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| Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] | |
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| Sujet: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 07.04.11 13:06 | |
| Les lendemains de soirée sont toujours difficiles. Et il n’y a d’autre remède à la gueule de bois qu’un petit verre de Porto. Du moins, une gueule de bois normale. La soirée de la veille avait été… riche en rebondissement, dirons-nous. Et le mal de tête qui m’avait tenue clouée au lit ce matin là n’avait rien à voir avec les rares verres de champagnes – ou vin, je ne savais plus trop, et ce détail était pour le moins minime par rapport au reste de la nuit – que j’avais pu boire la nuit dernière. La douleur venait d’autre chose. J’aurais dû, comme tous les matins, me présenter à la ménagerie à huit heure précise. Mais j’en avais été incapable. Il m’avait fallut une bonne demi heure pour oser enfin me redresser. Mon corps entier me faisait mal. La chute avait été violente, et sans merci. Quand enfin j’avais réussis à me lever, ma femme de chambre avait eut la bonne idée de me préparer un bain brulant. Je lui en étais gré. C’était exactement ce dont mon corps tuméfié avait besoin. J’avais à peine osé me regarder dans la glace, pourtant, il avait bien fallut que je constate l’étendue des dégâts.
Outre l’estafilade à la main, profonde certes, et gênante, mais sans gravité à long terme une fois soignée, j’étais couverte d’hématomes qui ne pardonnaient pas, allant du bleu roi – quelle ironie – au violet vif. Charmant arc en ciel… Je doutais que cela plaise à Julien si jamais il me voyait ainsi. Une nouvelle dispute aurait eut tout son charme. J’avais l’impression, à chaque moindre petit mouvement que j’effectuai, que mon corps allait se briser en mille morceau. La douleur semblait permanente et d’égale soutenance, ne me laissant pas de répit. Malgré les baumes appliqués sur les marques, il me faudrait plusieurs jours pour m’en remettre, à mon plus grand désespoir. Une fois le bain pris, et une robe d’après-midi, simple malgré le corset de rigueur qui soutenait ma taille fine, enfilée, et le léger bandage passé autour de ma main droite meurtrie, mes cheveux noirs attachés le plus simplement du monde par un ruban, sur le côté, les ramenant sur mon épaule, j’avais trouvé le courage de me trainer dans la causeuse du salon, la carafe de porto à portée de main, et un livre à côté. La chaleur, pour un mois d’Avril, était incroyablement agréable, et les fenêtres étaient laissées entr’ouvertes, laissant la brise jouer dans les voilages.
Peu à peu, alors que jusqu’à cet instant, j’avais refusé à mon esprit le loisir de revenir sur les évènements de la veille, je le laissais faire peu à peu. Comment avais-je pu être idiote à ce point ? Enfin… Ce n’était pas directement ma faute. Les tables de jeu, l’ambiance égale à d’habitude, je n’avais pas encore joué, et tout d’un coup, les mousquetaires… Cette bande de soudards en uniforme royal se pensant mieux que d’autres parce qu’ils appartiennent à un corps d’élite. Ah ! Comme c’était drôle ! Il ne valait pas mieux que les autres, certes non. Allongée sur la causeuse, je revoyais ma course poursuite, désespérée, à travers les différentes pièces de la demeure sensée être abandonnée, et le piège au bout. Et Froulay, qui était là. Encore lui. Ce petit freluquet m’avait provoquée, me pensant sans doute moins habile que lui. Grossière erreur que j’aurais pu lui faire payer, insultes que j’aurais fais rentrées dans sa gorge si j’en avais eus l’opportunité. Si nous avions été seuls. Mais quand tout un détachement se trouve à proximité, il ne vaut mieux pas tenter le diable. Alors fuir, oui, pour mon propre salut, parce que je préférai mourir plutôt que finir enfermée entre quatre murs.
Et les épées tirées. Il se battait bien, c’était une chose qu’il fallait lui accorder. Mais pas assez pour m’empêcher de lui échapper, même si la marque de cette échauffourée resterait gravée de manière indélébile sur ma paume, je le craignais. Je ressassais encore et encore les évènements de la veille. Rien que de penser à ma chute, la douleur se ravivait encore, alors qu’elle commençait à s’estomper peu à peu. Les marques ne me faisaient souffrir que quand un contact un peu trop brutal les touchait. Je revoyais la tête de Toinette, paniquée, lorsque j’étais arrivée, la main sanguinolente, couverte de sueur, et le regard sans doute enfiévré par ma fuite. La pauvre… Je lui en faisais vraiment voir de toutes les couleurs ces dernières années. Et dire qu’elle pensait que depuis que j’étais la maitresse de Julien, tout se calmerait. Grossière erreur. On ne me changerait hélas pas. Je n’étais même pas sure de vouloir changer un jour, et tout ce que j’avais rêvé plus jeune, un mari, des enfants, dans un manoir semblable à celui qui m’avait vu grandir, n’était plus aujourd’hui que vastes chimères qu’il me fallait oublier à jamais. Amère, certes, mais pas aigrie pour autant. Savoir tirer profit de chaque situation était devenu une seconde nature chez moi.
J’en étais là de mes réflexions quand la porte de l’antichambre s’ouvrit, laissant entrer ma servante, visiblement gênée de me déranger. Elle s’approcha de moi, et me souffla à l’oreille :
-La demoiselle que vous aviez conviée vient d’arriver. Dois-je… dois-je la renvoyer ?
Elle n’alla pas plus loin, mais je voyais bien dans son regard qu’elle pensait que je n’étais pas en état. Regard que j’ignorai royalement. La demoiselle ? Quelle dem… Mais quelle idiote ! Quelques jours plus tôt, j’avais envoyé un pli à une jeune femme rencontrée dans la rue, il y a un mois, tout au plus. Son comportement et ses manières, dignes de la cour, m’avaient étonnée. Je ne l’y avais pourtant jamais croisé. Quelle était son nom déjà ? Ah oui… Elodie… Charmant. D’un bon, oubliant bleus et blessures, je me mis sur mes pieds, grimaçant un instant, et faisant face à mon miroir pour m’assurer que, malgré mon absence de maquillage et la simplicité de ma mine, j’en restais pourtant présentable.
-Tu plaisantes ? répondis-je finalement à Toinette. Fais-la entrer tout de suite.
Après un dernier regard critique à mon miroir et rabattue une mèche rebelle derrière mon oreille, je me retournais vers la porte d’entrée que Toinette était allée ouvrir, un sourire charmant et charmeur aux lèvres. Toujours séduire son auditoire, quel qu’il soit. Je me rappelais avoir été très curieuse d’en apprendre plus sur cette jeune personne sensiblement du même âge que moi. Enfin la porte du salon se rouvrit sur mon invitée, et Toinette nous laissa. Ramenant dans un geste le châle dont j’avais pris soin de me munir un peu plus surement sur mes épaules, je franchis la distance qui nous séparait, en lui tendant les mains pour y prendre les siennes :
-Elodie, ma chère, je suis ravie que vous ayez accepté mon invitation ! Mais je vous en pris, asseyez-vous.
Je désignais la causeuse où j’étais allongée quelques instants auparavant.
-Désirez-vous boire quelque chose ?
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 13.04.11 11:58 | |
| La Cour. Lieu de fastes banquets, d’or et de paillettes. Lieu de vices, de complots et de médisances. Lieu de luxe, d’amours interdits et d’aventures galantes. La Cour, lieu du pire comme du meilleur, mais avant tout… lieu dans lequel, Elodie, sans sa casaque de mousquetaire et dépourvue du masque d’Eric, s’était plus ou moins imposé de ne pas mettre les pieds. Plus ou moins, car il faut toujours quelques exceptions pour confirmer la règle, n’est-ce pas ? Et surtout car, c’était un fait, la tentation de l’interdit avait bien souvent le pas sur les raisonnables résolutions de la jeune femme. N’en témoignait rien que cette double identité qui était loin, très loin de se plier à une quelconque raison – et de cela, Elodie en était parfaitement consciente. Tout comme elle était consciente du risque qu’elle prenait, ce jour-là, en se rendant à Trianon en dépit de tout ce qui aurait voulu qu’elle décline l’invitation qui lui avait été lancée, quelques jours plus tôt, par cette femme rencontrée au détour d’une rue. Isabelle devait avoir à peu près son âge et surtout, posséder un certains nombre de point commun avec elle, à commencer par celui de ne pas supporter la façon dont parfois, le sexe faible – disait-on – était traité par son opposé. C’est en défendant toutes deux une inconnue dans une ruelle versaillaise qu’elles s’étaient rencontré, trouvant là une excellente raison pour s’entendre. Des points communs, oui… et elles n’imaginaient pas à encore à quel point – bien que, dans ces domaine, les choses soient sur le point d’être réglées. Quelques moments encore, et enfin les deux demoiselles pourraient saisir l’absurdité presque comique de leur situation… et de leurs deux relations. Une amitié naissante et un mépris enraciné. Paradoxe qu’elles avaient admirablement réussi à tenir, et ce sans même s’en rendre compte. Le hasard joue parfois des tours que peu sont ceux à pouvoir ne serait-ce qu’envisager.
Aussi est-ce sans se douter de quoi que ce soit qu’Elodie se dirigeait rapidement vers Trianon. Une Elodie dépourvue de son double masculin et prenant garde à croiser le moins de monde possible. Si cette histoire de sœur Froulay en plus des deux frères lui permettait un peu plus de libertés, il ne demeurait pas moins dangereux pour elle de paraître à la Cour. La ressemblance, troublante, avec Eric pourrait être remarquée puis remise en questions… Même indirectement, ou d’abord discrètement. Les rumeurs, à Versailles, se répandaient comme une traînée de poudre, il aurait fallu être un enfant pour ne pas s’en douter. Or les rumeurs viendraient à bout de la supercherie sans doute aussi sûrement qu’une lame bien placé le ferait de sa vie – inutile de se bercer d’illusions : découverte, elle ne pouvait espérer rien d’autre que ce châtiment, et encore le souhaiterait-elle plutôt que d’être enfermée dans elle ne savait quel couvent ou autre maison de ce genre. Ses besoins de liberté n’y survivraient pas, et elle avec. Tout comme l’honneur des Froulay en prendrait un coup dont il serait difficile de se relever… Raison pour laquelle elle emprunta un chemin, certes plus long, mais bien moins fréquenté pour se rendre chez Isabelle, dont l’invitation lui permettait de s’évader un moment de trop nombreux conflits qui hantaient ses pensées ; et auxquels il aurait fallu que jamais elle ne puisse seulement songer. Mais comment l’oublier, alors qu’approchait à grands pas le jour de leur prochaine rencontre ? Si les sentiments qui la troublaient avaient à mener une lutte acharnée contre – là encore – ce qui lui restait de raison, Elodie ne pouvait ignorer le plaisir qu’elle avait et aurait à revoir le jeune Duc, après un an de silence durant lequel elle n’avait pu l’oublier. Plaisir entaché, néanmoins, par ce lourd secret qu’il était impossible de lui confier… Ce même secret qui, aujourd’hui, allait prendre un coup. Et surtout, un nouveau cours.
Ponctuelle, la jeune femme se présenta à la porte de ses appartements quelques minutes à peine après l’heure convenue avec Isabelle. Vêtue d’une robe simple, tirant du blanc vers un vert très pâle, travaillée avec talents sans attirer l’attention, elle jeta à son reflet un regard inquisiteur. L’image qui le miroir installé là lui renvoya arracha sur ses lèvres une moue énigmatique. Sa chevelure fauve retombant en cascade sur ses épaules, elle était bien loin du mousquetaire dans le costume duquel, pourtant, elle passait le plus clair de son temps. Quelques anglaises naturelles échappées à sa surveillance était même venues se former, profitant de la liberté qui leur était rarement laissée. Avec un vague soupir, Elodie se retourna. Elle ne regrettait rien de sa vie de salon qui, si elle s’en était contentée, l’aurait sans doute déjà vue mariée à un homme à la fortune, certes convenable, mais dépourvu du moindre sentiment envers elle et peut-être même du double de son âge. Une cage, avec pour seule différence vis-à-vis du couvent d’être dorée. Pis encore. Doucement, elle frappa à la porte de son hôtesse du jour, un sourire avenant sur les lèvres. Et dès lors que le battement s’ouvrit, elle laissa derrière elle épées et casaques. Aujourd’hui, elle n’était qu’Elodie et rien du mousquetaire ne devait la trahir. Du moins, le pensait-elle…
Une femme de chambre l’accueillit rapidement, lui demandant simplement de patienter un instant. La belle hocha la tête, en profitant pour observer l’antichambre qui l’entourait. Elle n’était que rarement entrée dans les appartements de Trianon – et sans doute jamais sans être accompagnée de son épée et de sa casaque de jeune homme. Nouveau sourire. C’était beau, et pourtant, les chambres encombrées par quatre lits de la caserne ne lui semblèrent pas dépareiller. La nature avait réellement dû se tromper en affligeant une telle âme de ce corps que les mœurs voulaient trop fragile. Elle était faite pour l’aventure, et pas le luxe de ces pièces trop belles pour être honnête. Combien d’oreilles avaient ces murs ? Combien de rumeurs les avaient déjà franchies ? Un froissement de tissu tira soudain la jeune femme de ses pensées et observations, la poussant à se retourner vers la porte derrière laquelle avait disparu la servante. « Elodie, ma chère, je suis ravie que vous ayez accepté mon invitation ! Mais je vous en pris, asseyez-vous,, s’exclama Isabelle en s’approchant d’elle. » Mains dans celles de la nouvelle venue, Elodie lui rendit un sourire ravi. « Isabelle ! Votre requête m’a réellement touchée, je suis venue avec plaisir ! répondit-elle aussitôt, sur un ton dont l’enthousiasme n’avait rien à envier à celui de son hôtesse. » Retrouvant sans mal les manières féminines qui ne l’abandonnaient jamais bien longtemps, même au profit de sa vie de mousquetaire, elle alla avec élégance s’asseoir sur la causeuse que lui indiquait Isabelle, sourire enjoué toujours aux lèvres. Cette entrevue lui ferait du bien. Depuis combien de temps n’avait-elle pas simplement pris le temps de converser avec une amie ? Loin des affaires militaires comme des complots dont la rumeur seule parvenait à secouer Versailles. « Désirez-vous boire quelque chose ? demanda Isabelle. - Avec plaisir. »
Un instant, encore, elle observa la pièce qui l’entourait. Les fenêtres entrouvertes y laissaient passer une brise agréable pour ce jour d’avril dont les remous faisaient de temps à autres voleter les voilages posés devant les vitres. Le salon dans lequel elles se trouvaient n’avait rien à envier au reste, bien que plus simple que la plupart des appartements qu’il avait été donné de voir à la belle – simplicité appréciable, cela dit. Avec un soupir satisfait, elle s’appuya contre le dossier du sofa, réprimant une vague grimace. Seule trace visible de son aventure de la veille, une vague marque à l’endroit où elle avait heurté la table contre laquelle ce lâche de Louvel l‘avait poussée. Rien de grave, ni même de notable – elle en avait vu de bien pires, en témoignait pour simple exemple cette cicatrice qui jamais ne disparaîtrait de son épaule et qu’elle avait bien du mal à dissimuler totalement sous une robe au col un brin trop évasé pour la recouvrir. Une moue énigmatique étira ses lèvres. Où était allé se terrer Louvel ? Elle n’en savait rien, mais son tour de force de la nuit dernière lui avait plu. Elle finirait par le retrouver, et ce jour-là, nulle fenêtre ne viendrait lui sauver la mise – d’autant plus que vu la hauteur, il devait bien se repentir de pareille initiative. Qui sait, lorsqu’enfin elle aurait lavé l’offense, peut-être leur relation pourrait-elle changer ? Elle n’était pas rancunière, et une fois l’honneur sauf elle ne voyait généralement pas plus de raison d’en vouloir à ses adversaires – dont quelques uns parmi les mousquetaires étaient maintenant devenus des amis. Elle verrait bien comme les choses se présentaient. Oui, elle le verrait… et bien plus tôt que ce qu’elle ne l’escomptait. « Que faite-vous à la Cour, ma chère, pour être logée dans un si charmant endroit ? demanda enfin Elodie en sortant de ses pensées. » Les questions qu’une pareille curiosité amènerait ? Peu lui importait. Pour la rareté de sa présence à la Cour, elle avait ses excuses.
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 14.04.11 16:21 | |
| Mensonges et faux semblants. Un exercice dans lequel je finissais par exceller, n’en déplaise aux autres. Manier les apparences et détourner les regards de ce qu’ils auraient dus voir. A force de persévérance, ce n’était plus vraiment difficile. C’était des années de pratique. Savoir éclairer certaines zones pour bien mieux laisser les autres dans l’ombre. J’en aurais ris si les circonstances du commencement de ce chapitre de ma vie n’avaient pas été aussi dramatiques. J’avais horreur d’y repenser, les avoir vécus était une souffrance déjà bien assez grande, vif, gravée dans mon âme comme on marque les chairs au fer rouge, et qui ne semblait pas vouloir cicatriser. J’avais peur de ne pas avoir la force de continuer ainsi, derrière le masque de froideur et d’ironie, tout commençait à se fissurer. J’aurais pu tout arrêter maintenant, le jeu, la double identité. Mais plus qu’une nécessité, c’était devenue une habitude, une manie dont je n’arrivais plus à me défaire. L’impression d’obtenir malgré tout une certaine liberté que mon sexe ne me permettait pas et qui m’avait valut de descendre plus bas que terre, de ramper dans la boue, avant de remonter, coute que coute, jusqu’à un rang qu’il était hors de question que je lâche. Ne plus jamais redevenir ce que j’avais été, et ne plus refaire ce que j’avais fais pour récupérer une vie descente. Un amant, si non aimant, au moins attentionné, et peu regardant, du moins jusqu’à l’autre soir. La possession enviée d’une charge, quoi qu’il ne s’agissait pas de la plus importante qui existait à Versailles… Une vie rangée, uniquement barrée par ce personnage que je continuais de jouer coûte que coûte. Sans pouvoir m’en défaire.
J’arrivais tout de même à oublier parfois. A faire comme si tout était normal dans ma vie. Mais Etienne m’avait sauvée, tout aussi surement qu’aujourd’hui il pouvait me perdre à nouveau. Comme l’autre soir, alors que les mousquetaires avaient débarqués. Je ne pouvais pas me permettre de risquer quelque chose de la sorte une nouvelle fois. Mais arrêter de faire venir Etienne aussi brusquement dans les cercles de jeu, alors que je pouvais avoir besoin de lui demain comme dans un an était trop risqué. Dans ce monde, quand on disparait, on ne peut plus prétendre avoir ses entrées à droite et à gauche. Il fallait assurer une permanence minimum, qui avait faillit me couter cher. Heureusement, la nuit de sommeil – si on pouvait la nommer ainsi – et le long bain dans l’eau bouillante m’avaient un peu requinquée, je me sentais bien mieux, détendue, et presque reposée. D’ici un ou deux jours, je n’aurais plus mal, et les marques de ma chute sur le toit auraient disparues. Je repensais à la distance entre la fenêtre et le toit en dessous. Grande, très grande, trop grande même peut être. Mais c’était ça ou me faire découvrir, et je ne voulais même pas imaginer l’air satisfait de Froulay si jamais il avait réussi à me coincer. Celui là, il ne perdait rien pour attendre ! La marque de son passage au creux de ma paume droite me faisait encore souffrir, mais c’était bien plus mon orgueil, malgré le tour que je lui avais joué et qui m’avait faite sortir vainqueur, qui en avait prit un coup. Il ne l’emporterait pas au paradis. Du moins le pensai-je.
J’avais complètement oublié que j’attendais de la visite ce jour là, et de plus, le fait d’avoir dormi une partie de la journée m’avait fait perdre totalement la notion du temps. J’avais mis du temps à me rappeler de quoi Toinette parlait quand elle était arrivée pour m’annoncer la visite de mon invitée. Lui ordonnant de la faire entrer, je m’étais assurée rapidement dans le miroir le plus proche que ma mise était à peu près correcte malgré la négligence qui y était, due à ce jour de congé improvisé. Mon Dieu, je me faisais presque honte. Heureusement qu’aucun des bleus que j’avais sur le corps n’était visible avec la coupe de ma robe. La seule chose qui aurait pu interloquer était la coupure que j’avais à la main, mais je pouvais toujours targuer d’une quelconque chute de cheval. Topaze était un animal pour le moins capricieux et un peu dangereux. Je me lançais un dernier regard critique avant de me tournée vers mon invitée. Elle était vêtue avec une simplicité peu commune et rarement rencontrée à Versailles, où chaque robe était murement réfléchie et décorée avant d’être enfilée, mais avec gout. A vrai dire, un peu de simplicité remettait de la fraicheur dans ce monde d’apparences constantes. Il aurait été vraiment indélicat de ma part de les juger ces apparences, en profitant plus que largement… Je lui avais tendue les mains en signe de bienvenue, qu’elle prit un instant dans les siennes, en répondant à mon salut :
-Isabelle ! Votre requête m’a réellement touchée, je suis venue avec plaisir !
-Je vous en pris ! répondis-je, un sourire au lèvre, lâchant sa main pour la porter à mon cœur, tout le plaisir est pour moi !
Une fois qu’elle fut assise, je lui proposais quelque chose à boire, ce qu’elle accepta. Me dirigeant vers le guéridon, je nous servis deux verres, avant de lui en tendre un, et de m’asseoir à son côté. Je la regardai contempler mon appartement, un sourire aux lèvres. Il y a deux ans encore, j’aurais été incapable d’imaginer pouvoir obtenir un tel logement, comme quoi, tout change.
-Que faite-vous à la Cour, ma chère, pour être logée dans un si charmant endroit ?
-J’ai une charge à la ménagerie royale. Les petits singes de leurs majestés ont besoin d’une attention toute particulière qu’on ne peut pas confier à n’importe qui, vous l’entendrez…
Sans me départir de mon sourire, je levais mon verre en cristal dans sa direction, pour trinquer rapidement avec elle :
-A votre venue.
Le cristal teinta dans l’air, et je bus une petite gorgée de l’alcool que mon père m’avait apprit à aimer, avant de reposer mon verre sur la petite table devant nous.
-Je ne crois pas vous avoir déjà croisée dans le château avant notre rencontre l’autre jour. Vous ne venez jamais à la cours ?
Conversation tout à fait banale s’il en était. C’était étrangement agréable d’avoir la sensation d’être parfaitement normale. Depuis combien de temps ne m’était-ce pas arrivé ? Je n’aurais su le dire. Mais c’était agréable. Je n’avais pas l’impression de devoir surveiller mes moindres paroles, comme à l’accoutumée avec les autres femmes de la cours. Toujours plaire, complaire… Voilà le rôle dans lequel la royauté nous confinait, nous, la noblesse. Malgré mon rang peu important, je ne savais que trop à quel point chaque situation, même celle des grands était critique, désormais. Le roi et le pouvoir qu’il avait réussi à avoir était bien supérieur à celui de ses prédécesseurs. Attendant la réponse de ma compagne, finalement je repris le verre, de la main droite, par réflexe. Celui de faire tout de la main droite comme on me l’avait apprit pendant cette période infernale qu’avait été le couvent et qui restait gravé dans ma mémoire comme l’une des périodes les plus noires de ma vie. Je saisi le verre, mais le contact du cristal contre ma paume, malgré le bandage, me brula, et la surprise me fit avoir une faiblesse. Le verre alla s’écraser sur le guéridon, se brisant au passage renversant dans le plateau le liquide carmin et entachant la protection que j’avais mise sur ma plaie.
-Quelle maladroite ! m’exclamai-je, profondément agacée.
Toinette, attirée par l’exclamation et le bruit de verre qui s’était brisée, se précipita vers le guéridon pour le nettoyer. M’écartant un peu, je regardais Elodie, une expression profondément désolée au visage.
-Veuillez m’excusez, j’ai la fâcheuse tendance d’oublier que je suis momentanément handicapée.
Je sentais l’alcool qui imprégnait désormais le tissu me bruler de plus en plus fort, il fallait que j’enlève cette chose avant que la blessure, qui laisserait déjà une cicatrice, ne soit totalement brulée et ravivée. Rapidement, le nœud qui le retenait fut détaché et je le retirais, soufflant sur la plaie plus par habitude que par réel besoin.
-Une mauvaise chute de chevale, expliquai-je rapidement, trois fois rien, mais c’est plutôt gênant, comme vous avez pus le remarquer.
Toinette, une fois le guéridon nettoyé, disparut en emportant avec elle les bouts de verre cassé. Il ne me restait plus qu’à remettre un bandage sur ce charmant souvenir que Froulay m’avait laissé. Qu’il ne recroise pas ma route ! Imaginez l’ironie de la situation, il était à cet instant précis en face de moi…
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 15.04.11 14:07 | |
| « L'apparence est un rideau derrière lequel on peut faire tout ce que l'on veut, mais qu'il est essentiel de tirer. » Le mot n’était que trop vrai au sein de cette trompeuse Cour où tout pouvait être ramené à une seule et même nécessité : paraître. Sembler loyal, mais comploter derrière le rideau opaque de l’apparence. Avoir l’air idiot, mais intriguer avec un talent peu commun. Se montrer avenant, mais médire avec une véhémence de vipère… Paraître oui. Donner de soi l’image que l’on souhaite imposer aux autres, tout en tentant de percer le masque de ces fameux autres. Voir sans être vu, en somme, même auprès des plus proches. Activité cela dit assez ardue – au point de justifier que certains s’y livrent constamment, avec acharnement et force de ragots. Car n’était-ce pas là le but de toutes ces médisances ? Se mettre à l’abri en parlant des autres, tout en espérant que les petit groupe discutant à quelque pas ne soit pas entrain de faire de même sur vous. C’était toujours avec une certaine distance qu’Elodie observait ces pernicieux manèges – elle qui devait tant aux apparences. Ne participe pas aux ragots, et peut-être en seras-tu épargné, quoi que rien ne soit moins sûr que cela. Eric de Froulay était un personnage bien trop mystérieux pour ne pas s’attirer quelques rumeurs, mais tant qu’elles ne concernaient que de prétendues conquêtes, la belle n’avait que peu à craindre ce qui pouvait se dire. Elle pouvait même parfois se permettre d’en rire. Il était étonnant de voir comme, l’esprit stimulé par le manque d’informations, les courtisans pouvaient parfois se montrer inventifs… En matière d’aventures, de lourd secret de famille comme dans toutes sortes de domaines qu’il serait bien trop long et superflu de lister. Mais en ce qui concernait la jeune femme se dissimulant sous la casaque d’un mousquetaire – néanmoins acquise de la même façon que n’importe lequel des hommes de la compagnie – pas un mot, et c’était tout ce qui comptait.
Paraître. Un précepte dont, comme d’un tacite accord, les deux demoiselles semblaient avoir résolu de se passer… du moins en apparence. Paradoxal ? Sans doute, tout autant que la situation dont elle ignorait encore la véritable teneur. Mais qui aurait pu seulement imaginer que derrière ces deux jeunes femmes à la mise simple et aux sourire avenant se dissimulaient les deux prétendus homme dont la rencontre de la veille laissant encore des marques sur chacune d’entre elles. Marques qui, à défaut de sauter aux yeux d’Elodie de la façon qu’elles l’auraient du, ne lui échappèrent pas lorsque son hôtesse lui tendit les mains. Néanmoins, elle se garda de la moindre remarque, n’étant pas ici pour poser des questions peut-être déplacées. Et comme le bandage n’appelait encore rien dans ses souvenirs… D’un sourire, accompagné d’un petit geste de la tête, elle remercia Isabelle qui venait de porter la main à son cœur et s’assit donc sur le sofa qu’elle lui désigna. Rien que de naturel entre elles, et pourtant, sans qu’elles ne puissent même s’en rendre compte, que de faux-semblants. Louvel et Froulay se méprisaient-ils assez pour mettre à mal le commencement d’une amitié complice, ou les querelles d’honneur parviendraient-elles à être mises de côté au profit de cette dernière ? La réponse ne tarderait plus, sans doute. Mais en attendant, c’est à une autre question qu’Isabelle répliqua, tendant un verre de Porto à son invitée. « J’ai une charge à la ménagerie royale. Les petits singes de leurs majestés ont besoin d’une attention toute particulière qu’on ne peut pas confier à n’importe qui, vous l’entendrez… » Une charge, rien que cela ? Elodie eut un sourire, ainsi qu’un regard entendu. Elle imaginait sans mal l’attention qu’il était nécessaire de porter aux animaux de la famille royale, auxquels la Reine Mère disait-on – paix à son âme – avait été particulièrement attachée.
Sourire aux lèvres, Isabelle leva soudain son verre dans la direction d’Elodie, aussitôt imitée par cette dernière. « A votre venue, annonça-t-elle. - Et aux singes de leurs Majestés ! répliqua aussitôt la belle avec un éclat de rire. » Les verres s’entrechoquèrent doucement et, non sans une moue satisfaite, la jeune femme porta le cristal à ses lèvres. Le bon alcool était un met qui se faisait rare dans sa vie de mousquetaire, la solde de ces derniers ne leur permettant pas foncièrement plus que l’éternel mauvais vin des tavernes. Délicatement, elle reposa le petit contenant sur la table et s’enfonça légèrement dans la causeuse sur laquelle elle était installée. « Je ne crois pas vous avoir déjà croisée dans le château avant notre rencontre l’autre jour. Vous ne venez jamais à la cours ? demanda enfin Isabelle. » Question à laquelle il fallait s’attendre – et d’ailleurs à laquelle Elodie s’attendait. Un sourire énigmatique aux lèvres – elle ne pouvait s’en empêcher – elle dévisagea un infime instant son interlocutrice avant de répondre. Une fois de plus, les deux frères ignorant la présence de leur sœur à Versailles allaient devoir entrer en jeu. Néanmoins, se gardant bien d’entrer dans les détails, elle resta évasive. « Je préfère ne pas me montrer à la Cour… L’air y est trop irrespirable, répondit-elle simplement. Il y a tellement à faire en ville, j’aurais trop peur de m’enliser dans tout ce luxe ! » Nouvel éclat de rire. Nouveau mensonge. Si elle l’avait pu sans compromettre Eric, sans doute Elodie se serait-elle fait connaître à la Cour. Vicieuse, certes, mais si passionnante, autant dans ses zones d’ombres que dans ses apparences, justement. Mais Eric en profitait déjà largement – avec en plus le loisir de ne pas être exclu de ces discussions soi-disant réservées aux hommes qui se révélaient souvent bien plus intéressante que les incessants badinages de la plupart des courtisanes. Chacun de ces aspects avaient leur charme… mais elle préférait ceux accordés au mousquetaire.
Sans se départir de son sourire, elle contempla un instant encore la pièce dans laquelle elle se trouvait, brusquement interrompue par le bruit caractéristique de quelques éclats de verre. Vivement, elle tourna la tête alors qu’agacée, Isabelle contemplait l’alcool se répandre dans un plateau autour du cristal brisé. « Quelle maladroite ! » Déposant son propre verre dont elle s’apprêtait à boire une nouvelle gorgée, Elodie s’était penchée sur le plateau pour limiter les dégâts mais, rapide, la servant qui l’avait accueillit l’interrompit, la repoussant d’un geste poli. Une moue aux lèvres, la belle recula. « Tout va bien ? demanda-t-elle à Isabelle qui, un grimaça aux lèvres, avait baissé les yeux sur le bandage dont était entourée sa main droite. » La jeune femme s’excusa simplement, défaisant la petite bande, révélant sur sa paume une entaille nette et qui semblait assez profonde. S’approchant, Elodie y jeta un regard connaisseur – il fallait bien avoir appris à soigner ce genre de petites blessures, fréquentes lors des combats et même pendant les entraînements – mais alors qu’elle ouvrait la bouche, Isabelle la coupa. « Une mauvaise chute de cheval, trois fois rien, mais c’est plutôt gênant, comme vous avez pus le remarquer. » Elodie hocha vaguement la tête, baissant à nouveau les yeux sur la blessure, ne pouvant s’empêcher de songer qu’elle n’avait vraiment pas du choisir son bon endroit pour tomber. « Une chute ? Seriez vous tombée sur une… » Une lame. Sa lame, en l’occurrence. Du moins, c’était ce que la coupure lui rappela soudain. Et brusquement, elle s’interrompit, releva vivement les yeux sur le visage de la jeune femme. Une petite mèche noire devant deux yeux d’un bleu qui lui sembla soudain familier, les traits fins mais qui appelaient cette même sensation en elle. Vivement, elle recula, le visage figé dans une expression durement surprise. « Louvel ? laissa-t-elle alors échapper. »
Il y eut un instant de silence. Un instant durant lequel Elodie put tout à son aise dévisager son interlocutrice… et surtout être certaine que cette dernière ne faisait qu’une seule et même personne… avec Louvel. Son nom, elle n’avait pu le retenir, bien trop surprise pour songer qu’en le nommant ainsi, elle se trahissait – comme elle l’avait déjà fait avec Ruzé. Un rire nerveux, vaguement rauque entrouvrit brièvement ses lèvres. « La coïncidence est grosse… monsieur, lâcha-t-elle, ironique au possible, ne sachant absolument pas sur quel pied danser. » Louvel, le lâche qu’elle méprisait. Isabelle, l’amie qu’elle appréciait… Qui avait-elle vraiment face à elle ? Et la question, elle s’en doutait, devait aisément trouver sa réciproque chez son hôtesse. Le hasard fait parfois… de drôles de choses.
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 16.04.11 14:42 | |
| Hypnotiser, charmer, faire semblant. C’était tout un art, il fallait y exceller, faire semblant que rien n’était jouer d’avance, que la proie qui avait été choisie avait encore une échappatoire, alors qu’en fait, son avenir était scellé. Faire comme si l’autre gardait le contrôle, alors qu’en vérité, c’est moi qui l’aie, qui le garde, qui manipule, dans l’ombre. Après avoir été une poupée de cire brisée, disloquée, utilisée et salie. Une salissure de l’âme qui ne disparaitrait qu’avec le temps, sans disparaitre totalement. Une cicatrice resterait toujours, au niveau de la confiance. Confiance que je ne distillais qu’avec extrême prudence, sans pouvoir la confier totalement, ou avec grande difficulté. Même après des années de connaissances avec certaines personnes, je savais qu’il m’était encore impossible de réellement être en totale confiance avec eux, me laisser aller à être qui j’étais. D’ailleurs, qui étais-je ? Le savais-je encore moi-même ? A force de me cacher derrière le masque d’Etienne, puis celui de la courtisane que rien n’effraie ou encore la maitresse passionnée du neveu de feu le premier ministre, c’était à ne plus réellement savoir qui donnait le change et quelle personnalité avoir quand je rencontrais de nouvelles personnes. Un joyeux fouillis dans lequel j’avais un mal fou à me retrouver moi-même. Il ne devait donc pas être trop compliqué d’y perdre mes connaissances. Il fallait surtout que les cercles d’Etienne et d’Isabelle ne se recoupent pas, ou le moins possible. Malgré le travestissement, et l’exagération que je mettais dans mes atours féminins pour paraitre la plus attirante possible, je n’étais pas à l’abri d’être reconnue. Un jeu dangereux donc, mais qui me plaisait.
L’adrénaline était de loin l’une des choses que je préférai. Celle du jeu m’avait quittée depuis longtemps, j’avais appris à tricher de manière subtile, et savait utiliser mes atouts à bon escient, sans que ça paraisse étrange. Tout un art que savoir jouer, maitriser les amusements de notre temps. Un art que j’adorais et dans lequel j’excellais. Hors de question de laisser tout ça m’échapper un jour. Le contrôle de ma vie, après avoir appartenu aux autres, n’appartenait désormais qu’à moi, et les rêves de mes compagnes de dortoir au couvent, qui, pour la plupart, n’avaient pur but que de sortir de ce couvent pour se marier, et avoir des enfants, me rebutaient déjà à l’époque. Je ne voulais pas trouver le grand amour, grand Dieu non, mais vivre, libre, de cette vie que mon père m’avait apprit à aimer quand je n’étais qu’une enfant par de longues chevauchées, suivies de passes d’armes au bord de la rivière. Une vie que je regrettai amèrement, mais je n’avais pas remis les pieds dans le domaine familiale depuis des années. Depuis que nous étions arrivés à Versailles. Je n’osais pas y retourner, sans mon père cela n’avait plus la même saveur, et j’appréhendais d’arpenter ces lieux où j’avais été heureuse avec lui… sans lui. Sa présence hanterait chaque pièce, chaque souvenir que je pouvais avoir. Malgré les années écoulées, sur ce plan là, mon deuil n’était toujours pas fait, et j’avais peur que ça ne soit pas le cas tout de suite.
Etienne était un nouveau refuge pour oublier cette peine. Mais être sortie de la sorte la veille avait été une grossière erreur, je ne pouvais m’en rendre compte que maintenant. Et les marques qui couvraient mon corps après ma chute en étaient une preuve difficilement acceptable. Heureusement que Julien n’était pas là ces jours-ci. Il n’aurait certes pas apprécié. Il appréciait déjà avec une grande modération la double vie que je menais et qu’il avait découvert à ma grande surprise. Lui donner la clé de mes appartements n’avait pas été l’idée du siècle… Bravo Isabelle. Trop de certitudes amène toujours à faire des erreurs, comme hier soir. Certaine de pouvoir me débarrasser de Froulay sans difficulté, j’avais commis l’erreur d’être trop sure de moi, et ma main en ressentait les conséquences. C’était douloureux, vif et brulant. Je l’attendais au tournant, notre prochaine rencontre risquait d’être… sanglante. On ne peut pas avoir confiance en ce genre d’hommes. Pourtant, si j’avais fais un minimum attention, j’aurais reconnu, dans les traits de la jeune femme qui me faisait face, ceux de cet homme qui m’avait marquée à vie. Mais n’ayant vu le premier qu’à deux reprises – et encore la deuxième dans l’obscurité de la maison abandonnée -, et la seconde une fois seulement, comment aurai-je pu faire l’amalgame ? La cours est pleine de surprises, et c’est de loin la chose la plus désagréable qu’il soit.
Malgré la douleur et l’agacement, j’avais tenu tout de même à rencontrer Elodie. Cette jeune femme pleine de tempérament m’intriguait au plus haut point. Il ne me semblait pas avoir su son nom – et si je l’avais su, je l’aurais retenu, nul doute - mais je n’avais presque pas de doute quand à son origine noble. Bien que sa mise soit simple et légère, bien changeante des froufrous de Versailles, sa façon de se tenir et de se comporter trahissait une noble naissance à n’en pas douter. Ou alors haute bourgeoisie, mais la seconde hypothèse me paraissait inconcevable. On peut être noble et rustre, mais rarement vilain et avoir une façon de se tenir aussi soignée que naturelle. J’étais ravie de la recevoir et de transpercer le brouillard qui l’entourait. Ses raisons d’éviter la cours me paraissaient tout à fait légitimes. Mal fréquentée, complots et trahisons étaient le lot quotidien des courtisans, et une âme non aguerrie qui s’y risquait pouvait ressortir en morceau. Une rumeur, même infondée, suffisait à réduire en miette une réputation. Un calvaire… Je répondis par un simple signe de tête, sans cesser de la détailler, certaine d’avoir déjà vu, plus que la fois précédente, ce profil quelque part. La conversation était des plus banale et des plus simples, jusqu’à ce que, oubliant mon léger handicape, je tende la main droite vers ma coupe. La douleur, cruellement, se rappela à moi, me forçant à lâcher le verre sur le guéridon. Le cristal se brisa et le liquide se répandit. Je me confondis en excuse auprès de mon invitée, alors que ma femme de chambre nettoyait les dégâts rapidement, pour disparaitre tout aussi discrètement qu’elle était entrée, me coulant un regard lourd de sous entendus que je choisis d’ignorer. Le bandage imbibé d’alcool me faisait tellement souffrir que je me dus de le retirer, sous les yeux d’Elodie, intriguée. Je ne pus que sortir une excuse, celle qui aurait suffit à tout le monde, sauf à elle visiblement :
-Une chute ? Seriez vous tombée sur une…
Je relevais mon visage vers elle, alors que le sien c’était figé dans une expression médusée. Comme si elle connaissait, ou plutôt reconnaissait, cette blessure qui m’avait été infligée la veille. Connaissait-elle Froulay ? Lui avait-il parlé ? Elle eut un sursaut et recula, la surprise peinte de manière très claire sur son visage, tout en s’écriant :
-Louvel ?
L’intonation de sa voix, et ce réflexe de reculer de cette manière me rappelèrent cruellement quelqu’un. Quelqu’un que j’aurais aimé ne pas revoir de si tôt, et pourtant…
-Vous ? répondis-je, en écho, tout aussi surprise que mon invitée.
Prenant un air plus ironique, elle finit par lâcher, avec un rire plutôt nerveux :
-La coïncidence est grosse… monsieur.
Revenant peu à peu de ma surprise, ma main gauche glissa vers mon épée, appuyée contre l’armoire, et que j’avais laissée là la veille en rentrant, trop épuisée alors pour m’en rappeler. J’avais bien fait. La lame jaillis du fourreau et la pointe finit sous le menton de la jeune femme, alors que la peur d’être découverte n’avait d’écho qu’une vive curiosité.
-Qui êtes-vous ? demandai-je, d’une voix froide et assurée.
Je n’avais nullement l’intention de la tuer, mais j’exigeai une réponse. Une réponse que j’avais du mal à concevoir. Elodie était-elle réellement Froulay ?
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 19.04.11 21:49 | |
| Une permission de quatre heures entre deux obligations de présence à la caserne, une petite discussion tout ce qu’il y avait de plus banal entre deux jeunes femmes ayant découvert entre elles un point commun et une occasion de passer quelques moments loin de tout ce qui faisait de sa vie un trouble constant et tendu… Voilà ce à quoi s’attendait Elodie en pénétrant à Trianon. Et c’est ainsi que les choses auraient dû se passer, sans doute, si le hasard ne s’était pas une fois de plus mêlé des liens et des rencontres de ce bas monde. Isabelle et son invitée auraient très bien pu rester les amies qu’elles étaient sans doute en voie de devenir, et ce sans avoir besoin de savoir ce qui les liait bien au-delà que quelques idées et paroles échangées au détour d’une rue. A condition, du moins, que Louvel et Froulay ne se croisent pas à nouveau. Un duel – un véritable duel, cette fois – serait inévitable, et il était fort douteux que l’un ou l’autre n’abandonne avant avoir mis son adversaire hors d’état de nuire – au moins le temps d’une blessure. Tuer en duel arrivait, c’était un fait. Mais Elodie y préférait généralement une plaie. Le souvenir n’en restait pas moins vif et surtout, cela permettait ensuite d’établir des relations plus… cordiales, dirons-nous, au fil du temps. Parfois. Mais toujours était-il qu’une blessure, aussi bénigne soit-elle, risquait de faire découvrir l’une… comme l’autre. La jeune mousquetaire n’en avait que trop fait les frais, il n’y avait de cela pas si longtemps. La mascarade aurait fini par être découverte, d’une façon ou d’une autre. Mais s’il y avait une chose à laquelle Elodie ne s’attendait pas – si tant est qu’elle puisse s’attendre à quoi que ce soit – c’était bien que quelque chose ne soit découvert… aujourd’hui.
Ce qu’elle comptait bien apprendre sur Isabelle mis à part, évidemment – elle ne serait pas déçue du voyage, d’ailleurs. Cette jeune femme l’intriguait, raison pour laquelle sans doute elle n’avait pas hésité à accepter son invitation, aussi dangereuse qu’éventuellement compromettante. Pour Eric comme pour Elodie. L’un pouvant être découvert, l’autre dont la présence devait rester un secret pour le plus de monde possible. Car jamais Elodie et Eric ne pourraient se montrer en un même endroit au même moment, et qu’elle se doutait qu’une telle absence de l’un ou de l’autre ne pourrait que finir par attirer les soupçons. Mais tant pis. Il n’était pas courant de croiser au hasard des rues quelqu’un exprimant aussi fermement les mêmes idées que les siennes – à savoir des idées bien peu répandues en cette société faite d’egos masculins. Et une telle rencontre valait au moins le petit risque qu’elle prenait – et quelle rencontre… Elle en ignorant encore tous les tenants et aboutissants. Du moins jusqu’à ce que la question de la chute de cheval de son hôtesse ne soit abordée. Elodie connaissait ces incidents, elle n’en était certainement pas en reste. Aussi était-ce sans la moindre once de suspicion mais sur un ton sincèrement étonné qu’elle avait commencé sa phrase. Tombée sur une lame ? Après tout, pourquoi pas, on pouvait trouver de tout et de rien sur les routes. Un instant, elle eut une pensée pour les brigands dont Philippe et elle avaient laissé les corps au bord d’un chemin. Ce genre de lame, par exemple. Et tant d’autres encore. Si son… entrevue avec Louvel avait daté de plus de quelques heures, peut-être n’aurait-elle pas si aisément faire le rapprochement. Mais c’était un fait, Etienne et Isabelle se ressemblaient… beaucoup. Autant qu’elle ressemblait à Eric, à vrai dire. Or, elle était Eric. De cette pensée à la déduction qui l’avait faite s’interrompre, il n’y avait qu’un pas.
Un nom, un simple nom et elle réalisa qu’en trahissant la jeune femme, elle se compromettait avec. Comment pouvait-elle savoir qui était Louvel, surtout, le reconnaître visiblement grâce à la blessure infligée la veille par un mousquetaire ? Les possibilités étaient relativement… restreintes. Et d’ailleurs, Isabelle – ou fallait-il l’appeler Etienne ? – ne mit pas longtemps à réagir, trahissant la même surprise que son hôte. « Vous ? » Oui, elle. Ou lui, en l’occurrence… Le mot coïncidence semblait presque trop faible. Louvel et Froulay, Isabelle et Elodie… deux relations dans deux mondes différents. C’était à en avoir des vertiges. La surprise était de taille – à tel point que la belle n’osait totalement y croire. Une femme se faisant passer pour un homme ? Difficile à imaginer. Du moins… une autre. Et pourtant. L’instant de surprise qui la laissa stoïque donna en revanche l’opportunité à Isabelle de se saisir soudain de son épée. Et avant d’avoir eu le temps de réagir, Elodie avait reculé d’un pas, une lame sous le menton. C’était ce que l’on pouvait appeler… une réaction impulsive. Tête vaguement penchée en arrière, elle haussa un sourcil. « Qui êtes vous ? demanda froidement son hôtesse soudain devenue… bien moins chaleureuse. » Il y eut un instant de silence, durant lequel Elodie s’appliqua à baisser la tête, tentant pour autant de ne pas s’égorger elle-même avec l’épée menaçante. Du bout des doigts, elle fit mine d’en écarter doucement la lame, la poussant délicatement. « Je pourrais vous retourner la question… lâcha-t-elle, sibylline. » Qui pouvait imaginer qu’elle resterait sans réaction ? Brusquement, alors que l’une de ses mains déviait la lame – sans l’empoigner, elle ne tenait pas à gagner une blessure de guerre de plus – l’autre se posa sur le poignet d’Isabelle. D’un geste sec, elle se plaça derrière elle, lui tordant légèrement le bras dans le dos, sans but réel de la faire souffrir. Entre les doigts qui avaient écarté l’arme, une petite dague directement sorti de son corsage. « Mais je pense que nous en connaissons toutes deux déjà la réponse, souffla-t-elle à l’oreille de la jeune femme. »
En effet, les choses semblaient claires. Pressant un peu plus son bras, elle força son hôtesse – ou adversaire, comme la désigner ? – à lâcher son arme et, d’un geste, la fit tourner pour la laisser de nouveau face à elle. Rapidement, elle s’éloigna d’un pas, épée et dague pointées sur elle. Elle n’était mousquetaire pour rien. Il fallait bien que ces trois années qui aient apporté deux ou trois tours un brin surprenants. Un sourire, à la fois ironique et amusé, étira vaguement ses lèvres. Elle resta quelques secondes ainsi, avant de laisser échapper un rire léger. Etrangement, la situation l’amusait plus qu’elle ne la dérangeait. Et il y avait de quoi. Le hasard avait vraiment… bien fait les choses. « Alors ma chère, serons-nous dames ou gentilshommes aujourd’hui ? demanda-t-elle, souriant toujours. » Lestement, elle envoya l’épée dans un coin, et rangea la dague qui ne la quittait jamais à sa place. Preuve une fois de plus qu’on était jamais trop prudent. D’un air profondément cavalier – autant renouer avec ce quelle était vraiment – elle s’appuya à la causeuse sur laquelle elle s’était assise, il n’y avait pas si longtemps. « J’avoue, madame, que je suis curieuse, lâcha-t-elle, n’ayant pas foncièrement l’intention ni l’envie de jouer la rancune. Et puis… elle voulait savoir. »
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 20.04.11 14:24 | |
| Voyance et clairvoyance… L’un comme l’autre me faisaient cruellement défaut ce jourd’hui. J’aurais dus être plus prudente et, si je ne m’étais pas présentée à ma charge ce matin, ne pas non plus recevoir cet après-midi. Mais j’ignorai ce qu’était la prudence, une fois certaines certitudes tout à fait relatives apprises. Une fois qu’elles étaient ancrées en moi, impossible de m’en défaire, jusqu’à ce qu’elles vacillent et que je me prenne la réalité en pleine figure… C’était ainsi que les enfants apprenaient leurs erreurs, mais à vingt-deux ans, et avec un passé aussi… sympathique que le mien, on ne pouvait plus me considérer comme une enfant. J’aurais préféré avoir une vie un tant soi peu plus normale ces derniers temps… A force de jongler avec la vérité et le mensonge, on finissait par s’y perdre. Heureusement qu’Etienne n’avait aucune existence officielle, sinon, j’aurais vraiment eus des problèmes. C’était encore une chance que ma seconde identité soit aussi illicite que les cercles qu’elle fréquentait. Quiconque parlait d’Etienne devait reconnaitre qu’il fréquentait ces cercles de jeux interdis et par la même, se risquer à une punition royale. C’était vraiment l’une des meilleures solutions. Jusqu’à ce que je croise Froulay bien sur. Froulay que j’aurais préféré éviter… Le plus possible. Et l’ironie de la chose faisait qu’il était bien plus proche de moi que je ne l’aurais cru… Merveilleux n’est-ce pas ?
Et la tête que fit mon invitée en voyant ma blessure me mit mal à l’aise, comme si elle avait reconnu cette marque. Marque que je garderai longuement. Heureusement que je ne faisais pas partie de ces jeunes femmes qui jouaient du clavecin, ça aurait été plutôt handicapant… Et quand elle murmura mon nom – enfin celui d’Etienne – cela me fit l’effet d’une douche froide, un long frisson glacial me parcourue toute entière, laissant une marque sur ma peau. Le regard que je lançai à mon invité, tout à fait avenant il y a moins d’une minute, se fit plus dur, plus froid. La seule personne qui pouvait savoir était Eric de Froulay. Et si elle savait c’était… Cela m’aurait parut totalement impossible et inconcevable si je n’avais pas moi-même l’idée de me travestir de temps à autre. Sauf qu’elle vivait totalement dans la peau d’un homme. Tout concordait. Son absence de la cours malgré sa vie à Versailles et la noblesse de sa prestance. Le fait que Froulay soit aussi présomptueux aussi. Quand on fait semblant d’être quelqu’un d’autre, on a tendance à en faire trop… Et c’était le cas d’Eric qui était très présomptueux. Sa réaction lors de notre première rencontre était une preuve de plus. Le sang bouillonnant des jeunes mousquetaires était encore plus chaud chez Froulay qui avait été le premier à réagir à ma boutade… Boutade fort peu raisonnable certes, mais j’avais moi aussi tendance à en faire trop…
Par mesure de précaution, et pour avoir des réponses à mes questions j’avais sortis mon arme, qui avait fini sous sa gorge. Eric de Froulay… Elodie… je n’arrivais toujours pas à y croire. Si elle parlait, j’étais perdue. Mais si je parlais, elle l’était tout autant…
- Je pourrais vous retourner la question… me répondit-elle alors que je venais de lui demander sa véritable identité.
J’aurais eus scrupule à faire une entaille dans sa gorge blanche, mais si elle m’y forçait… J’avais déjà tué, et pour ma survie, j’étais prête à tout. J’étais descendue si bas par le passé qu’il était hors de questions que cela recommence. Pourtant, avant que j’ai eus le temps de réagir, elle profita de mon instant de réflexion pour, avec un poignard, retourner la situation. Déviant ma lame, qu’elle envoya à terre, elle me tordit le bras dans le dos. J’eus à peine le temps de crier, et surtout pas celui de me débattre. Nous jouions dans la même cours, il fallait le croire.
- Mais je pense que nous en connaissons toutes deux déjà la réponse…
Rageant, je tentais de me débattre.
-Lâchez moi ou tuez moi, mais il serait temps de prendre une décision, sifflai-je entre mes dents serrées.
Elle récupéra mon arme et me lâcha, pointant les deux lames dans ma direction. Si elle pensait que je n’avais que ça dans la pièce, elle se trompait. Mon pistolet, toujours chargé, n’était pas loin non plus. Le sourire qu’elle arborait était pour le moins mal placé, vu la situation. Je croisais les bras, la toisant avec un regard noir.
- Alors ma chère, serons-nous dames ou gentilshommes aujourd’hui ?
Son ton ironique aussi était déplacé vu la situation. La toisant, je lui répondis un peu sèchement :
-A vous de me le dire, Froulay…
Elle s’appuya sur la causeuse, et voir une personne dans cette tenue tenir avec assurance ces armes, était pour le moins ridicule. Je me retins de rire, mais un sourire moqueur digne de ceux que j’arborais la veille au soir était parfaitement visible sur mon visage.
-J’avoue, madame, que je suis curieuse.
Puisqu’elle avait reprit un ton de conversation, autant faire de même. Contournant le fauteuil assorti à ma causeuse, je m’y laissais tomber dans un bruissement de tissu, d’une manière fort peu élégante certes, mais je n’en avais pas grand-chose à faire. Toisant ma compagne, je lui répondis, ironique :
-On ne vous a jamais dis que la curiosité était un vilain défaut ma chère ?
Mais je devais avouer que moi aussi j’étais curieuse de comprendre comment elle en était arrivée là. Quoi que je doute que nos situations soient comparables.
-Qu’est ce que cela vous importerait de savoir, vraiment ? Pensez juste que si jamais vous parlez, je peux en faire autant. Nous sommes dans une situation inextricable…
Je n’étais pas vraiment d’humeur à faire des confidences, mais il allait falloir que j’y passe, bon gré, mal gré. Je détestais confier mes faiblesses et mon passé à qui que ce soit. C’était une honte qui me poursuivrait à vie et seul le maquillage et la beauté de mes parures permettait de dissimuler la salissure qui me recouvrait.
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 22.04.11 21:48 | |
| Une femme se faisant passer pour un homme, Elodie en avait déjà croisé. Une, alors qu’il y avait quelques mois à peine qu’elle avait endossé le costume d’Eric. Mais à la différence de la jeune mousquetaire Megan n’avait pas une, ou plutôt deux identités, mais une dizaine voir plus qu’elle la soupçonnait de mettre au service de quelques espionnages. Pour le compte de qui ? Du Roi, sans doute, mais jamais elle n’avait cherché à pousser la question plus loin – tout comme son amie n’avait pas voulu en savoir plus sur cet Eric qui ne l’était pas. Mais quelqu’un vivant réellement, sous deux masques, deux vies à la fois distantes et inextricables l’une de l’autre… Elle était dans une situation si complexe, saugrenue par moments, qu’il était difficile d’imaginer qu’à peu de chose près, d’autres pouvaient s’y trouver. A tel point que la belle avait eu besoin d’un instant pour être certaine qu’elle n’était pas abusée par son imagination. Etienne de Louvel et Isabelle… dont elle ignorait le nom. Eric et Elodie de Froulay. Quatre personnages, deux rencontres, et ni l’une ni l’autre ne s’était douté de quoi que ce soit ? On voit que ce que l’on pense pouvoir voir… Et cela, ni l’une ni l’autre ne l’avait jamais ne serait-ce qu’imaginé, sans doute. Et pourtant, tant de choses se faisaient plus claires. L’ardeur de Louvel dans sa fuite, jusqu’à risquer une chute pouvant être lourde de conséquences, sa façon de se battre, bien moins lourde que n’importe qu’elle homme, jusqu’à la mine un brin trop pâle d’une Isabelle qui n’avait certainement pas passé la meilleure nuit de sa vie. Lâche, Etienne ? Non, finalement. Prudent, surtout – enfin, prudente. Et audacieuse. Et si cette dernière qualité n’était pas de celles qui manquaient à Elodie, la première en revanche… Peut-être, si elle possédait un peu plus de cette prudence qui lui faisait défaut, aurait-elle pu deviner le jeu de son adversaire. Peut-être.
Tout comme elle aurait pu s’éviter aujourd’hui une position disons… inconfortable. Bien que confiante et bien plus amusée par la situation qu’inquiète, se voir contrainte de prendre garde, au moindre de mouvement, à ne pas s’enfoncer une lame dans la gorge n’était pas foncièrement plaisant. Malheureusement pour Isabelle, sûre d’elle, Elodie était loin d’être née de la dernière pluie. Les mousquetaires n’étaient pas l’élite de l’armée pour rien et plus encore, elle n’avait pas passé tout ce temps à s’entraîner d’arrache pied pour ne voir aucune échappatoire à une telle situation. Et puisqu’il faudrait sans doute en venir aux confidences – bien que les siennes ne soient pas particulièrement honteuses – autant ne pas être la première à devoir le faire. Par jeu plus que par grande nécessité, elle n’eut aucun mal à renverser les choses, profitant sans doute que fait que son adversaire semblait à peu près certaine de la tenir sous sa coupe. Erreur – erreur qui, cependant, n’allait pas lui coûter plus cher qu’un instant de doute, Elodie ne comptant pas même l’effrayer – en témoigna la façon dont elle dosa ses gestes. Sans violence, avec agilité simplement, et rapidité, un sourire aux lèvres. Elle ne prétendait pas lui faire le moindre mal, la blesser, la forcer à dire quoi que ce soit et qu’en savait-elle encore. Simplement, inutile de faire jouer les armes cet après-midi, elles avaient bien assez été usées la veille en ce qui les concernaient – Isabelle en conservait une marque visible. Face aux protestations de son hôtesse, elle resta silencieuse, préférant aux paroles les gestes, le sourire et même le rire, bien loin de l’air moqueur de son interlocutrice. Certes, la situation était profondément ironique, mais inutile d’en rajouter, et surtout de l’alourdir à coup de regards noirs. Etait-elle réellement la seule à trouver tout ça drôle ?
On aurait pu lui reprocher de prendre les choses à la légère – et c’était un fait, Elodie prenait beaucoup de choses à la légère. A commencer par les mœurs sexistes, machistes, ancrés dans cette société parisienne et versaillaises depuis plus d’années qu’elle ne pourrait en compter. Les mœurs et les egos masculins qu’elle se savait pourtant susceptible d’offenser. Elle se riait des dangers, se moquait de risques, allait au devant des ennuis et poussait même sa chance jusqu’à se permettre de jouer la sibylline avec son entourage. Elle éveillait les curiosités et en était parfaitement consciente, allait jusqu’à se montrer aujourd’hui à la Cour dépourvue d’un masque que beaucoup connaissaient et surtout, au lieu de s’inquiéter de ce qui se passait entre elle et Isabelle… s’amusait beaucoup, à vrai dire. Avec un pointe de méfiance, mais si légère que bien observateur serait celui qui pourrait la repérer. Elle ne risquait rien, elle en était certaine. Non pas qu’elle supposât son hôtesse comme à cours de moyen – au contraire, elle la soupçonnait d’avoir bien plus de ressources qu’une simple épée traînant dans un coin – mais quel intérêt auraient-elle à se battre ici et dans une telle situation ? Les lames jetées au sol, cavalièrement appuyée contre la causeuse et l’œil pétillant de cette fière vivacité qui lui était propre, elle était certes prête à réagir en cas de besoin mais ne comptait absolument pas aller plus moins sur le terrain des armes. Parler, en l’occurrence, serait bien plus intéressant. Avait-elle voulu en apprendre plus sur cette Isabelle qui, rien que par son discours, l’avait intriguée il y avait quelques temps ? C’était réussit. Et de façon bien plus surprenante que ce à quoi elle s’attendait. Après tout, elle n’aurait pu être qu’une simple courtisane un peu plus ouverte que ses contemporains – ce qui n’était déjà pas si mal, en soit. Mais non. Isabelle était bien plus que cela, et Elodie, curieuse en sans honte de l’être, voulait savoir quoi exactement. Etaient-elles si proches que cela – aussi loin l’un de l’autre Etienne et Eric s’étaient-ils pensés – avait-elles réellement tous ces points communs et bien plus encore ? Autant de questions qu’il était bien plus intéressant de régler plutôt que de se battre pour une vague rancune.
« On ne vous a jamais dis que la curiosité était un vilain défaut ma chère ? répondit son hôtesse, ironique, en la toisant avec une certaine hauteur. » Un nouveau sourire effleura les lèvres d’Elodie. Contrairement à elle, la jeune femme s’était braquée – ce que l’on pouvait comprendre – et, glaciale, s’était laissée tomber dans un fauteuil. « Certainement. Mais la leçon devait être le même jour que le sermon sur le fait qu’il est interdit à une femme de se travestir en homme, que ce soit pour jouer ou entrer aux mousquetaires, répliqua-t-elle aussitôt. » C’était vrai, elle n’avait jamais été attentive à ce genre de maximes… la preuve en avait été donnée. Et puis, après tout, ça ne lui avait pas si mal réussi. Contournant le sofa auquel elle était appuyée, elle alla s’asseoir à son tour, reprenant le verre de porté qu’elle avait laissé sur la table, sans se départir de son air amusé, tranchant considérablement avec celui d’Isabelle qui continua. « Qu’est ce que cela vous importerait de savoir, vraiment ? Pensez juste que si jamais vous parlez, je peux en faire autant. Nous sommes dans une situation inextricable… » Cette fois, ce fut un rire que les lèvres de la jeune femme laissèrent un échapper. Un rire clair et sincère, qui plus est, avant qu’elle ne repose deux prunelles dépourvues de la moindre animosité sur son interlocutrice. « Parler ? Quel intérêt aurais-je à parler, dites-moi ? s’exclama-t-elle. Pardonnez-moi, mais la situation n’est absolument pas inextricable. Juste… amusante. Et surprenante, j’en conviens. » On aurait pu voir dans cette réplique beaucoup d’insolence – et sans doute n’en était-elle pas totalement dénuée. Mais ça n’était que pur bon sens. Elle disait quoi que ce soit, Isabelle lui rendait la pareille. Et la réciproque était vraie, soyez-en sûr. Alors à quoi bon parler ? Dans quel but, d’ailleurs ? Dénoncer un joueur illicite ? Dans cette situation, Etienne n’en était plus un – ou du moins, devenait bien plus. Dénoncer une femme aux idées polémiques ? Il n’y aurait là qu’une grande hypocrisie de sa part. Non, vraiment… pas le moindre intérêt. « Savoir ne m’apporte rien, vous avez raison, sinon l’occasion de mieux vous connaître et de savoir jusqu’où le hasard a bien fait les choses, reprit-elle après avoir avalé une gorgée de Porto. Un instant, elle dévisagea la jeune femme, toujours sur la défensive. Avez-vous vraiment l’intention de rendre les choses tendues et désagréables ? demanda-t-elle, un sourire avenant aux lèvres. Vous n’avez rien à craindre de moi, et je pense pouvoir compter sur votre silence également… autant dans votre intérêt que le mien. Il me semble que tout va bien… » Beaucoup d’impertinence sans doute, d’audace et peut-être d’inconscience. Mais après tout, elles étaient réellement toutes deux dépendantes du silence de l’autre… alors autant faire front à deux et cesser de s’observer en chiens de faïence.
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 26.04.11 17:16 | |
| Avoir l’impression d’être utilisée et ensuite délaissée, c’est ce que j’avais vécu pendant des années, jusqu’à ce que je « crée » ce personnage qu’Etienne était sensé devenir. Me procurer de l’argent autrement que ce qui était mit à ma disposition. Pouvoir choisir mes amants, plutôt qu’être choisie par eux, qui n’étaient pas toujours ceux que j’aurais voulus. Dès lors, je pouvais charmer qui je désirais, et dédaigner qui m’importunait. Ce n’était pas difficile, au contraire, et c’était même agréable. Agréable de passer d’objet à personne avec sa propre volonté. Mon estime de moi était remontée en flèche, dès lors, et tout cela m’avait menée jusqu’à la chambre de Julien Mancini… Une suite d’amants, certains agréables, d’autres non, la plupart me délaissant, certains même très mauvais, voir violents. Je ne gardais pas d’excellents souvenirs de beaucoup. Et si je m’attachais à Julien, ce n’était certes pas pour me faire épouser, je n’étais pas folle, mais surtout pour la position qu’il avait. Tant que le vent le porterait, je resterai, mais si jamais il menaçait de tourner, l’on pouvait douter de la … passion, dirons-nous, que je mettrai à le soutenir. Il me fallait rester lointaine tout en étant disponible, ne pas s’attacher, et surtout, la règle d’or, ne pas tomber amoureuse, jamais. Ca ne m’était pas arrivé, et je ne voulais pas que cela soit le cas. L’amour perd bien trop d’âmes, aussi surement que la trahison, qu’il entraine indubitablement. A partir du moment où l’on tombe amoureux, on devient menteur et menteuse.
Non pas que le mensonge me soit étranger, bien au contraire. J’en usais et abusais sans modération aucune, mais l’amour était aussi un handicape, un boulet, et si l’un tombait, l’autre l’entrainait dans sa chute, qu’on le veuille ou non. C’était un sentiment stupide et inutile. Bien sur, certaines femmes ne vivait que pour ça, l’amour. Rarement celui de leur mari, il ne fallait pas se leurrer. Un mariage, un bon mariage, était une union de convenances et d’argent. Une sorte de contrat de marchandise, une vente, où les deux parties devaient trouver leur compte. Non, pas l’amour de leur mari, mais celui de leurs enfants, ces charmantes petites têtes blondes qui riaient et gambadaient sans savoir qu’un jour à leur tour, ils seraient malheureux comme le seraient leurs parents. Mais comme tout n’est que jeu de convenances, il faut faire semblant d’être heureux, d’avoir réussi sa vie, en souriant, toujours, donnant des fêtes et des diners, souvent, et se rendant à ceux des autres. Cette vie d’artifice était parfois secouée par un scandale, aussi vite oublié que remplacé, mais ayant dévasté tout sur son passage. D’une certaine manière, je vivais heureusement éloignée de ce genre d’artifices, le mariage m’étant étranger. Bien sur, je vivais à la cours, la fréquentait, et il m’arrivait de me perdre dans ses artifices, de me laisser avoir par ses décors par trop grandiloquents, mais c’était pour mieux me réveiller le lendemain et me rendre compte que tout cela n’était que mirage.
Un mirage au travers duquel j’avais créé le mien. Et mon mirage était en passe d’être dissipé. Tout ça parce qu’un jeune mousquetaire impétueux, vantard et trop sur de lui, qui avait commis la bêtise de m’handicaper, heureusement de manière légère, était en réalité une jeune femme qui semblait bien sous tout rapport à première vue, et qu’elle avait vu la blessure – SA blessure – qu’elle avait ensuite reconnue. La discussion aurait pu finir dans un bain de sang, ce qui n’aurait vraiment pas été difficile. Mais tous ces meubles, toutes ces tentures et la totalité de la décoration m’avaient demandé bien trop d’efforts pour que je décide de tout détruire avec le sang de la jeune femme. Après tout, il ne serait jamais trop tard pour se débarrasser d’une petite curieuse. Malgré une situation similaire à la mienne, je n’arrivais pas à me départir de cette méfiance qui guidait mes pas depuis des années. Qui me disait qu’elle ne me trahirait pas, elle aussi, après avoir profité de moi ? C’était par trop fréquent. Me laissant aller dans mon fauteuil, dans une position totalement abandonnée, je la fixai comme elle me regardait. Chiens de faïences, prêts à se sauter à la gorge si besoin.
- Certainement. Mais la leçon devait être le même jour que le sermon sur le fait qu’il est interdit à une femme de se travestir en homme, que ce soit pour jouer ou entrer aux mousquetaires, me répondit-elle quand je lui signifiais que sa curiosité était très mal placée.
Sa réponse m’arracha un rictus condescendant. A force de fréquenter des soudards, il est normal que cela déteigne un peu sur son comportement. Je ne portais pas l’armée, quel que soit son corps, dans mon cœur. J’avais de bien trop mauvais souvenirs de mes quelques rencontres avec les uniformes de sa majesté.
-Eh bien, peut être auriez-vous dus faire pénitence pour ce manque d’écoute à l’église, je me signais, avant de joindre les mains, fermant les yeux et mimant une prière, bien plus par ironie que par réel sens de la religion. Il y a bien longtemps que Dieu m’a abandonnée. Puis je rouvris les yeux pour reprendre que si elle voulait parler, je pouvais en faire tout autant. Sa réponse, comme je m’en doutais, ne se fit guère attendre. Elle avait la langue bien pendue cette petite, trop peut être ?
- Parler ? Quel intérêt aurais-je à parler, dites-moi ? Pardonnez-moi, mais la situation n’est absolument pas inextricable. Juste… amusante. Et surprenante, j’en conviens.
Malgré notre différence d’âge – quelques mois, un an, deux tout au plus ? – je sentais comme un faussé entre nous. Nous n’avions pas vécu la même vie, loin de là. Au-delà des grands airs qu’elle se donnait, je sentais la jeune fille de bonne famille, choyée et aimée par ses parents, soutenue, peut être même dans sa bêtise et sa folie de s’engager dans ce corps d’armée alors que son sexe l’en empêchait. Elle reprit :
- Savoir ne m’apporte rien, vous avez raison, sinon l’occasion de mieux vous connaître et de savoir jusqu’où le hasard a bien fait les choses. Avez-vous vraiment l’intention de rendre les choses tendues et désagréables ? Vous n’avez rien à craindre de moi, et je pense pouvoir compter sur votre silence également… autant dans votre intérêt que le mien. Il me semble que tout va bien…
Bondissant de mon fauteuil comme un diable serait sorti de sa boite, je virevoltais à travers la fenêtre, que j’ouvris pour détacher les croisées et permettre à l’air tiède de la fin d’après-midi d’entrer dans la pièce, qu’un courant d’air agréable parcourus. Un instant je respirais l’air du jardin, embaumé de senteurs florales. C’est fou comme, à Versailles, on peut penser que le monde nous appartient, alors qu’il n’en est rien. Quelle cruelle illusion. Je finis par me retourner, m’adossant à la rambarde en fer forgé qui m’empêchait de tomber en arrière dans la cours, le visage apaisé – peut être un peu trop pour être sincère ? – qu’elle ne pouvait voir à contre jour. Malgré la carapace que les années avaient forgées, je n’étais pas certaine de pouvoir relater tous mes souvenirs sans que mes sentiments ne se dépeignent sur mon visage.
-Que voulez-vous savoir ? Qu’à la mort d’un père, une jeune fille encore innocente, fut jetée à la rue, à cause des dettes de celui-ci ? Que malgré sa noble naissance, elle était seule, sans rien ni personne pour la défendre, à a peine seize ans ? Je n’ai jamais été douée pour conter les histoires, mais c’est plus une tragédie digne de monsieur Corneilles que des charmantes histoires de Monsieur Perrault que je m’en vais vous narrer.
Toujours les bras sur le fer forgé, je regardai ma visiteuse, pour ne rien perdre de ses réactions, alors qu’elle ne pouvait que difficilement voir les miennes.
-Imaginez une vie simple, en province, jusqu’au moment où un seigneur décide, comme beaucoup, d’arriver dans cette ville, ce Versailles bâtis par le roi pour son bon plaisir. Mais comme tant d’autres, il est infecté d’une de ces maladies des marais qui pullulaient ici, emportant autant les ouvriers que les habitants. Ce qu’il n’avait jamais avoué, c’est que ses dettes étaient énormes, tellement énorme, que même l’appartement habité par lui et sa fille livrée à elle-même n’a pas suffit à les couvrir. Alors la jeune fille, pour survivre, n’a pas eus d’autre choix que de se prostituer. Il n’y a pas d’autres mots pour ce que j’ai été amenée à faire. Jeunes, vieux, beaux, laids, peu importait du moment qu’ils étaient riches, très riches. Un jour, l’un d’entre eux me fit entrer dans un cercle de jeu, tout aussi illicite que celui où nous nous sommes rencontrées hier. Ce monde m’a fascinée, intriguée. J’ai rapidement compris tous ses rouages. Mais il m’était difficile, voir même impossible, de le fréquenter en tant qu’Isabelle. Pour deux raisons, la première était que si jamais le genre de situation qui est arrivé la nuit dernière se produisait, je ne risquais presque rien. Sans cette blessure, vous n’auriez rien deviné. Et la seconde, que les femmes ne sont que très peu admises en tant que joueuse dans ce genre de petite corporation. Pourtant, les sommes qui étaient jouées auraient de loin amélioré mon ordinaire.
Discrètement, je portais une main à mon visage, pour essuyer la larme qui menaçait de couler le long de ma joue, ce que je refusais catégoriquement.
-C’est donc là qu’Etienne est né. Et croyez moi, il est bien plus agréable de se présenter grimée en homme à ce genre de jeux, que de devoir s’allonger dans la couche d’un homme qui vous dégoute, tout en vous soumettant à ses moindres désirs.
Je fixais Elodie, froide et distante, comme j’avais appris à l’être ces dernières années. Pour ne pas craquer, il fallait se détacher des choses et des personnes.
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 30.04.11 22:11 | |
| Si quelqu’un avait eu le loisir d’observer la scène qui se jouait dans ce petit appartement de Trianon, sans doute en aurait-il beaucoup ri. Et il y avait de quoi. Molière aurait presque pu y piocher un argument étonnant, lui qui savait si bien ravir la Cour de ses fraîches comédies. D’autant plus qu’il n’y avait là rien que beaucoup de hasard, un peu de burlesque et peut-être un petit clin d’œil de ce destin auquel Elodie allait devoir finir par croire pour de bon. Rien de tragique, pas de haines meurtrières, pas de douloureux coup du sort… Du moins était-ce ce qu’Elodie pensait, ignorant ce qui se tramait réellement derrière le masque joueur de son alter ego. Mais si elle-même n’était foncièrement en vain de confidences – bien qu’elle doutât y échapper si Isabelle lui répondait, et qu’elle n’ait plus beaucoup à dissimuler – sa curiosité, elle, ne dormait jamais que d’un œil, prête à s’attacher au premier sujet digne d’attention. Et cette fois, c’était quelque chose de bien plus lourd que ce à quoi elle pouvait bien s’attendre que ce « vilain défaut » allait lui faire découvrir. Enfin, si son hôtesse finissait par se résoudre à se confier, ce qui n’était certainement pas gagné – et, si elle avait particulièrement envie de savoir, Elodie possédait tout de même encore quelques notions de politesse et de bienséance pour ne pas insister lourdement. Après tout, elle n’avait en aucun cas l’intention de se faire d’Isabelle – et par conséquent d’Etienne, aussi étrange la chose puisse-t-elle soudain paraître – une ennemie. Dans une situation pareil, une telle inimitié serait dommage et surtout, dangereuse et propice à n’importe quel… dérapage. Elle avait déjà bien assez fait d’erreurs aux conséquences dont il lui fallait encore se méfier – et n’en était certainement pas encore au bout, sa légèreté et sons insouciance chroniques constituant à elles seules un potentiel danger.
« Eh bien, peut être auriez-vous dus faire pénitence pour ce manque d’écoute à l’église, répondit Isabelle à sa plaisanterie. » Elodie l’observa se signer en haussa un sourcil, perplexe, devinant vaguement l’ironie derrière de tels gestes. « Je doute encore pouvoir me faire pardonner de quoi que ce soit là-haut, répliqua-t-elle, levant les yeux au ciel. » Seigneur, pardonnez mes pêchés, ils ne sont que le fruit, ils ne sont que le fruit de votre propre erreur, celle de m’avoir faite femme ou d’avoir fait les mœurs si sévères. Certes, Elodie n’était pas la plus fervente bigote que l’on puisse croiser. Aurait-elle pris ce droit qu’elle, comme toutes les femmes depuis la naissance du monde, ne possédait pas si les Saintes Ecritures avaient, plus jeune, éveillé en elle plus qu’une incommensurable envie de fuite et de galopades au soleil ? Certainement pas. Et Dieu merci, il n’en était pas ainsi. Où en serait-elle si elle n’avait pas pris le large avant que les évènements ne la rattrapent ? Une, deux années de plus à tourner en rond sur les terres familiales, et ensuite, un mariage ? Avec un homme qu’elle n’aurait certainement pas même eu le loisir de voir avant de l’épouser. Vieux ou jeune ? Laid ou appréciable ? Riche ou non ? Oui, riche, sans doute… n’était-ce pas là le but de tout mariage ? Riche, et influent si possible. Et après le domaine de Froulay, un château inconnu. De nouvelles rencontres, certes, une vie où elle ne risquait pas à tout moment bien plus que sa peau, mais à quel prix ? Le couvent qui l’attendait, comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête, si elle était découverte serait-il bien différent d’un Hyménée contraint ? Elle ne doutait – et que le Seigneur lui pardonne de voir avec horreur une vie entièrement consacrée à Son amour, il n’en était certainement plus à ça près…
De nouveau assise sur le sofa, Elodie se laissa un instant distraire par la douce et habituelle brûlure de l’alcool dans sa gorge, reposant son verre vide sur la table. A fréquenter des soldats, elle avait appris, bien que prudente lorsqu’il s’agissait de boire, à tenir ces breuvages bien plus efficacement que la plupart des frêles damoiselles de son sexe. Dieu merci, on ne savait que trop à quel point l’ivresse déliait les langues. L’ivresse au même titre que le peut d’insistance dont elle avait usé auprès d’Isabelle pour qu’elle lui conte son histoire. D’un regard ayant recouvert toute sa douceur et cette étincelle pétillante, elle suivit les mouvements de son hôtesse qui, brusquement débout, était allée entrouvrir sa fenêtre, laissant la brise envahir la pièce. L’après midi touchait à sa fin. Bientôt, Elodie devrait retrouver casaque et épées et abandonner les robes qu’elle n’avait plus guère l’occasion de mettre. Accoudée à la fenêtre, Isabelle s’était à nouveau tournée vers elle, jouant sans doute du contre-jour pour garder son visage dissimulé. Bien, alors les confidences lui échapperaient, finalement. S’enfonçant dans la confortable causeuse, Elodie posa deux yeux bruns sur elle, attentive. « Que voulez-vous savoir ? Qu’à la mort d’un père, une jeune fille encore innocente, fut jetée à la rue, à cause des dettes de celui-ci ? Que malgré sa noble naissance, elle était seule, sans rien ni personne pour la défendre, à a peine seize ans ? Je n’ai jamais été douée pour conter les histoires, mais c’est plus une tragédie digne de monsieur Corneilles que des charmantes histoires de Monsieur Perrault que je m’en vais vous narrer. » Doucement, Elodie fronça les sourcils. Peu à peu, le fossé qui les séparait l’une de l’autre, qui séparait sa légèreté de la méfiance d’Isabelle, son amusement de sa froideur, commença à lui apparaître. Leur histoire, si elle se rejoignait, différait en tout points – du moins était-ce ce que ce préambule lui laissait penser. Et elle n’avait pas tort, loin de là. Comment pouvait-elle se douter de la misère que cachaient parfois les situations les plus délicates, elle qui, sans mener la vie la plus facile qui soit, n’avait jamais eu à se plaindre que de ses propres choix ? L’envers du décor a toujours un côté sombre dont l’on n’ose pas même imaginer la moitié…
« Imaginez une vie simple, reprit la jeune femme, en province, jusqu’au moment où un seigneur décide, comme beaucoup, d’arriver dans cette ville, ce Versailles bâtis par le roi pour son bon plaisir. Mais comme tant d’autres, il est infecté d’une de ces maladies des marais qui pullulaient ici, emportant autant les ouvriers que les habitants. Ce qu’il n’avait jamais avoué, c’est que ses dettes étaient énormes, tellement énorme, que même l’appartement habité par lui et sa fille livrée à elle-même n’a pas suffit à les couvrir. Alors la jeune fille, pour survivre, n’a pas eu d’autre choix que de se prostituer. Il n’y a pas d’autres mots pour ce que j’ai été amenée à faire. Jeunes, vieux, beaux, laids, peu importait du moment qu’ils étaient riches, très riches. Un jour, l’un d’entre eux me fit entrer dans un cercle de jeu, tout aussi illicite que celui où nous nous sommes rencontrées hier. Ce monde m’a fascinée, intriguée. J’ai rapidement compris tous ses rouages. Mais il m’était difficile, voir même impossible, de le fréquenter en tant qu’Isabelle. Pour deux raisons, la première était que si jamais le genre de situation qui est arrivé la nuit dernière se produisait, je ne risquais presque rien. Sans cette blessure, vous n’auriez rien deviné. Et la seconde, que les femmes ne sont que très peu admises en tant que joueuses dans ce genre de petite corporation. Pourtant, les sommes qui étaient jouées auraient de loin amélioré mon ordinaire. »
Muette, Elodie ne put que voir le geste furtif de la conteuse vers son visage. Immobile, néanmoins, elle se garda du moindre commentaire. C’était tout sauf l’histoire à laquelle elle s’attendait – à quoi s’attendait-elle, d’ailleurs ? A quoi pouvait-on s’attendre dans une situation aussi incroyable que celle des deux jeunes femmes ? Mais une chose était certaine, c’était une histoire que nul ne souhaiterait. Soudain, elle baissa les yeux vers son verre, vide, avant de les levers à nouveau vers Isabelle, vaguement… confuse ? Oui, c’était le mot. Les raisons pour lesquelles elle en était venue à s’invente le personnage d’Eric lui semblèrent un instant – un infime instant, elle n’avait rien à regretter – vaguement ridicule face à ce qui avait poussé Isabelle à faire naître Etienne. Car Etienne le fin mot de l’histoire, avant même qu’elle ne reprenne la parole, Elodie ne pouvait que l’avoir compris. « C’est donc là qu’Etienne est né. Et croyez moi, il est bien plus agréable de se présenter grimée en homme à ce genre de jeux, que de devoir s’allonger dans la couche d’un homme qui vous dégoute, tout en vous soumettant à ses moindres désirs. » Comment ne pas approuver ? Doucement, la belle hocha la tête, plongeant son regard dans celui de son hôtesse qui n’avait pas cessé de la fixer. Ces choses arrivaient bien plus souvent qu’on ne pouvait l’imaginer, mais se l’entendre raconter avait un goût d’amertume bien loin de la vague pitié qu’inspiraient les rumeurs. Se redressant légèrement, elle laissa un moment le silence s’installer. Cette fois, que pouvait-elle bien dire ? Les mots n’avaient pas toujours un sens édifiant, dans ces moments. « C’est… une façon de s’en sortir avec panache, souffla-t-elle. Et je serais bien la dernière à vous en blâmer. » Un instant, elle songea à ses propres parents qui ignoraient tout de ce qu’elle faisait à Versailles – enfin, en était-elle persuadée – et devaient désespérer de voir revenir leur fille de cette Cour où elle vivait Dieu seul savait quelles aventures. Des lettres que François avait adressées à son père, de celles que ce dernier avait adressées à la favorite, Elodie ignorait tout. Mais s’ils n’avaient plus été là ? Elle ne savait rien des protections dont elle bénéficiait encore, aussi peu efficaces soient-elle contre un coup d’épée. Isabelle, non. « Peu de gens auraient eu ce courage, ajouta-t-elle sur le même ton, un léger sourire aux lèvres – dépourvu de la moindre ironie cette fois. » Pour ce qui était du cran, Elodie avait toujours eu beaucoup d’admiration. L’audace, selon elle, était l’une des plus adroites qualités. |
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 03.05.11 21:45 | |
| Quand je regardais Elodie, c’était comme si je me regardai moi, ce que j’aurais pu être si le sort ne s’était pas acharné ainsi contre ma vie. Un miroir nous montre notre reflet, à la fois si ressemblant, et pourtant notre total opposé. Elle représentait l’ordre, moi l’interdit… Pas la peine d’aller chercher beaucoup plus loin. Tout nous opposait, sauf ce secret que nous partagions, et que pourtant, j’en étais presque certaine, nous n’avions pas pour les mêmes raisons. Il y avait une aura plus sereine qui se dégageait de mon invitée du jour, moins noire que la mienne, moins secrète aussi. Elle ne sentait pas la haine à plein nez dès qu’on la croisait. Ce qui n’était pas mon cas. Il n’y a que quand on a souffert qu’on peut se détacher des choses et des êtres… J’avais appris à accepter cette situation, qui m’était devenue indifférente. Pourtant tout semblait si étrange maintenant que quelqu’un savait qui j’étais en réalité. Quelqu’un qui avait au moins aussi compromettant, puisqu’il s’agissait du même. Quoi qu’entrée chez les mousquetaires, c’était sans doute plus infâme aux yeux des personnes un peu trop bien pensantes qui nous entouraient que le faire lors d’un jeu de carte. L’avantage d’Etienne, c’était qu’il était aussi illégal que l’activité qu’il exerçait. Prétendre le connaitre était reconnaitre sa faute, celle d’avoir fréquenté, durablement ou non, ces lieux de vices et de débauches qu’étaient les tripots. Sauf quand on s’appelait Eric – ou plutôt Elodie – de Froulay. Là, on pouvait se permettre de faire les choses bien, et de, que sais-je ? mettre la tête d’un fantôme à prix ?
Jusqu’à ce qu’on découvre que le fantôme était hélas bien réel – ou dans le cas précis, réelle. Cette situation aurait presque pu être amusante. Presque, si Elodie, curieuse, comme beaucoup de femmes en somme, doublée d’une mousquetaire qui traquait sa proie depuis un certain temps. Mais elle ne pouvait pas m’arrêter, de peur que je ne parle moi aussi. Et finalement, une fois le premier instant de stupeur passé, ne semblait plus en avoir l’intention. Seule la curiosité, que je ne pus m’empêcher de lui reprocher, restait désormais visible dans son regard. Ses réponses auraient bien values les miennes si l’on m’avait fait le même reproche, aussi ne pus-je m’empêcher de lui répondre avec ironie. L’ironie est tout un art qu’il faut savoir distiller à bon escient. Mais si l’on n’est pas maitre en la matière il n’est même pas la peine de penser essayer de survivre à Versailles. Je fini par me signer, par pure ironie. Contrairement à la tendance qui voulait que même les pires des débauchés aient au moins un cierge quelque part, un endroit où prier, ce n’était pas mon cas. Où qu’on regarde dans la pièce, il n’y avait pas de crucifie dans cette pièce. Ni ici, ni dans ma chambre. Cela me rappelait de trop mauvais souvenirs. Le couvent, et d’autres aussi.
- Je doute encore pouvoir me faire pardonner de quoi que ce soit là-haut, répondit Elodie à ma petite pique.
J’eus un rictus difficilement interprétable, avant de conclure :
-Les voix du seigneur sont impénétrables…
Nous nous ressemblions, mais je doutais de la similarité des raisons qui nous avaient faites trouver les habits d’hommes plus pratique pour faire ce que nous devions. Ou ce que nous voulions, choisissez l’expression que vous préférez. Pourtant, la curiosité de ma compagne de l’après-midi se devait d’être satisfaite, il fallait croire. Mais je ne pouvais lui faire ses confidences ainsi, si… proche. Au risque de me trouver à craquer, ce qui était tout à fait impossible. Le masque de bronze que j’avais durement forgé autour de ce personnage que j’interprétai jour et nuit, quand je n’étais pas Etienne, ne devait surement pas se fissurer au contact de la jeune femme. Au contact de quiconque en fait. M’éloignant, je m’étais adossée à la rambarde de fer forgé de ma fenêtre et lui avait déballé mon secret. Les causes de ce travestissement, certes ponctuel, mais assez récurent pour hélas être repéré, ce que cela avait déclenché. Tout en somme. Ce que seule une autre personne savait, et encore, pas en totalité. Ma servante était celle qui m’avait suivie toutes ces années, écoutant mes peines, consolant mes pleurs, pansant les plaies de mon cœur, de mon âme, et aussi de mon corps. Malgré toute ma prudence, mes yeux s’embuèrent, et il me fallut me débarrasser de ces quelques gouttes d’eau, chose qui ne passa pas inaperçu aux yeux d’Elodie, je m’en doutais bien, mais impossible de faire autrement. Le silence s’installa finalement dans la pièce
- C’est… une façon de s’en sortir avec panache. Et je serais bien la dernière à vous en blâmer.
J’eus un petit sourire triste. Certes… Mais pas la manière dont j’aurais voulu m’en sortir, certainement. Elle se perdit à nouveau dans ses pensées un instant, dans un silence que je respectais religieusement, évitant de laisser mes penser dériver sur ce que je venais de dire, pour que des souvenirs plus ou moins douloureux ne remontent à la surface. Finalement elle brisa le silence à nouveau :
- Peu de gens auraient eu ce courage.
Cette fois-ci je souris, un peu plus calme. Le vent dans mon dos vint jouer avec les rubans de ma robe d’après-midi. Etait-ce le fruit de mon imagination, ou la combinaison de la nuit que j’avais passée ajoutée aux émotions que toute cette histoire venait de faire remonter à la surface, ce coup de vent me glaça jusqu’au plus profond de mon être. Le ciel, auparavant si beau, s’était assombris. D’épais nuages gris approchaient sur Versailles. Je fermais la fenêtre après avoir pris soin de coincer les volets pour qu’ils ne battent pas au vent si celui-ci devenait plus violent, avant d’allumer quelques bougies dans le petit salon, pour nous donner quelque lumière, et finalement me rassoir à côté de mon invitée.
-Il n’y a pas de courage dans la nécessité, répondis-je simplement. Mais peut êtrequ’Etienne vous paraitra moins lâche désormais, ajoutai-je avec un sourire complice.
Il était inutile d’aller plus avant dans les confidences pour aujourd’hui, inutile qu’elle apprenne que pour préserver mon secret, et entrer dans la peau du personnage, j’avais dus aller bien plus loin que ce qu’elle imaginait sans doute, en me battant en duel, jusqu’à la mort. Pour dette d’argent, accusation de tricherie, et toutes sortes de petites choses de la sorte. Rien de bien amusant en somme… Me resservant un verre dont j’avais soudain bien besoin, j’en avalais une gorgée, avant de croiser le regard de la blonde. Si elle pensait, elle, avoir échappé aux confidences, elle se trompait lourdement. Avec un sourire amusé, je reposais mon verre, avant de prendre sa main dans la mienne, et d’un ton plus enjoué, plus naturel, je repris la parole :
-Mais assez parlé de moi, de mon passé et de mes bêtises. Dites-moi, vous, ce qui vous a poussé à en arriver là ? Entrer chez les mousquetaires ? C’est pour le moins … étonnant.
Façon comme une autre d’oublier un instant tout ce que ma vie représentait, en me concentrant sur la jeune femme. J’étais moi aussi, maintenant que l’abcès était percé et que la surprise et la panique étaient passées, bien curieuse de savoir ce qui avait poussé cette femme, visiblement de bonne famille elle aussi, à s’enrôler dans l’un des corps armés les plus prestigieux de France, mais qui, comme tous, étaient d’une misogynie sans borne.
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 09.05.11 19:50 | |
| Sans foncièrement être en veine de confidences – et ce, surtout depuis qu’elle avait tant de choses à cacher – Elodie, en revanche, avait toujours été, non seulement curieuse ; mais heureusement une oreille attentive et appréciable, capable de sérieux comme de cette légèreté qui ne la quittait jamais, quelle que soit la situation. Et si l’on pouvait parfois lui reprocher de ne pas faire preuve d’assez de gravité, il fallait néanmoins lui reconnaître que, loin de s’apitoyer avec eux sur le sort des autres, elle préférait de loin l’action, solutionner les problèmes ou tenter de les faire oublier lorsqu’ils se trouvaient être sans issue. Mutine, l’humeur vive et piquante, c’était là un domaine dans lequel elle avait tendance à exceller. Détourner l’attention, faire passer ses interlocuteurs à autre chose, faire tourner les conversations… comment pourrait-elle ne pas y être passée maître ? Des erreurs, elle en avait fait, depuis bientôt trois ans qu’elle et son double fréquentaient Versailles, ses rues, sa Cour et sa caserne. Un mot de trop, un geste inapproprié, un nom échappé… Erreurs qui, parfois, lui avaient valu de drôles – notez l’ironie – de moments ; mais que, bien plus souvent, elle était parvenue à détourner, dissimuler derrière un revirement d’humeur ou de conversation. Sans cela, tout comme ce sens du mystère qu’elle cultivait autour de chacune de ses deux identités, où en serait-elle aujourd’hui ? Certainement pas à bavarder avec une jeune noble de la Cour dans l’un des charmants appartements de Trianon – aussi radicale et brusque puisse être le tournant qu’avait pris leurs… bavardages.
Oreille attentive aux confidences, donc, mais ne s’attendant certainement pas à l’histoire que lui conta Isabelle. Il était parfois de ces impressionnants destins, dont les échos lui parvenaient, à elle comme aux autres, sous forme de légende en ce qui concernait les plus grands, ou de rumeurs. Telle personne s’est sortie de la misère par telle action d’éclat. Telle autre est parvenue à ce poste quand tout le menait à un autre. Tous en avaient toujours un mot à dire sans jamais se l’être réellement entendu narrer. A force de passage d’une bouche à une autre, que restait-il de vrai ? Les noms, le fond, parfois… quoi de plus ? Mais ce jour-là, elle était loin de ces vagues rumeurs que l’on érigeait parfois en récit de romans, l’histoire qu’Elodie venait d’entendre. Loin de ces confidences qu’elle nuançait d’un sourire ou d’une remarque. Et que dire, cette fois, sinon les quelques paroles, sagement étudiées, qu’elle laissa franchir ses lèvres ? L’espace d’un moment, le silence s’installa entre les deux jeunes femmes, pensif pour l’une et certainement préoccupé à ne pas se laisser envahir par les souvenirs pour l’autre. Toujours adossée à la fenêtre, Isabelle se redressa, comme poussée par le vague coup de vent qui venait d’envelopper vaguement quelques pans de voilage autour d’elle. Muette, Elodie leva à son tour les yeux vers le ciel, bien plus gris que lorsqu’elle était entrée à Trianon. Etait-ce l’atmosphère de la pièce qui avait influé sur le temps, ou l’inverse ? Rapidement, les vitres durent refermées et les volets coincés de façon à ne pas cogner. Le vent, chaud, laissait présager un bel orage… La jeune femme eut un vague sourire. Elle aimait l’orage, surtout de nuit. Sans pluie, il était si fascinant à observer – et étant de garde ce soir, elle aurait largement le loisir d’en poursuivre les moindres éclairs.
A la lumière vacillante des bougies, elle suivit des yeux la silhouette d’Isabelle qui revenait s’asseoir près d’elle. Se décalant légèrement pour lui laisser de la place, elle se laissa à nouveau aller contre le dossier de la causeuse. Des deux furies prêtes à se sauter dessus au moindre geste d’un peu plus tôt, il ne restait plus rien sinon cette épée, jetée dans un coin de la pièce. Sans doute étaient-elles toutes deux assez rompue au combat pour s’amocher sérieusement, si combat il y avait eu. Un mousquetaire, d’un côté, et une jeune femme ayant visiblement plus d’un tour dans son sac de l’autre… Mais ce duel, c’était justement ce à quoi, finalement, Elodie s’était refusée. Se faire des ennemis n’avait jamais été sa vocation – et le secret qu’elle partageait, elle préférait qu’ils les rapprochent plutôt qu’ils les érigent en rivales. « Il n’y a pas de courage dans la nécessité, répondit enfin Isabelle, brisant le silence. Mais peut être qu’Etienne vous paraitra moins lâche désormais. » Lui rendant son sourire complice, Elodie hocha doucement la tête. Moins lâche ? Elle comprenant, surtout, cette façon presque chronique d’éviter le combat. Ce à quoi, parfois, elle-même devrait s’astreindre d’ailleurs… « Lâche non, raisonnable surtout… répliqua-t-elle, amusée. Je devrais prendre exemple sur lui, parfois ! » Lui, elle, vous… tant de façon de parler pour une seule personne. L’on entendait souvent dire que les femmes aimaient à se compliquer la vie… Et à cette idée reçue là, elle ne pouvait que répondre oui. Cette idée amena une nouvelle moue sur les lèvres d’Elodie, moue qui prit une tournure sibylline aux paroles d’Isabelle.
« Mais assez parlé de moi, de mon passé et de mes bêtises. Dites-moi, vous, ce qui vous a poussé à en arriver là ? Entrer chez les mousquetaires ? C’est pour le moins… étonnant. » Elle lui devait la confidence, évidement, ne serait-ce que pour la sincérité avec laquelle elle lui avait parlé. Laissant sa main dans celle de son hôtesse, Elodie la dévisagea un instant, avant de se servir à son tour un nouveau fond de Porto, pensive. « Etonnant, et surtout grandement déraisonnable, répondit-elle, comme fatalement amusée de sa propre attitude. A nouveau, elle posa ses yeux de biches sur elle. Mais l’histoire que vous me demandez n’a aucune commune mesure avec celle que vous venez de me conter… » Quel mot fallait-il employer pour désigner ce qu’il y avait entre les raisons d’Isabelle d’avoir inventé Etienne et les siennes de s’être faite passer pour un troisième rejetons de la famille Froulay ? Un gouffre, ni plus ni moins. « J’ai toujours été bien plus attentive aux leçons et aux jeux d’escrime de mon frère qu’à celles qui devaient faire de moi une femme parfaite, reprit-elle après avoir trempé ses lèvres dans l’alcool. Je n’ai jamais été aussi jalouse et furieuse que le jour où François est parti pour s’enrôler chez les mousquetaires en me laissant à la maison. » Un éclat de rire lui échappa alors que ses yeux, posés droit devant elle sur un point qui n’existait plus, revoyaient avec un détachement amusé les scènes qu’elle avait pu se faire à elle-même lors du départ de François, et les leçons acharnées avec son ami, Baptiste. « En fait, pour être honnête, j’aurais très bien pu rester Elodie, rien n’allait mal. J’ai simplement eu envie de rentrer chez les mousquetaires, lâcha-t-elle enfin, avant une nouvelle gorgée de Porto. Bon, et j’avoue, l’évocation d’un mariage m’a fait fuir aussi sûrement qu’un cerf au bruit des cors ! » A nouveau, elle rit. « Dame Nature a fait une erreur, je pense ! J’aurais dû naître Eric dès le début… Mais tant pis, j’aime ma vie. Ses avantages comme ses… désagréments. » A ces mots, une étincelle alluma un instant ses yeux pétillants. C’est vrai, elle aimait se battre, patrouiller, provoquer des duels, jouer le mystère et tant d’autres des aspects de toute ces mascarade. Le danger était un détail.
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 11.05.11 18:11 | |
| Mettre son ennemi en échec, coute que coute, et surtout être plus intelligent que lui, m’avait apprit mon père. Quand on se bat, c’est avec sa tête, pas seulement avec sa force. Il faut compenser ses faiblesses par ses atouts. Mais dans ce cas là, quel était l’ennemi ? Au lieu de me retrouver face à un homme pétri d’orgueil qui passait son temps à fanfaronner, comme ce que j’avais crus à la base et qui était tellement habituel à mes yeux, je me retrouvais face à une frêle jeune fille, du moins en apparence. Comme quoi, je n’étais pas la seule à bien savoir cacher mon jeu. Une stratégie est toujours à élaborer avec précaution, car le moindre détail oublié peut être la cause d’un échec, et par là même, la mort. La vie est un combat, pas seulement un duel, une véritable bataille au cours de laquelle des ennemis peuvent surgir de n’importe où, prendre n’importe quel aspect, et vous attaquer par derrière, au moment où vous vous y attendez le moins. Mais quand on a l’habitude de se méfier de tout et de tous, il y a moins de risques d’être surprit. Ne jamais sous estimer personne, et surtout pas une beauté au teint de porcelaine, comme Versailles en grouillait, qui a l’air aussi stupide que ses pieds. C’était parfois le genre de personnes qui pouvait vous donner le plus de fil à retordre et vous faire le plus de mal. Il n’y a pas que les maux physique qu’il faut prendre en compte.
Mes souvenirs, eux, me faisait autant mal à l’âme qu’au corps. A l’âme, car la honte et la haine étaient deux sentiments que je n’arrivais qu’à oublier qu’avec une grande difficulté, et au corps, car le souvenir d’un coup quelconque – une gifle, ou pire, il ne fallait jamais sous estimer la perversion des hommes – était ancré dans ma chaire, gravé sur ma peau, de manière à ce que, toujours, je m’en souvienne. Je faisais mon possible pour les canaliser, les emmurer dans un endroit de mon esprit où jamais je ne voulais aller. Ne pas y repenser, jamais. Ne pas se rappeler des souvenirs malheureux. Ne pas penser aux souvenirs heureux non plus, en fait, cela me rendait trop triste, trop vulnérable. Et je ne pouvais pas l’être, j’avais compris cela il y a bien longtemps. En somme, je ne devais pas me retourner vers le passé, il fallait aller de l’avant, voilà tout. Ne pas ressasser ce qui pouvait blesser, atteindre, faire du mal. Je ne voulais pas souffrir encore. A vingt deux ans, je me devais de prendre les bonnes décisions. Elles relevaient de l’expérience, qui elle, hélas, relevait des mauvaises décisions. Il fallait faire avec. Tout n’est pas choix dans la vie, hélas. Des choix bien plus cruciaux que la couleur de la robe à mettre pour sa nouvelle présentation à la cours, où le souverain sera peut être, et vous remarquera, ou pas. Non, je pensais plutôt au genre de choix qui détermine la vie, dans lequel vous prenez un risque d’importance. Et aujourd’hui, je venais d’en faire un.
Je venais d’en faire un, oui, en choisissant de confier mon passé plus que trouble à une jeune femme dont je ne savais somme toute pas grand-chose, mis à part un semblant de ressemblance de situation, dans le travestissement. Sauf qu’elle était homme tous les jours, alors que je me contentais de changer de sexe uniquement certaines nuits. Une chose à laquelle je ne m’étais pas du tout attendue, mais au final, des confidences s’imposaient presque. Des confidences que je n’avais jamais faites. Pourquoi elle, pourquoi aujourd’hui ? Alors que certaines personnes plus proches de moi que cette jeune femme en auraient peut être été plus dignes ? Je ne sais pas, la réponse était plus floue… Peut être que, quand on a commencé à tricher avec des personnes depuis déjà un certain temps, on ne veut plus revenir en arrière et faire voler en éclat l’image qu’ils ont de vous, de peur de les perdre. Plutôt ironique, quand on a décidé de ne pas s’attacher. Ne pas se livrer, c’est garder son indépendance, et aujourd’hui, face à Elodie, en livrant mon passé, je livrai ma réputation et un peu ma vie aussi. Elle pourrait en faire ce qu’elle voudrait désormais. Bien sur que non, je ne voulais pas prendre de risque, mais aujourd’hui, peut être qu’après tout ce temps de solitude, j’avais besoin de faire le vide et de déposer ce fardeau à quelqu’un qui, ne me connaissant pas auparavant, n’aurait pas la possibilité de penser que je lui avais menti…
Elle pouvait toujours me juger, mais elle ne le fit pas, et je lui en fus reconnaissante. Elle ne dit d’ailleurs pas grand-chose. Pour mettre fin à ce silence qui risquait de devenir pesant, et après avoir refermé les croisées, je me rassis à son côté, sans vraiment commenter outre mesure sa réaction, et lui retourner la question. La curiosité se devait d’aller dans les deux sens aujourd’hui.
-Lâche non, raisonnable surtout… Je devrais prendre exemple sur lui, parfois ! me lança-t-elle à propos d’Etienne. A propos de moi…
Il y avait de quoi s’y perdre au final. Je ne dis rien, me contentant de hocher la tête dans un geste évasif, n’étant pas certaine au fond de moi que cela soit une bonne idée. Après tout, ma vie n’est vraiment pas exemplaire… Finalement, elle se livra à son tour :
-Etonnant, et surtout grandement déraisonnable. Mais l’histoire que vous me demandez n’a aucune commune mesure avec celle que vous venez de me conter…
Je voulais pourtant l’entendre, et sagement, silencieusement, je ramenai mes jambes fines sur le canapé, passant mes bras autour, et laissant aller ma tête contre le dossier de la causeuse, adossée à l’accoudoir :
-J’ai toujours été bien plus attentive aux leçons et aux jeux d’escrime de mon frère qu’à celles qui devaient faire de moi une femme parfaite. Je n’ai jamais été aussi jalouse et furieuse que le jour où François est parti pour s’enrôler chez les mousquetaires en me laissant à la maison. »
Un rire sans réelle joie s’échappa de ses lèvres, plus pour lui donner contenance sans doute… Je gardais le silence, la laissant parler , en me demandant comment ce François avait pu laisser sa sœur commettre une telle folie et s’engager dans une pente qu’elle n’était pas certaine de remonter ? A la place d’Elodie, j’aurais tellement aimé avoir un frère pour me protéger…
-En fait, pour être honnête, j’aurais très bien pu rester Elodie, rien n’allait mal. J’ai simplement eu envie de rentrer chez les mousquetaires. Bon, et j’avoue, l’évocation d’un mariage m’a fait fuir aussi sûrement qu’un cerf au bruit des cors ! Après un nouveau rire, elle conclut, un peu plus triste me semblait-il : Dame Nature a fait une erreur, je pense ! J’aurais dû naître Eric dès le début… Mais tant pis, j’aime ma vie. Ses avantages comme ses… désagréments. »
Je laissais le silence planer un instant avant de réagir, la laissant dans ses souvenirs et dans son passé. Plus rien ne bougeait dans le petit salon, et on aurait pu penser la scène tirée d’un tableau de Le Brun. Puis finalement, me redressant un peu, je brisais le silence, avec un léger sourire.
-Ce qui importe n’est pas ce qu’on est mais ce qu’on en fait. Tant que vous êtes sure de vous, vous pouvez vous permettre toute les extravagances. Le tout est de ne pas se retrouver piégée. Toujours garder une porte de sortie si nécessaire. Bien que j’avoue que pour tout à l’heure, je n’avais vraiment pas d’idée pour m’en sortir indemne, conclus-je avec un léger rire.
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| Sujet: Re: Miroir ébréché de nos âmes vagabondes [PV Elodie] 15.05.11 23:10 | |
| Il n’y avait rien de tragique, ni même de réellement triste dans les confidences d’Elodie – pas plus dans son ton que dans ce qu’elle racontait. Des regrets ? Et de quoi ? Jamais elle ne reviendrait sur la décision qu’elle avait prise, bientôt trois ans plus tôt, et scellée en passant les grilles du domaine familial. Pas plus qu’elle ne prendrait le temps de ressasser les desseins de Dame Nature, il y avait vingt et un ans de cela. Eric ne resterait qu’un masque, puisque rien ne pouvait y changer quoi que ce soit, et il y avait de toute façon dans cette double-vie ce piquant sans lequel, sans doute, tout cela n’aurait pas le même intérêt. Une mascarade, ni plus ni moins, et sans doute était-ce là ce qui avait rendu si attrayant l’éclat de ces lames qu’elle était sensée craindre et non manier comme elle le faisait. Si les femmes avaient eu droit de se battre, d’être soldat, mousquetaires, comme leur chers et tendres alter ego de la gente masculine, aurait-elle ainsi mis tant d’ardeur à en faire partie ? Peut-être. Mais où aurait été l’aventure, si ce n’est dans celle que tous ses camarades vivraient avec elle ? Peut-être était-ce un raisonnement idiot, peut-être était-ce la plus mauvaise justification de toutes celles qu’elle pouvait invoquer pour sa position, mais c’était un fait, Elodie aimait le risque. Et surtout, aimait vivre des choses… inédites. Des choses que tous ne seraient pas en mesure de raconter, qu’elle pouvait garder pour elle… ou partager, avec les rares personnes capables de la comprendre. Et aussi différentes leur histoire soit-elle, les deux jeunes femmes assises dans cette pièce en étaient finalement arrivées au même point.
Un point qui aurait pu leur coûter quelques égratignures, ce soir. Parce que s’il l’avait fallu, Elodie aurait été prête à se battre. Parce qu’au lieu de tout prendre à la légère et de faire passer la surprise et la curiosité avant les anciennes offenses, elle aurait pu choisir de répliquer. Et face à elle, elle n’en doutait pas, Isabelle ne se serait pas laissée faire. L’une se battait peut-être mieux que l’autre, l’expérience aidant, mais l’autre ne manquait certainement pas de ressources. Pourtant, de ces deux farouches bretteuses, il ne restait rien. Assises sur cette causeuse, un sourire aux lèvres chacune, verres posés sur la table et main enlacées, difficile de les imaginer dans les positions qu’elles occupaient quelques minutes plus tôt seulement. Ces deux fraîches jeunes femmes pouvaient-elles sérieusement se faire passer pour deux hommes – un joueur et un soldat, qui plus est ? Rien de moins crédible, pourrait-on penser. Et pourtant… ça n’était que plus de sécurité, plus de mystère. Car, s’il était impossible de les imaginer dans leur double respectif, comment seulement se douter qu’elles puissent en avoir ? Raison pour laquelle, lorsqu’elle se risquait sans le masque d’Eric, Elodie veillait, malgré une simplicité bien obligée, à se faire la plus féminine possible. Les pistes n’en étaient que mieux brouillées. Aussi dangereuse la chose puisse-t-elle être. Les erreurs, parmi tous ces mensonges, se produisaient si facilement…
Mais pas aujourd’hui. Pas dans cette pièce, pas entre elles – du moins plus maintenant. Une bouffée d’air, quelque part, que cette découverte. Si Elodie ne ressentait pas douloureusement l’obligation de devoir tout garder pour elle, l’idée que quelqu’un puisse partager la réjouissait, au fond. Parce que se livrer permettait d’alléger les fardeaux, c’était un fait – or jamais elle n’avait pu totalement se livrer à François. Lui confier ses errances versaillaises, ses rencontres, ses doutes aussi… ses troubles. Quand ils avaient pris pour habitude de se dire tant de chose, dans leurs premières années ! Malheureusement, le sermon qui s’en suivrait ne tentait absolument pas la belle combattante qui en avait déjà bien assez avec ceux ne concernant que sa position de soldat. Combien de fois avait-il tenté de la détourner de tout ça ? De lui faire prendre le chemin qu’exigeait sa condition de femme et de la faire s’en retourner sur les terres de la famille ? Inutile de compter, ça n’était pas calculable. Et si les méthodes étaient diverses, le but lui restait inlassablement le même. Et en même temps, comment ne pas le comprendre ? Non, définitivement. Ça n’était à François, ça n’était plus à son frère qu’elle pouvait faire ses confidences. Frère qui, d’ailleurs, avait certainement déjà noté son absence. Elle cherchait du regard une horloge lorsqu’Isabelle rompit le silence qui s’était installé.
« Ce qui importe n’est pas ce qu’on est mais ce qu’on en fait. Tant que vous êtes sûre de vous, vous pouvez vous permettre toute les extravagances. Le tout est de ne pas se retrouver piégée. Toujours garder une porte de sortie si nécessaire. Bien que j’avoue que pour tout à l’heure, je n’avais vraiment pas d’idée pour m’en sortir indemne. » Au rire de la jeune femme, Elodie ajouta la sien. En effet, la situation pour son hôtesse aurait pu se montrer… compliquée à dénouer. Encore heureux, elle n’était pas mousquetaire pour rien ! Tournant deux grandes prunelles brunes et souriantes vers elle, elle acquiesça en riant. « Je vous fais confiance, vous auriez fini par trouver, répondit-elle, amusée. Quitte à sauter par la fenêtre ! » Nouvel éclat de rire. C’était un fait, dans ce qu’Etienne avait fait la veille au soir… il y avait de l’idée. « D’ailleurs, j’espère que vous n’en gardez pas de trop grosses plaies, ajouta-t-elle, souriant toujours. J’ai bien failli tirer un trait sur mon duel ! » La plaisanterie, bon enfant, la conduisit à se lever pour une révérence volontairement cavalière. C’était agréable de pouvoir rire, badiner, dire des bêtises sans risquer à tout moment de se trahir. Mais l’instant de détente se terminait, hélas. « Je dois vous laisser, ma chère. Mon tour de garde commence dans une heure et le costume d’Eric ne s’endosse pas… à la légère, annonça-t-elle avec un sourire mystérieux. » Non, en effet. Il fallait repasser par la Couronne de blé, et veiller à arriver à l’heure. « Je suis ravie d’avoir pu faire plus… ample connaissance. Je serais heureuse de vous revoir, dans un monde ou dans l’autre. » Le monde des femmes ou celui des hommes, évidement. Un sourire énigmatique aux lèvres, elle salua une dernière fois Isabelle et sortit. Dehors, l’orage s’annonçait. Bien, voilà qui meublerait sa soirée de veille.
FIN DU TOPIC. |
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