur. Il remarqua qu’elle avait opté pour une tenue très simple, certainement en raison de la nature de l’exercice qui les attendait, mais il songea qu’il ne l’aurait pas vue dans une tenue luxueuse de celles qu’on pouvait voir à Versailles, toutes en pierreries et en matériaux précieux. Il y avait quelque chose dans l’attitude de Lucy of Longford qui la plaçait au-dessus de ces considérations, et la simplicité de sa tenue rehaussait la beauté du visage dont l’œil ne pouvait détourner l’attention par quelque artifice vestimentaire. « Je suis enchanté que vous ayez accepté mon invitation ; j’ai conscience de son incongruité, mais notre rencontre n’ayant rien eu d’habituel je suppose qu’il est tout naturel que nos retrouvailles le soient. Comment vous portez-vous depuis notre dernière entrevue ? Je constate que les traces de la lutte ont disparu de votre visage, voilà une bonne nouvelle. » remarqua Christian après avoir achevé son examen, satisfait.

D’un geste discret, il invita la demoiselle à s’asseoir à la petite table qui jouxtait la fenêtre. Le cabinet offrait une vue tout à fait charmante sur la cour, aménagée en jardin qui n’était pas sans rappeler celui du château de Gripsholm, en bien entendu moins grand. La pièce et la vue avaient quelque chose d’apaisant, et Christian aimait y accueillir ses invités quand ils étaient peu nombreux. Après tout, ils pouvaient bien échanger quelques mots avant de passer à l’exercice en tant que tel. Mrs McKenna, à qui Christian n’avait même plus besoin de demander quoi que ce soit tellement elle connaissait bien ses habitudes, disparut pour aller chercher des rafraîchissements et mettre à l’aise leur invitée.

« Rassurez-vous, aujourd’hui nous ne ferons rien de si dangereux que la dernière fois, je vous l’assure. Qu’il est pénible de constater que les femmes les plus respectables ne sont pas à l’abri dans ces rues, je ne m’étonne guère d’apprendre que certaines apprennent à manier la dague ou le pistolet pour éviter tout danger. » soupira Christian alors que Mrs McKenna était revenue avec un plateau et les servait tout en acquiesçant, ce qui tira un sourire à son maître. « Un jour les femmes pourront sortir sans courir de danger, mais celui-ci ne semble pas encore arrivé. J’espère que vous n’avez pas eu d’ennuis par la suite ? Votre famille a dû s’inquiéter ? » demanda-t-il en désignant d'un geste de la main les traces qui avaient disparu de son visage.
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Frances Cromwell


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MessageSujet: Re: How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair!   How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair! Icon_minitime17.10.14 19:09

Frances n'aimait pas les surprises, et celle que lui causa le Duc de Sudermanie en pénétrant dans la pièce accéléra les battements de son cœur. Elle s'était retournée brusquement, comme si elle craignait qu'il n'ait aperçu chez elle une trace de culpabilité. Mais rapidement, sa raison reprit le dessus et elle retrouva sa contenance habituelle. Il n'y avait après tout rien à craindre : elle n'était pas en train de verser du poison dans le verre d'une victime, ni d'essayer de cacher un cadavre ; elle avait été surprise, voilà tout. S'avançant vers Christian, elle le salua à son tour, plongeant dans une révérence un peu raide certes, mais qui lui fournit un petit temps de répit pour se reprendre. En se relevant, elle remarqua le regard de son interlocuteur posé sur elle, comme s'il essayait de lire quelque chose sur son visage. Il ne la dévisageait pas avec insistance, mais cela suffit pour qu'elle détourne un instant les yeux.

'Je suis enchanté que vous ayez accepté mon invitation ; j’ai conscience de son incongruité, mais notre rencontre n’ayant rien eu d’habituel je suppose qu’il est tout naturel que nos retrouvailles le soient. Comment vous portez-vous depuis notre dernière entrevue ? Je constate que les traces de la lutte ont disparu de votre visage, voilà une bonne nouvelle.'

Les traces de lutte ! C'était donc cela que le Duc recherchait sur son visage ! Pour un peu, Frances en aurait presque lâché un soupir de soulagement.

'C'est à moi de vous remercier. Quelques onguents ont fait l'affaire et comme vous pouvez le voir, les seules traces qu'il me reste aujourd'hui ne sont plus que des souvenirs. Et pour tout vous dire, ces derniers ne me troublent plus,' répondit-elle calmement. Il y avait bien eu quelques nuits où elle s'était réveillée en sursaut, croyant que quelqu'un s'était introduit dans sa cellule au couvent, chose qui ne lui était guère arrivé depuis qu'elle avait débarqué en France. Mais plus les jours passaient, plus ses pensées se tournaient à nouveau vers d'autres horizons, oubliant peu à peu la violence de l'agression. Après tout, elle avait une vengeance à poursuivre, et l'hécatombe qu'elle causait chez les partisans de son ennemi juré ne faisait que commencer. 'Et qu'en est-il de vous ? Je crois me rappeler que ce mécréant vous avait blessé également...' Frances scruta à son tour le visage de Christian pour y déceler les traces des coups qu'il aurait pu prendre—c'est du moins l'excuse qu'elle se donna pour l'observer plus longuement. 'Je suis rassurée de voir que vous ne portez pas non plus les marques de votre lutte. Je m'en serais voulu...'

Suivant l'invitation de Vasa, elle se dirigea vers la petite table qu'il lui désignait près de la fenêtre et, curieuse de nature, ne put s'empêcher au passage de jeter un coup d'œil au carreau, admirant la vue qu'offrait le jardin. Une espèce de sérénité semblait se dégager du lieu, et la lumière qui pénétrait à l'intérieur du cabinet, se reflétant dans le miroir, irradiait la pièce, donnant à Frances l'impression un peu saugrenue d'une continuité entre l'intérieur et l'extérieur. En face d'elle, le Duc de Sudermanie ne dénotait pas par sa présence. Toujours aussi souriant et calme, il lui parlait comme on le faisait à une amie de longue date, comme si leur rencontre s'était effectuée par le plus grand des hasards, dans les jardins de Versailles ou dans un salon parisien, et non dans une petite ruelle sordide. Frances avait beau savoir que Christian Vasa était Duc de Sudermanie, elle avait bien du mal à se l'imaginer comme tel. A Londres, la haute noblesse qu'elle avait côtoyée incognito en compagnie de sa sœur n'était qu'affaire de titres et de préséances. Sans atteindre les proportions absurdes de l'étiquette Versaillaise, il fallait tout de même compter plus d'une histoire d'orgueil bafoué, d'impolitesses et de menaces lorsque les courtisans se piquaient de jouer de leur statut pour passer devant l'un ou l'autre. Christian, avec son air détaché et sa courtoisie naturelle, n'avait en commun avec cette haute noblesse que le titre, et non le caractère. Et même avec la meilleure volonté, Frances aurait été bien en peine de l'imaginer agir avec le même orgueil qu'un Howard, toisant d'un air supérieur les nobles occupant un statut moindre.

'Rassurez-vous, aujourd’hui nous ne ferons rien de si dangereux que la dernière fois, je vous l’assure.' Tirée de ses pensées, Frances fut ramenée à la réalité par la voix rassurante de Christian. 'Qu’il est pénible de constater que les femmes les plus respectables ne sont pas à l’abri dans ces rues, je ne m’étonne guère d’apprendre que certaines apprennent à manier la dague ou le pistolet pour éviter tout danger,' soupira-t-il alors que Mrs McKenna apportait un plateau sur la petite table. Frances crût reconnaître chez la gouvernante un fin sourire approbateur en entendant les derniers mots de son maître et l'idée furtive que celle-ci puisse faire partie des quelques rares femmes sachant se servir d'un pistolet ou d'une dague la traversa. On racontait beaucoup de choses sur les Ecossais—la jeune Cromwell se souvenait encore de quelques jurons prononcés à leur encontre par son père—mais Frances n'avait quasiment jamais entendu parler de femmes sachant manier les armes. Le nom de Mary Frith ne lui était certes pas inconnu—sa sœur, Elizabeth Cromwell, lui avait autrefois raconté son histoire, ou du moins ce l'on en rapportait—mais elle devait bien se l'avouer, le phénomène de ces femmes en mesure de se défendre comme le ferait un homme, restait exceptionnel pour elle. Après tout, elle venait d'un pays qui avait banni les actrices de la scène pendant des années, alors des femmes portant des armes...
 
'Un jour les femmes pourront sortir sans courir de danger, mais celui-ci ne semble pas encore arrivé. J’espère que vous n’avez pas eu d’ennuis par la suite ? Votre famille a dû s’inquiéter ?' Si Frances avait eu envie de sourire quelques secondes plus tôt alors qu'elle s'imaginait Mrs McKenna sous les traits d'une nouvelle Mary Frith, cette envie s'éteignit définitivement à cette question. Elle sentit le regard de Christian peser sur elle tandis que Mr McKenna versait du thé dans deux tasses. Il y eut un silence que seul le bruit du liquide qui coulait dans la fine porcelaine vint perturber, suivi d'un 'thank you' que Frances murmura à l'encontre de la gouvernante avant que celle-ci ne sorte de la pièce.

'Ce qu'il me reste de famille n'a pas eu à s'inquiéter. En fait je n'ai prévenu personne,' finit-elle par avouer. 'J'ai trouvé qu'il aurait été inutile de les inquiéter en leur écrivant.' Le regard plongé dans sa tasse de thé, Frances semblait trouver un intérêt nouveau à la contemplation d'un tel breuvage, qu'elle avait pourtant découvert plusieurs années auparavant chez sa sœur Mary. Le visage de cette dernière s'imposa d'ailleurs à son esprit. 'J'ai une sœur qui n'aurait pas hésité à traverser la Manche pour venir me voir si je lui avais écrit à ce propos. Mais cela aurait été idiot, n'est-ce-pas ? Le temps qu'elle arrive, je me serais déjà remise. Après tout ce n'était pas grand chose, elle se serait inquiétée pour rien...' Frances releva la tête, souriant d'un air gêné à l'évocation de Mary. Elle ne parlait quasiment jamais de sa famille en France. Pour tout le monde, elle était la veuve du Comte de Longford, et cela s'arrêtait là. On la croyait sans enfant, sans époux. Hormis cet Arthur de Roberval qui avait semblait-il de véritables connections avec la famille du défunt comte, on ne lui imaginait pas d'autre proche, tout juste quelques cousins demeurés en Irlande. Frances se souvenait des rares fois où Roberval la croisait à la cour et lui demandait comment elle se portait et si elle s'en sortait, financièrement parlant. Elle le trouvait un peu brusque, mais ne pouvait s'empêcher de se sentir parfois mal à l'aise face à tant de sollicitude de la part d'un homme qui la prenait pour une malheureuse cousine pleurant son époux.

'Oh, mais pardonnez-moi je manque à tous mes devoirs,' s'exclama soudain Frances, désireuse de changer de sujet au plus vite. La famille, que ce soit celle de Lucy ou d'elle-même, était toujours un sujet compliqué à aborder, surtout lorsque l'on se faisait passer pour morte. 'J'ai oublié de vous rendre ceci,' poursuivit-elle en sortant délicatement d'une poche le mouchoir que lui avait donné Christian peu de temps après l'agression. 'Les tâches de sang ne partaient pas, alors j'ai crû judicieux de les dissimuler avec un coquelicot.' Plusieurs heures avaient été nécessaires afin de broder le motif de la fleur qui s'étendait à présent sur le reste de blanc immaculé du mouchoir, plusieurs heures d'un travail appliqué mais loin d'être insurmontable pour la jeune Cromwell qui, dès son plus jeune âge, avait été initiée aux travaux d'aiguilles avec le reste de ses sœurs. La seule différence, c'est qu'à présent elle brodait des fleurs, du lierre ou des frises décoratives, au lieu des austères proverbes puritains.
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MessageSujet: Re: How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair!   How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair! Icon_minitime21.01.15 20:09

Quelle drôle d’atmosphère régnait à présent dans le petit salon de l’hôtel particulier des Vasa. Tout le bâtiment avait, en temps normal, cet air particulier, donnant à ses visiteurs l’impression d’être parfois hors du temps l’espace des quelques heures qu’ils passaient ici – mais avec Christian et Lucy of Longford, la scène allait jusqu’à prendre des allures de conte ou de poème onirique. Christian était le maître des lieux, s’imposait comme tel, et s’intégrait parfaitement au paysage ; Lucy, quant à elle, était la mystérieuse invitée qui n’appartenait pas encore au décor, mais commençait déjà à s’y laisser gagner. Doucement, imperceptiblement, elle se fondait dans la lumière et se détendait un peu. Du moins Christian l’espérait-il. Il ne connaissait pas Lucy of Longford, pas encore du moins, et pourtant il ressentait cette sensation de familiarité, un air de déjà-vu qui lui échappait et le taraudait dès lors qu’elle lui avait adressé la parole, quelques semaines plus tôt, dans cette sordide ruelle parisienne. Au début, Christian avait éprouvé beaucoup de difficultés à mettre le doigt sur ce quelque chose qu’il avait déjà vu chez la comtesse, et il n’avait cessé d’y penser, lorsque son esprit divaguait, pendant les quelques semaines qui avaient séparé leurs deux rencontres. Il s’était imaginé, à nouveau, le visage opalin, les boucles blondes, les yeux bleus et leur reflet impénétrable, et avait tenté, encore et encore, de percer leur secret par la force de sa pensée, une pensée qui n’avait pas l’habitude de rencontrer d’obstacle et s’énervait de se heurter à un mur aussi solide. Une pensée qui n’aimait pas perdre, mais qui aimait les défis. Et là, en la revoyant face à lui, déboussolée dans cet environnement qui ne lui était pas familier, il avait compris ; ou du moins, il avait fait un pas en avant. Un secret. Christian avait envie de sourire, alors que ses yeux bleus suivaient la comtesse qui se laissait distraire par le paysage au-dehors. C’était donc ça ? La comtesse irlandaise avait-elle donc quelque chose à cacher ? Quelque tragédie, quelque honte personnelle ? Christian l’ignorait et n’avait pas l’intention de lever le voile sur ce mystère-là ; mais il était satisfait de son observation. C’est que le duc s’y connaissait en secrets, et à force d’en porter le fardeau, il avait appris à le reconnaître chez les autres. Après tout, n’était-il pas impliqué jusqu’au cou dans une société secrète que le Vatican s’empresserait de faire tomber s’il la découvrait ? N’avait-il pas donné la plus grande partie de son cœur et les plus douloureuses et belles années de sa vie à un homme maintenant marié ? Les secrets pesaient lourd sur les épaules de qui les portaient, et Christian croyait distinguer ce poids sur celles de la comtesse. Il ne se proposait pas de l’en décharger, mais appréciait, en silence, d’avoir croisé le chemin d’une semblable.

'Ce qu'il me reste de famille n'a pas eu à s'inquiéter. En fait je n'ai prévenu personne. J’ai trouvé qu'il aurait été inutile de les inquiéter en leur écrivant.' Finit par avouer la comtesse alors que Mrs McKenna leur servait le thé. Christian, courtois, se contenta de hocher la tête. Les histoires de famille des uns et des autres étaient bien assez compliquées pour qu’un presque inconnu ne s’en mêle. Il était bien placé pour le savoir.
'J'ai une sœur qui n'aurait pas hésité à traverser la Manche pour venir me voir si je lui avais écrit à ce propos. Mais cela aurait été idiot, n'est-ce-pas ? Le temps qu'elle arrive, je me serais déjà remise. Après tout ce n'était pas grand chose, elle se serait inquiétée pour rien...'
« Votre délicatesse vous honore, comtesse. Ca n’a pas dû être facile pour vous, et j’admire votre maîtrise et votre considération. Mon propre frère me fait mander depuis la Suède au moindre signe de refroidissement. » sourit Christian en jouant avec la hanse de sa tasse. Un frère parmi d’autres qui ne lui manquaient pas vraiment. Christian n’avait jamais été très soudé avec sa famille depuis avant même ‘l’affaire Calenberg’ comme sa sœur aimait l’appeler les rares fois où elle le mentionnait. Une appellation qui n’était pas sans être chargée d’un certain mépris. Mais il n’avait pas attendu de savoir qu’il aimait aussi les hommes pour se désolidariser de cette famille dans laquelle il ne se reconnaissait pas, ne s’était jamais reconnu. Si Lucy avait la chance d’avoir une sœur dont elle était proche, tant mieux pour elle. Elle avait l’air d’être une femme relativement réservée, et solitaire. Et être solitaire dans un monde comme Versailles, c’était bien souvent aussi être seul. L’étiquette ne tolérait pas la discrétion, ni la mesure. L’étiquette ne tolérait pas les gens comme Lucy of Longford, et n’aurait jamais toléré Christian si ce dernier n’avait pas développé de telles capacités d’adaptation à force de fréquenter ces barbares de la cour de Suède.

'Oh, mais pardonnez-moi je manque à tous mes devoirs’. Sous le regard interrogatif de Christian, la jeune femme sortit d’une poche un mouchoir blanc que le duc reconnut aussitôt. Son visage s’éclaira d’un sourire. 'J'ai oublié de vous rendre ceci’. Ajouta-t-elle en lui tendant le fameux mouchoir avec lequel il avait ‘soigné’ une de ses éraflures quelques semaines auparavant. « En voilà un que j’avais presque oublié. » murmura-t-il en tendant la main pour l’attraper des doigts fins de la comtesse. En dépliant le tissu, il remarqua l’absence de tâche de sang, mais surtout le petit motif brodé qui n’était pas là auparavant, et lui fit se demander un instant si elle ne s’était pas trompée de mouchoir. 'Les tâches de sang ne partaient pas, alors j'ai crû judicieux de les dissimuler avec un coquelicot.' Reprit-elle comme pour élucider le mystère avant même qu’il ne l’air formulé. L’attention était charmante, si bien que le sourire de Christian s’élargit encore. Un motif de coquelicot. Voilà qui était joliment pensé. Et exécuté, d’après ce qu’il pouvait voir, bien qu’il fut loin d’être un expert en broderie. Christian replia soigneusement le mouchoir et le glissa dans sa poche.

« Je vous remercie madame. Maintenant, chaque fois que je verrai ce mouchoir, je pourrai repenser à notre étonnante rencontre et ce jour où j’ai bien failli devenir un héros. » s’amusa-t-il, songeant qu’il n’avait pas grand-chose du héros de tragédie ou d’épopée héroïque. Ni du héros tout court, d’ailleurs. Il n’était qu’un scientifique qui aimait bidouiller des choses dans son coin, sans déranger personne, si ce n’est quelques esprits bien pensants çà et là. Dommage que parfois, ces esprits s’appelaient aussi Eglise et Vatican, et qu’ils aient tellement de pouvoir dans notre monde. Les choses seraient tellement plus faciles si on le laissait faire toutes ses recherches et les publier sans les contrôler pour vérifier qu’il ne réinterprète pas sans le vouloir les Saintes écritures. Un crime pour lequel on avait envoyé Giordano Bruno au bûcher, et gentiment demandé à Galilée de faire profil bas quelques temps. Ah, ces religieux. Bien trop susceptibles aux yeux de Christian qui avait tiré un trait sur Dieu le jour où il avait ouvert un livre de sciences. Ou au moins sur Dieu tel que l’Eglise voulait bien le lui présenter. Le duc n’était d’aucune église, même s’il évitait ce genre de conversation et se disait catholique pour qu’on lui fiche la paix.

« J’ai fait faire quelques préparatifs pour notre petit exercice d’aujourd’hui. » dit-il en reposant sa tasse sur sa soucoupe. D’un geste de la main, il indiqua à Lucy de regarder au dehors, lui désignant une cible dans la cour non loin de la porte. « Je me proposais de commencer doucement en vous faisant essayer le tire sur une cible ronde, à quelques pas d’écart. Nous serons face au jardin, vous pourrez donc y mettre toute votre énergie sans vous soucier de faire de dégâts. » ajouta-t-il avec un sourire, sûr que la comtesse aurait pensé à ce genre de détail. Quelqu’un qui brodait un coquelicot pour cacher une petite tâche de sang sur un mouchoir s’en voudrait de transformer un mur de pierre en gruyère pendant un exercice de tir.

L’on frappa à la porte, et après que Christian eut autorisé à entrer, le petit Hannes poussa la porte et avança vers eux en s’appuyant sur sa canne, une boîte en bois visiblement assez lourde sous l’autre bras. C’est pourtant sans broncher qu’il vint apporter le précieux colis à son père, qui lui ébouriffa les cheveux avant de lui intimer de filer. Hannes s’inclina devant la comtesse et se retira, sous le regard bienveillant de Christian.

« Mon fils, Hannes. Il était très jaloux de savoir que vous alliez apprendre à tirer, alors que je lui ai pour l’instant interdit de toucher à une arme à feu. Pour me faire pardonner, j’ai dû lui promettre de lui donner sa première leçon pour ses douze ans. » expliqua Christian en ouvrant la boîte pour laisser voir à Lucy of Longford un pistolet long, joliment orné, qu’ils allaient utiliser pour leur session du jour. « Honnêtement, je me suis toujours demandé pourquoi on décorait les pistolets. Enfin, voici celui que vous allez apprendre à manier. »

Il tourna la boîte ouverte vers elle puis, les bras croisés sur la table, les yeux cherchant à déchiffrer l’expression sur son visage, il demanda : « Je ne veux pas vous forcer si vous ne vous sentez plus l’envie d’apprendre à manier ces choses-là. Mais si vous le souhaitez toujours… » d’un geste de la main, il désigna le pistolet. Un sourire flottait au coin de ses lèvres. « Alors, comtesse ? On se lance ? »
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Frances Cromwell


Frances Cromwell

« s i . v e r s a i l l e s »
Côté Coeur: Certes, mon époux y occupe une place, mais le reste est tout entier dévoué à ma vengeance.
Côté Lit: Personne, hormis mon époux, à l'occasion, en Angleterre. Mais comme je suis en France à présent...
Discours royal:



La B e l l e D a m e sans Merci

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Titre : Comtesse de Longford
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MessageSujet: Re: How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair!   How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair! Icon_minitime20.03.15 14:12

Un sourire étira les lèvres de Frances tandis qu'elle observait le duc de Sudermanie examiner le mouchoir qu'elle avait brodé. C'était l'un de ses rares sourires sincères, l'un de ceux qu'elle ne contrôlait pas, et qui venait doucement s'étaler sur son visage, donnant à ce dernier un air doux, parfois mutin. Peu de monde pouvait se vanter de l'avoir vue sourire ainsi, en toute innocence, en dehors du cercle de la famille Cromwell. Et même là, seuls Mary et Henry pouvaient prétendre avoir eu cette chance. Assise bien droite sur sa chaise, la comtesse de Longford s'amusait à détailler du regard son interlocuteur qui, occupé à étudier sa broderie, ne pouvait remarquer qu'elle le fixait avec un peu plus d'insistance qu'elle ne l'avait fait jusqu'alors. Le charme fut rompu quand le duc rangea finalement le mouchoir dans sa poche et jeta un nouveau regard à la fausse comtesse. Gênée de s'être laissée aller à une telle observation—et plus encore par le sentiment étrange qu'elle avait éprouvé en voyant son interlocuteur accepter son 'présent'—Frances but une longue gorgée de thé et ne reposa la tasse sur sa soucoupe qu'après quelques secondes d'hésitation. Le tintement de la porcelaine la fit presque sursauter, mais par chance, Christian de Sudermanie sembla ne rien remarquer.  

'J’ai fait faire quelques préparatifs pour notre petit exercice d’aujourd’hui,' annonça-t-il en lui désignant d'un geste de la main une cible qui se trouvait dans la cour et que Frances remarqua pour la première fois. 'Je me proposais de commencer doucement en vous faisant essayer le tir sur une cible ronde, à quelques pas d’écart. Nous serons face au jardin, vous pourrez donc y mettre toute votre énergie sans vous soucier de faire de dégâts.' Le duc avait eu là une idée des plus excellentes, ou plutôt des plus sages, voire prévoyantes, car si la comtesse de Longford désirait ardemment apprendre à tirer au pistolet, il n'était pas certain qu'elle se découvre un don particulier dans ce domaine, d'où la nécessité d'orienter la cible vers le jardin, en espérant qu'aucun jardinier ne se hasarde à venir tailler quelques buissons à ce moment-là. Frances Cromwell n'éliminait que les plus farouches partisans de la monarchie anglaise, et elle aurait été navrée d'ajouter un malheureux jardinier à la liste déjà fournie de ses victimes. D'une part parce qu'elle éprouvait de l'affection pour tout individu s'appliquant à faire pousser des plantes—toxiques ou pas—de l'autre, parce que cet accident aurait certainement mis un terme à sa relation avec le duc de Sudermanie, chose qu'il lui était difficile de concevoir. Christian Vasa lui plaisait assez, c'était indéniable, mais là où le cœur aurait laissé entrevoir un petit quelque chose que la Cromwell n'avait pas éprouvé depuis des lustres, la raison suggérait, et affirmait même à grands cris, que cette crainte de perdre tout contact avec le duc n'était due qu'à l'inquiétude de ne plus avoir de professeur de tir.

On frappa soudain à la porte, et le petit Hannes pénétra dans la pièce, s'appuyant d'une main sur une canne, et portant sous son autre bras une large boîte contenant selon toute vraisemblance des pistolets. L'attention de Frances aurait dû théoriquement se porter sur ladite boîte, puisqu'après tout, elle était impatiente de pouvoir commencer sa leçon, mais au lieu de ça, son regard se porta sur le fils du duc. Incapable de prononcer une quelconque parole, la Cromwell observa l'enfant déposer son colis sur la table comme s'il s'agissait d'un fantôme revenu la hanter. Ce n'était pas tant la présence de l'enfant qui la perturbait à ce point, mais plutôt les souvenirs qu'elle lui évoquait. Pendant quelques secondes, la comtesse sembla déconnectée de la réalité. Le cœur battant, elle entendit les rires d'un bébé résonner à ses oreilles comme dans un écho. Des rires, des gazouillements, et même une comptine murmurée doucement en anglais lui parvinrent, à moitié étouffés. Et ce visage, celui d'une petite fille, sa petite fille. Elizabeth Russell. Lizzie, nièce de la comtesse Fauconberg, orpheline de mère depuis que cette dernière, Frances Cromwell Russell, s'était tuée en longeant une falaise.

La réalité heurta de plein fouet la fausse comtesse irlandaise alors que le petit Hannes referma la porte par laquelle il était entré.

'Mon fils, Hannes,' indiqua Vasa. Frances se força à sourire d'un air naturel. 'Votre...' Dans sa tête, la voix de sa fille résonnait encore. 'Il était très jaloux de savoir que vous alliez apprendre à tirer, alors que je lui ai pour l’instant interdit de toucher à une arme à feu. Pour me faire pardonner, j’ai dû lui promettre de lui donner sa première leçon pour ses douze ans.' Par bonheur, la Cromwell retrouva la parole. 'Votre fils a de la chance, mais j'ose espérer que vous lui apprendrez à viser une cible inanimée plutôt qu'une autre... vivante.' Elle s'approcha ensuite de la table où s'étalait à présent la boîte, ouverte, et révélant son contenu. Le premier regard qu'elle porta sur les pistolets ne fut pas sans la faire frissonner. En dépit de tous les ornements et autres décorations dont leurs créateurs avaient pu les parer, ces armes représentaient à elles seules la mort. 'Honnêtement, je me suis toujours demandé pourquoi on décorait les pistolets. Enfin, voici celui que vous allez apprendre à manier.' La comtesse porta délicatement la main sur le pistolet que lui avait désigné Vasa. 'Sans doute pour indiquer le rang ou l'appartenance de son propriétaire,' répondit-elle distraitement. Elle était trop occupée à se saisir de l'objet avec la plus grande douceur, comme si elle craignait qu'il ne lui explose à la figure. Se ressaisissant finalement une fois l'arme en main, elle compléta sa proposition nébuleuse. 'C'est ce qui se faisait en Angleterre du temps où le roi s'opposa à son Parlement. En Irlande aussi d'ailleurs,' s'empressa-t-elle d'ajouter. Lucy of Longford était irlandaise après tout. 'Je ne veux pas vous forcer si vous ne vous sentez plus l’envie d’apprendre à manier ces choses-là,' lui intima Christian de Sudermanie. Il avait sûrement dû remarquer le frisson qu'elle avait eu en découvrant les pistolets. 'Mais si vous le souhaitez toujours…' Frances, ou plutôt Lucy, se tourna vers son interlocuteur, l'air décidé. 'Alors, comtesse ? On se lance ?' 'Of course,' répondit-elle sans une once d'hésitation. 'Bien sûr que je veux me lancer.'

Elle suivit alors Vasa, son nouveau professeur, jusque dans la cour. La cible se dressait à quelques pas d'eux, ni trop près, ni trop loin pour une débutante sans doute. Immobile, inhumaine, elle semblait attendre qu'on la transperce en son centre de balles, à défauts d'être un ennemi véritable, et surtout très vivant, que l'on vise en pleine action sur un champ de bataille. La leçon que recevrait Frances en ce jour serait bien à mille lieues de ce que des centaines de soldats de la New Model Army avait connu autrefois alors qu'ils combattaient les troupes de Charles I. Calquant ses gestes sur ceux du duc, la comtesse chargea le pistolet qui lui avait été confié. Dans sa main, l'arme lui semblait légèrement plus lourde que la première fois où elle l'avait saisie, mais ce détail ne la troubla guère, appliquée qu'elle était à écouter les instructions et les conseils que lui prodiguait son instructeur. Vasa tira le premier, pour montrer l'exemple, puis ce fut au tour de Frances. Lentement, elle leva son bras face à la cible, les muscles tendus, les sourcils froncés, comme si cela lui permettait de mieux viser au centre. Un instant elle songea à ses frères, Richard et Henry, et ses pensées s'attardèrent sur le fils aîné de la fratrie Cromwell, celui qui avait tant critiqué son premier mariage, celui qui l'avait accusée de vouloir l'évincer du pouvoir en épousant le fils de ce traître de Charles I, celui qui...

La détonation retentit brusquement, et Frances réalisa qu'elle venait de tirer. De loin, elle jeta un coup d'œil à la cible mais n'aperçut aucun impact de balle. 'Je crois que j'ai manqué mon coup,' dit-elle en se tourna vers Christian. 'Rassurez-moi, vous n'avez aucun jardinier à l'œuvre dans vos jardins en cet instant ?' demanda la comtesse de Longford sur un ton qui se voulait facétieux mais où pointait néanmoins une certaine inquiétude. Son regard se porta alors sur le pistolet encore fumant qu'elle tenait toujours. Son bras tremblait encore un peu du fait de la surprise, mais c'était la curiosité et non la crainte qui animait son regard. 'En dépit des dégâts que peuvent causer ces armes, je ne puis m'empêcher d'admirer leur mécanisme. C'est une combustion qui l'anime n'est-ce pas ? Comme un baril de poudre dans lequel on placerait une bougie...' La célébrité des comploteurs de l'attentat prévu pour le 5 novembre 1605, celle de Guy Fawkes en particulier, était telle que leur histoire se trouvait encore sur toutes les lèvres à chaque fin d'année en Angleterre. Mais ce n'était pas à cela que songeait Frances en examinant l'arme. 'Je me souviens d'anecdotes que me contaient autrefois mes frères. Des histoires de pistolets mouillés par la pluie, incapables de fonctionner, des armes rendues inutilisables après être tombées dans des lacs...' Elle devait finalement s'être habituée à la présence de Christian Vasa pour s'exprimer ainsi. Un peu trop d'ailleurs, car la très prudente et très discrète Lucy of Longford faisait peu à peu place à la jeune femme qui avait connu la Guerre Civile en Angleterre du côté du Parlement, et non de celui des rebelles irlandais...
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MessageSujet: Re: How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair!   How small a part of time they share, that are so wondrous sweet and fair! Icon_minitime09.07.15 19:59

'Bien sûr que je veux me lancer.'

Christian sourit, rasséréné par la voix claire et assurée de Lucy of Longford. Si elle avait paru intimidée à première vue par l’arme à feu qu’il lui avait présentée, cet instant d’hésitation était maintenant tout à fait passé et il aurait presque pu croire qu’il n’avait fait que l’imaginer. Décidément, la comtesse était une femme des plus surprenantes. Et comme tout homme d’esprit qui se respecte, le duc aimait à être surpris. Plus encore par ses pairs peut-être que par la nature : il avait appris que cette dernière était toujours ce qu’elle ne semblait pas être, alors que les Hommes lui paraissaient toujours si prévisibles dans leurs faiblesses et leurs échecs. Derrière sa bonhomie et sa gentillesse apparentes, Christian avait développé pour l’humanité une drôle de relation d’amour et de désillusion, les considérant avec bienveillance tout autant qu’avec sévérité. Les êtres comme Lucy étaient de ceux qui réveillaient son intérêt et allumaient cette étincelle de bienveillance dans son regard – une envie de les observer, de les accompagner peut-être, de faire un bout de chemin ensemble pour voir où ils finiraient par atterrir. Un sourire indéchiffrable aux lèvres, Christian la précéda dans le couloir et passa la porte qui menait à la cour où les attendait la fameuse cible, préparée spécialement pour l’occasion. Posant la boîte contenant les deux pistolets sur une table où Mrs McKenna avait aussi laissé des rafraîchissements, en bonne écossaise qui n’imaginait pas une séance de sport sans avoir de quoi se requinquer, il montra à la comtesse comment charger son arme et, armant son bras, tira une fois dans la cible sans une seconde d’hésitation. En plein cœur. Tout sourire, il se tourna vers elle et désigna son pistolet d’un mouvement de tête.

« A vous, ma chère comtesse. » l’invita-t-il en se reculant d’un pas. Les mains croisées dans son dos, Christian profita de la concentration intense de la comtesse pour scruter ses traits et son attitude, plus curieux que jamais. L’apparente délicatesse de la jeune femme jurait avec l’arme mortelle qu’elle tenait entre les mains, et l’air doux ainsi que la lumière chaleureuse de ce jour clément donnait à la scène quelque chose d’encore plus surréaliste. Comme si elle-même prenait conscience de l’étrangeté de la situation, la comtesse sembla se perdre dans ses pensées – ses yeux bleus se voilèrent d’une chape indescriptible, son bras se tendit imperceptiblement, et la détonation retentit.

Christian ne sursauta pas, mais la jeune femme, si. Comme ramenée à la réalité par le bruit assourdissant, elle baissa lentement le bras, les yeux rivés sur la cible – et Christian songea que quelqu’un sortant d’un sommeil de cent ans aurait sur le visage ce même air égaré, perdu, et confus. Diablement intéressant.

'Je crois que j'ai manqué mon coup. Rassurez-moi, vous n'avez aucun jardinier à l'œuvre dans vos jardins en cet instant ?' demanda-t-elle alors que le pistolet encore chaud laissait échapper de minces volutes de fumée.
« Mon jardinier doit en ce moment même être en train de s’occuper de ses enfants pour la journée. Vous pouvez trouer le mur autant que vous le souhaitez, vous ne ferez pas de dégâts plus graves aujourd’hui. » lui répondit-il, amusé.
'En dépit des dégâts que peuvent causer ces armes, je ne puis m'empêcher d'admirer leur mécanisme. C'est une combustion qui l'anime n'est-ce pas ? Comme un baril de poudre dans lequel on placerait une bougie...'

Interpellé par la voix presque absente de la jeune femme, Christian l’observa un instant, cherchant à déchiffrer son expression mi-rêveuse mi-curieuse alors que sa main tremblait encore légèrement à cause de la détonation brutale à laquelle rien n’aurait pu la préparer, pas même ses avertissements. Doucement, il s’approcha et lui retira l’arme des mains, avec un sourire compréhensif. Le canon de l’arme était brûlant – il préférait éviter qu’elle ne laisse échapper le pistolet malencontreusement et se blesse.

« Exactement, comme un baril de poudre dans une bougie. » répondit-il avec amabilité. « Ou un canon miniature, si vous préférez. Le canon du pistolet ressemble fort à celui d’un canon de guerre, et les balles sont les boulets, en plus petit. Là est l’avenir de la guerre. Rendre plus petit et mobile, mais non moins mortel, les outils dont nous disposons déjà. »

Laissant l’arme refroidir quelques instants sur la table, il rechargea tranquillement la sienne pendant que Lucy se remettait de ses émotions. Effectivement, elle avait complètement loupé sa cible – il lui avait suffi d’un coup d’œil pour apercevoir, plantée dans le mur, la balle qui avait laissé une jolie trace d’impact qui ferait soupirer le fameux jardinier le lendemain matin lorsqu’il viendrait prendre son service. Mais ce n’était pas la performance de Lucy qui intéressait Christian – depuis le début, c’était les raisons qui l’avaient poussée à accepter son invitation qui le titillaient. Plus il la côtoyait, plus le mystère qui enveloppait Lucy of Longford s’épaississait. Et ça, ça intéressait Christian. Beaucoup. Plus ça allait, plus elle lui apparaissait comme une illusion, une vision éphémère qui peut-être ne faisait que le hanter et disparaîtrait au moment où enfin il réussirait à déchirer le voile opaque dans lequel elle se drapait – un risque dont le duc était bien conscient et qui le poussait à éterniser ce jeu dont il ne savait guère si c’en était vraiment un, tel un chercheur de trésor n’osant pas ouvrir enfin la porte de la chapelle abandonnée derrière laquelle il sait que peut-être se trouve le trésor tant convoité… ou peut-être pas.

'Je me souviens d'anecdotes que me contaient autrefois mes frères. Des histoires de pistolets mouillés par la pluie, incapables de fonctionner, des armes rendues inutilisables après être tombées dans des lacs...' reprit la comtesse, sa voix se faisant plus lointaine, comme si le rêve s’éloignait un peu plus, et elle avec lui. Christian eut, l’espace d’un instant, l’impression que le voile s’écartait légèrement. Une brise souffla dans la petite cour, alors que le duc de Sudermanie perdait son sourire pour afficher une expression intriguée, presque soucieuse. Lucy of Longford se révélait sans se révéler. Elle parlait mais ne disait rien, et il lui semblait que ce qu’elle aurait vraiment voulu dire s’était perdu avec la brise qui déjà s’éteignait. Qui était Lucy of Longford ? Quels fantômes la hantaient pour qu’elle se referme ainsi au monde qui l’entourait ? Plus il le regardait, plus il avait l’impression de voir un oiseau de paradis enfermé dans une cage dorée, aux barreaux si fins qu’ils en seraient presqu’invisibles, et qu’on dirait ‘quelle chance a cet oiseau, d’avoir une si jolie cage !’, oubliant que le malheureux animal ne pouvait plus voler.

Un sentiment que Christian ne pouvait que trop bien comprendre.

Il s’approcha de la comtesse et, lentement, lui tendit son propre pistolet chargé. Un sourire se dessina à nouveau sur ses lèvres, alors qu’il reprenait :

« Vos frères ne vous ont pas menti. Etonnant n’est-ce pas, comme une arme aussi dangereuse peut être rendue inoffensive aussi facilement qu’en tombant dans un lac. »

Une fois que la comtesse eut pris l’arme en main, Christian se plaça un peu en retrait et, du bout des doigts, poussa la main armée de Lucy vers le haut, comme pour la soutenir alors qu’elle se préparait pour son deuxième tir. La main de la jeune femme était fine, pas faite pour tenir une arme aussi laide qu’un pistolet. Celle de Christian était plus large, et surtout, elle avait vu le champ de bataille. Le sang des polonais était encore dessus. Et surtout, il ne se doutait pas qu’il n’était pas le seul à avoir la main souillée d’un sang pris par la violence, dans leur étrange duo. Il ne se doutait pas que le voile qui les séparait tous les deux était déjà tâché de pourpre et de carmin – et elle non plus. Comment auraient-ils pu ?

« Allez-y. Bras tendu, le poignet ferme, prêt pour le choc. Je vais vous guider pour cette tentative. » ajouta-t-il en se plaçant tout à côté d’elle, tout en conservant une distance respectueuse entre eux. « Redressez le dos, dégagez légèrement les épaules… Et surtout, ne perdez pas votre cible des yeux. Concentrez-vous sur elle, pas sur votre canon. Et surtout, respirez profondément… Imaginez vos frères à la chasse, concentrés uniquement sur leur cible et leur souffle. »

La voix basse de Christian, sur laquelle il espérait que la comtesse se concentrait, s’éteignit alors qu’il lâchait doucement sa main, sans pour autant s’éloigner. Ses yeux à lui aussi fixés sur la cible, il attendait. Spectateur et participant d’un moment qu’il soupçonnait unique en son genre.

Enfin, elle appuya sur la gâchette. La détonation retentit, plus forte encore que la précédente, et ils sursautèrent de concert. Mais lorsque Christian se redressa, un large sourire illuminait son visage.

« Mes félicitations, comtesse. Avec un ou deux essais supplémentaires, vous pourriez même mieux vous débrouiller que moi. » l’enjoignit-il. « Vos frères seraient certainement fiers de vous. »

Plus que ceux de Christian ne seraient fiers de lui, c’était certain. Depuis la mort de l’aîné, roi de Suède, il avait même été mis à l’écart de la régence malgré les dernières volontés du défunt souverain, et sa présence à Versailles était autant un prétexte pour le tenir loin de son pays natal qu’une façon de l’occuper. Ca faisait plusieurs années maintenant qu’il ne les avait pas vus, et qu’il avait tiré un trait sur sa famille – à l’exception de son fils et d’Alphonse, son seul frère qui soit encore en contact régulier avec lui et n’ait pas l’air de le voir comme la brebis galeuse de la prestigieuse famille Vasa. On n’avait de vraie famille que celle que l’on se choisissait. Lucy of Longford avait-elle une famille sur laquelle compter ? Ses frères étaient-ils encore là pour la protéger, la soutenir ? Pourquoi n’étaient-ils apparemment pas à Versailles avec elle ? Autant de questions qui s’ajoutaient encore à la pile qui s’entassait dans l’esprit de Christian – et qu’il n’était pas forcément sûr de vouloir élucider tout de suite, au risque de brusquer son oiseau de paradis donc la cage n’était peut-être pas complètement fermée.

« Quel drôle de monde que celui dans lequel nous vivons. On invente des armes de plus en plus sophistiquées pour s’entre-tuer sous prétexte de protéger ceux qui nous sont chers et les plus faibles – et finalement, même eux se voient forcer d’apprendre à manier la mort. » reprit-il en considérant le pistolet dans la main de Lucy. « Et ceux qui nous protègent sont parfois obligés de se retirer. »

Il reporta ses yeux clairs sur la comtesse, croisant son regard indéchiffrable et pourtant limpide.

« Vous semblez connaître la solitude, milady. Elle peut convenir à certains, d’autres ne la supportent plus. Et vous ? » demanda-t-il doucement. Il n’avait pas résisté. Juste soulever le voile, juste un tout petit peu. Pour commencer.
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