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 [Senlis – Duché de Valois] Dans toutes les existences, on note une date où bifurque la destinée

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MessageSujet: [Senlis – Duché de Valois] Dans toutes les existences, on note une date où bifurque la destinée   [Senlis – Duché de Valois]  Dans toutes les existences, on note une date où bifurque la destinée Icon_minitime28.01.13 20:00


[Senlis – Duché de Valois]  Dans toutes les existences, on note une date où bifurque la destinée Tumblr_m1apff0XIO1qfndl6o1_500


Au moment où elle pénétra dans la nef de la cathédrale Notre-Dame de Senlis, Gabrielle de Longueville marqua un temps d'arrêt. Ses yeux verts à l'éclat métallique se promenèrent lentement sur la scène qui s'offrait à elle, passant de personne en personne – il y avait là tant de visages connus – mais ne s'arrêtèrent que sur l'immense dais de couleur pâle qui surplombait le chœur du majestueux édifice gothique, éclairé à la fois par la faible lueur venue de l'extérieur, faible car seuls quelques rayons de soleil avaient réussi à déjouer les nuages gris qui déversaient une pluie discontinue depuis plusieurs heures, faible lueur qui se transformait en éclats multicolores en passant au travers des vitraux colorés, éclairé aussi par des centaines de bougies tremblotantes comme autant de réminiscences de ces hommes et de ces femmes passés là au fil des siècles. Sous ce dais ocre, cousus de fils d'or, se tenait deux hommes debout et seul l'évêque revêtu de pourpre comme l'exigeait sa fonction lui faisait face, arborant un air terriblement sérieux mais bienveillant. Partout, dans cette profusion de draperies, de soieries, aux quatre coins du dais, sur la crosse de l'évêque, se trouvait cette fleur de lys, symbole des deux maisons qui allaient s'unir cette journée-là, sous l'égide de laquelle se faisait la cérémonie et dont la forme ressemblait, aux yeux de Gabrielle, étrangement un glaive. Celui qui s'enfonçait lentement mais sûrement dans le dos d'un tyran et d'un prince illégitime. Bannière sanglante d'un mariage fastueux mais promesse pour le futur. La jeune femme se sentit détournée de ses pensées par une légère poigne sur son bras et détourna le regard sur son oncle qui lui servait de père le temps de remonter l'allée centrale jusqu'à l'autel où elle allait être mariée avec la bénédiction divine. Louis de Condé avait un fin sourire compréhensif et toute l'affection qu'il ressentait pour sa nièce se lisait dans son expression sévère que Gabrielle lui avait toujours connue mais emplie d'une tendresse qui faillit lui faire monter les larmes aux yeux.

- Êtes-vous prête ? Lui chuchota-t-il comme s'il pouvait en être autrement et comme s'il pouvait faire quelque chose si ce n'était pas le cas.
Gabrielle de Longueville se contenta de hocher la tête en silence et ce fut le héros de Rocroi et le roi de la Fronde qui l'attira doucement dans la nef alors qu'au même instant l'orgue de la cathédrale faisait résonner tout l'édifice, scandant les pas assurés de la jeune femme tout comme les battements de son cœur et les invités se levaient dans un même ensemble. L'attention générale était fixée sur elle mais elle releva le menton comme elle en avait l'habitude. Rien ne pourrait la toucher ce jour-là alors qu'elle traversait la foule qui s'était réunie à Senlis, foule faite des plus grands princes du sang du royaume et aussi des plus dangereux, du clan Condé dans son intégralité et de toute la noblesse du Valois, foule chatoyante qui avait sorti ses plus beaux atours, ces robes éblouissantes, ces plumes multicolores qui ornaient les chapeaux que ces messieurs tenaient à la main, ces rivières de pierreries qui coulaient le long des cous. Mais la jeune femme dans son vêtement de soie dorée, coiffée d'un chignon et de simples boucles, comme indifférente à cette débauche de luxe, se savait inatteignable. Cette cérémonie si grandiose, la raison pour laquelle on avait réussi à faire venir tant de grands noms dans cette ville proprement royale où Hugues Capet avait été choisi, manifestant l'élection divine de la dynastie des Capétiens puis des Valois, où saint Louis avait résidé, c'était tout d'abord la sienne. Au fur et à mesure qu'elle avançait, les visages devenaient de plus en plus familiers et de plus en plus amicaux. Elle distingua sur un côté le profil de Cédric de Portau qui était présent comme il l'avait toujours été pour ses amis. Elle devina dans l'ombre d'une travée à l'écart la silhouette de Perrine Harcourt, son mauvais ange qui l'accompagnait partout tel un diable de malice et de méchanceté. Et sur les bancs les plus proches du chœur, avaient été placé les membres de sa famille. Sa mère avait un visage pâle mais souriant, encadré par le voile sévère du Carmel qui l'avait exceptionnellement laissée venir jusque-là. Aux côtés de celle-ci, il y avait son frère, Paris, l'adoré comme le détesté et leurs regards se croisèrent sans hostilité, comme vaincus par la solennité de l'instant. Gabrielle eut un geste vers lui et il lui saisit la main, la serra quelques instants. Elle n'ignorait pas qu'il avait voulu la voir mariée, éloignée mais plus aucune de ses contrariétés n'existait sinon cette tendresse qui les liait pour ce petit moment. Bien court car presque immédiatement, son oncle l'obligea à se tourner vers lui. Il ne lui adressa pourtant nulle parole et se contenta de donner le bras qu'il avait si fermement tenu à celui auquel elle allait s'unir pour le reste de son existence, cet homme blond, grand, vêtu d'un costume élégant associé à sa robe et dont le regard vert perçant effrayait ses ennemis autant qu'il rassurait Gabrielle. Hector de Valois.

L'évêque Denis les obligea à s'agenouiller sur des coussins au pied de l'autel où les dominaient des scènes du couronnement de la Vierge et de sa montée aux cieux pour déjà commencer sa longue récitation de la Bible, ces mots que tous les assistants connaissaient par cœur, autant de paraboles du mariage, de l'amour et du respect entre deux conjoints, comme si Dieu devait vraiment présider à la cérémonie. Mais après tout, ne veillait-il pas sur les rois Très-Chrétiens, n'avait-il pas davantage choisi ceux qui étaient restés fermes dans leur conviction plutôt que la branche du huguenot ? Il avait permis que tous se retrouvent cette journée-là que pour faciliter Son dessein et Gabrielle était encore étonnée de la façon dont les événements s'étaient enchaînés ces dernières semaines pour la conduire jusqu'aux pieds de l'autel de la cathédrale de Senlis, prête à lier sa vie à celle de celui qui avait un grand frère et un ami avant tout. C'était bien la surprise qui avait dominé tout le reste de ses sentiments quand Hector était venu la voir peu de temps après les épousailles des souverains de Malte pour s'agenouiller devant elle et lui proposer cette alliance. Une alliance profondément logique au vu de leur rang et de leurs convictions respectives mais qui n'avait jamais traversé l'esprit de la jeune femme. Pourtant qui était plus digne qu'elle de porter le nom de Valois, elle qui s'était tant battue pour faire reconnaître les droits d'Hector, qui lui avait consacré son entière existence ? La perspective de porter en son flanc les futurs enfants du sang de France l'avait séduite puis convaincue. Qu'est-ce qui aurait pu la pousser à hésiter ? Elle avait choisi de renoncer à Guillaume du Perche qui n'existait plus désormais que dans ses souvenirs, elle avait déjà vingt-et-un ans et sa mère la poussait à trouver époux et jamais elle n'aurait pu trouver meilleur parti qu'Hector. Dans ce monde fermé de la haute noblesse où les mariages n'étaient qu'affaire d'intérêt et de compromis, où l'on s'épousait au sein des mêmes familles pour perpétuer la pureté de ce sang bleu, le contrat que passaient Hector de Valois et Gabrielle de Longueville était intéressant en plus d'être logique. Et au moment où l'évêque allait appeler les deux fiancés à échanger leurs vœux, la jeune femme n'eut qu'un seul et unique regret, l'absence de son père, mort avant d'avoir vu sa fille porter alliance, mort avant d'avoir connu ses petits-enfants. Combien aurait-il été ravi de savoir que son protégé allait véritablement entrer dans la famille !

Gabrielle de Longueville n'eut pas un seul instant d'hésitation au moment de prononcer le « oui, je le promets » consacré même le déferlement de ses pensées faillit l'empêcher de répondre. C'en était fait. Elle se relevait femme mariée et l'homme qu'elle fixa droit dans les yeux et auquel elle adressa son premier véritable sourire de la journée était son époux. Elle sentit plus qu'elle ne vit Hector se pencher vers elle et déposer ses lèvres sur les siennes, ne ressentant à ce contact nulle émotion sinon celle de la satisfaction d'avoir fait ce qui devait être fait. Elle sursauta à peine lorsque les cloches de la cathédrale se mirent à sonner à toutes volées du haut de leur flèche qui pouvait être vue dans toute la plaine du Valois, alertant toutes les possessions de son époux du mariage de leur duc. Le contrat fut signé sous les exclamations de joie et malgré tout à ce quoi elle renonçait, son duché de Longueville, sa dot qui comprenait le comté de Dunois, sa liberté, Gabrielle inscrivit son nom d'une main qui ne tremblait pas. Ceci fait, Hector lui prit enfin le bras et ils purent sortir sur le parvis de la cathédrale, devant le portail moyenâgeux aux longues figures pleines de grâce. La jeune femme fut un instant éblouie par la luminosité et eut l'impression d'être une reine du Moyen Âge. Résonnaient autour d'eux comme des « Vivat » réservés au couronnement royal qui grisaient Gabrielle. Cet instant où elle fit face à une foule dense composée des gens les mieux nés du royaume mais aussi des véritables sujets de son époux, les siens désormais, sentant la chaleur du corps de son allié et mari fut sans doute le plus euphorisant de toute sa jeune existence. Tous les regrets, les amours déçues, tout ce qui la ramenaient à son innocence – si tant est qu'elle avait un jour été innocente, elle la fille de la Fronde – tout s'effaça sans exception comme une brume qui se dissipe. Il lui fallut croiser le regard de son oncle ou de son frère pour qu'elle puisse revenir sur terre. Le véritable combat ne faisait que commencer mais ce jour qui avait vu deux lys de la maison de Valois s'unir alors qu'une guerre meurtrière approchait, guerre qui avait fait précipiter la date du mariage et avait encouragé au choix de Senlis, ville qui permettrait à Hector de rassembler ses vassaux, ce jour donc marquait le début d'une nouvelle ère plus favorable à tous ceux qui souhaitaient s'élever contre la tyrannie.

Le reste des festivités dura jusqu'à une heure avancée de la nuit et réunit tous les invités dans l'immense hôtel particulier où résidaient les ducs de Valois lorsqu'ils venaient en ville. Les dépenses avaient été somptueuses et aucune des deux familles n'avaient rechigné à participer. Des banquets avaient même été dressés de manière exceptionnelle pour les habitants de la cité et des aumônes attribuées aux plus nécessiteux, permettant que l'atmosphère de réjouissances s'empare de tout Senlis qui n'avait pas vu cela depuis que les dernières entrées royales au Moyen Âge. Au sein du repas donné en l'honneur des époux, le vin coulait à flot tout comme les mets rapportés de Paris. Gabrielle puisait dans toute sa maîtrise d'elle-même pour ne pas se laisser dépasser par les événements et recevait les hommages des bourgeois venus saluer leur nouvelle duchesse et lui distribuer des cadeaux généreux. Le plus beau fut sans doute un collier d'or et de pierres précieuses offert par la confrérie des orfèvres de Compiègne. Connue pour son amour de l'art et des belles-lettres, on lui remit également des tableaux de maîtres et des manuscrits précieux. Mais trônant à la table devant laquelle on dansait au rythme d'un groupe musical choisi par son époux, Gabrielle souriait surtout à Hector qui observait les faits et gestes de chacun d'un air qui lui parut un peu ironique. Elle n'était pas dupe, elle savait bien que tout ceci n'était que mise en scène, mise en scène d'un pouvoir et d'une puissance qui avaient besoin de s'affirmer et d'être célébrée. Qu'était Versailles et ses nobles indifférents à leur sort pour toutes ces personnes ? On était d'abord fidèle à un duc, surtout s'il se montrait généreux et libéral. Toujours exister malgré ce roi omnipotent qui voulait toute l'autorité.

Les convives se fatiguaient au fur et à mesure que la soirée avançait et le vin n'arrangeait rien. Gabrielle gardait pourtant l'esprit très clair et embrassa sa mère qui fut la première à renoncer. Anne-Geneviève avait été de ceux qui l'avaient poussée à se marier tout en comprenant sa soif de liberté et sa force. Derrière le voile de la Carmélite se dissimulait le modèle même de Gabrielle. Et si leurs relations n'avaient pas toujours été parfaites, elles étaient semblables. La nonne lui souhaita bonne chance et se retira. Bientôt, elle fut imitée alors que l'excitation et la tension ne quittaient pas les veines de la jeune mariée. Il était pourtant temps. A son tour, elle partit et après avoir emprunté un dédale de couloirs, guidée par des servantes, elle parvint jusqu'à sa chambre. Les bruits de la fête diminuaient au fur et à mesure de son avancée, tout comme elle prenait conscience du froid terrible qui régnait dans cette demeure. Dans la pièce qu'on lui avait réservé, elle trouva Perrine qui l'accueillit avec une mine compatissante et l'aida à se dévêtir en échangeant quelques futilités avec sa maîtresse. En quelques dizaines de minutes, Gabrielle se retrouva en chemise de nuit, les cheveux dénoués tombant en cascade sur ses épaules et démaquillée, seul le rose de ses lèvres rehaussait son teint si pâle. Perrine allait sortir quand la jeune femme la retint et la fixa quelques instants :
- Perrine... Je voulais te remercier pour tout... Je sais que tu n'aimes guère Hector mais crois-moi, tout est pour le mieux.
Sans en ajouter davantage, elle serra sa meilleure amie dans ses bras, émue malgré elle avant de la relâcher et de lui faire signe de sortir. Son époux n'allait plus tarder. De fait, elle eut à peine le temps de s'asseoir sur le lit que la porte s'ouvrait sur le visage d'Hector. Gabrielle ne put s'empêcher de frissonner devant son regard si ardent et son cœur se mit à battre un peu plus vite. Elle s'approcha de lui pour l'inviter dans la chambre, fermant le battant derrière lui et déposa un baiser sur ses lèvres, tentant de faire fi qu'elle le connaissait depuis toujours, tout en lui murmurant :
- Je vous promets que je vous donnerai un fils, un héritier.
C'était bien là tout ce qu'elle désirait. Et ce fut ainsi, sous les lumières vacillantes des bougies de sa chambre qui s'éteignirent toutes les unes après les autres, tout comme ce feu qui crépitait dans la cheminée avant de ne laisser que des cendres, que se termina cette journée qui venait de bouleverser la vie entière de Gabrielle de Longueville.

A peine quelques jours plus tard, Hector de Valois dut quitter sa jeune épouse pour rassembler ses troupes et partir en direction de la Lorraine où les combats l'attendaient. Il promit de revenir au plus vite mais la jeune femme n'était pas dupe. Elle ignorait toutefois qu'elle ne le reverrait plus jamais.
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