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 A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie /

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MessageSujet: A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie /   A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie / Icon_minitime23.04.13 18:58

Citation :

Le 20 Mars 1667, quelque part du côté de Toul, encore qu’on ne soit pas trop sûr.

Ma très chère, très grande, très vénérée et très admirée Emilie,

Avant toute chose je vous prie de bien vouloir me pardonner l’état dans lequel cette lettre vous parviendra certainement : malgré mon insistance, Sa Majesté n’a pas cru bon de suivre ma suggestion de m’installer un bureau privé dans la tente de notre cher Louvois et je suis obligé d’écrire sur des tables vermoulues ou le dos de mes pauvres camarades. J’espère néanmoins que mon écriture sera déchiffrable, je vous avais promis avant mon départ de vous écrire, autant que vous puissiez me lire !

Comme vous le constatez, j’ai également tenu ma promesse de rester en vie. Cela n’a pas été une partie de plaisir, en particulier pendant la bataille de Toul il y a cinq jours à peine, mais il en faut plus pour mettre à terre un bouffon de la cour du roi Soleil. Que dire à ce sujet ? Il s’agissait d’une bataille comme une autre je suppose, une parmi les dizaines que je vais être amené à voir dans les mois à venir : des milliers d’hommes d’un côté, des milliers d’hommes de l’autre, qui s’élancent dans un bel élan de bravoure et finalement ne différencient plus leurs ennemis de leur alliés à cause de la poussière, de la boue et du sang qui a vite recouvert nos vêtements et nos couleurs. Qu’on ne vienne plus jamais me parler de stratégie militaire : en pauvre caporal-chef que je suis, tout ce que je vois c’est un abominable chaos, un enchevêtrement de cadavres et combattants qui ne savent même plus où se donner de la tête ou s’ils viennent bien de frapper un ennemi et pas leur propre jambe. Je vous avoue volontiers ne guère me souvenir de ce que j’ai pu faire pendant cette bataille ni même combien de temps elle a duré. Je suppose en revanche que vous serez heureuse d’apprendre que je n’ai même pas été blessé, ou en tout cas pas grièvement : à mon retour, j’ai bon espoir d’être encore en état de venir recueillir vos dernières volontés la prochaine fois que vous vous sentirez mourir.

En revenant au camp après la bataille, j’ai participé au rapatriement de nos blessés dans les tentes qui nous servent de dispensaire. Autant vous dire que j’ai fort pensé à vous, certains spécimens auraient sûrement mérité votre intérêt de scientifique et vos bons soins. Nous avions même certains morts qui étaient assez bien conservés pour vous servir de sujet d’étude, et j’ai le regret de devoir vous dire que je n’ai pas pu vous en obtenir un. En revanche si l’envie vous prend de venir étudier les blessés, je suis sûr que vous seriez la bienvenue, même si je ne vous le recommande pas : qui sait quelles maladies peuvent traîner dans ces endroits bien peu fréquentables. Pauvre petite chose fragile que vous êtes, il ne faudrait pas que vous attrapiez mal (ou alors uniquement quand je suis là, afin d’être témoin de votre testament). Nous avons aussi fait quelques prisonniers lorrains, dont l’un devait être germanique puisqu’il était incapable d’entendre notre belle langue. Tout ce qu’il a été capable de nous dire, c’est : "Interprèèète ? Interprèèète, couhillère ?". J’en ai déduit qu’il devait être cuisinier.

Enfin, comme vous le constatez à la lecture de ce texte, je suis toujours aussi fidèle à moi-même, malgré les circonstances. Je n’ai jamais aimé la guerre alors même que nous n’étions que des connaissances lointaines ; et maintenant qu’elle et moi sommes devenus intimes je l’aime encore moins. Dieu merci chaque jour qui passe signifie qu’on se rapproche un peu de la fin, quelle qu’elle soit d’ailleurs. Celle de la France, celle de la Lorraine, la mienne –mais je suis tenace, vous me connaissez bien. Ce n’est qu’une question de patience avant que nous ne revenions à Versailles ; et j’avoue attendre avec une certaine impatience de retrouver votre épuisante bonne humeur, qui manque cruellement au milieu de ces faces de carême.

Tenez, puisque je devine que je vous manque (avouez, combien de larmes avez-vous versé en lisant ma lettre ?) je vous abandonne avec un petit défi à relever en mon absence, afin que vous ne vous ennuyiez point et que vous soyez obligée de penser à moi à un moment ou à un autre : allez donc vous armer de votre plus belle écriture, rédigez une dizaine de poèmes d’amour (je vous autorise à les recopier si l’inspiration vous manque) et dissimulez dans les affaires personnelles de votre cher beau-frère monsieur Colbert. Ensuite, arrangez-vous pour me rendre compte de sa réaction à leur lecture !

Je vous prie d’agréer, ma chère Emilie, l’expression de mes sentiments les plus distingués, bien qu’un tantinet poussiéreux à l’heure actuelle, j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur.

Ferdinand d’Anglerays.

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MessageSujet: Re: A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie /   A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie / Icon_minitime27.04.13 0:41

Une nuit de la fin mars 1667, à Paris (on ne peut pas tout le temps être surprenante),

Mon cher petit lutin tout poussiéreux,

Et bien, vous en avez mis du temps avant de prendre votre plume pour m'adresser ces quelques mots, je commençais à me demander si vous aviez fini par être capturé par ces barbares de Lorrains qui vous auraient enfermé dans une geôle sordide de leur forteresse de Nancy (parce que vous seriez insupportable comme prisonnier, ils n'auraient pas eu d'autre choix) et qui vous auraient interdit d'écrire quelques tragiques mots d'adieu (parce que vous n'auriez pas manqué d'être terrassé par une affreuse maladie, maigre et fragile comme vous l'êtes) à la très chère et très vénérée amie que je suis. En effet, je ne peux penser que vous m'aviez oublié – mon cher petit abbé Malingre, assis à mes côtés en cet instant car il préfère me veiller depuis que j'ai toussé dans la soirée, confirme que cela est impossible. Car oui, vous ne méritez aucunement l'honneur que je vous fais mais c'est bien moi qui ai la plume entre les mains pour la rédaction de cette missive que je vous promets fort courte car en tant que bouffon, vous devez bien avoir du travail au sein du campement – ne racontez tout de même pas trop d'histoire de fantômes autour des feux tout de même sinon notre bon roi va finir par s'étonner que tous ses soldats rentrent à Versailles. Figurez-vous que mon petit Malingre refuse d'écrire lui-même malgré sa fonction de secrétaire, ce qui est un comble, vous en conviendrez ! Selon lui, il aurait été échaudé par les dernières lettres que je lui ai faites écrire et sous prétexte que « tout finit par lui attirer des ennuis », il me conseille plutôt de dormir tandis qu'il grignote ses biscuits sur son fauteuil au pied de mon lit. Mais avant tout de vous narrer la raison pour laquelle il a décidé de ne plus remplir son office et de me bouder, je voulais vous faire savoir que je compatis à votre situation : comment a-t-on pu vous refuser que vous puissiez vous déplacer avec un secrétaire particulier ? Certes, ce genre de meubles est lourd mais avec deux porteurs, c'est largement possible. Je vais essayer d'en toucher deux mots à mon Colbert de beau-frère mais s'il serait ravi de montrer son désaccord à monsieur Louvois (et après, il me reproche d'avoir un comportement puéril, le croyez-vous ?), il n'est guère d'humeur à me faire des faveurs. De toute façon, je ne sais si vous méritez mon zèle tant loué par les messieurs de la Sorbonne qui aimeraient bien que j'en fasse un peu moins preuve : monsieur, vous êtes un ingrat. Dire que je vous appelais chaque fois que je mourrais, que je vous laissais le bon soin de mes trois tendres anges tout comme de l’œuvre immortelle de mes mémoires... ! Tout ça pour que dès votre départ, vous rompiez à votre promesse de m'écrire chaque jour, même deux fois par jour pour combler un peu votre absence !... Selon le cher Malingre qui vient de m'interrompre, vous n'aviez rien dit de tel mais je pense qu'il a un secret plaisir à me contrarier. Notez bien que si je devais mourir d'apoplexie dans les heures qui arrivent, ce sera sa faute. Je vous laisse le bon soin de le traduire en justice.

A Versailles tout comme à Paris, l'on s'ennuie à mourir. Nous avons beau avoir le plus fort contingent de reines et de princesses de toute l'Europe réuni au milieu de nul part (enfin si, il paraît qu'il y a des marécages), Hippocrate seul sait à quel point toute cette compagnie est proprement assommante surtout que l'on occupe une bonne partie de son temps à essayer de deviner ce qui se passe en Lorraine (c'est-à-dire pas grand chose non plus) et à donner des messes pour la victoire de Sa Majesté. Je n'ai pas pu y échapper indéfiniment mais j'avais adopté la méthode d'un ami pour dissimuler mon ouvrage d'anatomie dans la couverture d'une Bible – il paraît que les gens de mauvaise vie font aussi de tel avec un ouvrage érotique à la mode que la Sorbonne qui n'a pas l'habitude de laisser les choses de l'amour à ceux qui ça concerne poursuit avec acharnement ce qui lui a fait sa célébrité. Ma voisine a trouvé que les dessins de ma Bible étaient fort curieux mais elle devait avoir mauvaise vue car elle n'a pas fait plus de commentaires. Heureusement pour moi, j'ai encore quelques enquêtes à mettre en œuvre car le crime ne s'arrête pas avec la guerre mais que lorsque je décide de m'attaquer à lui et de plus, la toute nouvelle madame de Valois vient de nous faire l'honneur de rentrer de sa province ce qui est un plaisir sans fin pour ceux qui aiment les persiflages, les siens tout comme ceux qu'elle subit. En conséquence, vous me voyez ravie que vous soyez toujours en vie car il aurait été triste que le petit lutin que vous êtes disparaisse plutôt que tous ces gens ennuyeux et graves. En plus, mourir aussi loin de moi, ça n'a vraiment aucun intérêt, comment pourrais-je m'évanouir en apprenant la nouvelle avant de pleurer sur votre corps ? Et non ceci n'est pas une idée à mettre en œuvre pour votre retour, même pour de faux et pour plaisanter !

Il paraît donc que l'or de la gloire ne protège pas lors des batailles ? Voilà une nouvelle qui m'afflige profondément mais malgré votre ingratitude, vous me devez bien cette faveur : si vous vous ne couvrez pas de médailles, revenez juste entier. Je sais bien que vous êtes un roc mais il paraît que les dangers sont partout lors d'une bataille. Je regrette presque de ne pas être présente pour vous donner mes petits remèdes miracles qui vous font reprendre vos couleurs, je suis certaine que j'aurais été efficace. A défaut, vous aurez au moins cette lettre, je vous interdis de lever les yeux au ciel, les nouvelles de ma bonne santé doivent vous mettre en joie et vous changer les idées. Mon frère quand j'étais petite ne cessait de me répéter que le courage n'est pas affaire de grand homme mais celui de l'homme ou de la femme du commun. Il faut du courage pour s'élancer dans une bataille à laquelle on n'entend rien. Un peu d'inconscience aussi mais vous ne manquez d'aucune de ces deux qualités. Toujours est-il que je vous remercie d'avoir pensé à moi devant les cadavres, je suis certaine que cela aurait pu me servir dans mes études mais on ne pense jamais aux scientifiques quand on fait la guerre ce qui est bien malheureux, ils sont aussi concernés que les soldats et les rois surtout que nous pourrions aussi aider à soigner quelques blessés. Mais ils préfèrent exercer leurs talents dans leur Académie de science – qui a bien failli exploser par ma faute d'ailleurs, il faudra que je vous raconte cela un jour – plutôt que d'aller en Lorraine. Comme je ne suis pas aussi pusillanime qu'eux, je vais sérieusement songer à votre proposition et me demander si moi, mon secrétaire et ses deux porteurs ainsi que mon bon petit Malingre sommes prêts à aller affronter la barbarie de la Lorraine pour nos objets d'étude. Vous savez bien que rien ne peut m'arrêter quand l'intérêt suprême de la science se fait jour ! En tout cas, je n'oublierais pas votre clystère.

Mais je vous connais bien, je sais que vous n'avez que faire de mes afflictions et que vous trépignez à l'idée de savoir si j'ai réussi à mettre en œuvre le défi que vous m'aviez lancé. Et bien... J'ai en grande partie réussi sauf que toute cette petite plaisanterie a pris une tournure inattendue, surtout pour ce cher Jean-Baptiste. Dès la réception de votre missive, je me suis occupée de remplir dignement ce défi pour vous faire honneur – je suis sûre que Jean-Baptiste s'ennuie de vous autant que moi. Comme je ne suis pas douée pour les vers que pour les algorithmes et qu'écrire une déclaration d'amour sous forme d'algorithme aurait semblé tout de suite suspect, j'ai envoyé mon bon petit Malingre à la recherche de quelques textes ce qui m'a permis de découvrir que tous ces poètes ne manquent pas d'imagination mais qu'ils ont tous un défaut bien répandu dans leur caste : ce sont des hommes. Mais je n'ai pas cherché davantage, j'ai demandé avec la plus grande politesse à mon cher abbé d'en recopier des passages puis d'aller les déposer dans des endroits stratégiques où mon beau-frère pourrait les retrouver – à tout hasard, son bureau. Je me suis arrangée pour avoir quelque chose à lui demander le jour-même (une histoire de dératisation dans le quartier des Halles à Paris, je vous raconterai une autre fois ce que j'y faisais) pour être présente au moment où il découvrait la première lettre. Cela n'a pas manqué, comme il ne souhaitait pas me parler, il a vaqué à ses occupations habituelles, a décacheté la missive et a lu le poème. J'ai du me mordre les lèvres pour ne pas éclater de rire devant la rougeur de son visage. Il s'est même mis à bafouiller et a promis de faire quelque chose contre les rats à Paris ! A ce moment précis, j'étais fort contente de moi car je venais de trouver une façon de lui faire acquiescer à tout ce que j'allais lui demander. Je comptais d'ailleurs renouveler l'expérience lors d'une soirée (une fête dans son hôtel particulier parisien me semblait fort sympathique à envisager, n'est-ce pas ?) mais il m'a pris de court et a réussi à me surprendre ce qui n'est pas habituel avec lui. Figurez-vous qu'à l'aide des yeux qu'il a partout – quelque chose me dit qu'il a des espions à sa solde –, il a mené sa propre enquête. Et il est vite apparu que mon petit abbé n'avait pas été discret et qu'en plus, une analyse de son écriture avait confirmé qu'il s'agissait bien de lui. Je n'ai pas immédiatement compris pourquoi Jean-Baptiste m'a dit que mon abbé devrait essayer de trouver un poste chez Monsieur lors de la soirée où je l'ai revu jusqu'à ce qu'il aille directement le confronter. Oui, vous lisez bien, mon Colbert de beau-frère a cru que le petit abbé Malingre était tombé amoureux de lui ! Je n'ai pas réussi à le détromper tout de suite tant que je riais alors que Malingre bafouillait, écarlate et que Jean-Baptiste lui agitait le poème sous le nez. Évidemment, la vérité a fini par éclater (rassurez-vous, votre nom n'a pas été cité dans le procès qui a eu lieu ensuite) mais je m'en suis sortie avec une pirouette (le « Je suis enceinte » marche toujours avec lui et il était trop troublé pour se rendre compte que mon époux est absent depuis de trop longs mois pour que cela soit possible). Voilà donc la raison pour laquelle ces deux sinistres me battent froid mais je vous remercie, je n'avais pas autant ri depuis des lustres !

Oui, je ne suis pas sans ignorer que j'avais dit que je ferais concis mais que voulez-vous, les promesses de début de lettres ne sont jamais tenues et comme je n'ai guère envie de tout recopier pour supprimer une ligne de trop et que l'abbé Malingre refuse toujours aussi obstinément de me servir de secrétaire – je viens de lui interdire d'aller se servir en cuisine en conséquence, je suis certaine que c'est moi qui vais obtenir gain de cause –, tant pis pour vous. Je m'arrête néanmoins ici car l'intérêt supérieur et souverain de la science me le commande. Comme je ne parviens pas à dormir (ce doit être le début de la maladie qui me mènera vers la mort, je savais que cette toux n'était pas bénigne !), je vais aller étudier les derniers articles publiés par mes correspondants étrangers. Trois heures du matin est une heure tout à fait raisonnable pour s'intéresser au fonctionnement du foie quoi qu'on puisse en dire. Je n'avouerais jamais combien de larmes j'ai versé en lisant votre lettre déchirante à moins que vous n'avouiez que vous pleurez tous les soirs en songeant combien je suis loin. Donnant-donnant, mon cher lutin poussiéreux.

Prenez soin de vous, tenez vous le plus éloigné possible des boulets de canons (même s'il y a une étude à faire sur le sujet : faites-vous peur aux canons ?) et continuez à m'écrire même sur le dos de vos camarades (je déchiffre à peu près tout et même des algorithmes, ce n'est pas vos pattes de mouche qui pourraient m'effrayer). Et si vous vous sentez mal, dites le moi, je saute au plus vite dans un carrosse avec toute ma médecine.

Votre très chère, très admirée et très adorée Émilie.
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MessageSujet: Re: A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie /   A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie / Icon_minitime05.05.13 23:45

Le lendemain de la réception de votre lettre, dans le bureau de monsieur Louvois en son absence, vers 14h.

Ma très chère, très estimée, très regrettée et très unique Emilie,

Voyez quels efforts d’imagination je déploie pour à chaque lettre trouver trois nouveaux épithètes en guise d’introduction ; j’espère que vous appréciez mon sens de la précision et de l’originalité. J’ai même commencé à songer à ceux que je pourrai écrire dans la prochaine et les consigne dans un coin de ma tête en attendant le bon moment, et je suis sûr que la femme de goût que vous êtes ne manquera pas d’apprécier à sa juste valeur le joli néologisme que j’ai trouvé pour la prochaine fois. Je ne vous en dis pas plus, autant vous réserver la surprise, et j’augmente ainsi mes chances de recevoir une réponse sous peu en titillant votre curiosité.

Avant toute chose, je vous félicite chaleureusement pour avoir réussi haut la main le petit défi que je vous avais assigné ! Personne au camp n’a compris mes éclats de rire alors que je lisais le récit de votre tour et la réaction de ce pauvre Colbert, qui ne doit guère être habitué à recevoir de mots doux le pauvre homme. Quoiqu’il en dise je suis sûr que ces poèmes lui ont quelque peu réchauffé le cœur qu’il garde si jalousement verrouillé ; comme n’importe quel homme il a besoin d’un peu de tendresse, le bougre ! Croyez-vous que ça lui ferait plaisir si je me rappelais à son bon souvenir en lui envoyant une lettre similaire ? Encore que, il est tellement habitué à mes sottises qu’il ne me prendrait point au sérieux, ce qui serait une grave erreur, j’ai une réelle affection pour cet homme ; comme pour toutes mes victimes privilégiées sans lesquelles ma fonction n’aurait plus lieu d’être. Soyez assez aimable pour lui transmettre mes sincères salutations la prochaine fois que vous le verrez, et s’il vous boude encore, je lui écrirai moi-même –à ses risques et périls. Et votre petit Malingre, s’est-il remis de ses émotions ? Dites-lui de ma part qu’il a merveilleusement joué son rôle et, au lieu de se morfondre, devrait être fier de lui. Rappelez donc à cet ingrat quel honneur c’est pour lui de pouvoir distraire une patronne telle que vous, sans compter que si vous vous laisser dépérir d’ennui, je ne doute pas que vous en oublierez de le nourrir et vous serez tous deux perdants. Jouez sur ses faiblesses, je sais que vous en êtes capables et que vous finirez par l’emporter. Comme si un abbé était de taille à vous résister !

Pour en revenir à vos reproches concernant mon soi-disant retard, je ne prendrai pas la peine de donner raison à ce pauvre Malingre, puisque je sens que vous m’avez déjà pardonné –vous êtes de toute façon incapable de résister au plaisir d’avoir de mes nouvelles et à la distraction que vous procurent mes lettres dans l’ennui profond où Versailles et Paris semblent vous plonger en ces tristes temps. Heureusement je suis quelqu’un d’assez modeste pour ne point insister là-dessus, et je me contenterai donc humblement d’imaginer ce sourire que maintenant vous tentez en vain de réprimer pour ne pas me donner raison, mais c’est trop tard Emilie, vous vous êtes trahie. Allons, laissez votre fierté de côté, et admettez que vous êtes malgré tout contente de recevoir des nouvelles de votre lutin et lui avez déjà pardonné son prétendu retard, tant ce dernier est insignifiant comparé à la joie de déchiffrer mes pattes de mouches ! Rassurez-vous, moi aussi je suis toujours heureux de recevoir vos missives, elles m’assurent quelques minutes de distraction dans ce camp décidément bien morne depuis la bataille de Toul.

Comme vous l’avez lu dans mon en-tête, je vous écris depuis le bureau sous la tente de ce cher Louvois, où j’ai réussi à m’infiltrer pendant que notre ministre de la guerre est en conseil avec Sa Majesté et Monsieur, entre autres drôles de personnages. J’aurais pu y siéger moi aussi –ou plutôt me tenir derrière le roi et guetter le moment opportun pour glisser une remarque drôle ou judicieuse ou impertinente histoire de pimenter cette réunion- mais ces conseils sont d’un tel ennui que j’ai préféré m’éclipser pour mettre ce temps libre à profit pour m’occuper intelligemment –à savoir rédiger cette missive. C’est une drôle de chose que la guerre Emilie, vous savez : lorsqu’on est sur le champ de bataille, la seule hâte que l’on a est qu’elle se termine, et une fois la bataille terminée et de retour au camp, on se prend à guetter le moindre mouvement annonciateur d’un peu d’action tant l’atmosphère est morne et déprimante. Impossible de savoir quand sera sonnée la prochaine attaque ; alors l’on attend sans savoir quoi faire de ses deux mains si l’on n’a pas la chance de pouvoir aider au dispensaire à s’occuper des blessés, activité pourtant peu réjouissante si l’on considère leur état et nos manques de moyen ainsi que l’environnement. Bien entendu, si vous avez la chance d’être bien titré, vous échappez à ces conditions désastreuses et pouvez vous reposer sous votre propre tente, avec vos propres serviteurs, et d’ailleurs il est probable que vous n’aurez vu la bataille que de loin. Comprenez-vous, ces messieurs ont besoin d’avoir une vue d’ensemble pour savoir où nous envoyer nous faire charcuter tout en faisant des bénéfices ! J’ai néanmoins eu la surprise –et la fierté- de voir Monsieur s’élancer au beau milieu des combattants durant toute la bataille, faisant montre d’un courage que les mauvaises langues ne lui soupçonnaient certainement pas. Voilà qui les fera taire un bon moment, foi de gascon !

D’ailleurs, vous pouvez ranger votre clystère et vos médecines, je me porte toujours comme un charme, au risque de vous décevoir ! Il faudra plus qu’un peu de poussière ou de pluie pour venir à bout de ma vieille carcasse ; en revanche, comment va votre toux ? Etes-vous toujours en vie d’ailleurs, ou votre prochaine réponse me viendra-t-elle d’outre-tombe ? L’expérience serait intéressante, bien que peu probable, et j’aurais plutôt tendance à croire que ce serait une lettre de votre abbé qui m’arriverait afin de m’annoncer de votre tragique décès, que je vous implore de reporter au moins jusqu’à mon retour. Je tiens à être présent pour la rédaction de vos dernières volontés définitives –d’ailleurs je suggère que vous léguiez vos enfants à Malingre plutôt qu’à moi, ils n’ont pas l’air de me porter dans leur cœur- et pleurer sur votre cercueil. Puis-je me permettre de vous dire par ailleurs que j’ai été touché de lire que ma mort provoquerait chez vous tel émoi ? J’ignorais qu’il y avait sur cette terre quelqu’un avec assez de bonté d’âme pour ma petite personne pour s’évanouir à l’annonce de mon trépas et se vider de ses larmes sur mon corps sans vie, c’est toujours un réconfort lorsqu’on est à la guerre. Mais rassurez-vous, je tiens trop à la vie et votre bonne humeur pour décéder de sitôt, même si l’idée de vous en faire la blague m’a, je l’avoue, traversé l’esprit. J’aurais bien aimé voir si effectivement vous vous seriez effondrée –mais soit, je vous épargnerai cette douleur innommable que de perdre un ami aussi irremplaçable que moi. De plus mes affaires ne sont pas en ordre, j’ai encore besoin de rédiger mon propre testament et je pense que votre conseil d’experte ne sera pas de trop dans ce dessein-là et…

Pardonnez l’interruption de cette lettre, mais j’ai dû m’interrompre dans ma rédaction. Louvois est revenu du conseil et m’a trouvé sur son secrétaire sans son autorisation ; heureusement il avait plus important à faire que s’emporter inutilement contre moi, puisqu’il m’a appris que nous avions la douleur de perdre le marquis de Boisy, décédé des suites d’une mauvaise fièvre contractée ici. C’est une bien triste nouvelle, car bien que je n’ai point connu le sire en personne, l’on m’a dit grand bien de lui et il a l’air d’être regretté de ceux qu’il connaissait. Le roi a donc ordonné une messe immédiatement, à laquelle j’ai été obligé d’assister. J’ai eu le plaisir d’y retrouver un tout jeune mousquetaire de ma connaissance, Henri de Langoiran, qui bien qu’âgé de dix-huit ans seulement a voulu participer à la guerre et remplir son devoir de français. Bien que le félicitant de son courage, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour lui : figurez-vous donc, je connais ce petit depuis ses six ans, puisqu’il n’est autre que le fils d’une de mes plus chères amies. Elle m’a d’ailleurs écrit pour le recommander à mes bons soins, mais le bougre a l’air de bien s’en tirer tous seuls, sous les ordres du vicomte de Vallombreuse. J’ai tout de même voulu profiter de la messe pour lui parler et m’assurer que tout allait bien, puisque nous n’avons guère l’occasion de nous voir en dehors ; et alors qu’il m’apprenait que dans le feu de l’action il avait tiré un de ses camarades d’un très mauvais pas, je n’ai pu m’empêcher de m’exclamer « Bravo fiston ! », ce qui m’a valu un regard de travers de Louvois, du roi et de l’homme d’Eglise qui avait consenti à dire la messe –entre autres personnes, mais ces trois-là sont les seuls que j’ai repérés. Evidemment, comme je suis quelqu’un de courtois, j’ai aussitôt enjoint très poliment au prêtre de continuer sans faire attention à moi, puisque j’avais terminé de prendre des nouvelles de mon petit protégé. Ceci dit je n’ai pas pu m’empêcher à un autre moment de faire remarquer que le temps tournait à l’orage et que si Monseigneur ne se dépêchait pas un peu au lieu d’articuler chaque lettre de sa Bible, nous finirions tous dans un cercueil d’ici la fin de la semaine, et ma remarque a été très mal prise par un petit homme devant moi qui m’a regardé d’un air furieux avant de s’emporter, faisant au final plus de grabuge que moi qui me contentais de faire une remarque judicieuse uniquement destinée à mon voisin. Excédé par les cris de ce monsieur, je l’ai prié aimablement de bien vouloir se taire afin de pouvoir poursuivre la messe, mais il s’est exclamé : « De quel droit osez-vous me parler sur ce ton, monsieur ?! » d’une voix suraiguë, le visage aussi rouge que la crête d’un coq. Je n’ai alors pas pu réprimer la saillie qui m’est venue malgré le regard suppliant de notre bon Louis qui aurait certainement aimé que la messe se termine en paix pour retourner réfléchir à la guerre, et j’ai rétorqué à ce monsieur : « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Ca ose même crier pendant une messe ! ». Finalement, comme il criait de plus en plus fort, je l’ai saisi par le col et je l’ai traîné derrière moi avant de le jeter dans un buisson en criant aussi fort que lui «Calme-toi, il n’y a que moi qui ait le droit d’être hystérique, que moi ! ». Cela faisait beaucoup de cris, mais au moins le calme est revenu –le monsieur par contre n’a pas pris ce risque- et la messe a pu se terminer dans la joie et la bonne humeur. Ce fut le seul incident de cette morne journée, mais j’espère qu’il vous aura diverti.

Il est temps maintenant que je vous soumette un nouveau défi pour vous distraire et avoir un nouveau récit amusant lors de votre prochaine lettre. Voici ce que je vous suggère : pendant toute une journée, faites-vous passer pour amnésique. Mieux que cela : faites comme si vous ne vous souveniez plus que vous étiez Emilie de Vendières, et prétendez être notre brave ministre le cardinal de Richelieu revenu d’entre les morts ! Tenez vingt-quatre heures, et je m’estimerai satisfait. Je suis convaincu qu’avec votre imagination débordante, vous vous en tirerez avec brio !

Il est temps maintenant que je délaisse la plume, j’ai proposé à Henri de tirer l’épée contre lui afin de nous exercer tous les deux et ne pas moisir dans un coin en attendant la prochaine bataille. N’oubliez pas votre pari, et prenez garde à votre santé, restez bien au chaud, lisez au calme dans votre bibliothèque, et écrivez-moi, c’est encore le meilleur moyen de passer le temps sans attraper mal. Donnez mes salutations à votre beau-frère, et n’oubliez pas de me raconter ce que vous aurez appris de passionnant sur le foie : il n’y a pas de sot savoir, et je trouve aussi que trois heures du matin est une heure tout à fait raisonnable pour se dédier à ce noble art qu’est l’apprentissage des sciences. Dorénavant, à chaque fois que je ne dormirai pas à trois heures du matin, je songerai à vous en me demandant ce que vous pouvez bien lire ; et si cela vous fait plaisir, je consens à verser quelques larmes pour pleurer votre absence. Quel ami dévoué je suis !

Sincèrement vôtre, votre toujours dévoué et toujours poussiéreux lutin, Ferdinand d’Anglerays.

P.S : Tenez, comme il s’est mis à pleuvoir, j’ai mis un coin de ma lettre dehors, pour que vous ayez quelques gouttes de pluie comme souvenir du front. Ce sont les trois petits points sombres que vous voyez-là. La prochaine fois je vous joindrai une fleur séchée, c’est tout de même plus coloré.

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MessageSujet: Re: A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie /   A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie / Icon_minitime04.06.13 19:48

Une éternité (au moins) après la réception de votre lettre (mais toujours mars 1667), dans le désert lugubre et désespérant de la ville de Sceaux, alors que l'horloge, d'une lenteur agaçante, indique à peine 15 heures.


Mon cher petit lutin très inspiré et très original mais toujours poussiéreux
(on ne peut pas tout avoir pour soi),


Je sais très bien ce que vous êtes en train de vous dire au moment où vous déchiffrez ces premiers mots : que diable ma chère Émilie aux poumons si fragiles est-elle allée faire dans un endroit aussi lamentable que Sceaux ? Et encore, oubliez tout ce que vous pensez savoir sur cette ville (ce village, ce trou perdu, devrait-on dire) : la réalité est au-delà (ou en deçà plutôt) de toute imagination, je n'ai jamais mis les pieds dans un lieu aussi plein de miasmes et il me semble que nous pourrions tous mourir d'une seconde à l'autre ce qui serait une grande perte pour l'humanité. Je pense d'ailleurs que la science ne se remettrait pas de ma disparition (ni celle de ce bon abbé Malingre, remarquez, il est un objet d'expérimentation idéal). Et pourtant, après avoir survécu à tant d'épidémies, à tant de maladies sournoises qui rôdent et nous attaquent quand on ne s'y attend pas (dont cette toux fourbe qui a presque failli m'empêcher d'écrire une lettre à ces messieurs de la Sorbonne qui n'ont rien compris du fonctionnement du foie !), me voilà enfermée là sans autre occupation que de compter les secondes qui défilent sur la pendule du salon du château – et ce qu'elles sont lentes ! Comme je veux être assurée que vous lirez ma lettre jusqu'au bout et que je souhaite me venger de ce que vous gardiez le secret sur ce néologisme que vous avez inventé pour me qualifier, je vais maintenir le mystère sur les raisons de ma présence à Sceaux pendant quelques paragraphes encore. Après avoir tant attendu ma réponse, après tout, vous pouvez bien patienter quelques lignes de plus, je suppose. J'imagine fort bien la moue boudeuse que vous avez dû avoir en recevant ce courrier que vous n'attendiez plus (j'espère néanmoins que vous avez été assez aimable pour payer le messager mais si vous me lisez, c'est que la réponse est affirmative, le contraire m'aurait vexée à jamais !) mais je sais que vous me pardonnerez la lenteur de ma réponse car vous savez que je suis une femme du monde fort occupée. Entre mes entretiens avec les messieurs de la Sorbonne qui défendent encore l'idée que le foie est le siège des passions (à croire qu'ils vivent encore au temps d'Aristote !... Ceci dit, vu la longueur de leurs barbes et leur étroitesse d'esprit, ils en viennent peut-être directement et semblent souhaiter me voir connaître le sort de Socrate), mes petites enquêtes (je suis sur les traces d'un véritable tueur en série qui ne s'attaque qu'aux hommes en pleine force de l'âge) et mes visites à mon cher beau-frère qui ne parvient pas à se passer de moi même lorsqu'il me boude, avouez que j'ai une vie bien trépidante qui me laisse à peine le temps de m'arrêter quelques secondes pour prendre le temps d'écrire – ou plutôt de dicter à cher petit Malingre des horreurs car il a enfin accepté de reprendre ses fonctions de secrétaire contre la menace de n'être nourri que de rats et de pigeons (la reine a eu un gros arrivage ces derniers jours, il faut bien trouver un moyen de s'en débarrasser). Je suppose qu'il faudrait que j'en sois désolée mais pour vous avouer l'entière vérité, je vous ai trouvé un peu trop sûr de vous dans vos derniers écrits, j'ai donc décidé de garder le silence quelque temps pour vous laisser un peu dans l'incertitude et pour voir si vous alliez m'envoyer une deuxième lettre (car vous aviez promis une lettre par jour, je n'ai pas oublié !). Il se trouve que vous êtes chanceux car Sceaux est si désert que vous êtes de nouveau venu occuper mes pensées et que j'ai choisi de vous distraire un peu de l'ennui qui vous frappe (vous avez le droit à toute ma compassion, mon pauvre petit lutin).

Sachez déjà que je suis fière de vous pour avoir occupé avec succès le secrétaire de monsieur Louvois, j'ai toujours considéré qu'il fallait s'imposer quand on réclamait quelque chose et qu'il fallait se faire entendre. Prenez donc exemple sur moi qui fais le siège du bureau de mon beau-frère pour obtenir la dératisation du quartier des Halles à Paris (les rats sont porteurs de la peste après tout) et l'augmentation des crédits pour fêter les grandes victoires (ou les défaites après tout) qui nous attendent avec des feux d'artifice. Continuez donc à agir ainsi et je suis certaine que vous n'êtes pas le seul à connaître les tourments de l'ennui et de l'inactivité. Au pire, je vous autorise à raconter des histoires de fantômes au coin du feu (je suis sûr que ce petit Henri de Langoiran que vous devrez me présenter apprécierait, c'est de son âge) ou à faire une mutinerie contre tous ces gens bien titrés pour leur faire tester l'efficacité des canons ennemis (mais dans ce cas, ne dites pas que l'idée vient de moi). Je n'ai en tout cas jamais douté de la bravoure de Monsieur, il faut déjà de l'énergie pour tyranniser en permanence ses chers petits mignons, nul doute qu'il peut donc faire des étincelles. En parlant de mignon, j'ai eu l'occasion d'en croiser un à la cour mais je vais vous raconter tout cela en détail. Si vraiment, votre moral ne va pas mieux avec tout cela, je peux toujours essayer de vous envoyer des feux d'artifice si je parviens à en faire commander par Jean-Baptiste. A la réception de votre lettre, j'ai été abasourdie par la nouvelle de la mort de ce pauvre monsieur de Boisy qui m'a jetée dans des abîmes de désespoir. Ô douleur, ô tristesse ennemie qui nous plonge dans des abîmes d'infamie (je ne crois pas que ce soit la citation exacte mais figurez-vous que mon bon abbé ne parvient pas à s'en souvenir) ! J'ai immédiatement pris le deuil même si je n'avais jamais eu la chance de connaître ce malheureux marquis qui n'a pas eu la chance de m'avoir pour médecin (je vous envoie d'ailleurs avec cette lettre une petite fiole contenant des extraits d'herbe qui sont efficaces contre les fièvres, sait-on jamais) et j'ai tenté d'organiser des commémorations à la cour. Pour une raison inconnue, personne ne m'a suivie, apparemment tous s'accordaient à lui trouver des qualités mais sortir le noir pour sa mort était hors de question (pourtant le noir sied bien à la silhouette, cela l'amincit). La reine est apparemment trop occupée à dératiser ses propres appartements pour s'occuper du sort du marquis. Cela est fort dommage mais mes nouveaux vêtements m'ont permis de trouver un groupe de femmes admirables qui sont à la cour et à Paris et qui m'ont approchée pour que je les rejoigne ce que j'ai accepté. En effet, la mode est un fléau qui cause le décès prématuré de nombreuses femmes dans le royaume et il est grand temps d'y mettre un terme. Désormais, nous portons toutes des habits fort simples, qui ne dénotent pas dans un temps où nous sommes en guerre et j'ai fait jeter toutes mes dentelles et mes pompons car je me dois de montrer l'exemple. Nous luttons contre les paniers de plus en plus larges qui gênent les autres lors des bals royaux, empêchent les jeunes filles de s'asseoir ou d'aller aux commodités et qui s'enflamment bien souvent quand elles passent à proximité des cheminées ce qui est une cause de nombreux accidents. J'espère que vous soutiendrez notre combat. Vous n'avez pas le choix de toute façon, je vous ai déjà inscrit.

Je suis navrée du changement d'écriture mais j'ai fini par reprendre la plume car ce bon abbé Malingre, non content de se plaindre qu'il n'y a rien à manger dans ce château déserté (forcément, nous sommes à Sceaux !) et qu'il a mal au poignet, ne cesse de me faire des remarques désobligeantes sur ce que je vous écris (par exemple que vous n'auriez aucun mal à respecter les codes vestimentaires de mes nouvelles amies... Voilà donc qu'il n'a rien compris à l'essence même de notre combat). Il y a du progrès depuis votre dernière lettre, il ne boude plus mais je le soupçonne de plus en plus de chercher à me tuer (et Dieu seul sait à quel point ses serviteurs sont vils), il cherche toujours à me contrarier, moi qui ait toujours été une parfaite maîtresse (prête à lui trouver une place à la Bastille lorsqu'il a été accusé de meurtre). Enfin, cela me permet de vous raconter sans interruption la manière par laquelle j'ai réussi à mettre en œuvre le petit défi que vous m'aviez lancé. J'ai déjà commencé par me renseigner sur le cardinal de Richelieu que je connaissais fort mal (et que je continue toujours à connaître fort mal malgré les vingt-quatre passées dans sa peau). Je me suis procuré le catéchisme qu'il a écrit, j'ai lu environ deux pages avant de l'envoyer à mon cher époux qui se trouve en ce moment même dans le Limousin aux prises avec ces pauvres petits protestants et qui appréciera le cadeau. Le jour J, je me suis réveillée bien plus tôt que d'habitude et comme vous l'aviez demandé, j'ai voulu que l'on m'appelle « Votre Éminence » et que l'on me vêtisse de pourpre. Ce vous auriez ri en voyant la tête de mes gens ! Ils sont habitués à mes fantaisies mais c'était bien la première fois que je me prenais pour un homme d’Église. J'ai tout dirigé d'une main de maître dans ma demeure (mais cela ne changeait pas d'habitude) allant jusqu'à reprocher à mon petit Malingre d'insister pour me dire « Madame » et j'ai exigé que l'on se procure des chats car ce monsieur les aimait beaucoup selon la légende. Mais si je puis me permettre, mon petit lutin, tout mon chef d’œuvre est contenu dans la suite : mon passage à la cour fut proprement grandiose. J'ai naturellement insisté pour que l'on me fasse entrer dans l'aile des ministres où je devais présider le conseil. Les courtisans présents n'en revenaient pas. Mais j'ai promis tout et n'importe quoi à Bontemps, l'homme de chambre du roi, (même de lui procurer le chapeau de cardinal) avant de le menacer (de rejoindre ce pauvre petit Henri de Montmorency) mais il n'a pas eu l'air très impressionnée et a tout refusé obstinément. « Vous seriez Richelieu lui-même que vous rentreriez pas et vous n'avez pas de chance, je ne vous reconnais même pas ! » a-t-il lancé en me claquant la porte au nez. J'étais ma foi fort vexée aussi lorsque l'un des mignons de Monsieur, un certain damoiseau de Bergogne (car malgré tous mes efforts, je ne peux m'obliger à lui donner le titre de « monsieur ») m'a lancé que de nos jours, les dames se permettaient tout, je l'ai toisé avant de lui répondre : « Mais quelle surprise de vous entendre parler de ce sexe, qui n'est pas le vôtre, j'ignorais que vous en connaissiez l'existence ». Son air dépité a suffit à ma vengeance. J'ai poursuivi dans cette veine toute la journée et tout le monde a eu l'air de penser que j'étais tombée sur la tête. Ma belle-sœur de Seignelay a cherché à me convaincre que j'étais bien « Émilie de Vendières » mais elle avait à faire à plus forte tête qu'elle. Tout cela a été fort divertissant et j'ai bien ri. Dès le lendemain, après un réveil fort tardif (car le coucher l'a été aussi, monsieur de Richelieu dormait peu), tout le monde a fait mine d'avoir oublié l'incident... Mais je suis sûre qu'on va en parler longtemps !

Je dois m'interrompre là dans mon récit car ma chauve-souris de beau-frère vient de rentrer dans le petit salon dans lequel je suis installée de fort méchante humeur en grommelant que nous allions (enfin) rentrer à Paris. Il a à peine jeté un regard à ce bon abbé Malingre qui se liquéfie à chaque fois qu'il le voit car Jean-Baptiste n'a pas cru à ma version de l'histoire et pense toujours que mon secrétaire est amoureux de lui. D'ailleurs, le petit Malingre lui a demandé s'il y avait des gâteaux à grignoter dans les environs et le grand ministre de notre bon roi n'a pas répondu, il vient de se contenter de murmurer quelques chose à propos de « deux hommes sur un cheval » et « même si Henri Plantagenêt et Thibaud de Blois s'embrassaient, ce n'est pas... ». Pauvre de lui, je pense qu'il manque un peu de tendresse pour être toujours aussi bougon mais vous n'avez pas besoin de lui envoyer une lettre car il paraît qu'il va bientôt se rendre sur le front pour apporter des documents secrets au roi (officiellement) et pour vous voir (officieusement). Vous pourrez donc lui faire votre déclaration d'amour et lui réciter des poèmes (si vous avez besoin de modèles, mon cher Malingre se fera une joie de vous en envoyer) de visu, ne cachez pas votre joie ! Soyez assuré que de mon côté, je le harcèle littéralement pour qu'il en profite pour vous apporter un secrétaire qui vous permettrait de ne plus avoir d'excuses pour ne pas m'écrire plus souvent. Pour l'instant, il est assez hermétique à l'idée mais j'ai bon espoir. J'étais justement devant son bureau pour lui parler aujourd'hui quand il s'est décidé à sortir et comme je ne me décidais pas à le lâcher, à me proposer de lui tenir compagnie. Car oui, monsieur Colbert visitait un château car il désire investir dans l'immobilier et acquérir une maison de campagne. Non mais vraiment quelle idée saugrenue ! Comme si nous n'étions pas bien dans les murs de Paris à proximité de toute la famille (qu'il a eu l'audace de juger un peu « envahissante », pouvez-vous l'imaginer ?). Je veux bien croire qu'il n'a pas beaucoup apprécié ma mésaventure dans sa salle de bains et que cela fait bien pour un baron mais tout de même, est-ce une raison pour s'exiler à Sceaux ? Le château est épouvantable et les jardins investis par les corbeaux sont à refaire même s'il y a un charmant petit canal. Il semble néanmoins décidé à l'acheter, quand il aura réussi à faire baisser le prix ce qui n'est pas pour aujourd'hui. Je frémis déjà à l'idée qu'il me faudra venir lui rendre visite en ces lieux ! Il vient en tout cas de me lancer que nous devons nous diriger vers notre carrosse et que si je ne viens pas sur le champ, il me laissera ici sans aucun scrupule, je vous abandonne donc mon petit lutin tout poussiéreux. Songez que je demeure

Votre admirée, sincère et très affectionnée Émilie.

PS : Faites attention à la pluie, j'ai eu dernièrement un cas d'un homme qui avait dû rester travailler sous la pluie et qui avait eu un gros rhume de poitrine qui l'a laissé alité pendant des jours. J'ai prescris un clystère, bien sûr mais il a toutefois mis du temps à s'en remettre. En plus, l'eau fait rouiller les armures.
PS bis : Je vous joins quelques-uns de mes écrits qui iront s'insérer dans mes mémoires car il me faut continuer à consigner les événements importants qui se produisent à la cour et qui resteront dans l'histoire. Je vous conte ainsi l'émoi qu'a causé l'envoi de ces rats et de ces pigeons dans la maison de la reine. J'ai eu un témoignage direct d'une certaine Vulfetrude. Vous aurez également la joie de découvrir des dessins de mes enfants qui, contrairement à ce que vous semblez penser, vous adorent et ne cessent de me demander quand ils auront la chance de vous revoir. Il paraît que c'est vous qui êtes représenté, vous reconnaîtrez votre nez un peu busqué et vos cheveux en bataille. J'avoue ne point avoir reconnu ce qui vous entourait ni savoir pourquoi vous semblez avoir la tête en bas dans l'un d'entre eux, ils n'ont pas voulu en dire plus mais je n'ai pas voulu les empêcher de laisser libre court à leurs créations artistiques.
Dernier PS : Cette fois-ci, je vous laisse, monsieur Colbert qui m'attend dans sa voiture va avoir des envies de meurtre à mon égard si je tarde davantage.
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MessageSujet: Re: A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie /   A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie / Icon_minitime30.11.13 21:47

Bien trop longtemps après votre dernière lettre, au début du mois de Mai 1667, non loin de Verdun.

Ma très chère, très indispensable, et très éminente Emilie,

J’ai hésité à ouvrir cette lettre d’un joyeux « séchez vos larmes, je ne suis pas mort ! », avant de réaliser quelle date nous étions aujourd’hui et dans quelle fureur vous devez être en constatant le retard de ma réponse – à moins que vous en m’ayez oublié entre temps et ayez trouvé autre chose pour vous distraire que mes modestes missives dont j’espérais pourtant qu’elles vous apportent un peu de chaleur et de réconfort en ces temps difficiles. Mais puisque j’aime à croire que la joie de me lire outrepassera votre hypothétique colère face à mon silence de ces dernières semaines, c’est avec joie (et tout de même un peu d’appréhension) que je vous annonce : séchez vos larmes, je ne suis pas mort ! Je suis même très vivant, pour le plus grand malheur de certains de ces messieurs qui auraient certainement souhaité me voir tomber lors de la dernière bataille, mais Dieu ne leur a pas accordé ce plaisir. Mais avant que vous ne m’écriviez une lettre incendiaire et chargée de reproches qui me briseront le cœur, laissez moi vous expliquer les raisons de ce beaucoup trop long silence qui, je vous l’assure, a été tout à fait indépendant de ma volonté.
Après réception de votre dernière lettre, l’ordre a été donné de lever le camp, pour une destination qui m’était alors inconnue. Nous avons quitté Toul avant que je n’ai le temps de vous répondre pour mettre le cap sur un nouveau point stratégique à reprendre des mains des Lorrains, dont l’avancée était décidément plus importante que ce que l’on avait bien voulu nous dire – et je ne fus moi-même au courant que parce que j’ai chevauché auprès du roi pendant le trajet. Je vous épargne les détails, mais la situation ne s’annonçait pas des plus réjouissantes, le trajet s’annonçait long, non sans danger, et le temps tournait à l’orage. Je ne suis pas un grand stratège, mais il n’est guère besoin de l’être pour comprendre que les conditions idéales étaient loin d’être réunies pour ce voyage hasardeux à la rencontre de nos ennemis. Et de fait, notre expédition tourna rapidement au calvaire. J’espère au moins vous amuser en vous apprenant que je pouvais entre votre voix résonner dans mes oreilles en me souvenant de votre lettre, me recommandant de faire attention à la pluie, alors que nous avancions tant bien que mal sous des trombes d’eau et dans la boue. J’ignore combien de chevaux nous avons perdus dans cette étrange chevauchée, ou combien d’hommes sont tombés malades, mais j’ai bien peur d’avoir été du lot. Je ne l’ai pas vraiment remarqué pendant le trajet, et lorsque nous campions la nuit je mettais mon état sur le compte de la fatigue et n’y ai pas prêté plus d’attention. Vous m’auriez tapé sur les doigts si vous aviez été là ! Evidemment dans ces conditions je n’ai été en mesure de vous répondre, mais j’espère gagner un peu votre pitié en vous confessant avoir relu vos lettres pour me remonter le moral.

Après plusieurs semaines d’un voyage difficile, nous avons finalement atteint les alentours de Verdun où nous stationnons actuellement. C’est là qu’un nouveau coup du sort m’est tombé sur la tête et que je suis tombé malade pour de bon, probablement après avoir traîné une fièvre ou je ne sais quelle maladie pendant le voyage. Imaginez la surprise de mes compagnons d’infortune, habitués à la cour à me voir courir et railler dans tous les sens, tout à coup face à une loque humaine à moitié en train de délirer dans sa fièvre. En y repensant le spectacle devait être assez cocasse, malheureusement je n’en garde que peu de souvenir et le peu que j’en ai n’est pas très glorieux. On m’a mis au repos forcé, et je suis resté plus d’une semaine sur un semblant de brancard peu confortable (ce qui m’a mis de mauvaise humeur et m’a rendu encore plus insupportable que d’habitude, je vous laisse imaginer le spectacle), à voir ou entendre des choses qui n’existaient que dans mon imagination (il paraît que je confondais le médecin du camp avec la comtesse Mathilde, celle que l’on appelait l’Emperesse, je vous laisse imaginer la chose). Dans mon délire enfiévré néanmoins, vous avez réussi à vous glisser dans mes pensées, et j’ai donné au médecin les herbes que vous m’aviez envoyées afin qu’il me les administre. Ma chère Emilie, je vous promets de ne plus jamais critiquer vos talents de médecin (du moins, pas trop souvent), car je crois bien que vos remèdes m’ont tiré d’un bien mauvais pas !

Bref, vous aurez compris qu’entre ce voyage pour le moins hasardeux et ma convalescence, plusieurs semaines soient passées avant que je n’aie de nouveau l’occasion de prendre la plume et enfin pouvoir vous répondre. J’espère que le récit de mes mésaventures aura quelque peu touché votre cœur, ou qu’au moins il vous aura amusée ; et si tel n’est pas le cas et que je ne reçois pas de réponse de votre part, je me verrai dans l’obligation de revenir aussitôt à Versailles (ou Sceaux, et votre beau-frère vous y exile à nouveau) pour vous supplier à genoux de m’accorder votre pardon, misérable pécheur que je suis. Je doute que le roi soit très content de me voir quitter le camp en lui expliquant que je dois regagner l’amitié d’une femme, mais au moins ces messieurs auront un ragot (aussi inintéressant et improbable soit-il) à se raconter pendant les longues soirées au coin du feu. Que voulez-vous, à part la maladie, la fatigue et la faim, le quatrième fléau du soldat est l’ennui, et l’on s’occupe comme on peut – et tout le monde n’a pas la chance d’avoir une correspondante aussi divertissante et assidue.

Mais assez parlé de moi, donnez-moi plutôt de vos nouvelles ; cette vilaine toux est-elle enfin partie ? Vous portez-vous mieux que la dernière fois que j’ai eu de vos nouvelles ? J’ose espérer que oui, autrement votre cher abbé aura de mes nouvelles, quand je pars loin j’aime à savoir que mes amis sont en de bonnes mains et je le tiens personnellement pour responsable de votre santé et de votre sécurité (cher Malingre, si vous me lisez, souvenez-vous que je suis aussi très aimable et sympathique et que si vous êtes sage, je vous ramènerai un souvenir du front). J’espère que Sceaux n’aura pas eu raison de vous et de votre bonne humeur, voilà qui serait une perte considérable pour le reste de l’humanité, et je consens même à m’engager à venir pleurer sur votre cercueil si jamais telle tragédie venait à se produire. Vos recherches sur le foie ont-elles avancé comme vous l’espériez ? Je dois avoué avoir ri à la lecture de vos mésaventures avec ces messieurs de l’Académie, leurs longues barbes à la mode d’Aristote aussi étroite que leur esprit, mais j’ai confiance en vos capacités et suis sûr que c’est vous qui avez eu le dernier mot, au final. Ces barbus velus ne vous arrivent pas à la cheville, et je les soupçonne d’en être conscient et d’en concevoir un certain ressentiment envers vous. Ne vous laissez pas abattre, ne vous laissez pas faire, et rappelez-leur encore que vous en valez bien dix comme eux, que vous portiez le jupon ou la barbe !

Je tenais également à vous féliciter pour vos tentatives de commémoration en la mémoire de ce brave marquis de Boisy, et me suis empressé de les communiquer à son frère qui est parmi nous : je crois qu’il a été ému par votre geste et a aussitôt accepté de se joindre à votre combat vestimentaire en guise de remerciement, et m’a promis de communiquer l’idée à son épouse. Vous avez donc un nouvel allié, voire deux, dans votre noble lutte. Avez-vous réussi à convertir de nouvelles adeptes ? Ne négligez pas les hommes dans ce combat ma chère, moi-même vous aurais aussitôt rejointes si vous ne m’aviez pas inscrit d’office, car croyez-moi, il n’est guère pratique ni agréable pour un homme non plus de danser, ou marcher aux côtés d’une femme dont la robe est si spacieuse qu’il faille mettre les mains en porte-voix pour espérer s’en faire entendre. Permettez-moi également de vous exprimer toute mon admiration pour vous, en apprenant que vous vous étiez débarrassée de ces pompons, rubans et dentelles auxquels je sais que vous teniez tant. Soyez courageuse mon amie, la guerre ne durera pas éternellement, et le temps des dentelles reviendra éblouir la cour de Versailles.

En attendant ce moment de gloire dont vous serez, j’en suis sûre, la figure de proue, je suis incroyablement fier de savoir que j’ai été à l’origine d’un des plus beaux moments que Versailles ait jamais connu, à savoir la résurrection de ce brave Richelieu dans un corps de femme ! Votre récit a illuminé bon nombre de mes soirées (pluvieuses, je le rappelle) et je suis sûr que vos victimes ne l’oublieront pas de sitôt non plus. Vous êtes décidément ou bien en proie à l’ennui le plus profond, ou bien la femme la plus surprenante que je connaisse, à relever avec autant de facilité mes défis de plus en plus ridicules ! Avez-vous une limite, Emilie de Vendières ? Je l’ignore encore et vous connaissant, vous ne prendrez même pas la peine de répondre à cette question : je vais donc me contenter de vous imposer des paris de plus en plus idiots (mais jamais dangereux je vous le promets, je serais bien attristé de ne plus lire vos récits désopilants) en attendant de voir si vous en refuserez un. Mais j’en doute. En attendant, voici votre prochaine tâche : je vous propose de voler la soutane de votre cher abbé Malingre (sans qu’il ne s’en aperçoive bien sûr, il doit bien la retirer pour aller dormir, non ? A moins que les moines ne dorment en soutane ?) et de vous en vêtir pour vous rendre chez madame de Bergogne ; là, vous subtiliserez des fleurs dans son jardin et en ferez des couronne que vous offrirez aux gens que vous croiserez dans les couloirs. Un peu de gaité en ces temps sombres ne leur fera pas de mal ! Et n’oubliez pas d’en garder une pour votre beau-frère, il est reparti en direction de Versailles il y a quelques jours de fort méchante humeur, et je ne saurais dire si c’est à cause des finances de la guerre ou à cause des poèmes dont je l’ai harcelé durant son séjour à peine rétabli de ma fièvre. Si seulement vous aviez pu m’entendre, je crois que vous auriez été très fière de mon romantisme et de toute l’émotion que j’y ai mis. Je lui ai même dit d’un ton de désespoir à faire pâlir d’envie tous les tragédiens du monde : « Ma bouche disait “Je vous déteste, idiote” mais mes yeux disaient clairement “Aimons-nous pour la vie ! ». Hélas, il a eu l’air insensible à mes arguments.

J’entends que l’on m’appelle : ce doit être le roi qui a besoin de moi pour le distraire de ces affreux conseils de guerre plus ennuyeux que les funérailles d’une vieille tante. Je vais donc arrêter ici cette lettre, en priant Dieu pour que vous ne la jetiez pas au feu dans un accès de rancune en reconnaissant mon écriture et en pensant que je vous avais oubliée. Soyez assurée d’une chose ma chère Emilie : dans un camp comme celui-là, avant comme après la bataille, l’homme se raccroche naturellement à la pensée de ce qui le rend heureux, et la lecture de vos lettres et de vos aventures sont sans aucun doute l’une des rares choses qui m’empêchent de devenir un aussi triste sire que mes camarades, ce qui signerait ma fin ; je deviendrais alors un monsieur des plus gris, ternes et ennuyeux, ce qui me paraît plus abominable encore que la mort sur le champ de bataille. Vos lettres me rappellent qu’il y a encore de la joie et de la bonne humeur dans ce monde, et qu’avec un peu de patience, je pourrai bientôt rentrer à Versailles écouter vos aventures, vous aider à rédiger votre testament, tyranniser votre abbé et me faire tyranniser par vos enfants (oui Emilie, quoi que vous en disiez, ils me détestent : comment n’avez-vous pas reconnu la corde de pendu autour de mon cou sur le premier dessin ? Je les ai tout de même gardés, ils sont tout à fait charmants et me rappellent que la situation d’un homme à la cour est aussi éphémère qu’un papillon, félicitez vos enfants pour leur sens de la philosophie, voulez-vous ?). J’espère avoir le plaisir de vous revoir très prochainement, que ce soit à Versailles ou à Sceaux où je me ferais un devoir de venir vous soutenir si jamais votre cruel beau-frère vous y exilait ; c’est une chose que de vous imaginer avec un sourire gentiment moqueur à la lecture de mes lettres, mais c’en est une autre de vous voir face à moi, à désespérer de l’incompétence de ce cher Malingre.

Je demeure, Madame, votre très dévoué, très désolé, et très désireux de se faire pardonner,

Ferdinand d’Anglerays, lutin tout poussiéreux mais toujours joyeux.

P.S : Comme promis dans une précédente missive, voici une fleur séchée que j’ai ramassée il y a deux jours et mise à l’abri entre deux pages d’un livre substitué à mon ami Racine. J’espère qu’elle sera encore en un seul morceau quand elle vous arrivera, mais j’ai pensé qu’elle s’accorderait bien en pensée avec vos nouvelles robes simples, prenez cela comme ma première contribution à votre juste cause.

P.P.S : J'apprends que Louvois doit revenir à Versailles pour une affaire urgente : faites attention si vous le croisez, je crois bien lui avoir transmis mon vilain rhume.

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MessageSujet: Re: A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie /   A la guerre comme à la guerre / Ferdinand-Emilie / Icon_minitime05.12.13 1:22

Début mai 1667, après réception de votre lettre, Versailles.

Mon cher petit lutin,

Surtout, ne bougez pas ! Je viens de recevoir votre lettre et je n'ai pu que courir jusqu'à mon bureau pour prendre ma plume et vous envoyer ce message (j'ai cru comprendre que ce petit Malingre était parti buller à la messe de la chapelle royale, comme s'il n'avait pas autre chose à faire – je le soupçonne de chercher n'importe quelle occasion pour me fuir ces derniers temps). Bref, je saute dans la première voiture pour la Lorraine, il faut absolument que je vienne vous soigner, je suis terrassée par l'inquiétude (mais pas assez terrassée pour ne pas venir vous rejoindre, soyez rassuré). Par pitié, ne bougez pas de l'endroit où vous êtes actuellement, vous risqueriez de vous fatiguer inutilement et je pourrais vous retrouver plus facilement. N'ayez nulle crainte, j'arrive !

Votre chère et dévouée Émilie.

PS : Soyez assez aimable pour me faire préparer une tente où je puisse m'installer confortablement à mon arrivée.
PS bis : En réalité, j'annule mon rendez-vous avec mon beau-frère Colbert, j'essaie de retrouver mon cher abbé et j'arrive.


**
*

Début mai 1667, quelques heures plus tard, Hôtel de Vendières, Paris.

Mon pauvre petit lutin, seul et abandonné,

J'ai oublié de vous livrer quelques recommandations en attendant mon arrivée. À force de rester sous la pluie et de vous livrer à de terribles efforts physiques, vous avez dû attirer de forts mauvaises maladies, c'est un méchant rhume de poitrine qui est responsable de votre état. Surtout restez allongé le plus longtemps possible – je suis sûre que tout le monde s'inquiétera de votre état, vous ne devriez pas trop vous ennuyer (quand je serais là, je m'occuperai de les faire fuir, afin que vous puissiez réellement vous reposer), même pour aller à la messe, ne montez pas à cheval et évitez les banquets (même si je suppose que cela ne devrait pas vous poser trop de problème, y a-t-il des banquets en cas de victoire ?). Je vous conseille quelques exercices respiratoires, faites quelques flexions le matin puis le soir, puis des tours en courant de votre tente. Surtout ne buvez pas de vin, j'arrive avec des herbes médicinales, mon clystère et du chocolat. Vous devriez néanmoins vous procurer un clystère même avant mon arrivée afin de mettre en œuvre au plus vite le traitement, cela multipliera les chances de guérison. Couvrez-vous bien pour éviter que d'autres maladies ne vous attaquent.
J'ai dû surseoir à mon départ en songeant que je n'avais pas mon matériel avec moi à Versailles, il faut donc que je passe à Paris pour récupérer de quoi vous soigner. Mais je pars dès que possible car je ne supporte pas l'idée qu'il puisse vous arriver quelque chose aussi loin de moi, sans que je ne puisse rien faire. Tenez le choc, mon petit lutin !

Votre chère Émilie qui arrive au plus vite pour vous sauver

PS : J'oubliais, je joins là quelques herbes pour vous requinquer, ce cher Malingre est allé les chercher aux Halles, le quartier qui n'est pas encore dératisé malgré toutes mes demandes, soyez assez aimable pour apprécier tous les efforts qu'il fait pour vous. Il vient de dire qu'il va prier pour que vous soyez encore vivant pour l'en remercier de vive voix, j'ignore si son intervention sera très efficace mais il paraît que tout est bon à prendre.


**
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Toujours début mai 1667, Hôtel de Vendières, Paris

Mon petit lutin, j'oubliais ! Surtout ne mangez pas de viande, cela risque de faire empirer votre état, privilégiez le bouillon. N'ayez crainte, j'ai déjà attrapé des rhumes de poitrine et je m'en suis toujours vaillamment sortie, comme me l'a rappelé ce charmant petit Malingre qui est très motivé à partir en Lorraine comme vous l'imaginez. Vous êtes courageux et tout le monde s'accorde pour dire que vous avez la peau dure, débrouillez-vous pour survivre jusqu'à mon arrivée, sinon je vous promets que je vous ne vous le pardonnerais pas !

Émilie.

PS : Mon petit abbé est allé déposer un cierge en votre nom dans je ne sais plus quelle église parisienne, il paraît que cela peut provoquer des miracles. Je suis dubitative mais je n'ai pas osé le contredire, il prend votre guérison très à cœur, vous savez.


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Début mai 1667, Hôtel de Vendières, Paris

Mon cher et tendre lutin, que j'espère encore vaillant malgré toutes ces heures de souffrance loin de son médecin préféré,

Je viens de m'apercevoir que j'avais prévu un chocolat chez la reine demain après-midi et je ne peux hélas annuler, on ne dit pas non à la reine – d'autant plus que j'espère avoir des échos du petit scandale qui s'est déroulé autour de la princesse Farnèse et que je vous raconterai de vive voix (je suis certaine que vous apprécierez les anecdotes de la cour à mon arrivée, cela vous distraira de la vie au camp qui ne doit pas être très amusante et bien peu raffinée – même si j'ai entendu dire que le roi jouait de la guitare, ou n'est-ce qu'une rumeur ?). Mais ce contre-temps me permet de mieux préparer mon départ, j'ai en réalité beaucoup de bagages à faire et il faut que je réalise quelques sachets pour éloigner les miasmes pour mon voyage, cela serait quand même stupide que je vous arrive encore plus malade que vous, même si nous pourrions veiller l'un sur l'autre ! Je vous rapporte également la gazette, quelques livres pour vous occuper l'esprit, de nouvelles plumes et du papier pour que vous n'ayez aucune excuse pour ne pas m'écrire, ainsi que quelques pâtisseries parisiennes qui sauront toucher votre gourmandise. Mes enfants ont insisté pour que je vous rapporte l'un des lapins que j'utilise dans mon laboratoire mais cela risque de ne pas être pratique dans la voiture et je crains qu'il ne vous soit guère utile sur le front. Nous aviserons, si vous désirez un animal de compagnie, nous pourrons toujours le faire venir.
Je ne devrais hélas arriver que dans une dizaine de jours mais je vous promets de faire mon possible pour continuer à vous donner de mes nouvelles, n'hésitez pas de votre côté si vous constatez un changement dans votre état physique ou moral. Je veux tout savoir, ne m'épargnez aucun détail, ce n'est qu'ainsi que je serai la plus efficace. Ne me dites pas que vous êtes guéri uniquement pour me rassurer !

Votre très chère et très dévouée médecin.

PS : N'écoutez jamais le médecin du roi, c'est un imbécile qui n'a pas souscrit à la thèse de la circulation sanguine. Bon dans votre cas, cela ne change rien puisque vous avez un rhume de poitrine, mais avouez que cela pousse à la suspicion.
PS bis : A la réflexion, je ne suis pas certaine que le médecin de la reine soit meilleur mais je lui en parlerai demain, je suis sûre que ses dames de compagnie seront touchées par votre sort. Mon petit abbé Malingre me dit que vous n'y avez guère d'amis mais l'idée qu'on puisse ne pas vous apprécier me paraît assez saugrenue pour ne pas lui accorder crédit de ses mauvaises paroles. Elles doivent tellement s'ennuyer chez Marie-Thérèse en plus, vous devez y être accueilli comme le Messie !
Dernier PS : Avez-vous réussi à avoir la tente et la couchette que je vous avais demandées ?


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Mai 1667, Versailles.

Monsieur d'Anglerays,

Je me fends d'une missive à votre égard pour vous signaler que je viens de rencontrer madame Émilie Colbert, l'épouse de mon frère Nicolas, laquelle vient de signifier qu'elle désirait partir en Lorraine auprès des soldats parce que vous l'auriez convaincue de s'y rendre. Je ne sais comment vous vous y êtes pris pour la faire sortir de Paris mais je tiens à vous dire qu'il n'est guère honorable de mettre en danger madame Colbert ni même de lui raconter que vous êtes malade car j'ai pu constater par moi-même qu'il n'en était rien. Vous seriez aimable de ne plus chercher à la faire se rendre sur le front car je ne crains que cela ne se termine mal pour elle, au vu de son état de fragilité, je pense que vous serez de mon avis pour dire que sa place est à Paris.
Pour le reste, nous nous sommes déjà parlés à la table du roi.

Cordialement,
Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des finances, surintendant des bâtiments, arts et manufactures.


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Mai 1667, Hôtel de Vendières, Paris.

Mon cher petit lutin tout poussiéreux,

J'espère que vous ne vous lassez pas de mes missives mais hélas, j'étais obligée de vous envoyer celle-ci pour vous dire que je ne pourrais, hélas, pas venir comme je l'avais prévu – et que je dois ralentir mon rythme d'envoi de lettres car selon ma chauve-souris de beau-frère, je monopoliserais les messagers en partance pour la Lorraine. J'ai été horrifiée de l'apprendre, vous l'imaginez bien, mais je maintiens que s'il avait des ordres à donner pour la guerre, il pouvait toujours donner ses lettres pour le roi en même temps que les miennes pour vous. Il m'a répondu que les siennes avaient plus d'importance. Comme si le roi appréciait plus d'avoir de ses nouvelles que vous des miennes ! Néanmoins, je me dois d'obéir et j'ai également songé que vous deviez être las de devoir payer pour recevoir mes lettres. Je vous envoie donc également une petite somme pour que vous puissiez toujours les recevoir, on ne sait jamais. Mon cher beau-frère m'a marmonné également que vous étiez dans une forme excellente et qu'il n'a pas constaté que vous étiez malade à moins, je cite, que cela vous « rende encore plus insupportable que d'habitude ». J'en ai conclu que j'avais lu votre missive trop rapidement et que vous étiez entièrement remis. Mais si jamais n'importe quel symptôme vous clouait à nouveau au lit, mettez en application mes conseils et je vous promets solennellement que je serais cette fois-ci à votre chevet.

Avec toutes ces émotions, j'en ai oublié de vous secouer pour m'avoir répondu si tard mais je suppose que cela est une bonne excuse – même si vous auriez pu dicter une lettre pour moi tout de même. J'ai tout de même failli mourir d'inquiétude, je me suis rongée les sangs pour vous, et j'ai même cru que vous m'aviez oublié. Pendant de longues journées, j'ai songé à votre ingratitude à mon égard et à votre mémoire si courte, alors que vous prétendiez que j'étais votre amie. J'imaginais que du loin de vos exploits militaires (dont je ne doute pas), couvert de gloire comme vous devez l'être, vous ne vous souveniez plus de votre camarade d'aventures qui se languissait de vos aventures. Je vous voyais même galopant de contrées en contrées, sans prêter attention aux risques d'épidémie, prenant risque sur risque, couvert de blessures qui risquaient à chaque instant de s'infecter... Comme j'étais loin de la vérité et comme je regrette de vous avoir si mal jugé ! Mais voyez-vous, si vous deviez m'oublier définitivement, je crois que mon cœur se briserait en milles petits morceaux et que j'en mourrais, tant sans votre présence, je m'ennuie et je tourne en rond. Sachez bien que la vie est beaucoup moins légère et moins drôle depuis que vous êtes parti, et vos lettres sont des rayons de soleil dans une existence bien morne. J'ai tellement hâte que cette guerre qui vous éloigne de Paris se termine afin que vous puissiez rentrer ! Ne vous est-il pas possible, après votre terrible maladie, de prendre quelques jours de congés pour venir nous saluer ? Je suis certaine que ni mon beau-frère, ni le roi n'y trouverait à redire car vous les avez servi au péril de votre vie et il est temps que vous preniez un peu de repos. Si cela vous est possible, je vous conjure de venir me rendre visite, je suis prête à vous accueillir à tout instant, j'ai du chocolat et des enquêtes à vous confier (dont même monsieur de La Reynie n'est pas au courant), je crois avoir besoin de votre aide.
Et si cela ne suffit pas, sachez que je suis très en colère de votre silence et qu'il vous sera sans doute nécessaire de venir quémander mon pardon à genoux. Après tout, l'amitié est bien plus importante que d'éventuelles batailles qui ne donnent aucun résultat concret et je déteste l'idée de vous savoir en train de vous battre.

J'ai le plaisir de vous annoncer que je ne suis pas encore morte moi non plus, comme vous vous en rendez compte, c'est même moi qui tiens la plume puisque mon petit abbé Malingre a encore disparu dans la nature – après avoir tenté de m'empoisonner, je crains qu'il ne cherche à me quitter et à se trouver une autre place, comme s'il pouvait trouver une meilleure maîtresse que moi, aussi indulgente ! À moins qu'il n'ait lu par hasard votre dernière missive, et qu'il craigne que je ne mette à exécution votre défi, ce qui, j'avoue, n'est pas encore le cas car je n'ai pu m'y pencher pour le moment. Mais je vous promets que cela serait fait la prochaine fois que je vous verrais ou que je vous écrirais, j'en ris par avance ! Une couronne de fleurs est d'ors et déjà réservée à mon cher beau-frère. Entre nous, je crains que mon petit abbé n'ait guère été motivé par la perspective de passer quelques temps en Lorraine, lui aussi doit craindre les maladies mais je ne le trouve pas bien courageux ! Pour sauver quelqu'un tel que vous, il faut bien sortir un peu de son confort mais les abbés ne sont plus ce qu'ils étaient. Quand je lui ai rappelé qu'au Moyen Âge, ils allaient jusqu'en Hongrie pour convertir les hérétiques, il a marmonné qu'il n'y avait pas besoin d'aller aussi loin pour en trouver en notre temps. A-t-on déjà vu pareille insolence ? Les nouvelles sont plutôt bonnes à la cour, mes frères s'occupent de la Ménagerie de notre bon roi et figurez-vous que malgré mes conflits avec ces messieurs de la Sorbonne que j'ai qualifié d'Aristote dégarnis, Charles a décidé de faire représenter Claude de manière allégorique en Aristote sur l'un des dessus de porte du château pour rendre hommage à ses travaux. Je ne désespère pas de le convaincre de me faire représenter en Hypathie, rien que pour avoir le plaisir de voir la tête de tous ceux qui me détestent en me voyant tous les jours trôner au-dessus d'eux ! J'ai néanmoins eu une discorde avec le groupe qui veille à la sobriété des vêtements en ces temps de deuil et auquel je vous ai fait souscrire : j'ai été ravie de voir votre enthousiasme mais figurez-vous qu'ils ont osé critiquer mon port des pompons. Comme si les pompons changeaient quoi que ce soit à la richesse de nos costumes ? Ce ne sont pas à cause d'eux que les dames sont happées dans les flammes des cheminées. Je vous laisse imaginer : ce fut la guerre du pompon. J'ai défendu son port qui donne élégance à la silhouette, j'ai été radiée du mouvement et pendant quelques jours, ce fut la guerre dans les couloirs de Versailles. Mais je suis soulagée de vous dire que j'ai gagné, ce ne sera pas la fin du pompon ! Pour agacer toutes ces vieilles folles si méprisantes, je suis allée à Versailles vêtue de mes plus riches atours, couverte de bijoux, avec une robe si large que je ne passais pas les portes. Si j'ai beaucoup ri en voyant leur air outré, je ne recommencerai pas l'expérience, ce fut un calvaire de me déplacer et j'ai à peine pu m'asseoir de l'après-midi, sans compter que je ne cessais de buter sur les portes et sur des personnes que je ne voulais pas voir. En conséquence, j'ai décidé de créer mon propre mouvement : nous gardons l'idée des robes simples et sobres pour protéger les dames des cheminées mais nous conservons également les pompons. Je vous ai inscrit d'office.

Je vous conjure de me donner quelques-unes de vos nouvelles car je me languis de vous, prenez donc une plume et écrivez-moi une lettre pour répondre à mes inquiétudes et mieux encore, venez me l'apporter vous-même pour que je puisse constater moi-même de votre vigueur et de votre bonne humeur !

Votre très chère et très admirée Émilie.

PS : Mes enfants ont été félicités pour leurs beaux dessins, ils ont promis de vous en faire d'autres avec des lapins et des chasseurs, apparemment. Je n'ai pas bien compris le thème mais vous aurez la surprise la prochaine fois.
PS bis : Je vous remercie pour la fleur que vous m'avez envoyée, j'envisage de commencer un herbier. On sous-estime le pouvoir des plantes dans la guérison des malades. Pour le moment, je la garde sur mon bureau afin de penser à vous.
Dernier PS : Je n'ai pas croisé monsieur Louvoir qui me fuit comme si j'étais la peste en personne mais en revanche, j'ai pu constater que mon beau-frère était enrhumé. Mon petit lutin poussiéreux, je crois que vous avez lancé une épidémie à Versailles !
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