1er avril 1667 - 22 heures-Qui va là, tonna la voix du soldat dans un cliqueti d’épées?!
Annoncez-vous! -Je suis la baronne de Campbelltown, Megan Campbell, soeur du comte d’Argyll. Je souhaite le voir.-Ôtez votre capuchon, miss Campbell.La jeune femme s’exécuta et dévoila sa longue chevelure rousse, ternie par la poussière mais non moins aussi flamboyante qu’auparavant.
La vision contenta le soldat qui fit signe à ses compagnons de laisser passer le cheval et sa cavalière.
-Je vais vous aider à descendre. Repartirez-vous ce soir, miss, ou resterez-vous avec monsieur le comte?Tout en sautant à terre et en tendant les rênes au soldat, Megan fronça le nez en observant les hautes façades du château de Nancy, dont quelques fenêtres étaient encore éclairées malgré l’heure avancée.
-Miss?-Je repartirais demain matin à la première heure, répondit-elle enfin brusquement en se retournant vers eux!
-Très bien. L’entrée est par ici, demandez au guet de vous mener aux appartements de monsieur le comte.Elle le gratifia d’un large sourire avant de s’éloigner pour entrer dans le bâtiment. Passant sous les galeries, elle attendit que les soldats ne s’éloignent et la perdent de vue pour se faufiler dans la première entrée.
Voir Archibald? L’idée lui était venue, mais si fugacement qu’elle l’avait totalement évincée. Elle savait pourtant que sans lui, elle ne pouvait atteindre le but qu’elle s’était fixé. Elle se mordit la lèvre lorsqu’elle réalisa l’impasse dans laquelle elle se trouvait. Archie contrôlait tant sa vie qu’il pouvait être celui qui allait faire capoter sa mission.
Elle longea les couloirs tout en évitant les soldats de factions ou quelques officiers qui rejoignaient leurs chambres. Où pouvait-elle se trouver celle qu’elle cherchait? L’imbécile! Elle n’y avait pas songé avant!
Megan s’assis un moment sur les marches, faisant tourner ses cellules grises. Benoît aurait immédiatement trouvé, songea-t-elle le coeur lourd. Elle aurait voulu qu’il soit avec elle en ce moment, il l’aurait aidé dans sa quête et surtout...l’aurait rendue plus forte une fois l’appartement trouvé. Elle se massa les tempes en réfléchissant silencieusement.
Au coeur du château? Dans la pièce la plus vaste, la plus brillante et éclatante? Possible, mais peu probable en ces temps de guerres. Pourtant, en connaissant les lorrains, sa théorie n’était pas si fumeuse! Ceux-là, elle le remarquait chaque jour en tant qu’infirmière, se pliaient en quatre pour contenter leurs alliés!
-Qu’aurait fait Benoît, reprit-elle tout bas?
Il y serait allé!Rassénérée par ses propres paroles, elle reprit ses discrètes investigations, ses cachettes, ses attentes pour ne pas se faire repérer et enfin, atteignit le coeur du bâtiment. Longeant les couloirs, elle aperçu enfin la porte de la chambre qu’elle cherchait. Elle ne pouvait s’y tromper: deux gardes avaient planté leurs hallebardes autour du panneau de chêne.
-Archibald serait nécessaire, soupira-t-elle tout bas.
Mais jamais, jamais il n’acceptera cela!***
-MEGAN? Archibald avait crié tout bas lorsqu’il découvrit le visage de sa soeur sous le capuchon. Lui empoignant le bras, il la tira dans la chambre avant de claquer la porte derrière elle et de baisser sa capuche.
-Mais pourquoi ne m’as-tu pas prévenue? Et que viens-tu faire là? Son frère oscillait entre colère et bonheur de la voir entière auprès de lui.
-Un problème grave à l’infirmerie des officiers, demanda-t-il en lui tendant un verre d’eau?
Archie venait de donner le prétexte en or qu’elle cherchait depuis son entrée dans la cour du palais ducal. Réprimant un sourire narquois et montrant un visage ennuyé, elle bu une petite gorgée et planta un regard faussement franc sur Archie.
-Un sous-officier, Archibald....je ne connais pas son nom, mais il m’a fait écrire des informations importantes qu’il a pu avoir. Des informations qui concernent le camp français, répondit-elle d’une voix innocente.
-Donne-le moi tout de suite! Les néogociations vont commencer dès demain! Si ces informations sont capitales, le roi doit en être informé! Immédiatement!Archibald avait repris le bras de Megan d’un geste plus doux, connaissant parfaitement le caractère de sa cadette.
-Il m’a fait jurer de le remettre au roi en main propre, Archie, minauda-t-elle d’une voix de pitié.
Il était mourant! Je ne peux pas trahir la parole d’un mourant! -Megan, tu ne vas pas.....Zut, pour une fois que tu t’attaches à ta religion! Archibald se mordit la lèvre en observant le regard de sa soeur.
Tu as intérêt à ce que tout ceci soit vrai, Megan, ou je t’assure que je te ramènerai moi-même de force en Ecosse où je te ferai enfermer, la menaça-t-il du doigt en comprenant le manège de sa soeur!
-Je t’assure que c’est la vérité! - A cela près que l’information s’était révélée être d’une banalité sans nom, aussitôt oubliée par l’espionne.
Quelques minutes plus tard, Archibald traînait Megan derrière lui, traversant de nouveau les couloirs pour s’arrêter devant les deux soldats.
-Annoncez le comte d’Argyll à sa majesté, je vous prie.-Comte, le roi a demandé à ne pas être dérangé!-Ecoutez....dites au roi que j’ai reçu une information de la part de l’un de nos éclaireurs, tombé aujourd’hui sur le champ de bataille et encore mourant.-Et elle, demanda le soldat en montrant du menton la jeune femme?
Archibald se tu, jaugea sa soeur qui lui lança un regard entendu.
-Dites à sa majesté que l’information nous a été transmise par miss Campbell, qui a aidé nos blessés aujourd’hui pour servir le royaume.Le soldat disparu un moment avant de reparaître.
-Sa majesté accepte de recevoir miss Campbell. Et uniquement miss Campbell, reprit-il dans un sourire narquois. Megan lança un regard victorieux à Archibald, se retint de le remercier avant de pousser elle-même la porte des appartements de Charles II.
***
-Miss Campbell, s’exclama doucement le roi lorsqu’elle referma la porte derrière elle!
C’est une joie de vous voir ici!-Sire, le salua-t-elle dans une petite révérence.
Il est vrai que ma présence est bien souvent synonyme d’informations à vous remettre. Elle baissa les yeux, n’osant les relever vers le roi. Elle savait pertinemment qu’elle n’était qu’une petite idiote comme toutes ces gourdes versaillaises et elle se força à songer à Benoît en cet instant. Lui, uniquement lui et non pas...
-Votre absence m’a beaucoup coûté, reprit le roi, en provoquant un grincement de mâchoires chez Megan.
Venez, ôtez votre manteau et dites-moi quelles sont ces informations transmises par notre éclaireur....si information il y a, miss. Le regard qu’il lui lança fut si équivoque que la jeune femme se força à ne pas rougir bêtement.
-La duperie était bien trop aisée pour que vous ne puissiez la voir, sire, répondit-elle.
Je n’ai en effet aucune information à vous remettre, je le confesse.Elle marcha quelques pas dans la pièce, inspirant lentement pour reprendre du courage et ne pas se laisser avoir comme une jeune fille en fleur, ou pire, à l’image de cette Michelle de Bergogne. Ce soir, elle était l’espionne. Seulement l’espionne.
-Alors vouliez-vous simplement voir votre souverain? -En effet, sire, répondit-elle en se doutant pertinemment du sourire qu’afficherait le roi.
-Vous n’avez rien perdu de votre franchise!-Je devais vous voir pour vous demander d’accepter de m’affranchir momentanément d’une mission que vous m’avez confié, pour concentrer mes efforts sur une personne qui, je le crains, pourrait-être affiliée à quelques réseaux pouvant se montrer dangereux pour votre majesté.Le sourire charmeur du roi disparu aussitôt et d’un geste vif, montrant un siège à Megan, s’assit dans un petit fauteuil.
-Dites-m’en plus, miss Campbell, fit-il.
-Enola of Dorset a quitté la cour de Versailles il y a peu, sire. En pleine nuit, sans que je ne puisse le savoir. Je l’ai découvert le lendemain.-Je ne vous blâme pas, ces choses-là arrivent.-Je me blâme, moi, sire. Enola of Dorset avait des accointances en France. J’ai pu enquêter sur certains qui se sont révélé insipides, mais l’une a attisé ma curiosité. Il s’agit d’une femme, duchesse de Langford en Irlande.-Que me voudraient encore les irlandais?!-Le souci, sire, est que pour être écossaise, je connais bien l’accent anglais. La dame n’a pas l’accent d’Irlande, mais il tire bien plus vers l’anglais. Pourquoi une anglaise se ferait-elle passer pour une irlandaise? L’idée est absurde, sauf si l’on souhaite cacher une identité ou une activité peu recommandable.-Pour quelle solution optez-vous, miss?-Aucune, sire. Là est mon problème. Acceptez que je mène l’enquête sur cette madame de Longford. Si même le roi de France a des ennemis, alors je crains bien plus encore pour mon souverain, répondit-elle d’une voix sincère!
-Je ne vous rappelle pas que j’ai personnellement veillé à ce que Cromwell et ses proches ne nuisent plus, miss Campbell.Megan baissa les yeux un moment.
-Je suis désolé d’avoir à vous le rappeler. Néanmoins, je ne vous ai pas donné ce rôle si je n’avais confiance en vous et en votre jugement. Je vous relève donc momentanément de la surveillance d’Enola of Dorset et vous demande de poursuivre vos investigations sur cette Longford. Si celle-ci s’allie à une Tudor et cache son identité, la menace pourrait être plus intéressante. -Merci, sire. Je mettrai tout en oeuvre pour vous donner satisfaction!-Je vous fais entièrement confiance sur ce point également, miss. Et voilà, la phrase avait été de trop et face au regard du roi, Megan sentit ses joues s’empourprer. Les idiotes!
-Euh....elle bafouilla, osant un petit sourire maladroit.
Puis-je prendre congé, sire? Je ne voudrais être responsable de....-Restez un peu, miss Campbell, répondit-il aimablement.
Vous êtes toute la journée auprès de nos blessés, m’a-t-on dit. Votre action est exemplaire..-Oui, je...je suis accompagnée par la duchesse de Richmond, ajouta Megan poliment en évitant soigneusement le regard du roi qui s’était levé.
-Oh, restez assise.....ah, la duchesse de Richmond! Elle n’est donc pas si vénale qu’on le chuchote à la cour, alors, fit-il d’une voix amusée.
M’en voici rassuré...Megan manqua de s’étouffer et préféra ne rien dévoiler sur cette étrange collègue. elle se contenta de hocher la tête et d’accepter le verre de vin tendu par le roi.
-Vous plaisez-vous en France?-Assez, oui, fit-elle brièvement en buvant une petite gorgée pour éviter de sentir son coeur battre trop fort. Elle pourrait mettre la chaleur qu’elle ressentait sur le vin et non sur la présence du roi juste derrière elle, l’affaire était parfaitement ficelée! Elle bu une nouvelle gorgée en espérant que l’effet de l’alcool allait monter plus rapidement que prévu.
-J’y ai retrouvé le duc de Richmond, continua-t-elle pour tenter de changer de sujet et passer à une conversation aux antipodes de ce qu’elle pressentait.
-Ce cher Richmond. Je ne doute pas également que votre...allure a du montrer aux français que l’Angleterre détenait de délicieux joyaux.Elle se crispa lorsqu’elle sentit les doigts du monarque s’appuyer sur le dossier de sa chaise et le roi se pencher vers son oreille. Une....deux....trois grandes gorgées de vin. Vite. Immédiatement! Elle manqua de s’étouffer, n’écouta pas son coeur qui l’avait trahi, le lâche!
-Euh..., bafouilla-t-elle.
...oui, Amy of Leeds le leur a prouvé depuis de nombreuses années, trouva-t-elle à répondre pour éloigner d’elle toute pensée qu’elle essayait vainement de s’interdire. Pour un peu, elle aurait senti sa main la brûler pour l’avoir jeté au feu bêtement. Qu’était-elle venue faire ici ce soir!
Etrangement, elle n’arrivait plus à visualiser le visage de Benoît et lorsqu’elle sentit les mains du roi sur ses épaules, elle avait totalement oublié de penser à lui pour se donner du courage et fuir de là.
-J’ai une autre mission à vous confier, Megan.-Ah, fit-elle d’une voix hésitante?
-Mais vous l’expliquer sera bien long, je devrais vous prendre votre nuit.Megan ferma les yeux, se revoyant auprès des soldats dans la cour du palais. Elle l’avait prévu, l’idiote! Elle avait inconsciemment prévu ce qui allait se passer, elle était simplement trop stupide ou trop lâche pour fuir cela. Si elle avait pu, elle se serait donné une gifle, mais avec la tête du roi dans son cou, le geste aurait certainement mal été interprété...! Elle n’avait même pas pu finir son vin!
-B...bien, s’entendit-elle répondire en se donnant une claque mentalement. Et un coup de pied aux fesses pour la prochaine fois.
-Vous êtes mon espionne la plus dévouée, Megan. Je devrais vous féliciter pour cela.Megan se maudit encore plus lorsqu’elle su qu’elle ne pourrait jamais tenir sa langue pour le raconter à Maximilian. Cette amitié était encore plus détestable que sa propre bêtise!