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| Laisser son empreinte, même seulement sur la neige... [Marie-Thérèse] | |
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| Sujet: Laisser son empreinte, même seulement sur la neige... [Marie-Thérèse] 21.04.09 15:51 | |
| Un flocon de neige se posa devant ses yeux et Artémise secoua la tête en grognant. La peste soit de cette matière froide et gluante dont le meilleur des manteaux de fourrure ne parvenait pas à se débarrasser. La petite chienne rousse et blanche avançait à pas de loup dans cet univers cotonneux duquel aucune odeur ne parvenait à sa truffe presque fumante. Elle releva sa petite tête ornée d’une paire de longues oreilles qui traînaient presque sur le sol gelé et trottina gaiement vers sa maîtresse. La vicomtesse de Comborn était emmitouflée dans une robe épaisse et un surcot fourré à l’intérieur autant qu’au col et aux manches. Les gants de cuir protégeaient des morsures du froid ses mains blanches et si ce n’était l’étroit cadre de son visage, aucune parcelle de sa peau n’offrait de prise au gel. Tenue par une fine laisse, sa jeune chienne d'agréement accompagnait sagement sa promenade dans les jardins figés de Versailles, la petite bête se dandinait gentiment à droite et à gauche dans l'allée. Elle était bien dressée toutefois et savait ne pas faire honte à sa propriétaire.
Voilà une bonne semaine que la reine Anne avait succombé à ses douleurs du sein et bien plus de temps encore que la Cour arborait déjà les couleurs du deuil. Or Evangéline portait très mal le deuil… Les visages tirés, les teints cireux, les murmures au lieu des conversations passionnées, le sombre remplaçait des fils d’or et d’argent et des toilettes flamboyantes, elle n’avait que rarement connu Versailles de la sorte (la dernière fois avait été à la mort du Cardinal Mazarin, cinq ans auparavant) et cela lui mettait l’humeur à la mélancolie. Dans une pointe d’égoïsme toute « évangélienne », elle se demandait pourquoi Diable la Reine n’avait attendu l’été pour trépasser ? Malgré tout l’apparat du deuil auquel chaque courtisan était soumis, Evangéline ne regrettait guère la vieille Reine toujours vêtue de noir, accompagné à chaque pas par une troupe de vieux dévots qui avaient jadis, et toujours encore, causé bien des ennuis à son ami Molière et à la Comédie en général. Non, vraiment, cette lamentation imposée lui chagrinait l’esprit car cette Cour fantomatique la révulsait. La vanité et la superficialité ne sont supportables que s’ils s’affirment pleinement, autrement, elles ne révèlent que la tristesse de l’âme…
Evangéline laissait errer son regard de glace sur l’horizon brumeuse et échapper, de temps à autres, un soupir mélancolique qui s’épanouissait en un petit nuage autour de sa bouche. Elles n’étaient pas seules à arpenter le gravier blanc des jardins en ce début d’après-midi : beaucoup de courtisans éprouvaient, à l’instar de la vicomtesse, une irrépressible nécessité à s’extirper de l’atmosphère de requiem du château devenu depuis quelques jours lugubres. La neige, le froid, tout cela n’était pas prêt de rebuter ceux qui croyaient le malheur contagieux, sinon la mort elle-même. Melle de Comborn était de cette espèce qui fuit ce qui dérange ou désarçonne. La mort de la reine lui avait rappelé à quel point la vie à Versailles était une cage pour l’âme, dorée certes mais cage tout de même. Au-delà des salons littéraires, au-delà des feux d’artifices et des mascarades, on y mourrait à petit feu. Que valent donc les perles autour d’un cou fripé et disgracieux ? Que valent les intrigues lorsque l’on en est oublié ? Un étau serrait la gorge de l’impétueuse dame brune comme elle se rappelait une conversation qu’elle avait eu, bien plus jeune avec son ami Molière qui avait alors également quelques bonnes années en moins. «Vivre libre ou mourir ! » s’était-il exclamé, non sans lyrisme. L’euphorie qu’il avait mis dans cette phrase avait électrisé son amie et alors que ce souvenir remontait à la surface, le même courant parcourut son échine jusqu’à la racine de ses cheveux. Quelle liberté pouvait-on trouvé à la Cour ? Celle des mots ? Molière en faisait souvent les frais… Celle de l’esprit ? Les rumeurs avaient tôt fait d’inhiber tout jugement propre ! Celle du corps ? La vie, comme la mort, étaient publiques à Versailles… Vivre libre… Un beau projet en vérité qui n’avait aucune valeur ici. La courtisane contemplait sa vie passée et à venir et songeait :
-Peut-être ne reste-t-il plus qu’à mourir enchaînée…
Quand je vous disais que le deuil lui seyait fort mal… Oh ! Ces mauvaises pensées ne seraient plus que fadaises d’ici quelques jours ! Une partie de cartes, une nouvelle coterie : Versailles reprendrait toujours ses droits ! Et Evangéline lui demeurerait fidèle, car malgré ses vanités et son absence de substance, la vie de Cour était bien la seule à faire tourner autant la tête comme même les bras d’un homme ne le peuvent point… La moitié de sa vie présente s’était déroulée entre ces murs, Evangéline de Comborn était leur créature.
Une couple la dépassa comme elle s’était arrêté un instant et la salua aimablement. Tandis que la vicomtesse leur répondait avec empressement, la grise mine qu’elle arborait s’était dissipée pour laisser place à un visage des plus avenants. Elle engagea la conversation qui se résumait à quelques banalités, encore, quelques ouï-dire, encore, quelques piques assassines à l’encontre d’un quelconque baron, encore… Déjà, une nouvelle personne faisait crisser le gravier derrière elle. Et doucement, l’étau se resserrait un peu plus autour de son cou et les maillons de ses chaînes lui mordaient l’âme, mais qu’importe… Si la véritable liberté était de chérir sa prison ?
Dernière édition par Evangéline de Comborn le 30.10.09 0:07, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Laisser son empreinte, même seulement sur la neige... [Marie-Thérèse] 17.08.09 9:12 | |
| Une semaine, cela faisait une semaine que la Reine Anne n'était plus de ce monde. A cette pensée, Marie-Thérèse sentait le froid qui régnait dehors s'insinuait en elle. Et c'est qu'il faisait diablement froid. La jeune Reine n'avait pas connu des telles froidures avant son arrivée, il y a maintenant 6 ans, en France. Certes, les jours en Espagne n'étaient pas que soleil mais jamais la température ne serait descendu si bas à Madrid. Mais on pense toujours ce genre de choses dans un lieu hostile et Dieu seul savait sans doute à quel point Versailles et ses courtisans se révélaient être l'Enfer par certains côtés. La jeune femme, malgré toute sa bonne volonté, ne parvenait pas à prendre la place de Reine. Elle se sentait gauche, pas à sa place et les innombrables maîtresses de son mari ne l'aidaient guère dans cette tâche. De la fenêtre de ses appartements, la jeune femme voyait doucement les flocons tombaient. Doucement, ils venaient s'étaler sur le sol formant une fine pellicule de neige. Voilà bien une des choses qui auraient pu attirer la Reine dehors. Marie-Thérèse gardait une âme d'enfant pour certaines choses et le plaisir de sentir les petits flocons de neige glisser dans ses cheveux était un de ceux qu'elle ne se refusait que rarement. A moins, bien sûr, que le Roi ne la fit mander ou ne soit à ses côtés. Alors, ce genre de fantaisies était à prescrire. Ce matin-là, ses suivantes lui avaient présenté une robe noir, strict, serré et sans fantaisie, mais c'était bien là un maigre sacrifice pour la mort d'une femme qui avait été autrefois son seul soutien à Versailles. Elle avait toujours été de bons conseils et Marie-Thérèse lui en serait toujours extrêmement reconnaissante. Rien n'égayait sa toilette de jour, si ce n'était peut-être ses longs cheveux blonds qu'elle avait relevé dans une coiffure typique de l'époque et qu'elle pensait digne. Pleine de dignité, c'était bien l'expression qui caractérisait la jeune femme devant sa fenêtre. Elle ne s'en détourna que lorsque Inès de Valencia lui indiqua qu'il était l'heure de se mettre à table. Comme toujours, elle dînerait avec sa petite suite. Elle se leva doucement, sans maladresse excessive du lourd fauteuil de velours prune qui égayait ses appartements. Elle caressa un instant le revêtement de l'accoudoir puis sourit distraitement à ses suivantes: -Mangeons, mesdames. Bien entendu, ses paroles reflétaient ses origines hispaniques mieux que tout le reste. Ni ses cheveux blonds ni sa démarche ne la trahissait. Mais son accent, reconnaissable entre tous, lui, était vraiment le responsable de cette découverte. On entendait parler la Reine et on savait immédiatement d'où elle venait. Malgré ses efforts, qui devaient d'ailleurs prêter à rire, elle n'avait pas réussi à se défaire de cette accent. Il était aussi le symbole de la vie de la Reine: toujours entre la France et l'Espagne. Elle n'avait jamais réussi à oublier totalement son pays pour se consacrer à celui de son époux. Mais ses notions de français s'étaient tout de même considérablement améliorées. On pouvait au moins lui reconnaître ceci. Après son inévitable cacao, un délice qu'elle avait ramené de chez elle, elle retourna à son poste d'observation, un sourire triste sur les lèvres. Elle y resta une bonne heure. Mais finalement, n'y tenant plus, elle demanda un lourd manteau noir pour s'en envelopper et allait se balader dans les jardins du château qui était sa maison. Elle ordonna à ses suivantes de rester en retrait. Elle avait besoin de calme et de solitude et ne pouvait l'obtenir qu'avec des demandes de ce genre. D'elles-même, ses jeunes demoiselles ne risquaient pas de la laisser respirer. Elle soupira à cette pensée sombre comme le deuil qui l'étreignait. Elle secoua la tête et eut un premier vrai sourire avec l'arrivée du premier flocon de neige. Elle ne se risqua pas à se retourner pour voir si elle était seule et avança vers les fontaines. Les jardins, même en hiver, gardaient leurs allures royales et Marie-Thérèse laissa son regard effleurer les buissons recouverts de gel et de neige. Alors qu'elle avançait, elle avisa une jeune femme de sa connaissance. Sans le vouloir, elle releva légèrement la tête. C'était Evangeline de Comborn, celle qui avait été la Marraine de Cour d'Amy of Leeds. La satanée maîtresse de son redoutable époux. Marie-Thérèse ne la portait certes pas dans son cœur, mais il fallait reconnaître que la jeune femme avait toujours été plus que correct devant elle. Elle décida donc de continuer son chemin et s'arrêta à côté de la jeune femme. Elles avaient sensiblement le même âge et Marie-Thérèse la regarda sans ciller. N'y voyait aucune dureté, la jeune Reine attendait simplement de voir la réaction de Evangéline. -Bonjour, Vicomtesse. Pas un mot de plus. Marie-Thérèse ne savait pas réellement quel devait être son comportement et se cherchait véritablement. En dire le moins possible permettait sans aucun doute de ne pas se tromper lamentablement, non ? Du moins, notre jeune amie, la Reine de France, l'espérait. On a beau être Reine, sans assurance, on ne peut rien. |
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| Sujet: Re: Laisser son empreinte, même seulement sur la neige... [Marie-Thérèse] 21.08.09 0:18 | |
| Toujours hapée par ses pensées en solitaire, Melle de Comborn s’apprêtait à relever la tête pour faire face au promeneur dont elle avait perçu le pas sur le gravier mais l’accent espagnol de la Reine la précéda. Aussi devait-elle ouvrir quelques yeux ronds lorsque son regard croisa celui de Marie-Thérèse, au moins autant emmitouflée qu’elle, qui la saluait courtoisement. Le cœur d’Evangéline manqua un battement. Elle était fort pointilleuse lorsqu’il s’agissait d’étiquette et pouvait se vanter en dix années de vie de Cour de n’avoir jamais causé de scandale à ce sujet. Elle se méprit assurément, mais elle crut percevoir dans le ton de la Reine une point d’agacement, voire peut-être de vexation. Il était vrai que si une personne royale devait toujours adresser la première la parole à un courtisan et non l’inverse, le sujet se devait de s’incliner tout d’abord. Fadaises me direz-vous… Oui, mais des fadaises qui avaient leur importance dans le petit monde de Versailles où l’on se prenait le bac pour des futilités car l’on ignorait volontairement ce qui était vraiment important. Si pour une courbette manquée, on frôlait la disgrâce ! La vicomtesse se tempéra toutefois, la Reine n’était pas mauvaise, elle ne prenait pas ombrage du moindre écart. Malgré tout, Evangéline de Comborn rimait souvent avec Amy of Leeds depuis quelques temps à la Cour. Depuis qu’elle était devenue sa marraine lorsque l’Anglaise était devenue duchesse de Guyenne, Marie-Thérèse lui adressait moins souvent et moins facilement la parole. C’était de bonne guerre… Sans plus attendre, Evangéline s’inclina élégamment devant la souveraine qui restait toujours immobile :
-Majesté…
Puis se relevant lentement et osant regarder la Reine, elle confessa :
-Pardonnez ma rêverie Majesté, l’air frais m’a étourdie !
Elle resserra un peu plus sa fourrure autour de sa gorge, rester immobile les pieds dans la neige était en train de la geler jusqu’aux os. Seule la chienne Artémise semblait finalement à son aise dans l’épaisse couche blanche, disparaissant jusqu’au collet et agitant sa queue fournie aux poils de laquelle s’accrochait une poudre blanche collante. Alors qu’elle venait renifler le bas de jupe de la Reine, Evangéline tira doucement sur la laisse de cuir mais assez pour que la petite chienne comprenne que c’était là des manières qui n’étaient pas tolérées. Même les animaux devaient se plier à l’Etiquette ! La vicomtesse se demanda alors subitement pourquoi Marie-Thérèse s’était arrêtée à son côté. Certes les allées étaient pratiquement désertes mais la souveraine, moins que n’importe qui, n’avait pas d’obligation d’engager la conversation avec elle. Ce n’était pas une pensée de déplaisir qui traversait alors l’esprit d’Evangéline, simplement un constat quelque peu surpris. Allait-elle faire quelques insinuations, remarques, sur Amy ? La vicomtesse aurait-elle à se justifier de son amitié envers la duchesse ? Soyons honnêtes, dans l’histoire, la Reine ne représentait pas un grand danger pour sa position en Cour, mais il était toujours désagréable de devoir trouver des parades. La rancœur de Marie-Thérèse à l’égard des maîtresses du roi était de notoriété publique : quoi de plus normal venant d’une épouse à qui son époux faisait porter des cornes de cerf ? Mais l’attitude de la Reine, de ce qu’Evangéline pouvait en dire, avait jusque là été celle d’une femme bafouée sans que rien n’eût pu retenir son mari dans sa couche, voire dans son cœur. Il était de coutume que les rois prennent amantes, soit… Mais assurément, Melle de Comborn qui ne se laissait guère impressionner par les manières de mufles des hommes ne pouvait concevoir de passer pour la dinde d’une farce qui faisait allégrement rire la Cour entière !
Avant donc que la Reine n’abordât un sujet tendancieux, Evangéline, voyant un rayon de soleil timide percer les nuages épais, mais qui ne chauffait rien, se risqua :
- Dieu nous gratifiera-t-il d’un peu de sa lumière pour accompagner Sa Majesté de nos prières demain ?
« Sa Majesté » se référait à la Reine Anne et la journée du lendemain était celle de sa mise en terre. Un calvaire déjà dans l’esprit de la vicomtesse qui voyait d’ici les mines (faussement) affligées des courtisans et entendait leur concert de lamentations, grimpant dans la surenchère. Et le pire était qu’elle se devrait de se livrer à la même mascarade… Non vraiment, autant feindre l’amusement était chose aisée à la Cour autant prétendre au malheur ne seyait guère à Versailles.
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| Sujet: Re: Laisser son empreinte, même seulement sur la neige... [Marie-Thérèse] 23.09.09 17:39 | |
| Certes, Marie-Thérèse n'avait pas attendu que Evangeline de Comborn s'incline devant elle pour prendre la parole. Certes, encore une fois, ce n'était pas une mince entorse faite à l'étiquette et si son époux l'avait appris, peut-être lui en aurait-il fait la remarque avec délicatesse. Cependant, Marie-Thérèse n'était pas de celle qui s'agaçait du moindre manque à la norme et aux règles bien minutées qui faisait le renom de cette cour, de ce Versailles à l'étiquette si élaborée. Elle n'en voudrait pas aux courtisans de s'emmêler quelques peu les pinceaux avec la multitude de choses à respecter. Avouons cependant que ce prétexte était bien utile lorsqu'elle souhaitait pouvoir réprimander quelqu'un. Non pas que la Reine fut particulièrement rancunière, mais elle avait également appris qu'on ne pouvait pas tout laisser passer. De sa conduite, dépendait sa vie.
Et puis, dans les premiers temps de son mariage, et encore aujourd'hui, la jeune Reine espérait, avait espéré, que s'habituer à la vie de la Cour la ferait rentrer dans les grâces de son époux. Peine perdue, de toute évidence, mais Marie-Thérèse ne se décourageait pas.
Si il lui arrivait de balayer quelques convenances, comme l'instant auparavant lorsqu'elle avait interpellé Evangeline, elle essayait de rester dans les règles imparties. La maladresse qui était sienne, par moment et cela malgré sa bonne volonté, ne l'y aidait pas toujours. De la même manière, la langue, ce français qu'elle ne maîtrisait pas encore tout à fait aussi bien qu'elle l'aurait voulu, ne l'aidait pas. Elle ne parvenait pas toujours à comprendre réellement les nuances de notre belle langue et il lui arrivait aussi de s'embrouiller avec la syntaxe ou la grammaire...
Marie-Thérèse sourit légèrement lorsque la vicomtesse s'excusa de son absence. Bien, elle réagissait tout à fait comme la jeune femme s'y attendait. Ce n'était pas étonnant, finalement. La jeune femme ne semblait pas déroger aux règles et paraissait même d'un classicisme qui pouvait parfois étonner... Dans une mesure somme toute bien réduite!
La jeune Reine hocha la tête. Elle ne souhaitait pas, en effet, que cette rencontre tournât au pugilat verbal. Sa volonté était même toute autre. Elle avait bien conscience, que sa position, bien que assurée, n'avait pas réellement d'emprise sur la Cour. Le mince pouvoir qui lui était attribué ne devait pas faire peur à la vicomtesse. Et même si Amy of Leeds, la maîtresse de son époux, était liée à Evangeline de Comborn, Marie-Thérèse ne pouvait se permettre de se la mettre à dos.
En voyant sa compagne resserrer son manteau sur ses épaules, Marie-Thérèse, par mimétisme, fit de même. Le lourd manteau parvenait dans la mesure du possible à la protéger du froid. Elle ne pouvait suivre le cheminement des pensées de la jeune femme qui lui faisait face, mais la jeune blonde pensait qu'en cet instant, Amy of Leeds devait être dans les pensées de Evangeline. Sa rivale, celle qui avait une véritable place dans le cœur et le lit du Roi …
Si Marie-Thérèse n'avait rien eu à se reprocher, elle aurait pu se trouver négligée, malmenée. C'était bien ce qu'elle avait ressenti avant … Mais désormais, son passage dans le lit d'un autre... Cela changeait tout. La Reine ferma son esprit à ses pensées qui n'avaient pas lieu d'être maintenant. Plus tard, seule, elle pourrait y songer tout à son aise.
Entendant la voix de la Vicomtesse, elle tâcha de se raccrocher à ce que celle-ci lui disait. Le temps … Oui, elle devait sans doute parler de la mère de Louis, la défunte Reine-Mère, décédée. A cette pensée, le cœur de Marie-Thérèse se resserra comme elle l'avait fait de son manteau avant. Elle se devait de répondre, par pure politesse et aussi, par respect pour la défunte.
-Je le souhaite de tout coeur. Sa Majesté le mérite, tant elle nous a illuminé de sa présence toute sa vie.
L'accent de la jeune femme était toujours aussi prononcé. Elle écorchait même les mots qui contenaient des « r » et butait parfois sur certaines tournures. Elle regarda la jeune vicomtesse et reprit, d'une voix forte:
-Ce ne serait que justice … N'est-il pas vrai, ma chère?
Elle faisait la conversation, alors qu'elle n'aurait jamais pensé y arriver avec tant de facilités, des années auparavant. Elle sondait la jeune femme, non qu'elle doute de la réponse d'Evangeline, qui devrait bien entendu, être conforme à l'étiquette. |
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| Sujet: Re: Laisser son empreinte, même seulement sur la neige... [Marie-Thérèse] 30.10.09 0:06 | |
| Les yeux pâles de la vicomtesse balayaient le visage tendre de la reine qui s’était brusquement voilé tandis qu’elle avait évoqué la défunte reine et régente. Une femme de poigne, il était vrai, qui en son temps avait défié la Fronde et ses canons. Mais le temps et la solitude l’avait aigrie comme une vieille pomme blette. Evangéline, comme beaucoup d’autres à la Cour, avait connu deux Anne : la mère de poigne du jeune roitelet encore peu mûr pour la royauté, siégeant sur son trône telle Héra sur l’Olympe, et puis la dame en noir, vieillie par l’amertume et la maladie, toujours flanquée de sa horde de dévots qui lui insufflaient sans cesse leur poison de vilainies. Il ne faisait pas bon finir ses jours à Versailles : le vent d’insouciance et de frivolité devait transpirer par tous les murs et s’insinuer sous toutes les portes, comment le supporter lorsqu’il charrie avec lui tous les fantômes d’un passé révolu, que sa vie s’étiole jusqu’à l’inévitable et douloureuse fin?
Et c’est justement en observant la jeune (et désormais unique) reine de France qu’Evangéline songeait que Marie-Thérèse ne ressemblait en rien à sa défunte belle-mère, hormis cette accent dont aucune des deux ne semblait pouvoir vraiment se départir. Ses traits était aussi généreux que ceux d’Anne avait pu être hiératiques, d’apparence si fragile qu’Anne avait pu être solide… Et finalement Evangéline en venait à cette conclusion : si peu faite pour être reine… Anne l’avait compris : elle était une louve parmi les loups. Dans le tableau, Marie-Thérèse faisait figure, bien malgré elle, d’agneau. De proie.
-Je le souhaite de tout coeur. Sa Majesté le mérite, tant elle nous a illuminé de sa présence toute sa vie. Ce ne serait que justice … N'est-il pas vrai, ma chère?
Evangéline opina sagement du chef :
-Assurément, Majesté. Les Ecritures ne nous enseignent-elles pas que la tristesse n’est que pour ceux qui demeurent ici bas, privés de leur être cher, tandis que celui-ci est accueilli dans la béatitude du Royaume des Cieux pour l’Eternité.
Bien évidemment, Melle de Comborn n’était pas sans ignorer qu’en perdant la reine douairière, Marie-Thérèse perdait le plus important (sinon le seul) de ses soutiens à la Cour. Hormis bien sûr son époux qui, secret de Polichinelle, ne mettait guère de zèle dans la bonne conduite de ses devoirs conjugaux. Bref, entre les deux femmes, cet après-midi là, sur le gravier et la neige de l’allée, le deuil était certainement plus dur à porter d’un côté que de l’autre. Sans la houlette de sa belle-mère, la reine espagnole devrait apprendre à voler de ses propres ailes : un exercice bien mal aisé lorsqu’on connaît les vents périlleux qui agitent la Cour et qui ramènent toujours dans l’ombre, parfois bien pesante, du Soleil.
Comme pour faire écho à leurs paroles précédentes, un timide, mais tenace, rai de lumière parvient jusqu’à la Terre et fit ciller quelques secondes la vicomtesse qui esquissa un sourire à l’égard de la souveraine. Ce faisant, son regard croisa les foudres lancées par ceux des dames de compagnie de la reine, des Espagnoles pour la plupart, qui visiblement n’appréciaient guère cet échange entre leur maîtresse et l’amie de la putain du roi… Etre agréable et courtoise en présence de Marie-Thérèse n’était jamais que la raison d’être de la courtisane, l’être avec ses dames de compagnie était autre chose. Le sourire de Melle de Comborn destiné à la reine se figea lorsqu’elle les aperçut et elle détourna la tête ostensiblement. Cette affaire se réglerait en d’autres moments, en d’autres lieux, et en d’autre compagnie…
-Aurons-nous le plaisir de voir Son Altesse le Dauphin à la cérémonie de demain? Sa Majesté chérissait tellement Monsieur Votre Fils... Je la crois partie en paix de savoir que l'avenir de la race de France était incarné si bellement en ce vigoureux garçon.
La neige commençait doucement, mais malicieusement, à tremper le feutre de ses souliers et à geler sa chair protégée seulement par des bas de soie. Et alors que le brin de soleil fugace s'évaporait déjà de leurs visages, Evangéline songeait qu'il faudrait déjà songer à se remettre au chaud... |
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| Sujet: Re: Laisser son empreinte, même seulement sur la neige... [Marie-Thérèse] 03.11.09 13:39 | |
| En évoquant les Saintes Ecritures de cette façon, Evangeline ne pouvait qu'obtenir l'acquiescement de sa reine. Marie-Thérèse n'avait pas un mauvais fond et si elle avait pris avec un peu de hauteur Evangeline de Comborn, c'est qu'une raison existait. Marraine de la maîtresse du Roi, Evangeline ne pouvait pas être porté dans le cœur de Marie-Thérèse. Cela était d'ailleurs dommage car cette-dernière appréciait de temps à autre la compagnie de gens bien vu à la Cour. C'était cependant plutôt eux qui acceptaient de voir la Reine que le contraire. Marie-Thérèse n'avait en effet qu'une autorité toute relative sur ses sujets et Louis ne l'aidait absolument pas sur le sujet. Il ne l'associait jamais à ses décision et ne la consultait pas non plus.
Dans les premiers temps de leur mariage, la jeune espagnole en avait été blessée. Cruellement blessée, même, mais malgré ses efforts, elle n'avait rien pu y changer. Louis,une fois son devoir fait, oublié jusqu'à l'existence même de son épouse et retournait à ses amours qui n'avaient de clandestines que le nom … Toute la Cour était au courant de ses conquêtes et par là même de l'humiliation de la jeune Reine. Dure blessure à l'amour-propre d'une demoiselle déjà peu sûre d'elle. Elle ne s'en était jamais remise tout à fait. Le fait d'avoir un amant qui la comble -sincère ou non- ne lui avait pas permis non plus de trouver un amour d'elle-même.
Le soleil avait fait son apparition, mais Marie-Thérèse lui tournait le dos. Elle apprécia cependant, sous son lourd manteau, de sentir la lumière solaire glisser sur le peau de son cou. Elle esquissa un léger sourire. Son Espagne natale était si loin, mais de petits détails comme ceux-ci lui rappelaient avec précision d'autres lieux.
La jeune Reine ne vit pas son interlocutrice regarder sa suite avec un léger agacement. Pas plus qu'elle ne se rendit compte du froid qui étreignait Evangéline de Comborn. Imperméable à certains sentiments, Marie-Thérèse n'avait pas toujours la finesse nécessaire pour déceler complots ou mécontentement croissant … Elle était discrète, et c'était en retrait qu'elle parvenait le mieux à comprendre les âmes agitées des habitants de Versailles. Malheureusement pour elle, elle ne pouvait que rarement être une spectatrice invisible de la vie de la Cour. Elle pouvait certes être transparente aux yeux des courtisans, mais elle était toujours et sans exception aucune, observée. A l'instant même, ses suivantes devaient vérifier qu'elle se comportait comme elle le devait. A vrai dire, la jeune femme y était plutôt habituée. Mais l'habitude n'équivaut pas à une adhésion. Loin de là, dans le cas de notre jeune amie.
Le sujet fut vite lancé par Evangeline. Son fils. Louis … A l'évocation de cet enfant, Marie-Thérèse eut un grand frisson qui se propagea dans son corps. La seule chose qui avait pu combler son époux. La prunelle de ses yeux. Malheureusement, elle n'avait point d'impact sur son éducation. Il lui avait été vite arraché pour être confier à toute sorte de précepteur et cela lacérait le cœur de la jeune maman. Son enfant aurait pu être le lien qui lui aurait permis de supporter cette vie … Cela n'était malheureusement que trop rarement le cas. Néanmoins, elle eut un sourire poli pour la vicomtesse et répondit calmement:.
-Le dauphin sera là. Il chérissait Sa Majesté et l'avenir de notre Royaume ne se passant pas de lui, il sera présent.
Marie-Thérèse n'en doutait pas … Elle espérait juste que c'était bien l'avis qu'aurait son époux. Enfin, Louis XIV respecterait certainement les traditions pour les funérailles de sa mère. La jeune reine entendit derrière elle des pas qui se rapprochaient. Ne pouvait-elle donc pas avoir un moment tranquille? Ne leur avait-elle pas demandé d'attendre? Elle perdit son sourire et laissa son regard se porter vers les bruits qui se faisaient entendre. Elle revint néanmoins vite à la vicomtesse, ignorant superbement ses demoiselles de compagnie. Une attitude digne du Reine, mais tellement rare chez Marie-Thérèse …
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| Sujet: Re: Laisser son empreinte, même seulement sur la neige... [Marie-Thérèse] 16.11.09 18:37 | |
| « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ? » Les murmures haineux en espagnol qui parvenaient très vaguement aux oreilles de la vicomtesse étaient à eux seuls une réponse à ce vers de Racine qui lui revenait en mémoire à cet instant. Mais la dame n’était pas de celles qui courbent l’échine lorsqu’elles sont acculées si perfidement, elle ne prit pas la peine de détourner les yeux. Bien au contraire, son regard de gorgone s’installa fixement sur celle qui semblait être la meneuse des hostilités. Aurait-elle pu la figer en statue de pierre…
Elle s’étonna cependant de voir une Marie-Thérèse, peu dupe mais qui aurait pu l’être devant si peu de vergogne ?, dédaigneuse à l’égard de ses suivantes au point de les ignorer avec superbe. Elle ne pensait pas la Reine capable de tant de hauteur, même (et surtout) avec les quelques dames qui étaient fermement acquises à sa cause. Evangéline supposa, peut-être à tort, que leur comportement si peu discret à défaut d’être respectueux, avait eu raison de la patience pourtant semblait-il inébranlable de la souveraine. Elle fut donc agréablement surprise par ce trait de caractère, l’honneur, qu’elle pensait si effacé (peut être même aurait-elle dit quelques instants auparavant « inexistant ») de la personnalité de Marie-Thérèse.
Il faut dire aussi que rien jusqu’alors ne lui avait permis d’entrapercevoir cette facette-ci de la Reine : jamais un mot plus haut que l’autre, jamais une parole déplacée… mais en même temps, elle parlait si peu en public… Toujours dans l’ombre de son époux, de la défunte reine-mère, voire même de sa rivale, l’actuelle favorite.
C’est donc avec un peu moins de raideur malaisée que lui répondit Evangéline lorsqu’elle évoquait son fils :
- Pauvre enfant… Si petit et déjà tant d’yeux tournés vers lui. Mais il ressemblera en tout à notre Sire son père, cela se voit déjà. Je me souviens que lors de ma première venue à la Cour, Sa Majesté n’avait pas 13 ans que déjà tous les courtisans lui vouaient une dévotion sans réserve et ne vivaient que suspendus à ses paroles. Pas seulement parce qu’il était le Roi, mais parce qu’il avait les épaules de sa charge et qu’il inspirait une crainte naturelle mêlée de respect.
Bien que la vicomtesse supportait mal l’idée de la maternité autrement que comme un asservissement du corps et du cœur (et encore moins comme une source d’épanouissement quelconque !) par le Mâle tout puissant, elle respectait Marie-Thérèse pour ce don fait à la France : un nouveau petit roi en devenir, un nouvel honneur à servir. Elle savait toucher quelque chose de précieux chez la Reine et entendait lui montrer ainsi qu’elle n’était pas l’ennemie de la famille royale alors même qu’elle soutenait la favorite. Si Amy était la Reine effective de Versailles, il n’en demeurait pas moins qu’elle n’était pas née Reine et qu’elle ne pourrait jamais l’être… Les liens de l’amitié étaient certes les plus forts dans ce combat pour le lit du Roi qui faisait qu’Evangéline soutenait sans réserve son amie de longue date, mais la vicomtesse n’en était pas moins fidèle au royaume et à tout ce (et ceux) qui le représentait. C’était le cas du Roi, mais aussi de la Reine et du dauphin…
L’éclaircie avait sensiblement calmé l’averse de flocon mais à peine le soleil mangé par les nuages lourds, la chute blanche reprit de plus belle et même avec plus de vigueur. Cette fois-ci, c’était officiel : Evangéline était terrassée par le froid et l’humidité, si elle ne mourrait pas dans la nuit, elle serait certainement brûlante de fièvre le lendemain matin ! Même sa petite chienne commençait à se lasser de ses plongeons gais dans les petites mottes de neige et laissa échapper un éternuement aigu comique qui ne manqua pas de faire rire la vicomtesse.
Déjà, un petit groupe de courtisans, ayant repéré la reine, se précipitait à la rencontre de celle-ci pour lui offrir le refuge précaire d’une ombrelle. En moins de temps qu’il faut pour le dire, leur visage arbora le masque affligé du deuil comme il était de coutume depuis quelques jours dès que l’on apercevait un membre de la famille royale. C’était plus qu’Evangéline pouvait en supporter autant sa conversation agréable, quoique timide, avec Marie-Thérèse lui avait été sympathique et riche d’enseignement, autant subir ce qui allait suivre (et dont elle connaissait par avance si bien les codes et les détails) la révulsait au point qu’elle voulait fuir.
Elle demeurait quelques instants par politesse, dissimulant à la perfection son impatience intérieure. Tous ces yeux humides, toutes ses mines éplorées, elle ne pouvait plus les voir en peinture ! Et dire que dans quelques semaines, Anne d’Autriche serait enterrée dans les mémoires autant que dans la terre…
Déjà pouvait-elle gageait que ces courtisans, tombant fort bien à propos, se moquaient bien des condoléances présentées à Marie-Thérèse… La Reine et l’amie de la putain en plein bavardage, mais de quoi donc pouvaient-elles bien s’entretenir ? Bon sang, la vicomtesse les connaissait comme si elle les avait faits ! Humant le scandale à des mètres comme des chiens de chasse flairent le gibier, ils étaient simplement venus tendre l’oreille voilà tout !
Evangéline profita d’une seconde de silence où le regard de la Reine croisa le sien pour lui adresser un léger sourire contrit (difficile de faire autrement avec ces Pierrots et leur air de cire) :
- Si Sa Majesté veut bien m’excuser, l’air se fait un peu trop mordant pour sa servante…
La pique s’adressant aux intrus n’était qu’à peine déguisée mais elle ne parut pas remonter jusqu’aux cerveaux infatués de ceux-ci qui ne relevèrent que la courtoisie avec laquelle Melle de Comborn s’adressait à la Reine. Evangéline exécuta une de ses plus belles révérences et adressa un dernier regard, presque complice, à la souveraine avec qui elle venait de partager un moment assurément inattendu.
En s’éloignant dans la pluie de plumes, la piquante brune était songeuse… Plus tard, la lutte tacite reprendrait, mais sans doute garderaient elles toutes deux un souvenir aimable de cet échange impromptu entre femmes que tout oppose, ou presque.
[Voilà, je me suis permis de conclure de mon côté ce topic fort sympathique! Un peu plus en je pense qu'Evangéline aurait gelé sur pied! LOL!]
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