« Trois sortes d'amis existent : les traîtres, les utiles et les vrais »
- Voici la chapelle de la princesse Isabelle à qui l’on doit tant ici comme vous le savez. Elle était la fille de Louis VIII et de Blanche de Castille, la sœur de Louis IX qui fut fait Saint en 1297. Rebecca réprima un soupir de profond ennui, la Mère Supérieure allait-elle vraiment lui infliger dans le détail la généalogie des rois de France depuis les Capétiens ? Qu’il était difficile de montrer ne serait-ce que le moindre intérêt, à toutes ces visites d’abbaye ou à ces interminables œuvres de charité qu’elle entreprenait dans la peau de Gisèle de Brévailles ! Si cela n’avait pas été pour se protéger de Morgan et de sa volonté de la ramener sans égards en Angleterre, elle n’aurait jamais accepté ce pacte avec la Reynie. En effet, contrairement à son rôle d’Aurélia Dantès où elle pouvait tout au moins s’adonner à sa passion de la couture et de la broderie, elle n’avait aucun goût à être la Rosière de Paris. Passer plusieurs heures chaque semaine sous cette perruque blonde et ce voile épais était un calvaire, quelle en était l’utilité d’ailleurs ? Élisabeth d’Alençon, marraine de la prestigieuse élection, l’avait un jour renseignée mais la raison n’en restait pas moins stupide. Cette crêpe de tulle blanche protégeait, parait-il, du regard parfois lubrique des hommes. Allons donc, était-ce vraiment le visage que ces messieurs regardaient en premier chez une femme ? Elle s’était bien entendu bien gardé de répondre ceci à la duchesse bigote, cette dernière aurait pu s’en étouffer. Alors, elle avait souri et avait repris ses activités tout en baissant les yeux comme il convenait à l’oie blanche vertueuse qu’elle interprétait.
- Je vous propose maintenant de nous rendre dans le cloître afin de rencontrer nos sœurs.
- Avec plaisir,répondit-elle avec un sourire faux.
Oh ! Et si nous allions tout d’abord admirer vos jardins ? Ils sont superbes ! Les bosquets étaient beaux c’est vrai, même s’ils n’avaient rien à envier à ceux de Versailles, pourtant elle les préférait nettement à l’idée de s’enfermer avec des religieuses durant des heures. Des chants grégoriens s’élevaient déjà jusqu’à elles. Pitié !
Surprise un instant par sa requête, la Mère Supérieure finit par acquiescer et elles empruntèrent aussitôt les allées de verdure. Des feuilles orangées que l’automne naissant avait fait tomber jonchaient les bordures. C’est ainsi que plusieurs fois les pans de la robe de bure de son interlocutrice en accrochèrent quelques unes. Cela l’amusa et lui fit oublier un instant, ce temps perdu à devoir écouter des Ave Maria ou des Pater Noster.
Néanmoins comme leur promenade champêtre allait bientôt s’achever, Rebecca devait trouver une nouvelle pirouette.
- N’est ce pas votre potager ? demanda t-elle en désignant un important arpent de terre situé à une dizaine de mètres.
- Oui en effet. Nous y plantons toutes nos plantes médicinales mais je doute que cela vous intéresse. - Au contraire, c’est fascinant ! mentit-elle avec enthousiasme.
Je serai curieuse d’en apprendre plus à ce sujet, cela pourra m’être utile pour soigner moi-même des malheureux. Je dois justement aller à l’Hôtel-Dieu la semaine prochaine.Rebecca dissimula tant bien que mal une moue dégoûtée à cette seule pensée, mais la raison soi disant altruiste avait fait mouche. Elles se dirigèrent donc vers le dit potager. A entendre les noms latins de toutes ces tiges, ces feuilles, la duchesse aurait pu regretter ce choix mais encore une fois le grand air était préférable à tout ! Elle n’allait donc pas se plaindre et écouta même avec attention. Peut-être que la menthe pourrait soulager ses migraines ou que la canneberge pourrait soulager les maux de dents de sa fille Roxane. Elle ne tenterait rien à essayer. Posant même des questions à la religieuse, la duchesse s’aperçut de la présence d’une femme que fort tard. Cette dernière accroupie élégamment coupait une plante à l’aide d’une pince.
- Permettez-moi de vous présenter une de nos pensionnaires laïques, la comtesse Lucy of Longford, elle nous vient d’Irlande. A l’appel de son nom, la concernée releva la tête. A la seconde même où son regard se posa sur ce visage, Rebecca le reconnut. Comment aurait-elle pu l’oublier ? Si angélique et si mystérieux à la fois ! Elle avait bel et bien face à elle, Frances Cromwell. Sa chère Frances. Un petit cri sortit de sa bouche tant la stupeur de cette rencontre était grande.
- Que vous arrive t-il, vous êtes-vous piqué à une épine ? s’enquit la Mère Supérieure.
- Oui mais ce n’est pas grave. - Très bien... My lady, voici mademoiselle de Brévailles, notre vertueuse Rosière qui nous fait l’honneur de sa venue. Rebecca osa lever le voile de son propre visage au mépris de l’usage. Son amie d’enfance allait-elle également la reconnaître et ce malgré leurs doubles fausses identités ?