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| I wear this crown of thorns upon my liar's chest [PV Matthias] | |
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| Sujet: I wear this crown of thorns upon my liar's chest [PV Matthias] 25.02.15 21:50 | |
| Christian, en bon épicurien qu’il était, n’avait jamais été homme à s’éterniser sur les regrets et les remords. Oh, il en avait eu sa part dans la vie, mais au bout de quelques années, il avait fini par faire une croix dessus, décidant qu’il ne servait à rien de se torturer pour des évènements dont même avec toute la bonne volonté du monde il ne pouvait plus changer le cours. Qu’il s’agisse de la mort de Lisbeth, des événements en Pologne qui avaient laissé leur marque sur son dos au fer rouge, il avait cessé depuis longtemps de les ressasser, de se tourmenter avec, de prétendre avoir encore assez de scrupules pour ça. Qu’on laisse les morts là où ils étaient. C’était encore le meilleur service qu’on pouvait leur rendre. Mais les vivants ? Quid de ces gens-là qui marchaient encore, quelque part sur terre, et dont on savait qu’on pouvait, encore peut-être, changer le destin en prenant une simple décision ? Est-ce qu’on avait le droit de tourner en rond pour eux, d’hésiter, de décider, enfin, de débouler dans leur vie et de tout chambouler pour le meilleur ou pour le pire ? C’était là une des nombreuses questions qui agitaient l’esprit habituellement tranquille de Christian alors qu’il regardait dans le vide, assis sur un des fauteuils de sa bibliothèque, un livre ouvert sur les genoux qu’il n’avait même pas essayé de faire semblant de lire. Dehors, la nuit était calme, sans vent, sans lune aussi. La bibliothèque n’était éclairée que par quelques torches et bougies qui se consumaient lentement, à l’instar de l’alchimiste perdu dans ses pensées. Il n’avait plus été tout à fait le même depuis son retour de Nancy, son fils et sa gouvernante s’en étaient bien aperçus, il le savait. Mais il avait fait semblant de rien, et eux aussi. Faire semblant de rien. Un exercice auquel il avait fini par exceller, à la longue. Lui qu’on louait partout pour son naturel et sa simplicité ; quelle ironie au fond, qu’il soit probablement l’un des personnages les plus artificiels que Versailles ait connu. Une façade construite de toutes pièces pour dissimuler une vérité dont personne ne voudrait s’ils la connaissaient. Il était tellement plus facile d’être le duc sympathique, souriant et amical que tout le monde connaissait, plutôt que cet homme attiré par les ténèbres et l’interdit qu’il était réellement. Qu’il s’agisse de ses travaux ou de sa vie privée, Christian était, il le savait et s’y était résigné, irrémédiablement attiré par tout ce qu’il ne pouvait pas avoir. Et il en souffrait. Et Nancy lui avait cruellement rappelé cet état de fait, en lui mettant sous le nez le seul homme au monde qu’il ne pourrait probablement jamais avoir. Il avait revu Matthias de Calenberg pour la première fois depuis plus de dix ans au palais ducal de Nancy, pendant un bal donné en l’honneur d’ambassadeurs dont il avait oublié le nom. Il avait cru délirer pendant un instant, retrouver son premier –et sûrement unique- amour dans ces circonstances tenait de l’irréel. Et pourtant. C’était bien lui, il en avait vite eu la confirmation. Il n’avait pas su déterminer l’émotion qui l’avait étreint à ce moment-là, joie, tristesse, terreur, soulagement… Ce visage tant aimé, tant désiré, qui réapparaissait après des années d’absence, si différent et pourtant tellement pareil à son souvenir. Il en était resté sans voix, le cœur prêt à chavirer à nouveau. Jusqu’à ce qu’elle n’entre dans son champ de vision. Maryse d’Armentières, l’épouse de Matthias. Bien sûr, comment avait-il pu être assez idiot pour oublier ? Il le savait pourtant, il l’avait rencontrée, il en avait suffisamment nourri de rancœur pour elle qui était pourtant certainement une femme des plus adorables, mais les voir ensemble pour la première fois avait été le coup fatal. Il avait disparu de la soirée et ne s’était remontré que le lendemain, cherchant à voir Matthias, à lui parler… mais en vain. Il l’évitait. Christian, dans son tourment, avait au moins eu assez de lucidité pour le voir. Puis la guerre avait touché à sa fin, et il avait fallu rentrer à Versailles, lui et ses incertitudes, lui et ses questions, lui et ses doutes, lui et ce trou béant dans le cœur qui n’avait jamais cicatrisé et s’infectait de nouveau. Pendant des semaines, il avait laissé la pression retomber, les nuages qui obscurcissaient son jugement s’estomper, et sa lucidité revenir. Et il avait réfléchi. Et il ne savait plus quoi faire. Il devait aller parler à Matthias, il le savait, il le sentait. Leur rupture, des années plus tôt, avait été brutale, violente, déchirante, imposée par une famille qui les avait taxés de monstrueux. Ils n’avaient même pas eu l’occasion de se dire au revoir. Et vu comment Matthias l’avait soigneusement évité à Nancy, il devinait que lui non plus n’avait jamais réussi à totalement tourner la page. Il fallait qu’ils s’expliquent. Il fallait qu’ils se voient, une dernière fois. Même si c’était dangereux. Même si Matthias le chasserait probablement de chez lui sans sommation, comme on chasse un fantôme d’un passé honteux. Il fallait qu’il prenne le risque. Sans quoi, aucun des deux ne pourrait jamais trouver cette paix à laquelle ils aspiraient depuis si longtemps sans jamais l’effleurer du doigt. Quelques jours plus tard, grâce à un gamin des rues très observateur et bien informé, Christian sut que la duchesse de Calenberg était de sortie pour la soirée et découcherait probablement chez l’amie chez qui elle se rendait. C’était l’occasion ou jamais, Matthias était seul et, cette fois, ne pourrait pas fuir la discussion. Moins d’une heure après le départ de Maryse, Christian se trouvait devant leur hôtel particulier, et se faisait annoncer à la porte, sans donner son nom toutefois, se disant simplement porteur d’un message important. On le fit entrer dans une antichambre, et il attendit, s’imprégnant de l’endroit, si familier parce qu’il portait l’empreinte de la présence de Matthias, et si étranger parce que lui et son ancien amant n’étaient désormais rien d’autre, au final. Qu’est-ce qu’il faisait là, encore ? Un court instant, Christian, nerveux, voulut repartir. Trop tard. La porte s’ouvrit, livrant le passage à Matthias. Nouveau coup au cœur, qui pourtant ne s’emballa pas. Il s’était par trop torturé par le passé pour en avoir encore la force. « Bonsoir Matthias. » dit-il, la gorge un peu plus nouée que ce qu’il aurait voulu, mais la voix toujours basse et calme, une fois que le laquais fut sorti de la pièce. C’était la première fois en plus de dix ans que les deux hommes se retrouvaient face à face et seul à seul. Christian hésitait à se pincer pour être sûr qu’il ne rêvait pas. Ses yeux bleus scrutaient le visage de Matthias, ces traits si familiers et pourtant si lointains à la fois, comme une demeure familiale à laquelle on ne s’identifie plus. C’était fini, songea Christian, un voile de tristesse lui enveloppant le cœur. « Ca fait longtemps, n’est-ce pas ? Tu as bien changé, après toutes ces années. »En bien, songea-t-il sans oser le dire, de peur qu’il ne l’interprète mal et ne le renvoie. Baissant brièvement les yeux, il finit par les relever et par poursuivre, un de ses éternels sourires si bien travaillés au coin des lèvres : « Nous nous sommes croisés à Nancy, malheureusement nous n’avons guère eu l’occasion de discuter. Tu paraissais très occupé avec tes fonctions de diplomate, sans compter ton épouse… tu as raison, il faut préserver sa famille en des temps difficiles comme ceux-là. Elle a l’air des plus charmantes, du peu que je connais d’elle. »Ce n’était même pas un mensonge, Maryse s’était toujours montrée amicale et bienveillante à son égard malgré les différends évidents sur la religion et la science, ce qui l’avait empêché de la détester et, à la place, l’avait fait se sentir honteux de ce secret qu’elle ignorait et qui, s’il venait à être révélé, réduirait à néant le petit monde fragile qu’elle connaissait. Non, faire de la peine à Maryse n’était pas son but, ni en venant ici ce soir, ni jamais. C’était purement égoïste. C’était seulement parce qu’il avait besoin, lui, Christian de Sudermanie, de cette entrevue qu’il pressentait ultime pour enfin faire le deuil d’un amour qui lui avait tant coûté, et qui continuait encore de lui faire mal aujourd’hui lorsqu’il baissait la garde. « Je suis désolé de m’imposer à l’improviste comme ça, mais il fallait qu’on parle. J’ai bien remarqué à Nancy que tu m’évitais, et tu as certainement eu raison… mais Versailles est un petit monde, on ne peut pas s’éviter indéfiniment, à moins que l’un de nous ne reparte. » Et ni l’un ni l’autre n’avait prévu cette option dans ses plans proches, visiblement. Christian verrouilla ses yeux bleus dans le regard indéchiffrable de Matthias. Il s’en souvenait comme si c’était hier, de ce regard dans lequel personne ne pouvait lire, ce mystère qui l’avait si bien charmé des années plus tôt alors qu’ils n’étaient encore que des adolescents. « Tu n’as aucune raison de te méfier de moi, Matthias. Je ne veux de mal à personne, ni à toi, ni à ton épouse. J’aimerais juste qu’on arrête de se comporter comme des étrangers et qu’on parle de ce qu’il s’est passé. Après tout, on nous a volé cette opportunité. » La voix de Christian se teinta, brièvement, d’amertume. Il n’avait jamais menti à Matthias, ce dernier devait le savoir. Il devait le croire. « Si tu veux malgré tout que je parte… c’est ta décision. »Leur destin était maintenant entre les mains de Matthias. Christian ne lâchait pas son regard. C’était un duel, un duel entre la raison et les regrets, entre les certitudes et les questions auxquelles ils n’avaient jamais répondu. Restait à voir lesquelles allaient remporter la victoire. |
| | | Matthias de Calenberg
► Âge : 30
► Titre : Prince de Calenberg, duc de Hanovre
► Missives : 96
► Date d'inscription : 24/12/2012
| Sujet: Re: I wear this crown of thorns upon my liar's chest [PV Matthias] 05.04.15 20:10 | |
| Depuis leur retour à Versailles, le couple Calenberg repartait sur de nouvelles bases. Bien qu’il ne soit pas d’accord avec l’emploi de sa femme comme espionne, il n’avait pu l’en empêcher et malgré tout le respect que Maryse avait pour lui, elle lui avait désobéie et recommencerait encore et toujours, autant accepté la chose. Du pendant qu’elle n’espionnait pas au sujet de l’Empire, ils pourraient s’entendre. Actuellement en chasse de partisans de l’ancien surintendant des finances, Nicolas Fouquet, Calenberg voulait même lui prêter main forte, cela l’occupait et si cela pouvait aider son épouse … Il lui avait acheté une terre aussi, enfin façon de parler. Après des négociations avec Colbert sur d’éventuels investissements sur des manufactures nationales, le bourgeois avait convaincu le prince du bienfait d’un pied à terre français, ce qu’il fit, et avait mis cela au nom de son épouse. Si les Calenberg devaient retourner sur leurs terres pour une quelconque raison, Maryse aurait toujours un motif pour revenir en France si elle en avait besoin …
Alors quand elle quitta la demeure familiale pour une soirée, Matthias ne s’inquiétait plus, les choses étaient claires, et cela lui permettait de passer une soirée seule, à tout consigner, à travailler sur sa nouvelle critique littéraire et, avec un peu de chance, de continuer la généalogie des Bade. Une soirée ennuyante pour beaucoup sans doute, la plupart préférerait le théâtre, les soirées appartements du roi, ou jouer aux cartes dans Paris, il y avait pleins de distractions pour ceux qui veulent s’amuser et s’étourdir l’esprit. Matthias appréciait le théâtre, les mondanités à petite dose, sauf les salons à condition qu’on y parle intelligemment. Mais ce garçon a passé son enfance à potasser, travailler ses écrits, apprendre la géographie, recopier des pages et des pages pour une écriture parfaite, on lui avait laissé peu de place à l’amusement, il faut dire aussi qu’il réclamait ces devoirs et ce travail supplémentaire, dans sa soif de connaissance. Et à trente ans, on n’était pas prêt de le changer !
Dans ses vêtements intérieurs, décontractés avec un pourpoint ocre simple, avec une douce chemise, il était penché sur son secrétaire à écrire, au milieu de plusieurs ouvrages, de gazettes, à lire, mettre des annotations, écrire, et répéter inlassablement ce même schéma, parfaitement articulé tant l’habitude était là. Fier de son travail en une heure, il était prêt à continuer, absorbé dans son travail quand on frappa à la porte. Ignorant une première fois, le valet se permit d’insister, il connaissait assez bien son maître pour savoir qu’il fallait toujours frapper plusieurs fois avant d’avoir une réponse.
Je suis désolé de vous déranger monsieur, mais quelqu’un souhaiterait vous voir, il dit qu’il a un message important à vous donner. Bien, ça doit être le messager pour mes recherches, faites le monter.
On prenait ses recherches généalogiques au sérieux, Matthias avait envoyé sa missive il y a à peine trois semaines et on lui répondait déjà. Il rangea ses affaires pour installer ceux de généalogie, ce qui prit quelques petites minutes. Puis il ouvrit enfin la porte. Il s’attendait à n’importe quel messager lambda, ils se ressemblaient tous, il paraît que c’est un trait de recrutement de paraître quelconque, commun. Mais en voyant Christian, il était certain que cette histoire de messager était fausse, et il resta interdit, devant sa porte, surtout. Non, choqué plutôt.
Bonsoir Matthias Bonsoir … Christian. .
Il ne put rien dire à cette phrase, juste acquiescé, incapable de penser ni de savoir ce qu’il se passait. C’était tout bonnement improbable de voir dans son antichambre Christian, son amour de jeunesse, alors qu’ils ne s’étaient plus parlé depuis près de 10 ans. Il l’avait bien vu à Nancy mais avait prétexté les affaires pour ne pas faire le premier pas pour lui parler, et fut d’un côté ravi que l’autre n’en fasse pas non plus.
Nous nous sommes croisés à Nancy, malheureusement nous n’avons guère eu l’occasion de discuter. Tu paraissais très occupé avec tes fonctions de diplomate, sans compter ton épouse… tu as raison, il faut préserver sa famille en des temps difficiles comme ceux-là. Elle a l’air des plus charmantes, du peu que je connais d’elle. Oui, elle l’est, j’ai de la chance.
Face à ce souvenir du passé, il se sentait incapable de la moindre conversation, se sentait comme cet adolescent engoncé dans son monde, ce jeune homme qu’il était quand il avait rencontré Christian, un des rares à l’avoir déridé, lui avoir donné l’occasion de s’amuser et de lâcher prise dans son monde si sérieux. Il faisait un bond de plusieurs années en arrière, raide comme un piquet, toujours la poignée de porte dans la mains, serrée comme si cela l’empêchait de fuir, ou de s’envoler. Il n’aidait en rien à la conversation, interdit et désemparé. Heureusement, Christian avait du préparer sa venue et savait qu’il fallait parfois pousser la conversation pour arracher quelques mots et avoir un véritable échanger.
Tu n’as aucune raison de te méfier de moi, Matthias. Je ne veux de mal à personne, ni à toi, ni à ton épouse. J’aimerais juste qu’on arrête de se comporter comme des étrangers et qu’on parle de ce qu’il s’est passé. Après tout, on nous a volé cette opportunité. Si tu veux malgré tout que je parte… c’est ta décision. Je …
Il ne savait pas. La raison qui le guidait habituellement aurait bien sûr opté pour la conversation, cela ne faisait jamais de mal et pour peu qu’on parle avec des gens intelligents, cela pouvait s’avérer enrichissant. Mais il était rare où le cœur s’en mêlait et donnait un avis que Matthias ne prenait habituellement pas en compte. Il serra la poignée de porte et commença à entrer, sans doute pour fuir, pour ne pas parler, pour ne pas souffrir. Puis un regain de raison, un peu de cuirosité aussi sans doute, il se tourna vers le suédois.
Entre, je t’en prie.
Après l’antichambre se tenait un bureau sobrement meublé d’un grand secrétaire de style français qu’il avait acquis avant la guerre, pratique et élégant. Une grande bibliothèque prenait un pan de mur, quelques fauteuils en cas d’invités, décoré pour ne pas trop faire froid par un portrait notamment de sa mère d’un côté et de sa défunte sœur de l’autre. Il montra les fauteuils confortables, laissa son invité impromptu s’asseoir et se mit en face. Un ange passa, avant que Matthias prenne la peine, pour une fois de prendre la parole.
C’est vrai, je t’ai évité à Nancy. J’avais fort à faire c’est vrai, mais j’aurais pu prendre le temps, mais je n’osais pas. Comme là, je me suis senti … stupide. Il leva les yeux au ciel. Je ne savais pas comment aborder les choses, je me suis toujours senti un peu coupable que cela se soit terminé comme ça.
Il évitait un temps le regard du suédois, mais il fallait avouer que son regard azur était hypnotisant, empreint de bonté et d’une douceur qui laissait place à la confiance. Aucun jugement entre eux, cela avait toujours été ainsi, chacun avait aimé l’autre pour ce qu’il était entièrement, avec ses qualités et défauts. Cela ne pouvait que mettre en confiance un homme qui ne savait pas vraiment faire avec les autres et dont l’aisance sociale n’allait de pair qu’avec des discours réfléchis, sans sentiments. Son visage restait toujours grave, et pourtant il était content de revoir Christian, souvenirs de bons moments, de tendresse certes, mais aussi d’amitié.
Je veux m’excuser. Il faut souligner que cela n’arrive pas souvent. C’est ma faute si tout s’est arrêté ainsi … Quand mon frère l’a appris et m’a interdit de t’écrire, je n’ai pas su contourner les règles. J’aurais pu, j’aurais peut être dû, au moins pour te dire qu’il fallait qu’on arrête. Mais je ne l’ai pas fait, je respectais les règles. Un peu idiot, quand on y repense … |
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| Sujet: Re: I wear this crown of thorns upon my liar's chest [PV Matthias] 23.07.15 15:02 | |
| L’espace d’un instant, Christian crut que Matthias allait bel et bien le mettre à la porte – et il n’aurait pu lui donner tort, hélas. Plus les secondes s’égrenaient, plus Christian –lui qui ne doutait jamais de rien, se fiant toujours à son instinct qu’il pensait infaillible – commençait à se dire que rendre visite à son ancien amant n’était au final pas une si bonne idée. De quel droit venait-il se rappeler à son bon souvenir ? De quel droit venait-il lui demander des comptes ? De quel droit prenait-il le risque de mettre à mal son mariage ? Si Maryse revenait et surprenait leur conversation ? Non, aucune chance – il avait pris ses précautions pour ne causer aucun préjudice à Matthias, et il s’y tiendrait. Christian n’était peut-être pas le plus honnête des hommes, mais la loyauté ne lui faisait pas défaut. Surtout pour Matthias.
Dieu qu’il était doux et douloureux de l’avoir enfin en face de lui. Plus de dix ans s’étaient écoulés depuis leurs dernières lettres, plus d’années encore depuis leur dernière vraie rencontre. Il avait bien remarqué en Lorraine à quel point Matthias avait changé, mais ce constat était encore plus frappant maintenant qu’il n’était qu’à un mètre de lui à peine. Plus grand, plus solide, ses épaules s’étaient élargie et son visage s’était lui aussi laissé marquer par l’âge ; et pourtant, il l’aurait – il l’avait – reconnu entre mille, avec cette raideur du maintien si caractéristique dont il se moquait gentiment à l’époque, cet air absent, et ce regard clair, d’une pureté que Christian n’avait jamais retrouvé ailleurs, pas même en Lisbeth. C’était ça qui l’avait tant séduit, plus de dix ans auparavant. L’esprit de Matthias, cette tête si bizarrement et si parfaitement faite qu’elle en restait incompréhensible aux yeux de tous qui ne faisaient même plus l’effort de voir, et d’accepter sans plus se poser de questions. Christian, lui, ne s’était pas posé de question, pour une fois. Matthias était unique. Matthias était insaisissable. Matthias, à ses yeux, était parfait. Christian se souvenait bien avoir été émerveillé par tout ce que cette tête folle pouvait contenir de connaissances, de rêves, de vivacité, d’éclairs de génie, d’explosions parfois ; comme si l’univers tel que Christian le concevait s’était concentré dans l’esprit si méthodique et si incompréhensible de Matthias. Toute sa vie, Christian avait cherché quelqu’un comme Matthias. Il l’avait trouvé. Puis il l’avait perdu, et n’avait jamais retrouvé qui que ce soit comme lui. A la place, il avait appris à vivre avec ce vide béant, avec ces couleurs manquantes, avec cette solitude criante que l’un avec l’autre ils avaient si bien réussi à combler – jusqu’à ce qu’on ne les y jette à nouveau par égoïsme et par peur. Dix ans. Une éternité.
Entre, je t’en prie.
Même sa voix, il l’aurait reconnue entre toutes. Peu désireux de laisser échapper cette chance inespérée, Christian obéit aussitôt, et sans rien dire, suivit son hôte dans son bureau. Une décoration sobre, sans fioritures, à des lieues du faste extravagant de Versailles – il le reconnaissait bien là, songea-t-il avec un très léger sourire. Certaines choses ne semblaient pas destinées à changer. Dans cette pièce, point d’éléments top personnels, si ce n’était les portraits de sa mère et de sa sœur qu’il reconnut en un coup d’œil. Peu de souvenirs, peu de touches personnelles, comme si toute sa vie privée ne pouvait qu’être contenue à l’intérieur de son crâne et n’avait pas besoin d’être exhibée ailleurs. Le suédois prit place dans le fauteuil en face de son hôte, croisa les jambes comme il avait l’habitude de le faire, et laissa son dos aller contre le dossier moelleux du fauteuil, ses yeux bleus s’égarant sur son interlocuteur. Il lui laissa l’initiative de la parole. Il avait déjà bien assez parlé.
C’est vrai, je t’ai évité à Nancy. J’avais fort à faire c’est vrai, mais j’aurais pu prendre le temps, mais je n’osais pas. Comme là, je me suis senti … stupide. Je ne savais pas comment aborder les choses, je me suis toujours senti un peu coupable que cela se soit terminé comme ça.
Comme ça. Avec la colère de deux familles, le poids du regard, de la culpabilité, de la prétendue monstruosité de leur liaison. Comme un carrosse sort de route pour s’écraser brutalement au pied d’une falaise, on avait fait dérailler ce qu’ils avaient pour le jeter dans le vide et le piétiner jusqu’à s’assurer qu’il n’en restait rien. Pour Christian, ç’avait été la fin de ses illusions, et la rupture avec sa famille qu’il n’avait jamais véritablement aimée. Même son plus proche frère n’avait pas compris, n’avait pas voulu comprendre. Tant pis. Il n’avait pas besoin d’eux. Il avait juste eu besoin de Matthias – mais il avait bien fallu apprendre à vivre sans.
Je veux m’excuser.
Christian haussa un sourcil, étonné. Même avec dix ans d’absence, il connaissait suffisamment bien son cadet pour savoir que pour lui, présenter des excuses était un véritable exploit. Mais s’excuser pour quoi ?
C’est ma faute si tout s’est arrêté ainsi … Quand mon frère l’a appris et m’a interdit de t’écrire, je n’ai pas su contourner les règles. J’aurais pu, j’aurais peut être dû, au moins pour te dire qu’il fallait qu’on arrête. Mais je ne l’ai pas fait, je respectais les règles. Un peu idiot, quand on y repense …
Matthias, brave Matthias, infortuné Matthias. Une lueur d’indulgence et de tendresse passa dans le regard du duc de Sudermanie, qui reconnaissait bien là les habituelles contradictions de son vieil ami. Incapable de sortir des sentiers battus, et se posant pourtant bien trop de questions pour son propre bien – deux attitudes qui entraient en conflit et auraient pu rendre fou n’importe qui d’autre. Pas Matthias. Pas Matthias, qui était assez intelligent pour composer avec et ne pas se soucier des regards ahuris qu’on lui lançait. Christian comprenait. Christian avait toujours compris – de même que Calenberg l’avait toujours compris aussi, d’une manière ou d’une autre. Où dans le monde pouvait-on retrouver une telle complémentarité ?
« Ne te trompe pas Matthias, si coupables il y a, ce n’est certainement pas toi. » répondit Christian d’une voix mesurée. C’était leurs familles, c’était la faute à pas de chance, c’était ce monde qui n’acceptait pas les gens comme eux. Il y avait bien longtemps que Christian avait compris que les gens un peu différents n’avaient pas leur place ici bas et qu’il fallait se conformer ou se taire. En bon esprit contradictoire, il avait décidé de ne faire ni l’un ni l’autre, mais un entre-deux. Juste assez politiquement correct pour s’intégrer à la société, juste assez excentrique pour passer pour un aimable original. Personne dans son entourage, à Versailles encore moins qu’ailleurs, ne soupçonnait la nature véritable de Christian – ses goûts, ses préférences, ses raisonnements absurdes, ses idées démentielles, sa passion dévorante pour tout ce qui lui était interdit, et son goût de frôler le danger de si près qu’il pouvait voir le diable dans les yeux. Son masque était parfait, son rôle bien rôdé, son interprétation impeccable. Matthias, lui, avait toujours été authentique. Une immense qualité que le duc, si peu jaloux, lui avait tant enviée.
« Je n’ai jamais pensé que tu avais une quelconque responsabilité dans cette histoire. Nous avons été dépassés par quelque chose de plus fort que nous, c’est tout. Tu as fait ce que tu avais à faire pour te préserver – et tu as bien fait. Tu sais bien que de nous deux, c’est moi le fauteur de troubles. » ajouta-t-il avec un sourire malicieux teinté de nostalgie. « Au fond, je ne suis même pas sûr de pouvoir blâmer nos familles comme j’ai pu le faire il y a bien longtemps. Nous vivons juste dans un monde qui n’était pas fait pour nous. » Il soupira. « Dans une autre époque peut-être, si nous avions vécu en un autre temps… »
Il n’acheva pas sa phrase, perdu un instant dans ses pensées. Le temps de la révolte et de la colère était passé depuis bien longtemps. Aujourd’hui, ce n’était que le temps du deuil, de l’acceptation, - et enfin, peut-être, de l’oubli. Qu’est-ce qui les rapprochait encore aujourd’hui, à part les souvenirs ? Matthias était un diplomate, marié qui connaissait son succès et sa réussite à la cour ; Christian mentait à la face du monde et courait sûrement à sa propre perte, dans l’ombre, en toute connaissance de cause. La vie avait fait son œuvre.
« Pendant tout ce temps, une question n’a jamais cessé de me tarauder. » reprit-il, songeur. « Tu n’as jamais été du genre à sortir des sentiers battus, à franchir les limites imposées par ta famille ou par les convenances. Et pourtant, ce qui est arrivé entre nous… » Il releva les yeux pour croiser le regard de Matthias et le soutenir. « Ca te ressemblait si peu, en y repensant. Et je crains aujourd’hui t’avoir mené sur un chemin qui n’était pas le tien. » Et après toutes ces années, Christian avait besoin de savoir. Il avait besoin de savoir s’il avait stupidement entraîné Matthias, trop influençable peut-être, sur une pente glissante et l’avait involontairement blessé dans l’entraînant dans son monde utopique et sans barrières. Il voulait savoir si, au fond, le responsable de leurs malheurs, ce n’était pas lui. « As-tu jamais regretté ? As-tu jamais souhaité qu’il ne se soit rien passé, et que nous n’ayons été qu’amis ? »
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| | | Matthias de Calenberg
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| Sujet: Re: I wear this crown of thorns upon my liar's chest [PV Matthias] 21.10.15 19:35 | |
| Cet instant semblait tellement étrange : Christian se tenait devant lui, c'était bien lui, le même sourire, le même regard bienveillant, et pourtant si différent. Il n'avait pas vraiment changé, les années avaient passé, le jeune homme était devenu un homme, avec quelques traces du temps sur le visage, mais pas grand chose. Seulement, après cette séparation difficile, faite dans un silence assourdissant, se retrouver face à face perturbait la vie si tranquille du prince de Calenberg. Il aurait pu aller le saluer comme si de rien n'était, mais cela lui avait semblé insurmontable de s'approcher de lui à plus de quelques mètres, même le regarder avait été difficile. Alors lui parler … les quelques fois où il l'avait vu à Nancy, Matthias avait eu les mains tremblantes et la gorge sèche, une sensation serrant ses entrailles sans trop savoir pourquoi … En demandant à son valet quels étaient les symptômes, ce dernier lui avait répondu sans détour : le trac. Il avait peur de se retrouver face à Christian après ces années sans nouvelles. Pour lui, c'était de sa faute : pas assez discret et écoutant les ordres de son frère sans sourciller, sans contourner une fois les règles pour une dernière lettre, une lettre qui expliquerait tout, une vraie rupture.
Et aujourd'hui, il pouvait enfin s'excuser. Et autant dire qu'il ne le faisait rarement, certaines personnes attendent des excuses depuis plus longtemps sans que Matthias ne comprenne pourquoi il devrait le faire. Cela avait du étonné son ami, à voir la tête surprise qu'il arborait à ce moment là. Droit dans ses bottes et ses raisons, Matthias vivait de contradictions qu'il savait gérer, et cette histoire était un des seuls nœuds qu'il n'avait jamais réussi à défaire de lui-même, sans résolution logique, littéraire ou politique. Et aujourd'hui, il pouvait en parler de vive voix, et attendait de savoir ce qu'en pensait celui qui l'avait toujours compris.
Ne te trompe pas Matthias, si coupables il y a, ce n’est certainement pas toi.
Cette phrase, rien que ces quelques mots, suffirent à soulager la petite conscience du prince qui le tiraillait depuis si longtemps. Un poids se délestait, et alors que Christian continuait, le germanique eut l'impression d'une certaine légèreté, sans trop comprendre la mécanique de tout cela. Pourtant, il y avait longtemps qu'il avait cessé de comprendre comment fonctionnait les sentiments, surtout ceux qu'il avait eu pour Christian. Ce dernier avait le don pour apaiser les choses, par des mots simples, mais qui faisaient du bien.
Nous vivons juste dans un monde qui n’était pas fait pour nous. Dans une autre époque peut-être, si nous avions vécu en un autre temps… Il paraît qu'avec des si, nous pourrions refaire le monde …
Il n'essaya pas de penser à ce qu'il se serait passé dans un temps où leur relation aurait été acceptée. Cela semblait impossible, et de toute façon trop douloureux à exprimer, et pourtant son esprit toujours actif ne cessait de penser à ces « et si », tout en acceptant l'idée que ce soit impossible. Il resta silencieux, difficile pour lui de s'exprimer sur ces sujets, et pourtant il semblait que Christian avait des questions à poser.
Pendant tout ce temps, une question n’a jamais cessé de me tarauder. Je t'écoute. Tu n’as jamais été du genre à sortir des sentiers battus, à franchir les limites imposées par ta famille ou par les convenances. Et pourtant, ce qui est arrivé entre nous… Matthias l'observa, curieux, alors que son ami le fixait de ses grands yeux bleus. Ca te ressemblait si peu, en y repensant. Et je crains aujourd’hui t’avoir mené sur un chemin qui n’était pas le tien. Je ne comprends pas … il fronçait les sourcils, qu'il pose sa question ! As-tu jamais regretté ? As-tu jamais souhaité qu’il ne se soit rien passé, et que nous n’ayons été qu’amis ?
La question pouvait paraître prévisible, mais comme souvent dans ce domaine, Matthias ne s'y attendait pas. Curieuse demande que celle-ci, même si elle était légitime. Depuis toujours, Matthias restait un garçon droit, peu aventurier et surtout peu friand de toute aventure amoureuse, préférant la raison à la passion. Quand il avait rencontré Christian ce jour là, que ce dernier sortait de l'eau après avoir nagé, il n'avait jamais pensé à mal, même ce baiser, il ne s'y attendait pas. Tout s'était formé en lui sans qu'il le comprenne et qu'il ne chercher à comprendre. Tout arriva d'un coup et après avoir cherché à coup de pourquoi Christian et pas quelqu'un d'autre, pourquoi surtout pas une femme, il avait cessé de chercher, profitant des instants avec le suédois, la seule fois où il se laissa porter par la vie. Lui comprenait ce qu'il avait vécu, apparemment pas son ami, qui devait attendre une réponse après quelques secondes d'un affreux silence qui semblait interminable.
Non. La première réponse fut des plus concises ! Mais il fallait bien trouver un chemin de réponse, le temps que le cerveau puisse donner un cheminement logique, Matthias voulut couper court à tout suspense. Il soupira et continua à soutenir le regard de son ami. Je n'ai jamais compris comment cela a pu se produire, pourquoi toi et pas … quelqu'un d'autre. J'y ai pensé souvent, à comprendre une logique. Puis j'ai essayé de retrouver cela avec d'autres, en vain. J'ai préféré revenir à ma vie d'avant, à me dire qu'il y a des choses qu'on ne peut guère comprendre, mais je n'ai jamais regretté. Jamais. Au contraire, cela fut un excellent souvenir que je ne pourrais oublié, et je garde cela comme un moment à part, unique dans ma vie. Il aurait été dommage de regretter de si bons moments.
Il se tut un moment, au fil de ses paroles, il revoyait les bons moments en Suède, une parenthèse de sa vie où il n'avait plus l'air aussi différent que les autres le prétendaient, Christian le considérait d'égal à égal, jamais jugé ni même de remontrance, il y avait vraiment une harmonie avec son ami, et amant donc à l'époque, qu'il n'avait plus retrouvé.
Je vivais bien sans toi avant notre rencontre, dans ma logique, mon monde. J'ai bien vécu après toi, dans mon quotidien, ma politique. Mais ce que j'ai vécu avec toi entre ces deux moments n'a pas de prix. Ce n'était pas prévu et je n'y ai pas trouvé de raison logique, mais j'aime cette partie de ma vie où j'ai trouvé cela normal. Comprends tu ?
Ce serait sans doute la seule fois de sa vie qu'il pourrait mettre des mots sur cette relation hors norme, incompréhensible et pourtant si belle. Finalement, parfois, parler de ses sentiments ne faisait pas de mal, ne rendait ni faible ni idiot comme il a tendance à le penser.
Est-ce pour cela que tu es venu ? Pour cette question ? Ou alors peut être avais-tu moins peur que moi de parler ? |
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| Sujet: Re: I wear this crown of thorns upon my liar's chest [PV Matthias] 23.11.15 23:22 | |
| Christian de Sudermanie n’était pas homme à s’embarrasser de regrets ou de remords. Toute sa vie, il n’en avait fait qu’à sa tête, ne se souciant que peu de ce que pensaient les autres, de ce qu’on attendait de lui, et des dégâts qu’il pouvait faire bien malgré lui, préférant blâmer un monde qui ne le comprenait pas et ne le comprendrait sans doute jamais. Dès son plus jeune âge il avait bien compris qu’il serait toujours le vilain petit canard. Celui qui dérange. Celui qu’on préférerait pouvoir ignorer mais qu’on était obligé de supporter de par son rang. Alors il en avait profité, évidemment. Avec toute l’innocence de sa jeunesse, il avait bravé les interdits et entraîné d’autres, comme son frère, sur son sillon. Il ne comptait plus le nombre de colères que son aîné le plus jeune avait dû endurer par sa faute – mais il ne s’était jamais senti coupable d’exister, jamais senti coupable de sa conduite. Matthias était une première. Mais avec Matthias, tout était toujours différent. Matthias lui avait montré que tout n’était pas désespéré dans ce monde, qu’il n’était pas condamné à toujours faire partie des parias. Que pour lui aussi, peut-être, il y avait un futur. Un futur qu’on avait écrasé à coups de sabots quand Matthias était reparti et ne lui avait plus jamais écrit. Une déception au goût amer, mais il n’était pas de déception que Christian ne soit capable de surmonter. Mais lui ? Ce garçon un peu gauche, rigide, qui avait une telle foi en ses systèmes de logique et de raisonnement, jeté dans une histoire qui échappait à la raison la plus élémentaire ? Souvent, pendant des années après leur rupture, Christian n’avait pu s’empêcher de ressentir un pincement au cœur en croisant son regard dans le miroir, avant de se rappeler d’un de ces contes d’orient dont il avait entendu parler pendant ses voyages. Un inventeur génial, qui avait donné vie à un cheval enchanté avant de voir sa merveilleuse invention s’envoler en l’abandonnant… Sans savoir qu’il il était, du malheureux inventeur, ou de la bête disparaissant sans se retourner.
Guettant la réponse de Matthias, Christian scrutait son visage, vieilli, et pourtant presque identique. Mais plus il le regardait, plus le suédois voyait, incrusté dans ce visage qu’il avait tant aimé, le poids des années qu’ils avaient irrémédiablement perdues. Plus il le regardait, plus il saisissait, pleinement, l’injustice et le drame de ce qu’ils avaient vécu.
« Non. » Christian eut presque un sourire. Même dans les moments comme celui-ci, Matthias restait Matthias. Direct, franc, ne s’embarrassant pas de formules polies pour mieux le rassurer. Non, il ne regrettait rien. Ca lui suffisait. Mieux, ça le soulageait d’un poids. Et lorsqu’on retirait le poids de la peur et des remords, que restait-il sinon la tristesse et la nostalgie ?
« Je n'ai jamais compris comment cela a pu se produire, pourquoi toi et pas … quelqu'un d'autre. J'y ai pensé souvent, à comprendre une logique. Puis j'ai essayé de retrouver cela avec d'autres, en vain. » Un éclair de compréhension passa dans les yeux bleus de Christian. Oh, comme il comprenait. Après tout, lui-même ne s’était-il pas marié pour se convaincre qu’il pouvait tourner la page ? « J'ai préféré revenir à ma vie d'avant, à me dire qu'il y a des choses qu'on ne peut guère comprendre, mais je n'ai jamais regretté. Jamais. Au contraire, cela fut un excellent souvenir que je ne pourrais oublié, et je garde cela comme un moment à part, unique dans ma vie. Il aurait été dommage de regretter de si bons moments. »
Le cœur de Christian se serra un peu plus dans sa poitrine. Plus Matthias le soulageait de ses doutes, plus il réalisait combien il avait perdu. Oh, qu’il aurait été plus simple de se séparer dans les cris et la haine. Couper les ponts, renoncer une bonne fois pour toutes aurait été tellement plus facile. Mais tout ce que Christian voyait maintenant, c’était les années gâchées, le sacrifice qu’ils avaient fait et pour quoi ? Pour d’autres, qui n’auraient jamais dû rien savoir. Matthias parlait avec calme, avec précision. Il avait l’air en paix avec lui-même. Et Christian, qui était pourtant si sûr d’avoir lui aussi tiré un trait sur cette histoire et ne vouloir que lui apporter un point final, sentait au fond de lui, douloureux, le feu ancien de la colère et de la tristesse.
« Je vivais bien sans toi avant notre rencontre, dans ma logique, mon monde. J'ai bien vécu après toi, dans mon quotidien, ma politique. Mais ce que j'ai vécu avec toi entre ces deux moments n'a pas de prix. Ce n'était pas prévu et je n'y ai pas trouvé de raison logique, mais j'aime cette partie de ma vie où j'ai trouvé cela normal. Comprends tu ? »
Christian esquissa un sourire, presque douloureux.
« Je comprends. » Il soupira, secoua doucement la tête. « Tu as bien mûri, Matthias. J’en viens presque à me demander où est passé le garçon qui me demandait avec le plus grand naturel ‘m’aimerais-tu toujours si j’étais un homme-tronc ?’ et s’étonnait de me voir rire. » Son regard s’assombrit légèrement. Après tout, il savait où il était passé, ce garçon. « Est-ce pour cela que tu es venu ? Pour cette question ? Ou alors peut être avais-tu moins peur que moi de parler ? » demanda Matthias.
Pourquoi était-il venu ? Christian s’en souvenait à peine. Il y avait une demi-heure encore, il aurait dit qu’il voulait mettre les choses à plat, tirer enfin un trait définitif sur leur belle mais impossible histoire, s’assurer que la vérité soit rétablie, qu’ils ne finissent pas sur des non-dits et des mensonges répétés par leurs familles. Maintenant, il n’était plus sûr de rien. C’était trop vif encore, une plaie rouverte qui n’avait jamais complètement cicatrisé, et sur laquelle il avait besoin de jeter encore une couche d’alcool pour la soigner complètement. Il avait toujours pensé que c’était à lui de retrouver Matthias pour lui dire qu’il ne lui en voulait pas, qu’il ne lui en avait jamais voulu. Maintenant, il se demandait si ce n’était pas lui, des deux, qui avait eu le plus besoin de cette ultime rencontre.
« Tu sais bien que la peur de parler ne m’a jamais empêché de faire quoi que ce soit. » répondit Christian en souriant. Ce sourire qui était son arme et son armure face à l’adversité, ce qui lui permettait de rester debout en toute circonstance. Tant qu’il souriait, il avait le contrôle. Tant qu’il souriait, sa famille n’avait pas gagné. « Je suis venu parce que je voulais mettre les choses au clair. M’assurer que même si nous n’avions pas eu notre chance, au moins on ne nous volait pas notre fin. »
Désormais assuré que Matthias ne le mettrait pas dehors, Christian se permit de s’approcher de lui de quelques pas, ne cherchant même pas à cacher sa curiosité et sa mélancolie alors qu’il détaillait son ami, cherchant dans les rares rides naissantes de son visage une histoire alternative, une réalité qui aurait pu être la leur dans un autre monde. Christian n’espérait rien. Christian n’attendait rien. Ca faisait plus de dix ans qu’il s’était résigné, que l’amour qu’il portait à Matthias s’était éteint de lui-même. Et s’il restait quelques braises, elles ne pourraient probablement pas se rallumer. C’est donc sans arrière-pensée que Christian saisit doucement le visage de son ancien amant entre ses mains, ses yeux toujours verrouillés aux siens.
« Si tu savais ce que tu m’as manqué. » dit-il à voix basse. « Tes mains qui me cherchaient partout me manquent encore aujourd’hui. On t’a certainement dit l’inverse, mais je tiens à ce que tu saches que ce qui s’est passé entre nous était ce que j’avais de plus précieux à l’époque. » Il marqua une pause, puis ajouta : « Ce qui s’est passé entre nous a été l’un des plus beaux moments de ma vie, Matthias. Je ne voulais pas qu’on se quitte sans t’en avoir convaincu. »
Laissant ses bras retomber le long de son corps, Christian sentait les rouages du temps reprendre leur cours. C’était fini. Il l’avait toujours su, logiquement, par la raison – mais il s’apercevait désormais qu’au fond de lui il ne l’avait jamais accepté. Qu’une part de lui avait toujours espéré qu’un miracle s’opère.
Face à Matthias comme il l’avait tant espéré, il sentait enfin le livre se refermer. Une bonne fois pour toutes.
« Je me suis marié moi aussi, tu sais. Elle s’appelait Lisbeth. La femme la plus aimable et aimante qu’il m’ait jamais été donné de rencontrer. Elle a hélas trouvé la mort peu après la naissance de notre fils Hannes. Elle était si fragile… » Les yeux de Christian se voilèrent brièvement alors que le visage de son épouse dansait dans son esprit. « Mais nous avons eu une vie heureuse, aussi courte fut-elle. »
Relevant les yeux pour à nouveau capter le regard de Matthias, Christian ajouta :
« Je voulais savoir si tu étais heureux, Matthias. Avec Maryse, avec ta vie – je voulais être sûr que tout allait bien. » Il eut un sourire. « Mais je crois comprendre que c’est le cas. »
Et au fond, il n’y avait rien qu’il pouvait souhaiter de plus.
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