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 "Partager" n'est pas dans notre vocabulaire ▬ Anne [Automne 1666]

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Isabelle de Saint-Amand


Isabelle de Saint-Amand

« s i . v e r s a i l l e s »
Côté Coeur: Fermé à double tour depuis qu'un ex-mousquetaire l'a brisé
Côté Lit: Amants de passages aussi rapidement oubliés
Discours royal:



Coeur à vif ϟ
On promet beaucoup pour se dispenser de donner peu

Âge : 29 ans
Titre : dame de Louvel, chevalier de Saint-Amand
Missives : 386
Date d'inscription : 02/01/2012


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MessageSujet: "Partager" n'est pas dans notre vocabulaire ▬ Anne [Automne 1666]   "Partager" n'est pas dans notre vocabulaire ▬ Anne [Automne 1666] Icon_minitime23.11.15 14:08



Isabelle passa la porte de son petit appartement, la ferma du bout du pied et s’adossa contre la porte, en soupirant d’aise. Enfin ! La journée avait été longue. Elle détestait être chez la reine. On s’ennuyait ferme, à force de balades, de lectures et de messe. Elle avait toujours été très douée pour faire simuler – et ce dans tous les domaines – un semblant d’intérêt, mais là… On ne s’amusait que le soir, au cercle de jeu. Heureusement, il y avait ces intermittences. On murmurait qu’une guerre se profilait. Isabelle espérait que cela n’était que mensonges et bruits de couloir, l’idée que Versailles se vide de sa jeune population masculine avait de quoi déprimer les plus heureux. Qu’allait-on faire sans ces messieurs ? La cour allait perdre de son dynamisme et ressemblerait fort à un cimetière, sans parler de toutes ces dames pleurant leurs galants – car il n’y avait rien de pire et de plus ridicule que de pleurer son époux. C’était bien passé de mode ! Avec qui allait-on danser ? Et avec qui allait-on échanger des œillades ? Pire ! Qui Isabelle allait-elle donc dépouiller aux cercles de jeux de Paris ? Grand Dieu, ils allaient même peut être s’interrompre par faute de joueur. Cela lui donna des sueurs froides. Non, pour ses affaires, la guerre ne pouvait avoir lieu, voilà tout ! Et au diable les envies de conquêtes et de bataille du roi ! Heureusement, tous les bruits de cour n’étaient pas désagréables à entendre, certains étaient même fort drôles.

Antoinette, sa femme de chambre, s’avançait pour récupérer la cape de sa maîtresse, et l’aider ensuite à défaire le laçage de sa robe. Isabelle avait prévu de se rendre à Paris pour la nuit, et il n’y avait rien de plus sûr que de s’habiller en homme pour l’occasion. Décidant de penser à autre chose que la guerre et sa rumeur, la jeune femme s’adressa à sa femme de chambre :

-Toi qui sait tout, tu vas pouvoir me renseigner ! Les petites gens parlent bien plus que les grands. On raconte que la marquise de Coëtlogon, férue de chocolat, a mit au monde un enfant noir. Tu te rends compte ! As-tu entendu quelque chose là dessus ?

Antoinette, qui, ne serait-ce que par les frasques et les secrets de sa maîtresse – qu’elle aurait protégée jusqu’au bout, elle la connaissait depuis l’adolescence, alors qu’elle était entrée à son service au retour d’Isabelle du couvent – en avait vu bien d’autres, ne sembla pas le moins du monde choquée. Surprise, oui, mais choquée, certainement pas. A elle aussi, la curiosité était piquée.

-Je n’ai rien entendu de la sorte, madame, mais je vais me renseigner. Ne vous en faites pas, je saurai tantôt tout de cette histoire.

Isabelle sourit. Sa robe de brocart bleu tomba au sol, et elle en sorti, en chemise et corset, pendant qu’Antoinette la ramassait. Passant dans sa chambre, elle entreprit de défaire sa coiffure, retirant pince après pince. Sa longue chevelure noire tombant dans son dos. Elle retira également ses chaussures, et Antoinette délaça son corset. Isabelle finit de se déshabiller et passa dans la petite garde robe d’où elle sorti un autre corset, moins contraignant, aplatissant sa poitrine, et une chemise d’homme. Antoinette, après avoir rangé sa robe, sorti le reste de la tenue de cavalier de sa maîtresse. Se glisser hors de Versailles de nuit, en arborant l’épée et passant ainsi pour un simple gentilhomme, n’avait rien de bien compliqué.

-Et pour ce qui était du cadeau ?

Mesquine, Isabelle avait fait livré un petit quelque chose à Eleanor Sobieska, accompagné d’un petit mot.

-Le tonneau d’urine de mule a été livré à sa destinataire. La lettre avec.

Isabelle sourit, ravie. Après tout, elle avait entendu dire que c’était là coutume polonaise.
Cela n’avait donc rien d’intentionnellement mauvais.

-Pourquoi ne pas avoir demandé à un des petits valets ? Jamais l’on ne serait remonté jusqu’à vous.

-Je ne leur fais pas confiance comme, je ne fais pas confiance aux poissons. Ils respirent de l’eau, tu imagines !


Et de toute façon, la guerre entre elle et Sobieska était déclarée, aucun problème alors qu’on connaisse la provenance du cadeau. Il faudrait juste se méfier des représailles, si représailles il y avait.

Le second corset était mit en place, et Isabelle passa la chemise et les bas d’homme. Elle allait finir de s’habiller, quand on frappa à la porte. Elle se figea. Sa suivante aussi. Elles se regardèrent.

-Vous attendez quelqu’un ?

-Bien sûr que non ! Sinon, je ne serais pas en train de mettre cette tenue ! Eh bien, va voir, qu’attends-tu ?


Antoinette se précipita jusqu’à la porte, par le petit salon. Isabelle dissimula les vêtements sous le lit, et passa sa grande robe de chambre qui tombait jusqu’à terre, dissimulant ses pieds et les bas qu’elle portait. Antoinette revint rapidement.

-Madame de Gallerande est là, et demande à vous voir.

-Quoi ? Où est-elle ?

-Je l’ai fais passer dans le salon… Que pouvais-je faire d’autre ?


Isabelle ferma les yeux, soupira. Effectivement, qu’est ce qu’Antoinette aurait pu faire d’autre ? La jeune femme se demanda pourtant ce qu’une dame de la favorite, à qui elle avait du adresser la parole une fois maximum, faisait à cet instant chez elle. Chassant Antoinette de la main, et lui faisant signe de ramasser les affaires sous le lit une fois qu’elle serait sorti et aurait fermé la porte, elle passa dans le salon, dans son peignoir et avec ses cheveux défaits.

-Madame de Gallerande, quelle surprise. Je ne vous attendais pas… Excusez ma tenue, mais je n’attendais pas de visite. Prenez-place. Que me vaux cette visite ?

Isabelle s’installa sur le fauteuil et fit signe à Anne de prendre place sur la petite causeuse. Derrière cette affable amabilité, la curiosité – et l’agacement, elle avait autre chose à faire – d’Isabelle, était piquée. Elles n’avaient rien en commun ! Du moins le pensait-elle.
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MessageSujet: Re: "Partager" n'est pas dans notre vocabulaire ▬ Anne [Automne 1666]   "Partager" n'est pas dans notre vocabulaire ▬ Anne [Automne 1666] Icon_minitime26.11.15 20:11

Quelques jours auparavant

La marquise de Gallerande rentra chez elle dans une rage folle. A peine était-elle entrée dans le hall de son hôtel particulier que ses domestiques se sauvèrent, de peur de subir sa mauvaise humeur. “DENISE !” hurla la Gallerande avec une telle force que son cri fut entendu dans chaque pièce de l'hôtel. La camériste arrivait à petits pas, craintive. Fermant les yeux quelques secondes, Anne prit le temps de bien respirer pour se calmer. Elle expira un bon coup, ouvrit les yeux et eut comme première vision, la jeune Denise tremblante de peur. Anne lui donna son éventail dans un geste sec et lui ordonna de préparer ses vêtements d'intérieur. Sa colère était si forte qu'elle avait du mal à respirer dans son corset trop serré. Elle releva ses jupons pour se lancer dans l'ascension de l'escalier mais, son pied suspendu au dessus de la première marche, elle aperçut un tableau posé par terre dans un coin. Abandonnant l'escalier elle fit quelques pas vers la toile. C'est avec stupeur qu'elle se reconnue comme sujet du tableau, elle, Anne de Gallerande, sans néanmoins en être tout à fait certaine. Une femme blonde et nue était entourée d'abeilles et de pots de miel. Les endroits intimes étaient cachés par des abeilles. C'était.... Non, ce n'était pas possible. Sentant la fureur qui parcourait à nouveau ses veines, elle lança un regard froid à son valet. “Poiuyt, qu'est-ce ?” Le valet  baissa les yeux, n'osant rencontrer le regard de la marquise qui, telle Méduse, aurait pu le pétrifier sur place. “Eh bien, j'attends.
-C'est de la part de Louis-Charles de Lévis, madame. Il a laissé ce papier.” Anne lui tira des mains le papier qu'il présentait. Le duc de Ventadour y disait lui offrir ce charmant tableau la représentant en une déesse nordique, Beyla, déesse de l'hydromel, des abeilles et du miel. Anne déchira la lettre avant de jeter les bouts de papier. Quel imbécile ! En avait-il fait un double pour... Non, la marquise n'osa pas y penser, de peur de littéralement bouillir de rage. “Pliez cette toile et ramenez la dans mon salon, je vais la jeter au feu. Louis-Charles n'a aucun goût en matière d'art, et le peintre qu'il a engagé n'a aucun talent. Non mais regardez-moi ça. Il devrait avoir honte, ô oui il devrait avoir honte. Je vais l'humilier, je ne sais pas encore, mais je vais l'humilier. Pour son tableau et pour...

La jeune femme se rendit dans ses appartements à l'étage, suivie du valet Poiuyt et d'un autre domestique qui montaient la toile. Ils la coupèrent en plusieurs morceaux puis la jetèrent au feu. Anne, quant à elle, s'était assise à son secrétaire et commençait une lettre mais abandonna au bout de quelques minutes. Elle ne devait pas affronter Louis-Charles frontalement, pas pour le moment. Elle cherchait une manière de se venger de cet affreux goujat qui avait osé se moquer d'elle. L'empoisonneuse venait en effet d'apprendre, dans la journée, que son amant entretenait une autre femme. Il avait deux maîtresses ! Il ne semblait pas avoir compris que la marquise n'était pas partageuse. C'était le frère du duc, Silvestre de Lévis, qui lui avait appris, sans le faire exprès, cette terrible nouvelle. La marquise avait pris Silvestre sous son aile, lui apprenant tous les secrets de la Cour, à lui, qui avait passé tant de temps à l'autre bout du monde. Il en avait connu des dangers, mais la Cour était une jungle où les règles de survie n'étaient pas les mêmes. Silvestre ne savait pas que son frère et la marquise avaient une liaison et lui avait tout naturellement parlé d'Isabelle de Saint-Amand, l'autre maîtresse de Louis-Charles. C'est à cause de cette nouvelle que la marquise était entrée chez elle dans une fureur noire. Et le cadeau de Louis-Charles de Lévis, cette peinture ratée, ce tableau affreux, n'arrangeait en rien les choses.

Il était bien idiot, ce Louis-Charles, pour risquer de se mettre à dos Anne. Cette-dernière en était de cette réflexion lorsqu'elle eut une révélation. Bien sûr ! Son amant était idiot de provoquer la colère non seulement de la marquise de Gallerande, mais aussi d'Isabelle de Saint-Amand. La Saint-Amand avait une réputation de maîtresse difficile à contenter, peu sentimentale et très sûre d'elle-même. Elle menait les hommes à la baguette, tout comme Anne. Des traits de caractère communs qui pourtant ne les avaient jamais poussées à se côtoyer. A part quelques bonjour elles ne s'étaient jamais adressées la parole. Les deux vénales n'avaient pas été des rivales jusqu'à maintenant, n'ayant jamais chassé sur les mêmes plates-bandes. Mais aujourd'hui, les choses prenaient une tournure inattendue. Anne n'avait aucune envie de se battre pour Louis-Charles. Ce n'était donc pas le moment de s'opposer à une adversaire telle que la Saint-Amand. Par contre, si au lieu de devenir rivales elles devenaient alliées... quelle terrible punition cela serait pour Lévis ?

Le début de plan diabolique prenait forme dans son esprit tandis qu'un sourire machiavélique se dessinait sur son visage.

***

Après une longue journée à Versailles où la marquise avait suivi la favorite, Anne put enfin s'occuper de ses propres affaires. Elle quittait les appartements de la favorite lorsqu'elle vit Godefroy de la Tour d'Auvergne courir dans sa direction, une lettre à la main. Par pure méchanceté l'empoisonneuse laissa sa jambe glisser sur le côté pour faire un croche-pied au coursier. Celui-ci fit un vol plané et atterrit sur le ventre au beau milieu du couloir. Étouffant un rire, Anne passa à côté de lui et lui lança : “Le sol est glissant, vous devriez faire plus attention”. Voyant la lettre au sol, elle  la fit glisser plus loin à l'aide de sa chaussure. “Mais madame, se plaignit Auvergne, c'était urgent, on m'attend...
-Il y a de la promotion dans l'air, au lieu de finir au trou, tu pourrais bien finir dans un trou au Père Lachaise, lui répondit Anne, cruelle.”

Puis elle s'éloigna sans lui proposer son aide. Le pauvre homme, un peu secoué, eut du mal à se relever. Mais la marquise l'avait déjà oublié et rejoignit rapidement le Trianon où se trouvaient les appartements d'Isabelle de Saint-Amand. Elle y fut accueillie par une domestique qui semblait bien embêtée de la voir. “C'est que madame n'est pas disposée à recevoir...
-Dîtes-lui que c'est très urgent.” La domestique l'emmena dans un salon puis disparut dans la pièce attenante. Anne attendit quelques minutes en inspectant la pièce. Quelle ne fut pas sa surprise de voir sa rivale arriver en peignoir et les cheveux défaits ! Certes, c'était la fin de la journée, mais ce n'était pas une heure pour se déshabiller ainsi.

Madame de Gallerande, quelle surprise. Je ne vous attendais pas… Excusez ma tenue, mais je n’attendais pas de visite. Prenez-place. Que me vaux cette visite ?

Elle invita Anne à prendre place sur la causeuse et s'installa dans le fauteuil. Tout en l'observant, Anne tentait de deviner ce qui pouvait bien plaire à Louis-Charles chez cette femme. Il était impossible d'être de mauvaise foi dans cette situation. Isabelle de Saint-Amand était belle. Une beauté fatale, sombre, qui plaisait à bien des hommes. Comment ne pas le reconnaitre ? Louis-Charles avait voulu s'accorder tous les plaisirs en devenant l'amant de la Saint-Amand et de la Gallerande, qui n'avaient rien de commun physiquement. L'une avait les cheveux couleur d'ébène, l'autre blonds comme les blés. L'une les yeux sombres et l'autre l'iris bleue. Mais il avait oublié qu'elles avaient toutes deux un caractère de feu et qu'elles pouvaient faire de sa vie un enfer.

Madame de Saint-Amand, croyez bien que je suis désolée de vous déranger ainsi. Je vous aurais prévenue par lettre si l'affaire n'avait pas été si urgente. Mais elle l'est. Devant le regard surpris de son interlocutrice, la marquise poursuivit. J'ai su des choses sur Louis-Charles de Lévis. J'ai toutes les raisons de croire que vous vous connaissez...très bien.” Anne regarda Isabelle dans les yeux. L'inflexion de sa voix à la fin de sa phrase suggérait la nature des relations qu'elle évoquait. A la réaction de son hôte, l'empoisonneuse sut que son allusion avait été comprise. Isabelle lui répondit par l'affirmative. Ainsi, Silvestre ne lui avait pas menti. Anne n'en avait pas douté mais son ami aurait peut-être pu se méprendre en voyant son frère avec Isabelle. Mais la dame de Gallerande en était désormais certaine. Elle avait été trompée, tout comme la femme qui lui faisait face.

Ce que j'ai à vous dire n'est pas agréable à entendre, tout comme je ne prends aucun plaisir à vous l'annoncer. Madame, Louis-Charles nous a trompées.” La réaction d'Isabelle n'étonna pas Anne. La surprise, puis la colère. Anne avait vécu la même chose deux jours plus tôt. Elle laissa son interlocutrice s'exprimer puis reprit : “Louis-Charles et moi avions une relation...de même nature que la vôtre. Je ne l'ai appris qu'il y a deux jours. Ma réaction fut la même que la vôtre. Nous qui ne nous étions jamais intéressées aux mêmes hommes, nous voilà donc rivales...” Anne n'en dit pas plus tout de suite, ménageant son effet (elle avait un certain goût pour la théâtralité). Elle observa Isabelle, tentant de deviner ce qu'elle pensait. Il était néanmoins difficile de lire dans ce regard sombre. Brisant le silence qui s'était installé, Anne lança, un sourire sardonique aux lèvres : “Je pense que notre ami mérite une bonne leçon”.
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Isabelle de Saint-Amand


Isabelle de Saint-Amand

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MessageSujet: Re: "Partager" n'est pas dans notre vocabulaire ▬ Anne [Automne 1666]   "Partager" n'est pas dans notre vocabulaire ▬ Anne [Automne 1666] Icon_minitime30.11.15 10:16

Isabelle détestait profondément être prise au dépourvu. Elle voulait toujours tout contrôler ou du moins le plus qu’elle pouvait. Elle avait planifié sa soirée – sa nuit même, à Paris – de manière très précise et l’arrivée d’Anne de Gallerande n’arrangeait pas du tout son programme. Elle la mettait en retard, mais elle ne pouvait pas non plus la renvoyer comme une femme de chambre. Si la dame de la favorite était venue elle-même à une heure pareille, chez elle, la voir en privée, il devait bien y avoir une raison. Laquelle ? Isabelle brulait de la savoir, autant par curiosité éveillée que par envie de reprendre ses activités habituelles une fois sa visiteuse inopinée sortie. Aucun moyen pour elle de se défiler ou d’expédier cet entretien ? Non ? Vraiment pas ? La marquise semblait bien décidée à aller jusqu’au bout et à la voir. « Urgent » avait dit Antoinette ? Etait-ce la favorite qui la lui envoyait ? Peut être, peut être pas, mais la chose lui paraissait improbable. Elle n’avait plus de nouvelles de celle qui l’avait chargée de surveiller les intrigues de la reine qui cherchait toujours à évincer les conquêtes de son mari, et elle en particulier. Lui en reparler maintenant lui paraissait étrange. Elle ne pouvait pas la laisser à la porte, aussi avait-elle dit à sa femme de chambre de la faire entrer dans le petit salon et de la faire patienter. La tenue d’Isabelle était à mille lieues de celles qu’elle arborait normalement, cela lui donna l’impression d’être en position de faiblesse fasse à la marquise, habillée à la dernière mode, impression fortement désagréable.

Toutes deux installées dans le salon, Isabelle attendait avec curiosité et impatience de connaître le fin mot de cette histoire. Et pas un seul instant, Isabelle ne pensa que cela pouvait avoir une quelconque affaire avec Louis-Charles de Lévis, duc de Ventadour. Ils se voyaient régulièrement depuis quelques temps, il lui avait fait de beaux cadeaux, dont un magnifique diamant – on racontait d’ailleurs qu’entre le jeu et les présents, il était en train de dilapider la fortune familiale – mais rien ne laissait présager la révélation d’Anne de Gallerande.

-Madame de Saint-Amand, croyez bien que je suis désolée de vous déranger ainsi. Je vous aurais prévenue par lettre si l'affaire n'avait pas été si urgente. Mais elle l'est.

Le ton était dramatique. Isabelle fronça les sourcils :

-Je suis toute ouïe, Madame.

-J'ai su des choses sur Louis-Charles de Lévis. J'ai toutes les raisons de croire que vous vous connaissez...très bien.


Anne fit une pause, et la regarda dans les yeux. Un sourire sibyllin se dessina sur les lèvres d’Isabelle. Anne savait de quoi elle parlait, et Isabelle avait toujours assumé ses actions – du moins du mieux qu’elle le pouvait – il était donc inutile de chercher à dissimuler quoi que ce soit à l’instant. La jeune femme s’offrit tout de même la (fausse) modestie de baisser les yeux un instant avant de les reporter sur Anne, qui semblait avoir été confortée dans ses suspicions. Mais Isabelle ne voyait pas le rapport ni en quoi cela la regardait.

-Ce que j'ai à vous dire n'est pas agréable à entendre, tout comme je ne prends aucun plaisir à vous l'annoncer. Madame, Louis-Charles nous a trompées.

Isabelle fronça les sourcils. « Nous » ? Que voulait-elle dire ?

-Je ne suis pas certaine de vous comprendre, hasarda la brune aux yeux de glace.

Ou plutôt ne voulait-elle pas comprendre ?

-Louis-Charles et moi avions une relation...de même nature que la vôtre. Je ne l'ai appris qu'il y a deux jours. Ma réaction fut la même que la vôtre. Nous qui ne nous étions jamais intéressées aux mêmes hommes, nous voilà donc rivales…

Isabelle devint blême, puis ses joues se tintèrent d’un carmin qu’elles n’arboraient que rarement et il était hors de question qu’elle perde le contrôle d’elle-même. Mais elle sentit une violente chaleur en sa poitrine, celle de la colère, qu’elle connaissait bien, et qu’elle savait pourtant mauvaise conseillère. Mais en l’instant, elle avait une furieuse et violente envie de meurtre. Puis elle réussit à se calmer, bien qu’Anne devait voir sans difficulté son visage passer par un arc-en-ciel d’expressions toutes moins engageantes les unes que les autres pour une femme qui n’était pas de leur acabit. Parce qu’Isabelle voyait clair désormais dans le jeu de Louis-Charles : toutes deux étaient relativement semblables si non par le physique, du moins par le caractère de femme déterminée. Aussi avait-il décidé de varier les plaisirs, une brune, une blonde, mais toutes deux aussi volcaniques. Elle se mit à réfléchir à toute vitesse. La précipitation du duc, à Versailles, à la voir seule ici, ou chez lui. Il targuait qu’il voulait protéger la réputation d’Isabelle, mais c’était surtout la sienne qu’il cherchait à protéger. Il craignait qu’on rapporte tout cela à Anne et ainsi créer la situation qui avait de toute façon finit par arriver.

-Oh mon Dieu ! Tout est lié… murmura Isabelle, plus pour elle-même que pour Anne.

Anne avait laissé un silence un rien théâtral s’installer pendant qu’Isabelle réfléchissait à toute vitesse. Maintenant que la jeune brune semblait calmée, la blonde reprit :

-Je pense que notre ami mérite une bonne leçon.


Isabelle releva les yeux vers Anne. Elles étaient effectivement sorties du même moule. Jamais Isabelle ne se serait battue pour un amant du genre de Louis-Charles, à quoi bon ? Elle en trouverait un autre, mais elle détestait qu’on se moque d’elle, c’était elle qui rendait ces messieurs ridicules. Isabelle se leva, et servit deux verres de vin, avant d’en tendre un à Anne. Autant célébrer cette nouvelle alliance qu’elles venaient, implicitement, de conclure.

-Ah les hommes ! Tout le monde connaît leur imperfection; leur esprit est méchant, leur âme fragile; il n'est rien de plus faible et de plus imbécile, rien de plus infidèle: et malgré tout cela, dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.


Le ton était ironique, froid, machiavélique presque. Isabelle se rassit, et réfléchit. Adieux, Paris, elle irait un autre soir, elle avait bien mieux à faire – quoi qu’elle aurait volontiers aggravé les dettes de jeux de Louis-Charles à l’instant même. Un plan. Il leur fallait un plan pour le ridiculiser aux yeux de la cour. Il le faisait déjà bien lui-même, d’après certaines rumeurs mal placées, mais un peu d’aide n’était jamais la malvenue dans ce genre de situation, n’est-ce pas ? Une idée, soudain, traversa l’esprit d’Isabelle.

-Et si nous lui organisions un enterrement ? Je ne parle pas seulement de l’enterrement de son corps, mais de celui de sa réputation. Bien évidemment, l’organisation d’un enterrement physique s’impose…

Devant l’air dubitatif d’Anne, Isabelle s’expliqua :

-Imaginez, un enterrement en grande pompe, pour un pair de France. Le corbillard arrivé au matin, les chevaux harnachés, les pleureuses bien pensantes… Et surtout, tous les créanciers se pressants en foule à la porte de chez lui pour réclamer leur du.

Isabelle se servait là de son expérience personnelle et des vautours qui s’étaient jetés sur ce qu’il leur appartenait à la mort de son père, et la jetant dans une situation dont elle avait sut tirer ses épingles du jeu, et dont elle était sortie bien plus haut que là où elle avait plongé.

-Sa réputation ne le supporterait pas. Cela serait admettre qu’une des plus vieilles familles de France est en pleine déchéance. J’ai ouïe dire que son mariage était repoussé à cause des rumeurs. Elles n’en seront plus, et adieux la dote de sa fiancée qui aurait pu, disait-on, renflouer les caisses de la famille.


L’idée, ma foi, n’était pas mauvaise, et Isabelle en était plutôt satisfaite. Restait à Anne de dire ce qu’elle en pensait.
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