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 |Chapelle| Au nom de l'arsenic, de la ciguë et de la belladone. Amen

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MessageSujet: |Chapelle| Au nom de l'arsenic, de la ciguë et de la belladone. Amen   |Chapelle| Au nom de l'arsenic, de la ciguë et de la belladone. Amen Icon_minitime20.08.15 14:54

|Chapelle| Au nom de l'arsenic, de la ciguë et de la belladone. Amen VouetSophonisbeKasselMe
Agrippine ou Sophonisbe de Kassel


La chapelle du château de Versailles, haut lieu de communion avec le Seigneur, n'était remplie que lors de l'office royal. Le reste du temps, elle accueillait quelques âmes en peine désireuses de  s'entrenir avec Le Très-Haut et de s'absoudre de quelques péchés. Un silence religieux emplissait la chapelle d'une atmosphère que l'on ne ressent que dans ces lieux. Loin de s'en émouvoir, la marquise de Gallerande se dirigea vers un prie-Dieu installé au centre de la chapelle, ni trop près de l'autel, ni trop au fond. Agenouillée, le dos droit, les mains jointes posées sur le dossier, la marquise semblait prête à prier. Semblait. L'objet de sa venue n'avait aucun lien avec le Seigneur, non, l'objet de sa venue était un homme. Son amant. Etrange lieu pour une rencontre amoureuse. La marquise n'avait pas trouvé mieux. Il lui fallait un endroit calme, loin de l'agitation versaillaise et loin des regards et oreilles indiscrets. Or, depuis qu'elle résidait dans un appartement du palais, il lui était impossible d'inviter son amant chez elle. Avant, c'était l'hôtel particulier de la marquise qui était le témoin privilégié de leurs étreintes. Avant. Le bâtiment avait été la cible de la colère de gueux enragés qui avaient eu l'excellente idée de détruire meubles et oeuvres d'art et de piller des objets de valeur. Son pauvre chihuahua, Thibautien, n'avait pas survécu à l'attaque. Sa tête, plantée en haut d'une pique, avait fait le tour de Paris. Heureusement, ces sombres fous n'avaient pas visité la cave et découvert son nécessaire d'empoisonneuse. Son honneur et sa vie étaient saufs. La jeune femme avait dû néanmoins se débarrasser de ses poisons avant la venue des architectes et ouvriers qui devaient rendre à nouveau habitable l'hôtel particulier. Ne subsistaient de ses ingrédients que les plantes qu'elle avait eu l'intelligence de déposer chez l'archiduchesse Wittelsbach. Son commerce de poisons se trouvait fortement touché par cette catastrophe et ses concurrentes se feraient une joie de récupérer ses fidèles clientes. En attendant de trouver une solution à cet épineux problème, l'empoisonneuse souhaitait rencontrer Morgan Stuart pour décider de l'endroit où ils pourraient se voir. La chapelle, havre de paix, était un lieu particulièrement bien choisi pour ce genre de conversation.

Le silence était appréciable. Les yeux fermés, Anne savoura le calme qui l'entourait, seulement troublé par quelques chuchotements. Maintenant qu'elle vivait à Versailles, la marquise devait être d'autant plus présente auprès de la favorite et répondre à toutes ses demandes, à n'importe quelle heure de la journée. Dans la maison de la favorite, il y avait toujours du bruit, des conversations, des rires mais aussi des railleries et des remarques désagréables. Anne était sans cesse sollicitée par des personnes souhaitant approcher la comtesse of Leeds et si distribuer des faveurs ne lui déplaisait pas, bien au contraire (celui lui permettait de s'attacher des personnes qui lui seraient redevables), elle avait toutefois besoin, parfois, d'un peu de calme et de solitude, surtout après cette terrible épreuve qu'avait été le saccage de son bel hôtel particulier.

A tous ces problèmes s'en ajoutait un nouveau : la Cour déménageait à Chambord. L'empoisonneuse n'avait pas le temps de réfléchir à un moyen de poursuivre ses affaires de là-bas : les préparatifs de la favorite lui prenaient tout son temps. Et que dire de la perspective du voyage qui l'exaspérait par avance ? Rester assise dans un carrosse inconfortable durant des heures et des heures, très peu pour elle.

Mais il en fallait plus pour atteindre la marquise. Irritée, oui. Abattue, non. Agacée, en colère même. Mais pas accablée ni découragée. A la regarder, fière et noble dans une posture majestueuse, on aurait pu, à s'y méprendre, la confondre avec une statue sculptée dans du marbre. Une beauté froide.  Une beauté froide cachant le feu qui consumait son corps. Et dans le regard, une lueur de défi. Si le Ciel s'en prenait à elle, alors elle remuerait la terre pour mettre à jour tout le mal qui s'y était insinué.

Son amant se faisait attendre. Le temps de la marquise était compté. Elle s'était échappée des appartements de la favorite en espérant que personne ne la suive. Bien sûr, personne n'irait la chercher à la chapelle... Goûtant ce moment de répit, l'empoisonneuse contempla sa robe bleu nuit et les bijoux incrustés de diamants que Morgan lui avait offerts. Elle portait cette robe pour ne pas attirer l'attention mais n'avait pu s'empêcher de l'assortir d'accessoires luxueux. Dès qu'elle avait quitté la favorite, la marquise avait accroché à la hâte une voilette noire pour cacher le haut de son visage.

Des pas, légers comme si les pieds touchaient à peine le sol, résonnèrent dans le silence de la chapelle. Ce n'était pas le son des pas de Morgan, et pourtant, la marquise eut l'intuition que la personne qui venait d'arriver la cherchait. Elle leva les yeux au ciel, agacée de ne pas pouvoir être seule plus d'un quart d'heure. Qui était-ce ? La princesse de Schwartzenberg ? “S'il Vous plait, pas elle”, murmura la marquise. Elle regardait droit devant elle, espérant ne pas être remarquée mais les pas précipités s'approchaient, musique funèbre annonçant la mort de sa tranquillité. La curiosité l'emporta sur la raison : Anne se retourna pour voir qui était la personne qui oserait la déranger. Grave erreur. Elle s'attendait à voir une des dames de la maison de la favorite, mais c'était une tout autre personne qui approchait. Leurs yeux se croisèrent. Anne sut, à ce moment, qu'elle n'aurait pas dû se retourner. La présence de la comtesse of Longford dans la chapelle royale n'augurait rien de bon. Se tournant à nouveau vers l'autel, Anne espéra que son regard froid avait provoqué la fuite de la comtesse, tout en sachant que l'Irlandaise prendrait bientôt place à côté d'elle.

Sous les voûtes célestes, face à des anges drapés d'or, c'est une prière macabre à la gloire de leurs sombres desseins que les deux empoisonneuses allaient entonner à mi-voix.
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