Sujet: Un an plus tard | PV Blandine 13.10.12 20:05
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« Diable, quel froid ! Ce n’est pas un temps à sortir un honnête serviteur, ça ! » « Rappelle-toi que c’est toi qui m’as entraîné ici, Auguste. Si cela n’avait tenu qu’à moi, je serais encore à la caserne et toi bien au chaud dans nos appartements. » « Il faut bien que je vous tire de vos entraînements incessants ! Vous allez finir par vous y épuiser ! » « Ai-je l’air de m’être jamais épuisé au sport, Auguste ? »
Bon d’accord, Auguste n’avait peut-être pas choisi la meilleure des excuses pour sortir son maître de son enfermement sur les terrains d’entraînement des mousquetaires. Peut-être aurait-il été plus juste de dire qu’à la longue, c’était son partenaire d’entraînement qu’il aurait tué à la tâche –et ce petit Langoiran ne méritait certainement pas ça- mais le zélé serviteur avait appris non seulement à faire preuve de diplomatie mais en plus à convaincre Léandre de toutes sortes de choses sans même que ce dernier ne songe à protester. Ou presque. Il avait pratiquement fallu qu’il le tire par la manche et le force à se changer pour sortir, mais ça n’était là qu’un détail pour le vieux serviteur qui, à la longue, avait appris sur quelles cordes il fallait tirer pour amener le vicomte à faire ce qu’il voulait lui faire faire. Auguste n’avait rien d’un manipulateur, mais il était du devoir du valet de connaître à fond les habitudes et caractères de son maître, non ?
C’est donc non sans fierté qu’Auguste Pelletier avait réussi à faire sortir Léandre de Vallombreuse pour aller en ville profiter des festivités du nouvel An. Espérait-il que ces réjouissances auraient un effet bénéfique sur l’esprit toujours aussi sombre et agité du vicomte ? Peut-être : après tout, il se souvenait d’avec quel plaisir Léandre tout jeune allait voir les cérémonies, les pièces de théâtre, les chorales, et autres spectacles qui ne manquaient jamais d’être organisés chaque année pour l’occasion de la nouvelle année. L’idée en soi n’avait rien de stupide, mais elle était hélas par trop optimiste. Aujourd’hui âgé de quarante ans, amer, froid, et parfois cynique, le vicomte était bien le dernier homme à s’émouvoir de réjouissances comme celles-ci. Retranché derrière son masque –noir bien entendu- il traversait la foule sans peine grâce à sa haute stature et probablement une certaine aura un brin effrayante qui maintenait aisément tout le monde à une distance respectable de sa personne. Il ne demandait pas mieux. Ses yeux bleus et froids effleuraient les visages sans jamais s’y arrêter, se moquant éperdument de ces quidams qu’il voyait passer dans les voir. Les festivités ne faisaient plus partie de la vie du vicomte. Ce soir, il avait la désagréable impression d’être un corbeau au milieu d’un nid de colombes. Une impression qu’il éprouvait bien trop souvent à son goût depuis son retour à Versailles, d’ailleurs. Il n’avait pas envie de voir de spectacle, ni de voir les gens sourire, ni d’être regardé de travers parce qu’il ne les imitait pas alors qu’il était de bon goût d’être heureux en ce soir de réveillon.
La ville de Versailles était illuminée de bougies et de lanternes colorées, et l’atmosphère n’était qu’un brouhaha incessant de musique, de grelots, d’apostrophes et de rires. Des enfants passaient en courant entre leurs jambes, des estrades avaient été dressées sur lesquelles s’agitaient des gens en costume bariolés équipés de masque plus grotesques que le sien ou d’instruments de musique. Sur certaines places qu’ils traversèrent, des bals populaires étaient organisés et tout le monde dansait sans se soucier du froid mordant de ce dernier jour de Décembre ni de la neige qui tombait doucement mais en gros flocons. Une armée d’odeur inidentifiables, certaines agréables, d’autres non, leur agressait les narines et il y avait tellement de monde que sans le ciel étoilé au-dessus de leurs têtes, ils auraient pu se croire dans un espace clos. Un espace clos dans lequel Léandre évoluait en fantôme et Auguste en médium assurant le contact entre le monde des morts auquel il appartenait et celui-ci. Laissant échapper un bref soupir, Léandre rabattit le rebord de son chapeau et les pans de sa cape sombre plus pour se protéger du contact avec l’extérieur que du froid qu’il ne ressentait de toute façon jamais. Contrairement à Auguste qui, malgré toute sa bonne volonté et son épais manteau, claquait des dents.
« Rentrons, Auguste. Ces festivités ne sont pas pour nous, et tu vas finir par mourir gelé. » remarqua Léandre d’un ton absolument placide. « Je ne v-vois pas ce qu-que vous voulez dire, vicomte ! » rétorqua Auguste avec une mauvaise foi presque aussi admirable que sa volonté de faire de ce 31 Décembre un jour de fête.
Léandre soupira derechef et continua de le suivre dans plus protester. Quand il aurait trop froid pour continuer à marcher, il décréterait lui-même le retour à la caserne… Et il pourrait lui dire qu’il avait eu raison. D’ici à ce qu’Auguste reconnaisse son erreur il allait falloir une bonne heure sûrement, mais au point où il en é… Soudain Léandre s’immobilisa. Pour la première fois son œil venait de s’accrocher à quelque chose, et ce quelque chose lui avait fait si forte impression qu’il attrapa Auguste par le col et le ramena vers lui, lui arracha un « GARGL ! » auquel il ne prêta aucune attention.
« Mais vous êtes fou, vous avez failli m’étrangler ! Que vous arrive-t-il encore ? » s’exclama le pauvre valet maltraité par un maître ingrat. « Regarde ça, Auguste. » lui ordonna Léandre sans répondre.
Auguste obtempéra. Au premier abord il ne remarqua rien de spécial sur cette petite affiche, mais en y prêtant plus d’attention, un nom vint titiller sa mémoire. Il avait déjà vu, ou plutôt entendus, les noms de Belle Iole et Olivier associés ensemble… Mais c’était…
« Ca alors ! Seraient-ce les comédiens de l’année dernière ? Ils sont à Paris ? » s’exclama Auguste au comble de la surprise. Le souvenir de la Belle Iole et du reste de sa troupe avait eu un effet plus que durable dans les murs de Vallombreuse, peu habituée à recevoir des invités depuis dix ans. Et un an plus tôt, pour le réveillon qui clôturait l’année 1665, cette drôle de jeune femme et son non moins étonnant compagnon avaient fait leur apparition… Les premiers invités de Vallombreuse. Evidemment que les deux hommes se souvenaient d’eux : ils étaient les premiers êtres humains étrangers au château qui en étaient ressortis autrement que les pieds devant. Auguste jeta un regard en biais à son maître. Pourquoi donc ces deux noms avaient-ils eu un tel effet sur lui ?
« Et si nous allions les voir ? La place où se donne la représentation n’est qu’à deux rues d’ici et a lieu dans une demi-heure à peine. » proposa Auguste un peu au hasard. Rien que pour tester la réaction de son maître. Il ne fut pas déçu. « Allons-y. » répondit ce dernier après un temps de réfléxion. Auguste ouvrit de grands yeux hébétés. Léandre de Vallombreuse, aller voir une représentation théâtrale ! Le Seigneur avait-il décidé d’opérer un miracle ce soir-là ? Ou bien quelle mouche l’avait-elle piqué ? Ravi, mais perdu, Auguste suivit son maître qui s’éloignait déjà. Il ne cherchait même pas à comprendre ; le tout c’était que le vicomte s’intéresse enfin à autre chose qu’à ses épées ! Pourtant, il n’aurait pas été inintéressant pour le valet de chercher à sonder un peu l’esprit de son maître. Car Léandre ne s’était pas pris d’une passion subite pour le théâtre ni la Commedia Del Arte, le miracle n’allait peut-être pas jusque-là. Mais la raison de cette impulsion subite avait bel et bien un nom, même s’il refusait encore de se l’avouer tout à fait et encore moins à Auguste : la Belle Iole. Depuis son passage express à Vallombreuse un an exactement auparavant, le visage de la jeune femme ne s’était pas estompé dans la mémoire du vicomte comme le faisaient ceux des autres en temps normal. Au contraire, il avait été incapable de l’en chasser : ses traits s’étaient comme fixés à sa rétine, et il avait été tout bonnement incapable de s’en débarasser. Pas de conclusions hâtives : son cœur n’accélérait pas d’un iota lorsqu’il lui arrivait de penser à elle, et son souvenir ne provoquait en lui aucun émoi particulier. Mais c’était un fait, la Belle Iole hantait littéralement ses pensées. Sans qu’il ne soit capable d’en expliquer la raison. Et plus ou moins consciemment, c’était la raison qui le poussait vers cette représentation théâtrale désormais : peut-être que la revoir lui permettrait enfin d’avoir une explication à ce phénomène qui l’intriguait autant qu’il le dépassait.
Lorsqu’ils arrivèrent sur la petite place, il y avait déjà du monde, mais ils parvinrent à se frayer un chemin jusqu’à deuxième rang devant la scène. Le public était composé de quelques rares gentilshommes, de bourgeois, du gens du peuple, et étonnamment, de quelques ecclésiastiques. Mais Léandre n’y prêta pas plus attention que cela et se concentra sur la scène et ce qu’il s’y déroulait. Ils venaient à peine d’arriver lorsque le rideau s’ouvrit, laissant la place à deux silhouettes bien familières. Celle géante et imposante d’Olivier. Et celle plus menue, plus agile de la Belle Iole. Léandre l’avait reconnue au premier coup d’œil : ce visage un peu rond et poupin, ces longs cheveux sombres, et ces yeux verts pétillants de malice et pourtant qui semblaient toujours aux aguets, à l’affût d’un éventuel danger. Léandre fronça légèrement les sourcils. Il avait beau l’avoir de nouveau en face de lui, il n’obtenait aucune explication sur le phénomène sus-mentionné. Et ça l’agaçait. Beaucoup. Puis il sentit qu’on essayait d’attirer son attention en le tirant par la manche. Tournant la tête, il surprit le regard alerte d’Auguste qui lui indiquait un bien curieux phénomène. Le nombre d’ecclésiastiques –il ne connaissait pas le nom de leur ordre mais reconnaissait leur habit, celui d’un ordre pas vraiment légal et plutôt extrême dans son genre- augmentait de seconde en seconde. Et vu l’expression de leur visage, ils n’avaient pas l’air ravis à la perspective de voir une pièce de théâtre.
« A mort les hérétiques ! » lança l’un d’eux en crachant presque de haine. Aussitôt d’autres cris le suivirent. Et Léandre comprit. Ils n’étaient pas là pour voir la pièce : ils étaient venus la saboter en bonne et due forme. Dès lors sur ses gardes, Léandre jeta un œil du côté de la scène, où les comédiens essayaient tant bien que mal de poursuivre. Mais soudain, l’un des encapuchonnés écarta un pan de son habit et tira une épée de son fourreau avant de se précipiter vers la scène. Ces ecclésiastiques étaient donc des gentilshommes ? Aussi aberrante l’idée puisse paraître, il semblait que ce fusse le cas. Et des gentilshommes qui s’en prenaient à la vie d’une troupe de comédiens. Il n’en fallait pas plus pour décider Léandre à réagir. Alors que l’homme armé venait de grimper sur la scène et levait son épée en direction de la jeune femme, Léandre dégaina à son tour et d’un bond grimpa et s’interposa entre la Belle Iole et son agresseur, arrêtant le coup d’une parade habile.
« Eh bien monsieur, il me semble que c’est bien indigne d’un gentilhomme de s’en prendre à une jeune femme sans défense ! » s’exclama-t-il avant de repousser son adversaire en arrière. Déséquilibré, celui-ci tomba de l’estrade. « Mademoiselle, vous n’êtes pas blessée ? » demanda-t-il en se tournant vers elle, sans se soucier de savoir si elle le reconnaissait ou non.
Mais d’autres commençaient à arriver… La soirée promettait d’être riche en émotions. Et ce n’était pas Auguste, qui avait sorti une dague de son manteau et rejoint son maître en levant les yeux au ciel, qui dirait le contraire !
« Ravi de vous revoir mademoiselle, même si d’autres circonstances auraient été plus appréciables ! » lança le valet en donnant un coup de pied dans la tête d’un homme qui voulait monter à son tour. « Tu prendras des nouvelles plus tard Auguste, pour le moment dis à leurs camarades de s’échapper ! »
Plus facile à dire qu’à faire…
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Sujet: Re: Un an plus tard | PV Blandine 21.10.12 16:26
Blandine avait promis à son compagnon de toujours, ce cher Olivier de lui rendre ce service, par conséquent elle s’y tiendrait. En outre, cette sorte de promesse ne lui était pas désagréable, bien au contraire. Il s’agissait de monter sur scène au cours des festivités du jour de l’an. Le maître étant au palais pour faire sa cour à Louis XIV, les comédiens de Racine étaient libres de leurs faits et gestes. Ainsi, c’est avec un grand sourire aux lèvres malgré le froid glacial, que la Belle Iole sortit ce soir-là de l’hôtel de Bourgogne après avoir emprunté un costume, dont bien entendu elle prendrait grand soin. Aujourd’hui, ils mettraient l’accent sur des improvisations offertes au public, et comiques bien entendu. Ils n’allaient pas offrir une tragédie au peuple alors que jongleurs et bateleurs arpentaient les rues. Malgré tout, ce n’était pas avec les acteurs du maître qu’elle jouerait mais bel et bien en compagnie de son ancienne troupe itinérante Montdory. La jeune Pisdoe était en effet une personne fidèle, elle n’oubliait pas que ses premiers pas de comédienne s’étaient déroulés dans leur roulotte. Plus que des camarades, ils avaient été ses amis, sa famille puisqu’elle n’avait toujours pas recontacté son père, et ils le restaient. S’ils avaient besoin d’elle, ils n’avaient qu’à l’appeler, elle accourait, comme ce jour-là donc.
Tandis qu’elle croisait mille et un passants pour rejoindre leur estrade, elle ne put que songer à l’année précédente. Cette fourmilière qu’était devenue Versailles la ville, était si éloignée du calme si pesant du château de Vallombreuse, et ces sourires sur tous les visages si différents de cette mine crispée du vicomte Léandre. Elle gardait de ce passage, un souvenir partagé, où elle avait bien failli mourir de peur mais malgré ça, son esprit était toujours imprégné de cette fascination qu’elle avait ressentie à l’approche du châtelain, le mystère l’englobant demeurait intact. Elle ne le reverrait très certainement jamais, l’homme ne sortait guère de sa tanière cependant il ne faisait pas partie de ces êtres que l’on oublie si facilement.
Mais il n’était pas bon de se concentrer sur ses réminiscences lorsqu’une soirée difficile dans l’exercice à fournir se préparait. Elle devait en effet être maîtresse de tout son esprit afin qu’il ne s’égare nulle part au cours des improvisations. Bien entendu, ils avaient des bases à respecter, l’idylle amoureuse, les disputes conjugales, les quiproquos, c’était évident. Il s’agissait là du cocktail si apprécié par les spectateurs, qu’ils ne pouvaient s’y dérober. Mais donc il fallait un certain temps de préparation avant le lever du rideau et une bonne conjonction de répliques.
- Belle Iole, trésor, merci d’être venue !
Elle venait d’être soulevée comme un minuscule balot de paille par Olivier, qui l’écrasait presque dans ses bras. Néanmoins sa joie était trop vive pour qu’elle se mette déjà à le gronder de ses manières de rustres. Blandine en effet se laissa prendre à l’allégresse des retrouvailles et lui permit cette proximité et même qu’il la fit tournoyer au point de lui donner le vertige.
- Tu sais bien que dès que je le peux, je me libère pour vous voir et partager deux ou trois scénettes avec vous. - Catherine sera ravie. Elle a les sangs tout retournés, des fous sont venus ce matin et lui ont ordonné de lever le camp sous peine de représailles terribles.
La Belle Iole sourcilla avec perplexité. Une telle violence, voilà qui était nouveau.
- Pourquoi ? - Il parait que nous autres, enfants du diable sommes installés trop près de l’église, ça déplait !
Blandine pouffa légèrement de mépris et haussa les épaules, le fanatisme quel que soit la religion en cause la dépassait. Elle préférait s’en moquer que prendre ces menaces au sérieux. D’ailleurs elle n’écartait pas l’hypothèse qu’une certaine Elisabeth d’Alençon, une sacrée peste de la cour soit la cause d’une telle cabale contre les artistes. Toute personne manquant aux messes et à sa conception de la normalité devait être puni, car rebut de la société. Une princesse à qui elle aurait bien dit sa façon de penser, mais elle préférait malgré tout s’en tenir éloignée. Cette dernière pouvait provoquer son excommunication et cela, car malgré tout la jeune Pisdoe était croyante, elle ne le voulait pas. C’était devenu entre elles, un jeu du chat et de la souris ! Heureusement à cette heure, la cousine du roi devait être en sa compagnie au palais pour les célébrations du jour. La comédienne pouvait respirer.
A vrai dire, ayant connu bien pire dans son existence jusqu’à présent, Blandine tentait de relativiser quoi qu’il se passât. C’est pour cette raison, qu’ayant écarté la probabilité bien mince que leur jeu soit interrompu par une attaque de croyants enragés, qu’elle rentra sur scène très sereine. Aussitôt en verve, elle déclamait ses répliques et l’hilarité du public l’encourageait à continuer dans cette voie. En effet, se faire traîner suppliante accrochée aux pieds de son mari tout en faisant des œillades à son amant avait trouvé acquéreur. Elle aperçut donc presque au dernier moment, cette foule de déments religieux qui portaient des armes.
« A mort les hérétiques ! »
Ils n’y allaient pas avec le dos de la cuillère, à mort ? Mais à quelle époque étions nous revenus ? Les guerres de religions étaient bel et bien terminées. Cependant, ces ecclésiastiques furieux désiraient bel et bien les tuer en les lacérant à coup d’épées. A cet instant, Blandine sentit son cœur s’accélérer, la frayeur la tétanisait tandis que toutes les issues leur semblaient condamnées. Les fanatiques avaient pris place aux quatre coins de la scène. Elle aurait préféré se trouver à Vallombreuse à cette minute face au pas commode Léandre de Vallombreuse. Elle devait reconnaître que les évènements s’étaient bien mieux terminés … Ici peut-être allait-elle mourir ! C’était même certain, quelques-uns de ces hommes encapuchonnés montaient à présent sur l’estrade. Un fondit sur elle avec la rapidité d’un aigle, son épée prête à s’abaisser sur son crâne.
Blandine n’obéissant qu’à un réflexe, venait de reculer et de se téléporter légèrement sur la gauche, lorsqu’une ombre apparut dans son champ de vision entre elle et son « assassin ». Qui était-ce ? Elle ne le voyait que dos.
« Eh bien monsieur, il me semble que c’est bien indigne d’un gentilhomme de s’en prendre à une jeune femme sans défense !
Cette voix ne lui était pas inconnue. Etait-il possible qu’en songeant à lui, il y est pu y avoir ce phénomène que l’on nomme incantation ? Toujours est-il que c’était peut-être lui, le vicomte de Vallombreuse qui se matérialisait devant elle.
« Mademoiselle, vous n’êtes pas blessée ? »
Lorsqu’il se tourna véritablement vers elle, Blandine sourit inexplicablement. C’était bel et bien l’énigmatique châtelain. Mille interrogations valsaient dans son esprit, cependant ce n’était pas le moment de les poser.
- Oui merci, grâce à vous …
Et voilà qu’Auguste, le valet venait également d’apparaître. Décidément leurs rencontres à tous semblaient devoir se passer toujours dans des circonstances peu propices au calme.
« … pour le moment dis à leurs camarades de s’échapper ! »
C’était très juste, aussitôt attrapant Auguste par le bras, Blandine se précipita vers l’emplacement de l’escalier en bois et après avoir relevé ses jupons, poussa de son sabot un de ces misérables qui s'écroula quelques marches plus bas. Aussitôt la voie dégagée, ils descendirent quatre à quatre les escaliers se placèrent aux extrémités afin que ses compagnons puissent être libres de partir. La jeune Iole venait de s’armer d’un de ces bâtons de berger qu’un des acteurs portait quelques instants auparavant et en menaçait les agresseurs. Tandis qu’elle donnait beaucoup de coups à gauche, même si c’était dans le vide, Auguste s’assurait du côté droit. Pendant ce temps la petite troupe se ruait dans la roulotte et bientôt Catherine de Montdory lança les chevaux à bride abattue en les remerciant. D’autres l’appelaient pour qu’elle les rejoigne ainsi qu’Olivier qui se trouvait toujours sur la scène, mais à connaître ces deux-là, ils n’allaient certainement pas en rester là. Ces coquins allaient souffrir.
- Vicomte attention derrière vous !
Et puisqu’elle se battait à coups de sabots, elle en lança un avec toute la force dont elle était capable, sur le fanatique qui tentait de porter un coup mortel à Léandre de Vallombreuse. Elle pouvait remercier Paris de Longueville à cet instant et ses leçons de tir, elle avait su merveilleusement bien visé le visage du scélérat qui tituba. Le vicomte pouvait désormais l’achever ou l’assommer s’il le désirait. A voir ces quatre combattants improvisés pour deux d’entre eux, on aurait pu sourire, mais croyez bien que les faces patibulaires qui leur faisaient face, ne souriaient plus vraiment de leur côté. Ils paraissaient même effrayés rencontrant plus de rage chez l’ennemi que chez eux et c’était tant mieux.
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Sujet: Re: Un an plus tard | PV Blandine 17.11.12 23:07
EDIT : j'allais oublier la musique qui va bien, enjoy
S’il y avait longtemps que le vicomte ne s’était pas interposé dans un conflit qui ne le regardait en rien, s’attirant par là des ennuis ainsi qu’à son serviteur, des ennuis parfois pour le moins… Dangereux ? Une éternité. Au moins deux semaines. Depuis qu’il avait mis dehors ces hommes qui avaient attaqué une maison de joie et surtout ses occupantes, s’il se souvenait bien. En d’autres termes, cela faisait deux semaines que le vicomte n’avait pas eu d’autre exercice que ceux qu’il faisait faire à ses mousquetaires, et il n’était pas fâché de reprendre ses fonctions de manière plus… Musclée. Il était devenu mousquetaire, il y a plus de vingt-deux ans, pour défendre la veuve et l’orphelin, pour faire régner l’ordre dans le royaume. Pas exactement pour former de jeunes recrues ou escorter sa Majesté la reine pour deux heures. Alors oui, dès qu’il en avait l’opportunité, même s’il s’en défendait, il se jetait la tête la première dans la bataille. Et aux yeux d’Auguste plutôt qu’aux siens, ce « retour aux sources » était des plus significatifs. Même s’il s’agissait de se battre, pour quelque raison que ce soit, c’était la première fois depuis dix ans que Vallombreuse mettait du cœur à quelque chose et que sur son visage désormais alerte passait autre chose que l’expression d’une pierre tombale. Pour un peu, Auguste en aurait presque remercié ces fanatiques qui les attaquaient à coups d’épées, de bâtons, et autres poignards pour le moins dangereux. Mais Léandre était bien loin des considérations bienveillantes de son serviteur, trop occupé qu’il était à dégager d’un coup de pied un ecclésiastique en robe qui venait l’interrompre alors qu’il s’enquérait de la Belle Iole.
- Oui merci, grâce à vous … répondit-elle en ayant effectivement l’air d’aller bien. Léandre fut frappé de voir à quel point elle était similaire avec le souvenir qu’il avait gardé d’elle. Il aurait pensé que l’image qu’il s’en faisait serait devenue plus floue avec le temps, que le souvenir aurait été déformé ; mais force était de constater qu’il n’en était rien. En un an, l’image qu’il avait conservée d’elle n’avait donc à aucun moment perdu de sa netteté et était restée parfaitement intacte. Et voilà que maintenant elle se tenait devant lui, réelle, vivante. Une apparition qui tenait du miracle mais que Léandre était incapable de s’expliquer. Mais il n’avait guère le temps d’y réfléchir pour le moment ; et l’épée à la main il suivit Auguste et la Belle Iole et leur passa devant pour se débarasser des quelques adversaires qui s’étaient mis en tête d’immobiliser la carriole que les comédiens devaient utiliser pour s’échapper. Il perfora le bras du premier, assomma le deuxième en lui ouvrant la portière dans la figure et bretta pendant quelques secondes avec le dernier avant de réussir à le toucher à l’épaule, le laissant sur le carreau.
« Allez dépêchez-vous, montez ! » lança-t-il aux comédiens qui ne se firent pas prier. Il n’entendit pas les remerciements de Catherine de Montdory : il était déjà de retour sur la scène où il ne pouvait décemment laisser Olivier se battre seul malgré sa force de brute. « Bien l’bonjour m’sieur le vicomte ! Je me demandais quand vous alliez me rejoindre pour leur flanquer une dérouillée, à ces drôles ! » lança le comédien avec sa familiarité coutumière. « Ma carriole a eu du retard, mais je suis votre homme dès maintenant ! » répliqua Léandre avec sérieux sans même s’aperçevoir que –ô miracle- il avait fait de l’humour ! Hélas Auguste était encore occupé en bas et les deux hommes étaient trop concentrés pour le relever ; cet évènement rare devait donc rester sans témoin. Et ça n’était pas plus mal. Dos à dos, Olivier et Léandre faisaient maintenant face à des adversaires qui commençaient à avoir du renfort : ceux qui avaient juste été assommés s’étaient réveillés et étaient partis mieux s’armer avant de revenir à l’assaut, donner une bonne leçon à ces deux hommes qui osaient prendre la défense d’une troupe de comédiens. D’autres que Léandre et Olivier auraient pris la fuite peut-être, après tout c’était l’option raisonnable. Mais ce mot-ci ne devait pas faire partie de leur vocabulaire, et visiblement, ni l’un ni l’autre n’avaient l’intention de partir tant qu’ils ne seraient pas tous à terre et hors d’état de nuire. Et ils n’avaient même pas eu besoin de le dire à voix haute pour se comprendre… Léandre para deux attaques en quarte et en tierce avant de répliquer par deux bottes qui les firent reculer de quelques pas, ce dont il profita pour toucher le plus proche sous le bras. Son acolyte essaya de profiter de ce moment, mais Léandre fut plus rapide et put parer le coup avant de s’engager dans un échange de bottes avec cet adversaire qui se révélait un peu plus coriace que les autres. Mais Léandre n’avait pas été lieutenant-capitaine des mousquetaires pour rien, et au bout de moins d’une minute, il se fendit avec rapidité et le toucha en plein cœur. L’autre s’effondra avec un bref râle, et alors que Léandre se redressait :
- Vicomte attention derrière vous !
Se retournant vivement l’épée levée et prêt à parer, le vicomte n’en eut finalement pas besoin : le son sourd d’un choc l’interrompit alors que le visage de son assaillant, qui tentait de l’avoir dans le dos alors qu’il se relevait, se déformait sous le coup de la surprise. Il tituba pendant une seconde ; seconde dont Léandre profita sans aucun scrupule pour botter droit au cœur. Pas de pitié pour les lâches ! Léandre repoussa son corps avec le pied et reporta son attention sur Olivier qui se débattait contre trois assaillants armés. Malgré toute la force dont Léandre le savait capable, il ne tiendrait pas longtemps à mains nues face à trois rapières. Il savait que les comédiens maniaient plus ou moins l’épée pour leurs représentations ; d’un regard il balaya la scène et rencontra une épée abandonnée. Il voulut s’en emparer, mais alors qu’il s’en saisissait un pied s’abattit sur la lame, l’empêchant de se relever. Léandre n’eut que le temps de lever la tête et esquiver un coup de dague avant de se relever d’un bond et décocher un coup de poing à son agresseur qui tomba de la scène. Du pied, il fit voler la rapière abandonnée jusqu’à sa main et, interpellant Olivier :
« Ces fourbes reviennent avec des armes, faites donc de même, cela ne sera que justice ! »
Sur ces mots, il lui lança l’épée qu’Olivier attrapa dans un réflexe. D’abord hébété, le visage de ce dernier s’illumina. En temps normal qui n’était pas noble n’avait pas le droit de porter l’épée ; alors être comédien et s’en voir offrir une (même abandonnée par un fanatique trépassé) par un vicomte masqué, quel évènement !
« C’est trop d’honneur, monseigneur ! Ils vont voir de quel bois se chauffe Olivier Laforge ! TAÏAUUUUT ! »
Et il se lança de nouveau dans le tas, donna des moulinets et des coups à droite à gauche sans vraiment respecter les règles de l’escrime, mais c’était l’efficacité qui primait, n’est-ce pas ? Léandre allait faire de même –peut-être avec plus de classe, certes- quand il s’immobilisa, frappé par une vision. Un peu plus loin dans la rue, pas moins d’une vingtaine d’autres hommes approchaient, armés de torches et de fourches. Les passants eux, avaient tous disparus, effrayés par la bataille. Et la scène prenait maintenant d’atroces dimensions d’inquisition. Il hésita un bref instant. S’il avait été seul, ou seul avec Olivier, peut-être aurait-il continué à se battre. Mais derrière il y avait encore Auguste qui n’était pas soldat, et surtout la Belle Iole qui, malgré son caractère et sa débrouillardise, n’en était pas moins une femme qui n’aurait pas fait le poids longtemps. Il jeta un bref regard derrière lui, vit que la jeune femme et Auguste perdaient du terrain face à deux assaillants. Cette vision le décida. Il siffla en direction d’Olivier et d’un geste du bras lui indiqua la retraite. Puis il courut à l’arrière-scène et sauta de l’estrade pour se jeter entre ses deux comparses et leurs agresseurs ; l’un d’eux faillit l’embrocher mais le rata et le paya d’un trou à la jambe qui le mit à terre, et l’autre parvint à lui érafler le bras mais le paya de sa vie. Léandre était quelqu’un qui avait le sens des proportions. Sans attendre, il enjoignit à Auguste :
« Ils sont encore une vingtaine à arriver, armés de torches, fourches, et que sais-je encore. Ca me brûle la gorge de le dire mais il faut partir. Emmène-la avec toi, je vais faire diversion avec Olivier. » « J’ai une meilleure idée vicomte : vous, emmenez-la, moi je vais les entraîner dans les rues de Versailles. Je n’ai peut-être plus l’âge de me battre, mais je connais assez la ville et suis assez agile pour les perdre aussi sûrement que dans le labyrinthe du Minotaure ! »
Léandre hésita une seconde, mais il connaissait assez son serviteur pour savoir qu’effectivement il tiendrait parole. Il avait beau avoir soixante ans, Auguste avait gardé l’agilité d’un jeune homme de vingt ans, il suffisait de le voir escalader le toit de Vallombreuse pour réparer les trous pour en être persuadé ! Léandre n’attendit donc plus et, attrapant la Belle Iole par le bras l’entraîna à sa suite.
« Ne perdons pas de temps. Suivez-moi mademoiselle. »
Et, partant dans la direction opposée à celle d’où venaient leurs nouveaux agresseurs, ils prirent la fuite. Perspective peu glorieuse selon le vicomte, mais pour cette fois nécessité faisait loi. La vie de la jeune femme passait avant sa fierté de guerrier. Se souvenant du chemin qu’il avait emprunté avec Auguste, il l’entraîna dans une petite ruelle moins fréquentée en prenant soin de toujours garder l’église dans leur dos, pour être sûr de s’éloigner des lieux de la bagarre le plus possible. Finalement ils débouchèrent au bout de quelques minutes sur une petite place beaucoup plus tranquille, une fontaine trônant en son centre, et quelques passants devisant en riant des festivités, totalement inconscients de la scène qui se déroulait un peu plus loin. Auguste et Olivier s’en sortiraient-ils ? Léandre en était convaincu ; il espérait simplement qu’Olivier ne commettrait pas d’imprudence ou qu’Auguste ne glisserait pas sur une tuile. Se recomposant un visage impassible maintenant que la bataille était passée, il se tourna enfin vers la jeune femme et la détailla sans néanmoins pouvoir dissimuler la curiosité et surtout la perplexité qui l’habitait depuis leurs retrouvailles et se manifestait par un éclat particulier dans ses yeux glaciers.
« Mademoiselle, je ne sais par quel miracle nos chemins se sont de nouveau croisés, et de façon aussi improbable, mais je veux croire que l’on m’a placé sur votre route afin de vous porter secours, à vous et vos camarades. Aussi je vous prie de bien vouloir accepter mes hommages et mes excuses pour cette scène par trop violente pour ce qui devait être pour vous un soir de fête. »
Sur ces mots il s’inclina légèrement, une main sur le cœur comme pour prouver la sincérité de ses dires ; mais son visage restait toujours aussi immuable.
« Mais je vous croyais comédienne itinérante. Votre troupe ferait-elle donc escale à Versailles ? »
Une manière comme une autre d’essayer de comprendre comment, pourquoi elle était là, par quelle action divine ils avaient pu se retrouver de la sorte. Des milliers de questions se bousculaient dans la tête du vicomte ; à commencer par son nom, mais il avait l’impression qu’à l’interroger trop vite il trahirait l’agitation qu’elle provoquait dans son esprit. Et c’était bien la dernière chose que voulait se roc imperturbable.
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Sujet: Re: Un an plus tard | PV Blandine 20.01.13 0:54
L’énergie du désespoir est une sensation que l’on vit que fort rarement, elle quintuple les forces, et ce même d’une personne fragile. Aussi, tandis qu’elle battait ses adversaires à coup de sabots, Blandine se découvrait tout à fait herculéenne. Jamais elle n’avait été plus sauvage, elle venait de laisser un de ces fanatiques à terre, et voyant un de ces collègues encore en danger, elle prit à cet instant son élan pour sauter sur l’agresseur. Ainsi à califourchon sur son dos, elle le rouait de coups en poussant des cris suraigus et même effrayants. La jeune comédienne ne supportait plus la violence et répondait par conséquent par la violence, sans doute même se défoulait-elle à cette minute de la maltraitance dont elle avait été la victime. Elle était littéralement métamorphosée en tigresse et elle n’hésita pas à mordre jusqu’au sang la main qui cherchait à la faire chuter à terre. L’ingénue amoureuse qu’elle était censée interpréter pour ce spectacle de rue n’était plus.
Non loin d’elle, dès qu’elle put jeter un regard à ses côtés, elle fut rassurée de voir que Léandre de Vallombreuse n’avait pas été touché. Bien au contraire en compagnie de son collègue Olivier, ce dernier pourfendait le crâne de toute cette chienlit. Il se battait comme un lion et la jeune Pisdoe aurait désiré avoir davantage le loisir de l’admirer. Son épée valsante étincelait et effectuait des bottes superbes, les mouvements de son poignet si souples auraient pu faire pâmer toutes les précieuses, jamais Blandine n’avait vu un homme se battre avec autant de brio. Il faut bien avouer que sur les planches, les seules armes que l’on connaisse sont les balais ou les instruments de musique faits de cartons, avec lesquels les maîtres frappent les valets. Aujourd’hui, on assistait à un véritable combat et celui-ci faisait rage.
Hélas, le fait d’avoir succombé à un instant de curiosité aurait pu être fatal à la comédienne. L’homme parvint à l’arracher de son corps. En effet s’étant baissé et ayant rendu son dos rond, elle fut empoignée par le col et passa au-dessus de la tête de l’homme. Elle chuta à terre après avoir effectué une roulade dangereuse. Elle se retrouvait à présent face à une fourche fort menaçante et les quatres piques lui entaillaient la peau du cou.
- Je te souhaite de bien brûler en enfer !
A cet instant où il faut avoir une idée brillante pour survivre, la seule qui lui vint fut de porter un grand coup de pieds au ventre de son agresseur afin que ce dernier soit désarçonné et tombe en arrière. C’est ce qui se produit et ce faisant, l’imbécile porta la tête méchamment au coin de la scène. Il mourut sans doute sur le coup. Tandis qu’elle se redressait, Blandine porta la main à son cœur battant et regarda le corps sans vie de cet homme. Elle en était venue à tuer quelqu’un. Certes cela ne lui plaisait guère et elle déglutit plusieurs fois de suite, mais malheureusement elle n’avait guère le temps de trop s’attarder sur ce décès provoqué par ses soins. En effet, d’autres enragés avançaient vers eux et ce par dizaines. Mais combien étaient-ils donc ? Qu’avaient-ils voulu si ce n’est amuser le peuple ? Ne pouvait-on les laisser en paix, l’excommunication qui les touchait pour la plupart ne suffisait-elle donc pas ? Blandine secoua la tête, elle ne comprenait ce flot de haine qui déferlait sur eux. Comme beaucoup, elle avait déjà subi le lancement de pommes et de tomates pourries mais jamais une telle attaque.
Tout à coup, tandis que son attention était toute entière portée à cette foule menaçante, son bras fut saisi par le vicomte de Vallombreuse.
« Ne perdons pas de temps. Suivez-moi mademoiselle. » - Quoi ? … Je … oui …
Elle le suivit sagement ne se faisant pas prier de quitter cet endroit. Ils se mirent à courir de façon effrénée à travers les rues, au loin Blandine aperçut Auguste le serviteur du mousquetaire tentant de faire assez diversion pour que ces fous à lier le suivent. Il y parvint d’ailleurs. Il fallait être un brave homme pour parvenir à un tel acte de courage, le sexagénaire risquait pas moins que sa vie. Quant à Olivier, il était resté se battre, son inquiétude pour lui était à son comble. Ce n’était qu’un acteur et non un combattant et malgré sa gaucherie de grande brute, il était aimé de tous.
Encore hébétée, leur course prit fin aux alentours d’une place dont le silence et le peu de population la stupéfia, quelle différence ! Un havre de paix s’offrait à eux et contrastait avec le cauchemar éveillé qu’ils venaient de vivre. Se penchant à la fontaine, elle plongea ses bras dénudés dans l’eau et s’aspergea le visage. Elle avait besoin de reprendre véritablement ses esprits et sa respiration également. Les yeux bleus froid de son sauveur étaient fixés sur elle.
« Mademoiselle, je ne sais par quel miracle nos chemins se sont de nouveau croisés, et de façon aussi improbable, mais je veux croire que l’on m’a placé sur votre route afin de vous porter secours, à vous et vos camarades. Aussi je vous prie de bien vouloir accepter mes hommages et mes excuses pour cette scène par trop violente pour ce qui devait être pour vous un soir de fête. »
Elle s’inclina à son tour après qu’il ait fait le même mouvement de salut.
- Je veux bien le croire aussi, vous êtes notre providence ! Après avoir pu être notre perte le jour de notre rencontre, voilà que vous volez à notre secours ! On vous devait notre liberté et à présent sans doute notre vie. Vos excuses monsieur ? Vous plaisantez j’espère, aucune parole ne serait assez forte pour vous montrer ma gratitude. Quant à la fête, je ne compte pas que ces faces de carême nous la gâche …
Le petit rire qui la secoua se transforma peu à peu en pleurs encore contenus, mais qui lui piquaient les yeux. Elle voulait se montrer forte mais le contrecoup du choc paraissait la submerger.
« Mais je vous croyais comédienne itinérante. Votre troupe ferait-elle donc escale à Versailles ? »
Comment aurait-elle pu savoir que le vicomte qu’elle connaissait à peine, venait prendre ses fonctions à Versailles et qu’il pourrait être dangereux de lui révéler certaines choses, s’il la croisait demain à la cour ? Il appartenait à tout gentilhomme de savoir manier l’épée, comment aurait-elle pu deviner que Léandre pouvait être un mousquetaire ? Aussi, elle répondit tout à fait naturellement pour satisfaire sa curiosité.
- Je l’étais mais je suis à présent dans la troupe du grand Racine. Je n’étais là que par fidélité et pour apporter du soutien à mes amis, dès que j’ai du temps libre je reviens à mes sources. Mal m’en a pris, mal m’en a pris …
Et son corps céda tout à coup sous la pression qu’elle venait de subir, ses dents se mettaient à claquer et les larmes se mirent à couler sans qu’elle ne puisse cette fois les retenir. Dans un élan, elle s’approcha inexorablement du vicomte. Ayant besoin d’une épaule sur laquelle se reposer, son visage humidifié par ses pleurs se perdit sur son épaule. Elle n’avait pas osé l’enlacer, comment aurait-elle pu oser ? Déjà ce contact n’était pas convenable, mais elle ne s’en rendit compte qu’après avoir pu évacuer le stress occasionné par l’attaque de la foule. Lorsque la comédienne redressa la tête, elle sécha ses larmes comme elle put et lui sourit timidement.
- Pardonnez-moi … Je ne sais pas ce qui m’a pris … Je ne suis pas aussi émotive en temps normal.
Elle venait de rougir imperceptiblement mais elle ne voulait pas que sa maladresse cause le départ de son interlocuteur. Elle avait besoin d’une présence.
- Puisque nous parlions de célébrations, j’entends de la musique dans cette taverne. Vous vous joindriez avec moi pour boire quelques verres ? Je vous dois bien ça, je vous les offre.
C’est à cet instant, alors qu'elle lui ouvrait la voie vers la dite auberge qu’elle aperçut le bras éraflé du vicomte.
- Mais vous êtes blessé.
Elle osa là aussi lui prendre son bras, comme il lui avait pris le sien au moment de leur fuite.
- C’est une vilaine coupure, asseyez-vous donc sur le rebord de la fontaine, je vais éponger le sang.
Aussitôt dit, aussitôt fait, elle déchira un pan du jupon de son costume, ce qui n’était pas bien grave afin d’en faire un garrot. Mais avant cela, elle plongea l’habit dans un peu d’eau afin de nettoyer la plaie. Tandis qu’elle était affairée à cela, la curiosité la piqua à son tour sur la présence du mousquetaire à Versailles.
- Si je puis me permettre, que faites-vous ici vous-même ? Vous aviez une réputation de reclus à Vallombreuse. Qu’est-ce qui vous amène donc par ici, en espérant que je ne suis pas indiscrète ?
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Sujet: Re: Un an plus tard | PV Blandine 09.03.13 20:00
Sur cette petite place beaucoup plus calme que l’esplanade où avaient eu lieu les hostilités, on aurait pu croire que la féroce bagarre n’avait jamais existé et qu’en retournant sur les lieux de la bataille l’on n’aurait pas découvert quelques cadavres vêtus de robes de religieux cachant dagues et épées sous leurs soutanes. Sur cette calme petite place, Léandre sentait les battements de son cœur déjà peu agité reprendre leur rythme lent et régulier habituel, signe que l’effort était déjà terminé et que tout était de retour à la normale. A part cette estafilade sur le bras, pas grand-chose n’aurait pu laisser penser que le vicomte venait de se battre contre une bande d’enragés aux côtés de son serviteur et d’un comédien aux poings presque aussi gros que sa tête ; un programme des plus originaux pour un nouvel an, mais Léandre commençait à se demander s’il ne devait pas s’habituer à cette situation. Entre le réveillon de 1666 et celui de 1667, il songeait qu’il n’aurait su dire lequel des deux était le plus improbable et se demandait si celui de 1668 comporterait lui aussi son lot de surprises plus ou moins dangereuses. Au point où il en était, il n’aurait pas été plus surpris que ça de devoir l’année prochaine se retrouver à protéger les poules sultanes de Louis XIV d’une attaque de lorrains la nuit du Nouvel An. Restait à espérer que ni Louvois ni Colbert n’auraient cette idée stupide.
Mais pour le moment Léandre avait d’autres préoccupations que les évènements du prochain nouvel an, puisque celui-ci n’était pas encore tout à fait terminé : scrutant l’obscurité des rues autour d’eux, il guettait les silhouettes qui allaient et venaient, se demandant comment s’en sortaient Auguste et Olivier restés en arrière. Il savait qu’il n’avait pas de souci à se faire, mais quarante années d’expérience sur cette Terre lui avaient enseigné le début de la sagesse : ne jamais rien prendre pour acquis. Et Auguste avait beau être aussi agile qu’un môme de vingt ans et aussi ingénieux qu’il était possible de l’être, une mauvaise surprise n’était jamais tout à fait hors de portée. Et Léandre aurait été très contrarié de perdre son brave valet aussi stupidement à un moment où il devait justement être plus indispensable que jamais. Au moment où ils allaient devoir partir sur le champ de bataille et où Léandre aurait besoin de lui pour régler toutes leurs affaires et rétablir son autorité sur les hommes et à la cour…
Aussi Léandre surveillait-il d’un œil l’arrivée de son valet et de leur compagnon comédien improvisé, et d’un autre œil l’état de la jeune fille qu’il avait arrachée des griffes de cette bande de fanatiques en robes de bure. Léandre était loin d’être un psychologue, mais il n’était pas difficile de voir que malgré ses efforts pour rester digne, la demoiselle n’était pas très loin de craquer. Et comment le lui reprocher ? Ce n’était certainement pas courant d’être victime d’une telle violence en pleine rue en période de fêtes.
- Je l’étais mais je suis à présent dans la troupe du grand Racine. Je n’étais là que par fidélité et pour apporter du soutien à mes amis, dès que j’ai du temps libre je reviens à mes sources. Mal m’en a pris, mal m’en a pris …
Léandre perçut le tremblement dans sa voix, mais il n’avait pas prévu que la cassure aurait lieu à ce moment précis –et même s’il l’avait prévu, il n’aurait pas plus su comment réagir. Encore moins lorsque soudain alors qu’il baissait les yeux sur elle, il sentit sa tête entrer en contact avec son épaule, le faisait légèrement tressaillir –heureusement il était de ces hommes qui laissaient difficilement leur surprise paraître aux yeux du monde. Mais ce contact subit, le premier depuis une éternité, le pris au dépourvu et le pétrifia presque. Non seulement parce qu’il était inattendu, mais parce que sans le savoir, la belle Iole avait justement choisi l’épaule qui avait été blessée à Valenciennes et qui, si elle ne la faisait plus souffrir, restait une zone particulièrement sensible. Paralysé malgré lui, Léandre fut donc incapable de réagir, et avant qu’il ne le puisse la jeune fille s’écartait déjà de lui, et il ne savait exactement s’il en était soulagé ou s’il s’en voulait un peu de n’avoir pas mieux réagi que ça.
- Pardonnez-moi … Je ne sais pas ce qui m’a pris … Je ne suis pas aussi émotive en temps normal. « Ne vous excusez pas mademoiselle. Vous venez de subir un choc, c’est tout naturel. » se contenta-t-il de répondre avec son impassibilité coutumière. - Puisque nous parlions de célébrations, j’entends de la musique dans cette taverne. Vous vous joindriez avec moi pour boire quelques verres ? Je vous dois bien ça, je vous les offre.
Léandre marqua un instant d’hésitation, se disant qu’il vaudrait mieux qu’il parte à la recherche d’Auguste, puis remarqua leurs deux chevaux qu’ils avaient abandonnés là quelques instants avant la bagarre. Il avait donc amené la jeune femme là où ils étaient arrivés sans s’en rendre compte ? Léandre révisa alors son opinion : dès qu’Auguste serait tiré d’affaire, son premier réflexe serait de revenir ici. Mieux valait donc rester dans les parages au cas où et partir à sa recherche s’il tardait trop à réapparaître. Il allait donc accepter l’offre quand elle lui coupa l’herbe sous le pied :
- Mais vous êtes blessé. S’exclama-t-elle en lui prenant le bras d’autorité. « Rien de grave, une éraflure tout au plus. » bougonna Léandre en essayant de reprendre son bras, sans succès évidemment. - C’est une vilaine coupure, asseyez-vous donc sur le rebord de la fontaine, je vais éponger le sang.
En temps normal Léandre aurait probablement refusé d’un ton sec –de toute façon avant qu’elle ne le lui rappelle il avait même oublié qu’il était blessé- mais il se souvint à temps qu’il n’était pas bon contrarier une jeune femme en état de choc, et que de toute façon la galanterie lui interdisait de se montrer discourtois. Il réprima donc un soupir et obtempéra, retirant sa veste afin de permettre à son infirmière improvisée de réparer les dégâts plus aisément. Le contact de l’eau froide le laissa indifférent et il recommença à scruter la foule pour guetter son fidèle Auguste. Mais la belle Iole n’avait pas l’air décidée à le laisser à sa contemplation, plutôt à lui faire la conversation.
- Si je puis me permettre, que faites-vous ici vous-même ? Vous aviez une réputation de reclus à Vallombreuse. Qu’est-ce qui vous amène donc par ici, en espérant que je ne suis pas indiscrète ? « Nullement. Nous venons de revenir à Versailles, mon brave Auguste et moi, sur ordre de Sa Majesté. Je servais chez les mousquetaires il y a dix ans, avant de… prendre ma retraite, et il y a quelques semaines j’ai reçu une missive me convoquant à Versailles afin de reprendre du service. Vous n’êtes pas sans ignorer qu’une guerre se prépare, et la France a besoin de toutes ses forces… Même s’il s’agit d’un ‘ancien’ comme moi. » se contenta-t-il de dire sans entrer dans les détails. Détails qui n’avaient aucune espèce d’importance et n’intéressaient de toute façon probablement pas la belle Iole.
Le silence retomba, pendant lequel Léandre se concentra –ou tenta de se concentrer- sur le retour de son plus vieil ami, lequel n’apparaissait toujours pas. Le vicomte commençait à s’interroger sur cette absence prolongée qui ne semblait rien présager de bon ; devait-il partir à sa recherche ? Mais il ne pouvait pas laisser la jeune fille seule ici, et l’emmener avec lui serait courir le risque de croiser de nouveau leurs agresseurs et la mettre en danger. Que faire alors ? Tiraillé entre deux décisions, le vicomte ne remarqua pas qu’elle avait terminé son bandage et ne s’en aperçut qu’une fois qu’elle se rappela à son bon souvenir en le lui signalant.
« Je vous remercie de vos soins mademoiselle, et vous aurais volontiers accompagnée si je n’avais pas été intrigué par l’absence de mon valet, qui devrait être de retour depuis… Je vais partir à sa recherche, restez ici le temps que… » commença Léandre, mais une voix l’interrompit dans sa lancée. « Inutile vicomte, il faudra plus que quelques illuminés en robe pour venir à bout de votre vieux serviteur ! Je n’ai plus vingt ans mais diable, j’ai la peau dure ! » « Ah, te voilà enfin toi ! » répliqua Léandre en se levant pour voir arriver son valet, soutenu par un autre homme que Léandre ne connaissait pas, et qui avait l’air un peu ahuri. « Mais où est passé Olivier ? Et comment se fait-il que tu ne puisses plus tenir sur tes jambes ? » « Monsieur Olivier est parti à la recherche du reste de la troupe –ne vous inquiétez pas pour lui mademoiselle, quand je l’ai quitté après avoir ligoté nos proies il se portait comme un charme et déplorait qu’il n’y en ait pas plus à fracasser. Quant à vous vicomte, j’aimerais bien vous y voir, sauter d’un toit et en sortir entier à mon âge, j’en connais peu qui en seraient capables ! » remarqua Auguste d’un air contrarié en lançant à son maître un regard chargé de reproches, lui faisant comprendre qu’il n’avait pas intérêt à se moquer de lui. « Et cet homme, qui est-il ? » demanda Léandre sans relever en désignant d’un geste du menton le drôle de type qui soutenait Auguste –lequel d’ailleurs s’était redressé et s’essayait à faire quelques pas sans lui. « Je n’en suis pas tout à fait sûr, il est apparemment sourd comme un pot… » « Qui traitez-vous de sot, mon ami ? Je vous ai aidé et c’est comme cela que vous me remerciez ? » s’indigna l’autre. « … mais j’ai cru comprendre qu’il s’appelait Nicéphore. Maintenant que tout le monde est sain et sauf, je propose que l’on se détende enfin, en rejoignant par exemple ces gens-là qui trinquent ! » « Mais pourquoi parlez-vous d’ornithorynque, maintenant ? »
Soulagé par le retour de son valet, Léandre se détendit imperceptiblement et jeta un regard à la belle Iole qui lui avait fait la même proposition quelques minutes auparavant. Il fut étonné de constater que toute trace d’anxiété avait disparu de son visage, maintenant illuminé par le soulagement et probablement la joie de s’en être si bien sortie et de savoir son ami hors de danger. Et ce visage jeune et rayonnant était exactement semblable à celui qui avait si bien marqué les souvenirs de Léandre un an plus tôt. C’était ce visage-là qui l’avait tant frappé, et que peut-être inconsciemment, il avait voulu retrouver en partant à sa recherche dans la foule en apprenant sa présence dans Versailles en ce soir de réveillon. S’apercevant qu’il était resté silencieux, brièvement absorbé dans sa contemplation, il se reprit aussitôt et fit comme si rien ne s’était passé pour répondre :
« Mademoiselle me faisait la même proposition il y a quelques minutes, si c’est là le souhait de la majorité je m’y plie… Après tout, tout le monde mérite bien de se détendre après ces émotions fortes. » trancha-t-il en les suivant dans l’auberge, bien plus fréquentable qu’une taverne et dans laquelle l’on jouait une musique entraînante. Aussitôt happés dans l’atmosphère joyeuse et chaleureuse de l’endroit, la bande de comparses trouva une table libre et s’y installèrent pour faire le récapitulatif de la soirée, apprendre de la bouche d’Auguste ce qu’il s’était passé après le départ de Léandre et la belle Iole, rire de leurs mésaventures (enfin, Léandre se contenta d’y sourire un quart de seconde mais c’était déjà ça) et boire à la santé de leur bonne étoile qui avait bien voulu les réunir à nouveau ce soir-là. Finalement, même Léandre se prit à trouver ce moment agréable et se montra un peu plus bavard que d’habitude, un fait significatif chez lui qui d’habitude s’impliquait aussi peu que possible dans une conversation. Finalement, il remarqua au bout d’un moment que la belle Iole tapait légèrement la mesure de la musique du bout des doigts… et après un court instant d’hésitation, décida que c’était jour de fête et qu’il pouvait bien faire un effort de plus après ce qu’elle avait traversé ce soir-là. Et après tout, elle l’avait soigné, c’était bien le moins qu’il pouvait faire.
« Mademoiselle, je vois que la musique vous plaît : m’accompagnerez-vous pour cette danse ? J’ai bien peur d’avoir oublié comment danser correctement avec le temps mais je sais qu’Auguste est pire que moi et je refuse de le laisser vous marcher sur les pieds… » fut Léandre en se levant et en tendant la main à la jeune fille. Pour la plus grande surprise d’Auguste qui manqua de s’étrangler avec son verre –Nicéphore, qui les avait suivis, lui tapota aimablement le dos- mais ne manqua pas de placer un mot en faveur de son maître, comprenant que ce qu’il se passait là ne pouvait qu’être bénéfique à l’asocial complet qu’il était !
« Ne l’écoutez pas mademoiselle, à l’époque toutes les dames de la cour se seraient damnées pour danser avec lui ! » « C’est cet idiot qu’il ne faut pas écouter, mais je serais honoré si vous acceptiez, mademoiselle. » reprit Léandre. Après tout, quel mal cela pouvait-il lui faire ? Cette soirée était la soirée des surprises, alors il n’en était plus à une près, après tout…
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Sujet: Re: Un an plus tard | PV Blandine 10.05.13 1:42
Blandine se mordait les lèvres assez sévèrement depuis quelques instants. Oui elle tentait de faire la conversation à Léandre de Vallombreuse, quelle idée avait-elle eue là ! Dieu qu’elle avait été stupide. On pouvait se battre en compagnie du mousquetaire mais échanger quelques palabres, cela relevait du miracle. Certes il lui répondait mais toujours avec ce ton impassible et si froid. Cette sensation de le déranger en tout et pour tout, comme il y a de cela un an, lui revint et lui provoqua une chair de poule qu’elle aurait préféré contenir. Il faut dire que le fait de s’être appuyée sur l’épaule d’une statue ou tout comme, puisqu’elle avait bien perçu la pétrification qui avait été la sienne, la conforter dans cette pensée. Que dire également sur ce soupir bien que réprimé, qu’il laissa échapper de sa gorge, tandis qu’elle lui proposait de le soigner ? La comédienne bénit presque son fugace statut d’infirmière novice et garda le regard fixé sur sa blessure – pardon sur son éraflure comme venait de le dire si bien Léandre – et n’osa plus lever ses yeux sur lui. Comment un être aussi courageux pouvait-il être aussi glacial ? Sur les planches de la scène, il avait été particulièrement fougueux, assenant des coups et maniant si bien le fleuret. Alors oui pourquoi changeait-il dès que son épée était au fourreau ? Bien entendu, son masque et le secret que ce dernier cachait, devait expliquer la chose. Pourtant, Blandine n’en saurait sans doute jamais rien. Aussi, elle devait se contenter de cette connexion qu’elle ressentait malgré ce manque flagrant de communiquer de la part de son interlocuteur. Ne restaient-ils pas deux personnes liées à une souffrance physique ? Elle l’amputée, lui le défiguré ! Il ne serait pas dit qu’elle baisserait les bras aussi facilement le concernant, un jour peut-être, deviendrait-elle son épaule à lui, qui sait !
« Nullement. Nous venons de revenir à Versailles, mon brave Auguste et moi, sur ordre de Sa Majesté. Je servais chez les mousquetaires il y a dix ans, avant de… »
Cette brève hésitation dans sa voix, lui mit quelque peu la puce à l’oreille sur les évènements qui avaient pu conduire à la tragédie qu’il avait subie. Il y avait dix ans donc, qu’avait-il donc pu bien se passer à cette date ?
« De prendre ma retraite, et il y a quelques semaines j’ai reçu une missive me convoquant à Versailles afin de reprendre du service. Vous n’êtes pas sans ignorer qu’une guerre se prépare, et la France a besoin de toutes ses forces… Même s’il s’agit d’un ‘ancien’ comme moi. »
Ainsi donc ce projet de guerre était bel et bien sur le point d’aboutir à de sanglants combats. Combats apparemment imminents. Certes, la Belle Iole en avait entendu parler, Racine allait suivre les troupes également sans devenir combattant pour autant, mais tout de même ce n’était pas encore bien réel dans son esprit. Une préparation reste quelque chose d’assez évasif et Blandine songeait ne pas prendre pleinement conscience de cela, avant le passage des troupes dans Paris. En bandant le bras d’un mousquetaire qui lui en touchait quelques mots, cela prenait donc bien avant, tout son sens. Elle leva légèrement les yeux au ciel, quelle femme pouvait être ravie de voir tant d’hommes partir au front ? Dans seulement quelques mois, combien seraient tués ? C’était désolant vraiment ! Néanmoins, Blandine ne se risqua guère à dire le fond de sa pensée à un soldat ou peut-être même un officier de la garde royale.
- Les anciens sont généralement les plus braves, vous venez de le prouver monsieur.
Une pensée légèrement amusante lui vint à l’esprit et elle voulut la partager avec le mousquetaire. Peut-être parviendrait-elle à le dérider.
- Vous avez été plus brillant qu’Henri Plantagênet au cours de ses célèbres tournois ! Vous avez été mon champion, regardez, vous portez mes couleurs … enfin en quelque sorte !
Elle était en effet en train de nouer le pan de son jupon autour de son bras, comme le faisaient à l’époque les gentes dames, avec un ruban. Les chevaliers portaient alors fièrement ce brassard tout au long de la joute. Sans doute, Léandre de Vallombreuse enlèverait-il rapidement celui-ci mais l’esprit romanesque de la comédienne s’était laissé aller à cette contemplation, qui n’était pas sans lui déplaire. Pourtant, il fallait se tirer de cette rêverie et ne pas abuser du temps précieux de l’officier, sans doute devait-il regagner sa caserne. Elle se redressa donc du rebord de la fontaine et son interlocuteur sembla ne s’apercevoir qu’à cet instant seulement, qu’elle avait terminé ses soins.
« Je vous remercie de vos soins mademoiselle, et vous aurais volontiers accompagnée si je n’avais pas été intrigué par l’absence de mon valet, qui devrait être de retour depuis… Je vais partir à sa recherche, restez ici le temps que…»
Il allait la quitter et un léger pincement au cœur se fit dans la poitrine de la jeune fille, elle aurait tellement désiré prolonger cette soirée. Le remercier sans doute encore une fois ou plutôt une bonne dizaine de fois, et puis ce verre qu’elle lui avait proposé de boire en sa compagnie, était-il oublié ? Elle se faisait déjà une raison, tant bien que mal, lorsque Auguste le dit valet qui n’avait rien à envier à son maître, en matière de courage parvint jusqu’à eux. Il ne se portait pas vraiment à merveille mais au moins était-il en vie. En effet, le malheureux était soutenu par un autre homme, que Blandine n’avait jamais vu. A cette vision, la peur l’envahit à nouveau. Si le valet du vicomte se trouvait dans un état pareil, qu’en était-il d’Olivier ? Les évènements s’étaient précipités et le choc qui l’avait troublée, lui avait fait oublier le sort de son compagnon de scène. Quel genre d’amie était-elle donc ? Elle s’en voulut amèrement tandis que l’inquiétude grimpait en elle. Fort heureusement, Auguste lui rapporta rapidement de bonnes nouvelles de ce dernier. La comédienne put calmer aussitôt les battements de son cœur et sa respiration saccadée. Sacré Olivier, jamais quiconque sauf peut-être le vicomte pourrait abattre ce vieil ours. Elle en sourit, assez amusée par les rugissements qu’il avait pu pousser à l’égard de ces fanatiques encapuchonnés.
Ainsi puisque toute la tension du moment semblait retombée, que tous avaient eu plus de peur que de mal, pourquoi n’acceptait-il pas sa proposition de festoyer à l’auberge ? Nous étions le premier de l’an, que diable ! Une fois encore, Auguste parut lire dans ses pensées et montra des personnes en train de lever leur verre.
« Mademoiselle me faisait la même proposition il y a quelques minutes, si c’est là le souhait de la majorité je m’y plie… Après tout, tout le monde mérite bien de se détendre après ces émotions fortes. »
Rarement Blandine eut un sourire aussi radieux. Elle était pleinement satisfaite après tant d’émotions fortes, ils allaient pouvoir enfin évacuer leur peur, autour d’un bon vin. D’un pas enjoué, Blandine se dirigea vers l’établissement. Ce dernier ne semblait pas être envahi de fous incendiaires, bien au contraire, cela semblait être un endroit très bien tenu. S’il fallait vraiment y apporter un bémol, certains hommes ivres avaient tout de même des comportements douteux et des paroles inquiétantes. En effet tandis qu’ils rejoignaient une table, pour s’y installer, Blandine entendit quelques ricanements glauques.
- A ta mort ! - A la tienne !
La jeune comédienne eut un léger frisson mais cela semblait être une plaisanterie, une plaisanterie de mauvais goût certes mais sans doute que pour elle. Les ivrognes ont apparemment un langage bien à eux et s’amusent de choses étranges. Puisqu’après avoir trinqué, les deux hommes se mirent à jouer aux cartes, Blandine se rassura. Tout se passerait bien à présent ! Hormis ces personnes-là, l’atmosphère était véritablement festive et bientôt ils partageaient une bonne bouteille de vin, tout en riant de cet épisode qui aurait pu s’achever de façon fort dramatique. Comme le disait si bien le dicton populaire : il valait mieux en rire qu’en pleurer. Du coin de l’œil, Blandine aperçut que Léandre de Vallombreuse esquissait également un léger sourire. Cela lui plut, il se déridait enfin ! Et il n’était pas le seul … Tandis que la jeune comédienne avait détourné la tête pour apercevoir le petit orchestre qui égrenait déjà quelques notes de musique, son regard fut captivé par Jean Baptiste Colbert. Il se tenait là, vers l’entrée, le visage caché par un chapeau qui suffisait à ce que les parisiens communs ne le reconnaissent pas, mais manque de chance pour lui, Blandine travaillait chaque jour en sa compagnie. Chaque trait de son visage lui était connu. Quelle surprise de ne pas le voir arborer un air constipé, ou encore cet autre air quasi hystérique qu’il avait toujours en sortant des appartements de Monsieur. Oui quelle stupéfaction vraiment de le trouver ici et qui plus est penché sur un pichet de bière.
- Bonne année les amis, ce soir ne faisons pas d’économie ! Buvons !
Blandine ne put réprimer un rire en le voyant lever son verre pour saluer l’assemblée. Si Monsieur et la cour avaient su ça … Colbert en serait mort. Blandine se jura de garder le secret du ministre, enfin pour l’instant. Peut-être qu’une augmentation amplement méritée ne serait pas à négliger, un de ces jours. Mais pour l’heure, il fallait garder cet atout en main et se concentrer sur cette musique très entraînante. Entraînante au point qu’elle tapota du bout des doigts, le tempo, ses pieds également tapaient le rythme. Elle aurait tant désiré danser …
« Mademoiselle, je vois que la musique vous plaît : m’accompagnerez-vous pour cette danse ? J’ai bien peur d’avoir oublié comment danser correctement avec le temps mais je sais qu’Auguste est pire que moi et je refuse de le laisser vous marcher sur les pieds… »
Si jusqu’à présent, la Belle Iole avait fait semble-t-il de la télépathie avec Auguste, jamais elle n’aurait pensé en faire avec Léandre de Vallombreuse. Sa proposition la laissa tout bonnement sans voix, quelques secondes. Etait-ce un rêve ? Lui l’impassible vicomte qui les avait froidement regardés interpréter une scène pourtant comique l’an passé, lui tendait la main pour faire quelques pas de danse avec elle ?
« Ne l’écoutez pas mademoiselle, à l’époque toutes les dames de la cour se seraient damnées pour danser avec lui ! » « C’est cet idiot qu’il ne faut pas écouter, mais je serais honoré si vous acceptiez, mademoiselle. »
Bien évidemment qu’elle allait accepter ! Sans connaître vraiment encore ce gentilhomme, elle en savait assez pour croire qu’il s’agissait presque d’un jour historique. Aussi, mit-elle sa main dans sa paume et se leva-t-elle de son banc sans aucune hésitation. Ils se dirigèrent vers le centre de la grande salle des hôtes et si Blandine lâcha un instant sa main, ce fut pour esquisser adorablement une petite révérence devant lui. Elle reprit alors sa main pour exécuter quelques pas de bourrés assez rapides et à chaque fois que tous deux tournoyaient et se rejoignaient après quelques croisements joliment faits, elle lui adressait un sourire des plus comblés.
- Je crois volontiers votre domestique, lorsqu’il dit que vous deviez faire des ravages à la cour. Vous deviez avoir un véritable carnet de bal à remplir à chaque festivité. Vous dansez vraiment à merveille, vicomte. Je regrette de ne pas être une vraie dame pour pouvoir avoir l’honneur de danser à nouveau avec vous.
Blandine partait du fait que Léandre de Vallombreuse ne savait guère pour son emploi de comptable à Versailles et en effet, sans doute ne le verrait-elle jamais tant ce palais était vaste et comptait de monde. Alors oui, elle profitait de l’instant présent en compagnie d’un homme charmant malgré sa froideur et si noble de cœur … De cela, elle était convaincue et elle en était très admirative. Et d’ailleurs, elle aurait voulu tenter une nouvelle approche envers cet homme qu’elle désirait avoir comme ami. Avec lui, c’était véritablement pas après pas.
- Sans doute allez-vous me juger audacieuse, mais vous m’avez dit que vous alliez vous rendre à la guerre. Peut-être pourrions-nous correspondre, accepteriez-vous que je prenne de vos nouvelles après avoir tant fait pour moi ? Cela me semble tout à fait normal et j’en serai ravie. Sachez aussi que je rejoindrai peut-être le front français au mois d’avril, Racine s’y trouvera et si nous pouvons interpréter une scène ou deux de son œuvre, nous le ferons avec plaisir. Cela changerait les idées aux troupes. Je ne sais pas quel est votre grade, mais peut-être pourrions-nous envisager d’organiser ça en temps de répit ? Qu’en dites-vous ?
Elle lui proposait beaucoup de choses en peu d’instants, mais elle désirait vraiment garder un contact avec lui, même s’il s’agissait de faire des « affaires ». Une fois encore, elle craignait un refus et une réponse glaciale, mais elle ne regretterait rien quoi qu’il en soit et encore moins cette danse qui les rapprochait ou tout comme.
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Sujet: Re: Un an plus tard | PV Blandine 20.11.13 20:04
Que lui était-il passé par la tête exactement lorsqu’il avait songé qu’inviter la belle Iole à danser était une bonne idée ? Léandre n’en avait aucune idée, et aurait probablement déjà regretté ses paroles et sa proposition s’il n’avait pas vu l’éclat d’étonnement et de joie dans les yeux de son interlocutrice ; trop tard pour se rétracter, donc. Tant pis, il allait faire comme il avait promis, ferait de son vieux pour se souvenir de l’époque fort lointaine où il dansait à la cour en bon gentilhomme qu’il avait été, et il allait faire de son mieux pour ignorer les regards moqueurs et amusés d’Auguste. D’ailleurs si ce dernier lui faisait la moindre réflexion, il sentirait passer sa vengeance. Léandre était un employeur plus que permissif avec son valet, mais tout de même, il y avait des limites à ne pas franchir. Et Auguste savait que la susceptibilité du vicomte en était une. Aussi, si le valet souriait de toutes ses dents à la vue de ce drôle de ‘couple’, c’était intérieurement, et il fit semblant de se désintéresser de la scène pour converser avec Nicéphore qui trouvait cette compagnie visiblement à son goût, même s’il ne comprenait pas vraiment pourquoi.
Léandre ne fit donc plus attention à Auguste et emmena sa partenaire de danse au centre de la salle sans daigner prêter attention aux regards qui se portaient sur eux. Dieu merci, en cette soirée de Nouvel An tout le monde était déjà bien éméché ou s’attendait à croiser des gens plus ou moins grimés dans les parages, aussi recevait-il moins de regards étonnés à la vue du masque qui lui couvrait la moitié du visage. L’absence de sourire sur la partie visible de son visage devait, à la réflexion, paraître plus étonnante en ces périodes de fête. Mais le mousquetaire ne pensait plus à se conformer aux attentes des autres depuis maintenant dix ans, et en reprendre l’habitude allait probablement être l’une des plus grosses difficultés auxquelles il allait devoir se confronter dans les mois à venir. Finalement la guerre tombait peut-être à point nommé. On n’attendrait moins de lui qu’il se comporte en parfait gentilhomme (ce à quoi il devait se ré-habituer) qu’en soldat (ce qu’il n’avait jamais cessé d’être). Et ce soir, on n’attendait rien du tout de lui. Et lui-même n’avait rien attendu de cette soirée, qui avait été tout sauf une suite d’évènements logiques dans la vie normale d’un homme normal. A force de vivre reclus pendant une décennie, il avait oublié que les soirées parisiennes ou versaillaises pouvaient être pleines de surprises et d’action. Drôle de façon de le lui rappeler néanmoins. Une bagarre contre une bande de fanatiques encapuchonnés, une course-poursuite dans les rues, et maintenant une danse dans une auberge. L’année commençait de manière bien surprenante.
Impassible, il salua sa danseuse et esquissa les premiers pas, non sans hésitation d’abord, mais quelques secondes lui suffirent à retrouver sa froide assurance coutumière. Apparemment, dix ans de réclusion n’avaient pas effacé trente ans d’éducation.
- Je crois volontiers votre domestique, lorsqu’il dit que vous deviez faire des ravages à la cour. Lança la jeune femme avec un sourire radieux qui semblait confirmer qu’il n’était pas si médiocre que ça. Vous deviez avoir un véritable carnet de bal à remplir à chaque festivité. Vous dansez vraiment à merveille, vicomte. Je regrette de ne pas être une vraie dame pour pouvoir avoir l’honneur de danser à nouveau avec vous. « Vous êtes trop aimable, mademoiselle. Vous-même n’avez rien à envier aux dames dont vous parlez. » se contenta de répondre le vicomte.
Non, Léandre n’était pas plus doué avec les compliments qu’avec la sociabilisation ; mais chaque chose en son temps. Pour le moment, il était concentré sur sa tâche et ne voulait pas décevoir sa partenaire de danse, même si les chances qu’ils se croisent à nouveau un jour n’était qu’extrêmement minimes. Pourtant, depuis ce soir, il se demandait s’il pouvait vraiment se fier à des statistiques concernant la Belle Iole et son ami Olivier. Après tout, quelles étaient les chances pour qu’il les retrouve un an après leur première rencontre jour pour jour au milieu de la ville de Versailles et sans même les chercher en premier lieu ? Probablement encore plus nulles que celles de les croiser dans un autre contexte. Mais il semblait que la demoiselle avait, ce soir, décidé de défier le destin elle-même.
- Sans doute allez-vous me juger audacieuse, mais vous m’avez dit que vous alliez vous rendre à la guerre. « C’est exact, mademoiselle. » répondit-il en se demandant où elle voulait en venir. Peut-être pourrions-nous correspondre, accepteriez-vous que je prenne de vos nouvelles après avoir tant fait pour moi ? Cela me semble tout à fait normal et j’en serai ravie.
Léandre ne s’attendait pas à ça. Après tout ce qu’il s’était passé, elle souhaitait garder contact avec lui ? Par reconnaissance ? Le mousquetaire restait perplexe. Mais après tout, pourquoi pas ; l’un de ses rares plaisirs à ce jour était d’écrire, et malheureusement avec les années son carnet d’adresses s’était considérablement amoindri. Ses contacts par écrit se limitaient dorénavant à la tante chez qui vivait sa mère, un autre cousin avec qui il s’était très bien entendu depuis l’enfance et qui, pour une obscure raison, ne s’était pas laissé rebuter par son changement de caractère, et le seigneur chez qui il avait fait ses premières armes. Voilà tout. Alors si la jeune femme souhaitait prendre de ses nouvelles de temps à autre et rester en contact avec lui à travers la guerre… Il ne voyait aucune raison de refuser. D’autant plus que, pour une raison ou une autre, il se rendait compte qu’effectivement lui aussi désirait rester en contact avec la mystérieuse jeune femme. Peut-être parce qu’elle était la première présence sympathique autre qu’Auguste qu’il rencontrait depuis si longtemps ?
« Ce serait un honneur mademoiselle. J’ignore où les batailles nous mèneront, mais si vous me laissez une adresse à laquelle vous contacter, je vous promets de vous écrire dès que mes fonctions me le permettront. L’on raconte que le Père Joseph était un correspondant assidu même lors du siège de la Rochelle, je ne vois pas pourquoi je n’en serais pas capable moi aussi. » finit-il donc par promettre. Sachez aussi que je rejoindrai peut-être le front français au mois d’avril, Racine s’y trouvera et si nous pouvons interpréter une scène ou deux de son œuvre, nous le ferons avec plaisir. Cela changerait les idées aux troupes. Je ne sais pas quel est votre grade, mais peut-être pourrions-nous envisager d’organiser ça en temps de répit ? Qu’en dites-vous ? « Je ne suis pas sûr que cela relève exactement de mes fonctions, mais je suis sûr que je pourrai vous aider à mettre cela en place. Puisque nous serons en contact, j’attendrai que vous m’annonciez votre arrivée et irai en parler à qui de droit afin de vous accueillir dans les meilleures conditions possibles. Je suis certain que nos hommes vous en seront très reconnaissants. » acquiesça-t-il en concluant la danse. La musique venait de s’arrêter, et recommença aussitôt sur une nouvelle mélodie, mais l’heure tournait. Il commençait à être grand temps de retourner à la caserne. Avec sa raideur militaire coutumière, Léandre s’inclina devant sa partenaire de danse et d’un geste de la main lui ouvrit le chemin vers leur table où Olivier, Auguste et Nicéphore (encore et toujours !) les attendaient. Auguste parut lire dans les pensées de son maître et se leva, amorçant le mouvement pour les deux autres qui ne tardèrent pas à faire de même. Le mousquetaire, dans un élan de galanterie dont il ne chercha même pas à comprendre l’origine, se saisit du châle de la belle Iole et le lui présenta avant de lui en couvrir les épaules. Décidément, cette soirée n’avait rien de normal. Peut-être qu’il était malade, après tout.
Alors qu’il ouvrait la voie vers la sortie, une bonne sœur d’un certain âge et visiblement bien éméchée manqua de lui tomber dessus, se retenant à son bras, avant de lui lancer un regard qui s’était certainement voulu aguicheur mais donnait plutôt l’impression à Léandre d’avoir été alpagué par une démente. Sans compter son habit de religieuse, qui ne collait pas du tout avec le reste du personnage. Léandre soupira, sans même lui jeter un regard.
« Eh ben alors mon beau mousquetaire, on s’en va déjà ? » geignit-elle. « Vous êtes encore soule, sœur Nicole. Lâchez mon bras je vous prie, ou je vous embarque et vous livre au lieutenant de la Reynie et ses hommes sur le chemin du retour. » lâcha-t-il sans paraître s’émouvoir le moins du monde de la situation. « Ah, les mousquetaire, c’est plus aussi charmant qu’avant, ah ça, ah ça… » grommella-t-elle en s’éloignant. L’espace d’un instant, il songea à lui présenter ce petit rebelle de Nicolas de Ruzé, juste pour voir. Puis il poussa la porte de l’établissement et le froid mordant du dehors lui fit oublier cette rencontre incongrue. Tenant le battant ouvert pour ses compagnons, il leva les yeux vers le ciel et remarqua qu’il commençait à neiger. Visiblement, même le ciel semblait s’y mettre pour conclure cette soirée avec un air de répétition. Et de prémonition aussi ?
« Bien, je crois qu’il est temps de se dire au revoir… » commença Auguste en tendant la main vers Olivier, qui la broya dans la sienne. Léandre réprima un demi-début de sourire, puis s’empara de la main de la Belle Iole pour y déposer un baisemain dans les règles. En se redressant, son regard croisa le sien, et y resta accroché quelques instants, comme aimanté. Un toussotement discret d’Auguste attira de nouveau son attention, et le vicomte se contenta de l’avertir des yeux qu’il avait intérêt à tenir sa langue et se garder de la moindre remarque (l’avantage de n’être pas bavard, c’était que Léandre avait développé des capacités remarquables à se faire comprendre d’un regard) avant de s’incliner devant la jeune femme.
« Adieu mademoiselle. Je vous écrirai dès que j’en aurai l’occasion, soyez-en assurée. Portez-vous bien jusqu’à notre prochaine rencontre. La prochaine fois, peut-être serons-nous en mesure d’éviter les démonstrations de violence inutiles. » déclara le vicomte de Vallombreuse avec, cette fois, ce qui ressemblait pour de bon à un sourire. Les comédiens les saluèrent à leur tour, et s’éloignèrent avant de disparaître dans la foule. Auguste, malin Auguste, attendit qu’ils soient hors de vue pour glisser avec malice : « Et bien vicomte, qu’en dites-vous ? C’est bien le destin qui nous a réunis à eux ce soir ! La petite dame semble vous porter beaucoup d’admiration, j’espère que vous allez faire ce qu’il faut pour ne pas la décevoir et disparaître du paysage, n’est-ce pas ? Vous avez un plan ? » « Voici ma proposition: rien. J’ai son adresse, elle m’a demandé de lui écrire pendant la guerre, mais honnêtement Auguste… Auguste, cesse de me regarder comme ça, ou je te noie dans cette fontaine. »
Et les deux comparses de s’éloigner, sans se douter que les circonstances les rapprocheraient une fois de plus de la Belle Iole, et que la normalité ne serait toujours pas au rendez-vous…
FIN.
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Un an plus tard | PV Blandine
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