[Salon de Diane] Quand les princesses bâtissent un empire
Auteur
Message
Sofia Farnèse
« s i . v e r s a i l l e s » Côté Coeur: Je l'ai fermé par sa faute. Seul lui pourrait le rouvrir un jour ... Côté Lit: Je ne suis pas de celles qui se couchent pour un sourire. A peine pour un diamant, mais souvent pour la passion. Discours royal:
♈ LA BELLA FARNESE ♈ Più bella cosa non c'è
► Âge : 24 ans
► Titre : Princesse Farnèse, Princesse Chimay par mariage
► Missives : 1402
► Date d'inscription : 03/09/2011
Sujet: [Salon de Diane] Quand les princesses bâtissent un empire 18.07.13 23:31
« Le droit est pour le mérite, et le succès pour l'intrigue. »
La Cour de Versailles sans les hommes était bien peu intéressante. Il ne restait que des étrangers sans position, des éclopés, des vieux et des femmes. Heureusement qu'il y avait de charmants messieurs parmi les restants, mais avec moins d'hommes, il y avait davantage de concurrence. Et les finances de la jeune femme en pâtissaient. En temps de paix, les hommes la couvraient de cadeaux et certains pouvaient se transformer en pièces trébuchantes, tout comme les bijoux hideux qu'elle ne mettrait jamais mais qu'un joaillier se mettrait en quatre pour reprendre les pierres et les préciosités. Là, ces messieurs étaient un peu plus frileux et il y avait trop de dames qui aimaient les cadeaux, Sofia venait à se demander s'il fallait réduire son train de vie. Avec le départ d'Helle (emportant avec elle son amitié) puis d'Alessandro, elle avait dû donner congés à plusieurs domestiques, n'ayant pas besoin d'autant pour elle seule. Il y avait moins de fêtes dispendieuses, donc moins besoin de grandes robes dix fois trop chères, la restriction coulait de source. Mais à Versailles, on s'ennuie et pour s'occuper, il n'y a que les fêtes, les hommes et le jeu. Les deux premiers coûtent car il faut plaire toujours et le troisième était un gouffre financier. Dans la maison de la Reine, on ne jouait pas avec de l'argent, sinon Sa Majesté se ferait plumer par ses suivantes, donc cela occupait mais il n'y avait pas le goût du risque, le frisson du jeu. En cette journée de début avril, le soleil revenait et les jardins retrouvaient peu à peu les fleurs et les couleurs qui faisaient la beauté des lieux. Mais avant de pouvoir y mettre les pieds, il fallait assister à la messe. Il n'y avait pas foule, le roi n'était pas là alors les courtisans pouvaient bien rater l'eucharistie un jour. Ou deux. Voire même tous les jours. Mais quand on est dame de compagnie de la reine, on ne pouvait y manquer, Marie-Thérèse étant plus que bigote ! Sofia, en tant qu'italienne, était tout de même attachée à la religion, mais la messe traînait un peu en longueur. Assise à côté d'Eléonore Sobieska, les deux jeunes femmes ne tenaient pas en place, le Grand Aumônier de France avait une voix monocorde d'un malade à l'agonie et n'arrivait pas à trouver un timbre décent, on entendait très bien les fins de phrases monter dans les aigus, ce qui amusait les deux jeunes femmes. Sofia se pencha vers son amie :
« Tout de même, on ne peut pas être homme d'église et avoir des sursauts de notes lyriques. Elle pouffa, ne se rendant pas compte qu'elle parlait un peu fort. Peut être a t'il confondu la chapelle et l'opéra. »
Une duègne se retourna vers elle, la vieille Rotrude, les sourcils froncés, ce qui la vieillit de dix ans, ce qui lui faisait sans aucun doute dépasser la centaine d'années, et la pria de se taire, au nom de Dieu. Sofia fit une moue boudeuse, n'aimant pas être rappelée à l'ordre.
« Si Dieu devait faire taire quelqu'un, ce sont les personnes qui sont nées au siècle précédent, cela ferait de la place à la chapelle. »
Mais elle était tout de même vexée qu'on la réprimande juste parce qu'elle avait parlé un peu trop fort durant la messe. Enfin, la messe se termina et tout le monde put vaquer à ses occupations. Après une matinée presque soporifique, la reine décréta qu'avec le retour des beaux jours, il était idéal de se rendre dans Paris visiter les malheureux. Sofia eut une moue dégoûtée, elle n'aimait pas ces lieux. L'italienne n'avait pas peur à proprement parler des gueux, elle n'était pas comme Francesco, mais là il s'agissait de malades, d'estropiés, voire de lépreux. Un musée des horreurs humaines qu'elle ne préférait pas voir, en ayant déjà trop vu. Grand bien lui fasse, elle ne faisait pas parti du cortège royal et put passer sa journée à Versailles comme bon lui semblait.
Si Versailles s'était dépeuplé, la Cour conservait malgré tout, ses phénomènes de foire, ces boulets ambulants qui traînaient des pieds dans la Galerie des Glaces. Le clan des bigotes se voyaient plus souvent encore, et on ne voyait que trop bien les vieilles rombières dans les jardins, elles avaient rangé leurs seins en l'absence du roi, espérant réitérer de passer dans une couche royale comme elles l'avaient fait avec le Vert-Galant autre foi ! C'était assez horrible, à mettre au même niveau que les lépreux, toutes ces histoires salaces de galipettes avec le grand-père de l'actuel roi de France. N'y avait-il plus de gens de bon goût ? La plupart restait sur Paris, dans les salons, ou il fallait attendre que les dames de la duchesse d'Orléans quittent les appartements princiers pour avoir un peu de fraîcheur et d'intelligence en ces lieux. Parmi tout ce beau monde se trouvait la duchesse de Valois, son amie Gabrielle, sa complice d'intrigue contre Francesco lors de son anniversaire. Un délicieux moment dont il était toujours follement amusant de se rappeler et rire de bon coeur. Voici pourquoi Sofia alla à sa rencontre.
« Quel plaisir de vous voir ! Je pensais justement à vous, il manquait une personne de bon goût au milieu de ... la racaille. »
Voilà qui était dit. La guerre avait retiré les bons éléments, les hommes sur le front et les femmes à Nancy pour celles qui avaient la malchance d'avoir un mari dans l'autre camp. Sofia soupira en se disant qu'elle fut chanceuse de n'avoir pas dû à venir avec son frère ou son fiancé Alfie, elle était trop bien à Versailles (même si elle ne dira pas toujours cela ... ).
« Nous nous sommes peu vues depuis l'anniversaire du prince des canaux putrides, alors que nous aurions dû fêter cela. Un grand succès comme le nôtre, une telle frayeur à cet imbécile ! »
Elle s'assit dans l'un des larges fauteuils dans le salon de Diane où quelques courtisans passaient, mais quand ce soit une grande cohue. C'est là que l'on remarquait véritablement que le château s'était vidé. La suivante de Sofia s'était éclipsée après que la princesse Farnèse lui glissa un petit mot en italien pour avoir de quoi boire et manger. Rien de mieux qu'une conversation mordante avec un bon chocolat et des douceurs. Enfin la journée devenait plus lumineuse après une morne matinée et à croiser des gens inintéressants. Elle lissa le taffetas de sa robe rouge et allait se mettre à parler quand les deux femmes virent passer Michelle de Bergogne arriva, tout de rose vêtu, à tel point qu'elle ressemblait à un bonbon géant.
Puis-je me joindre à vous mesdames ? Demanda t'elle avec un large sourire. Il n'y a que deux fauteuils, vous le voyez bien, ce n'est pas pour en mettre un troisième … mais la meringue coupa la princesse, choquée et même indignée, pour parler à Gabrielle. Vous ai-je déjà félicité pour votre mariage ? Que vous avez de la chance, monsieur de Valois est un très bon parti, doublé d'un très bel homme, vous devez vivre un conte de fées ! »
Comme toujours quand Michelle voulait bien faire, cela se terminait mal. Cela commençait toujours par un regard de jugement bien peu subtil, surtout de la part des deux jeunes femmes qui l'observèrent silencieuse, avant de l'envoyer paître joyeusement. Et voici que la tornade rose s'enfuit, mal aimée de tous comme toujours.
« Affligeant … lâcha Sofia, effarée. Cette fille a t'elle toute sa tête ? Et comme elle a vous a parlé ! Elle ne nous a même pas fait de révérence ! Heureusement que Monsieur n'était pas là, il n'aurait fait qu'une bouchée de cette … chose rose et bouffie. Il faudrait prouver son bon goût pour entrer en ces lieux, ce serait la moindre des choses ! »
Ce n'était pas gagné ! La suivante revint avec du chocolat fumant et quelques gâteaux appétissants avant de s'installer un peu plus loin, attendant si sa maîtresse avait besoin d'elle, ce qui arriverait sans doute car Sofia ne faisait pas grand chose de ses dix doigts en société. Elle se saisit d'une tasse et la discussion put reprendre, légère et spirituelle, une bonne conversation comme on en manquait en ce moment à Versailles. Mais il fallait toujours des gens idiots pour peupler ce monde, et cette personne s'incarnait en un courtisan habillement sobrement de gris à la veste brodée, aux côtés de Colbert qui tentait de garder son calme.
« Mais monsieur Colbert, la solution est pourtant simple, il suffit d'un peu de bon sens. Si le Roi et la famille royale réduisait leur train de vie, même de moins de 10%, cela renflouerait les caisses de l'Etat ! Et davantage si les privilèges de la haute noblesse étaient revus à la baisse. Bien sûr, monsieur Silhouette. Lâcha ironiquement Colbert sans pour autant bouger un sourcil. Et pourquoi ne pas supprimer les privilèges tant que vous y êtes ? »
Les deux jeunes femmes avaient suspendu leur conversation et avaient suivi des yeux les deux hommes, Sofia semblait totalement abasourdie par cette bribe de paroles tout bonnement improbable. Sofia trempa les lèvres dans son chocolat bien épais et chaud, le dégusta et garda la tasse entre ses mains fines, l'air choquée de telles paroles.
« Certains n'ont ni peur de la Bastille, ni de l'exil ! Réduire le train de vie de la famille royale ! Et de la Cour ! J'espère ne pas avoir à entendre d'autres sottises aujourd'hui, je pense qu'il faudrait faire rencontrer la Bergogne avec ce monsieur Silhouette. Elle lui parlerait de fleurs qui ne coûtent pas cher et il donnerait sa vision d'un monde au train de vie réguler par des hommes de robe. Elle se mit à rire, moqueuse, à imaginer cette improbable conversation. Mais qui va t'on voir à présent ? Un calamar géant va t'il sortir d'un bassin et se ruer sur le château ? »
Et alors qu'on ne s'attendait pas à voir pire que Michelle de Bergogne et le tueur de train de vie aristocrate, une nouvelle couche de stupidité fit son apparition. Non ce n'était pas un calamar géant, bien que cela serait paru presque normal, mais sans doute le grand cauchemar de la Farnèse : Ezio. En effet, l'amant de la mère de Francesco se baladait avec ses yeux de fouine habituels qui avaient un sens inné pour se plonger dans les décolletés, et ce sourire dégueulasse d'un homme se croyant le plus beau alors qu'il n'en était rien. Sofia ne comprendrait jamais ce que Paulina Contarini lui trouvait. A la rigueur, quand elle est saoule, elle pouvait le trouver charmant, surtout quand il était flou. Mais au quotidien, cet homme était abominable et ne lâchait rien. D'ailleurs, alors qu'il avait été rejeté par les jeunes femmes, il revint à l'attaque en les saluant bien bas.
« Vous m'aviez manqués ! lança le vénitien. Ce n'était pas réciproque. lâcha Sofia au ton cinglant mais avec un large sourire faux qu'elle ne cachait même pas. Je suis déçu que vous ne soyez pas restés à l'anniversaire de mon neveu, j'avais espéré une danse avec vous, mesdames. Continuez d'espérer, on dit que l'espoir fait vivre. Vous vivre vieux, et seul comme cela. répondit Sofia avec ce même sourire. Oh ces mots piquants me rendent toujours aussi fou de vous. »
Il pourrait être son père et il était laid, c'était juste impensable d'être avec lui. Il n'y avait pas que l'âge, certains hommes restaient charmants malgré l'âge, mais surtout que son âge combiné à son attitude et ses manières de pervers, cela était tout bonnement à vomir. Sofia leva les yeux au ciel, pria intérieurement qu'on se débarrasse de lui, que l'Hôtel Dieu vienne le chercher, qu'un bateau volant percute le château et lui avec, qu'il brûle spontanément sur place ... Qu'importe mais qu'il ne l'approche pas. Et pourtant, il lui prit la main et alors qu'elle cherchait à s'en défaire, il s'accrocha, lui serrant le poignet et la caressant de sa main libre.
Vous avez les mains douces signora. On croirait toucher un saumon. Est-ce sérieusement un compliment ? Demanda t'elle, les sourcils froncés et l'air de plus en plus dégoûtée par cet individu. Bien sûr ! C'est un animal doux au toucher, lisse et beau. On dit d'ailleurs qu'il serait une allégorie de l'amour dans les peintures germanique. Ou hollandaise je ne sais plus. »
Elle arriva à extirper sa main et lâcha un soupir exaspéré alors qu'il s'était détourné d'elle pour lancer quelques compliments à Gabrielle, comme pour tenter sa chance. S'il parlait de la Farnèse comme d'un saumon, Ezio ressemblait davantage à une sangsue, ce genre de chose qui s'accroche à vous et vous épuise jusqu'à ce que vous cédiez. Les deux jeunes femmes se lancèrent un regard à la fois de colère et de désespoir, surtout qu'il se rapprochait dangereusement de Gabrielle, Sofia tapa du pied sur le sol de bois.
« Mais que voulez vous à la fin ? s'impatienta Sofia. Vous voir, vous parler, vous dire à quel point je n'arrive pas à vous oublier. Que je serais prêt à tout quitter pour vous ! Même à mourir pour vous, je … Tuez vous, tuez moi, je vous en prie mais la bouche fermée ! » coupa Sofia, exaspérée alors qu'il se mettait à genoux, ce qui était réellement ridicule.
Comme tous les autres, finalement Ezio laissa les jeunes femmes enfin seules, du moins sans boulet à l'horizon. Ils étaient épuisants par leurs bêtises, leurs non sens et surtout leur capacité à croire qu'ils pouvaient tout réussir. Non, on ne devenait pas amies avec des princesses du sang comme cela (surtout s'il s'agissait de Gabrielle et Sofia), non la Cour ne réduira pas son train de vie pour le plaisir d'un inconnu et non, les hommes comme Ezio devrait être interdit de séjour à Versailles pour non respect de … de tout en fait ! Prenant un gâteau, l'italienne en croqua un bout et soupira de profiter d'un instant de calme, loin des boulets.
« Je rêve d'un monde où ces personnes là, elle fit un vague signe de la main en direction de la porte, seraient enfermés dans des cages ou serviraient comme idiots de compagnie et où nous pourrons vivre entre personnes civilisées et intéressantes. Je ne demande même pas un monde ou un royaume, au moins un endroit, un groupe de personnes. Pas un salon, on y invite tout le monde qui puisse faire sensation, certains deviennent du grand n'importe quoi. Il faut dire que Sofia avait assez d'ennemis et de personnes qu'elle jugeait sans intérêt pour ne pas tomber dessus un peu partout. Qu'en pensez vous ? »
Si elle savait que cette entrevue et même cette question allait réaliser en partie son rêve, Sofia Farnèse ne l'aurait pas imaginé un seul instant !
Invité
Invité
Sujet: Re: [Salon de Diane] Quand les princesses bâtissent un empire 26.07.13 1:45
En temps normal, Gabrielle de Longueville ne se plaignait guère de sa place au sein de la maison de Madame. Il était en effet facile de trouver des charges bien plus contraignantes et surtout bien plus ennuyeuses au sein du château de Versailles – au hasard, dans la maison de la reine où la seule distraction autorisée était les jeux d'argent sans argent et, aux dernières nouvelles, la chasse aux rats et aux pigeons, rien que cette idée dégoûtait Gabrielle. Fort heureusement, Henriette d'Angleterre n'avait pas grand-chose à avoir avec cette bigote de Marie-Thérèse qui vivait entourée de ses duègnes du doux nom de Vulfetrude ou Gundred et que la duchesse croisait régulièrement à la messe, du moins aussi régulièrement qu'elle s'y rendait elle-même, c'est-à-dire peu souvent depuis que le roi était parti à la guerre et dans la suite de la princesse, on pouvait à la fois comploter et échanger des ragots ce qui constituait un passe-temps indéniablement agréable. Sans compter que pour une raison qui dépassait la toute nouvelle duchesse de Valois, la souveraine semblait lui battre froid ce qui à défaut de réellement l'inquiéter ou tout simplement de lui donner à penser lui causait quelques désagréments au quotidien. Heureusement, Gabrielle était entourée chez Henriette de la meilleure compagnie possible même si de nombreuses dames avaient dû quitter Versailles pour suivre leurs époux jusqu'à Nancy ce qui avait dégrossi les rangs des suivantes de la duchesse d'Orléans à l'image de ce qui s'était produit dans tout le château. A son retour du duché de Valois où elle s'était comportée comme une reine après son mariage, Gabrielle avait été surprise de constater que Versailles s'était vidé de ses nombreux habitants et pas forcément de ses plus agaçants, d'ailleurs il était regrettable, dans des genres tout à fait différents, que sa cousine d'Alençon ou que cette stupide dame de Vendières ne soient pas autorisées à porter les armes. Un château presque endormi malgré le printemps qui s'éveillait, c'était là de nombreuses occasions en moins pour s'amuser et en plus pour s'ennuyer. Forcée de rester en périphérie du complot puisque tout se jouait sur le front, d'autant plus qu'elle allait bientôt découvrir qu'elle attendait un heureux événement, Gabrielle rongeait son frein en l'attente de nouvelles même si Hector avait été peu clair sur ses objectifs à venir. Toutefois, si Henriette s'était bien entourée, il restait toujours quelques dames qui n'avaient rien à faire là et que, généralement, la duchesse se contentait d'ignorer. Généralement car parfois, c'était tout simplement au dessus de ses forces. - Mais enfin... Quel horrible couvre-chef ! S'écria-t-elle ce jour-là en voyant débarquer une Anglaise qu'Henriette avait apporté dans ses bagages en arrivant en France et qui s'était coiffée avec un énorme chapeau de paille renversé sous prétexte qu'on allait se promener dans les jardins et qui lui donnait l'air, en toute objectivité, d'une cloche géante. - Figurez-vous que c'est à la mode en Angleterre, répliqua la marquise de Montespan d'un ton mordant, et cette dame est autorisée à porter ce que bon lui semble puisqu'elle est anglaise. - J'ignorais qu'il était permis d'être grotesque quand on est anglaise, rétorqua Gabrielle au tac-au-tac s'attirant un coup noir de la cloche géante dont elle avait oublié le nom, comme cela l'arrangeait de manière générale quand elle n'aimait pas quelqu'un. - Madame, modérez vos propos, car il n'y a qu'un pas entre l'orgueil et le ridicule, crut bon de la menacer la cloche, faisant fi qu'il était bien dangereux de s'en prendre à une Longueville. - Non ce n'est pas un pas, madame, insista Gabrielle en se relevant pour quitter la compagnie, il s'agit de la Manche. Elle eut la satisfaction de voir l'Anglaise ouvrir puis refermer la bouche comme un poisson hors de l'eau puis tourna les talons pour regagner des endroits moins envahis d'indésirables dans le château puisqu'elle avait été exemptée de promenade dans les jardins, ce qui lui évitait de devoir se montrer en compagnie d'une cloche et d'idiotes.
Profitant du calme environnant, elle ramassa ses jupes et s'élança dans les escaliers pour regagner les salons de l'étage royal. Enfin un peu de liberté ! La jeune femme ne croisa d'ailleurs que peu de monde, il se disait que la reine était partie visiter les lépreux et les estropiés, ce qui était un passe-temps comme un autre après tout. Seules quelques vieilles rombières discutaient entre elles dans un déploiement de noir du plus bel effet qui devait bien plaire à monsieur Colbert. Elles se contentèrent de jeter un regard sur la duchesse qui eut la satisfaction de les voir s'incliner sur son passage. Il fallait bien avoir des avantages à être une femme mariée, surtout si ce n'était pas avec l'homme que l'on avait désiré à l'origine. A cette pensée, le visage de Gabrielle s'assombrit mais cela ne dura que quelques secondes car parvenue dans le salon de Diane, elle aperçut l'une de ses amies, la princesse Sofia Farnèse, qu'elle considérait ainsi depuis qu'elles s'étaient alliées pour jouer un mauvais tour à Francesco di Venezia. Parfois, il ne nécessitait qu'un imbécile pour rapprocher deux jeunes femmes et leur permettre de se rendre compte de tout ce qu'elles avaient en commun. La pauvre Sofia se trouvait dans la maison de la reine – dont elle remontait nettement le niveau – ce dont Gabrielle la plaignait, et d'ailleurs, l'Italienne se rapprocha rapidement d'elle : - Quel plaisir de vous voir ! Je pensais justement à vous, il manquait une personne de bon goût au milieu de ... la racaille. - Le plaisir est partagé, madame, quelque chose me dit que vous allez sauver mon après-midi de l'ennui le plus mortel, répondit la duchesse de Valois en jetant un regard peu amène sur le reste de la société mais en souriant à son amie, les personnes de bon goût seraient-elles toutes parties pour la guerre ? - Nous nous sommes peu vues depuis l'anniversaire du prince des canaux putrides, poursuivit Sofia qui avait d'ailleurs un frère et un fiancé (dont elle souhaitait peut-être la disparition d'ailleurs) sur le front, alors que nous aurions dû fêter cela. Un grand succès comme le nôtre, une telle frayeur à cet imbécile ! Gabrielle qui riait toujours du récit des événements que lui avait fait Perrine, ne put qu'approuver et promit d'y remédier au plus vite. Il fallait bien trinquer au succès et pourquoi pas, prévoir qui serait la prochaine victime de leur duo maléfique ! En attendant la nouvelle invention de leur part – qui n'allait en réalité pas trop tarder mais Gabrielle l'ignorait encore, les deux jeunes femmes prirent place sur des fauteuils dans le salon de Diane, assez à l'écart pour pouvoir observer ceux qui passaient sans être forcément remarquées. Mais il fallait croire que cela ne suffisait pas car au moment où la duchesse de Valois allait prendre la parole pour faire remarquer à Sofia à quel point les rombières étaient nombreuses dans ce château – ce qui constituait un véritable sujet de préoccupation, où allait-on ainsi ? –, une meringue leur tomba dessus. Sofia avait bel et bien commandé de quoi grignoter mais on se serait volontiers passé de cette sucrerie écœurante qui voulait apparemment les rejoindre. La duchesse était trop stupéfaite de voir Michelle de Bergogne s'adresser à elles avec une telle familiarité qu'elle en demeura muette, même lorsque la meringue se tourna vers elle : - Vous ai-je déjà félicité pour votre mariage ? Que vous avez de la chance, monsieur de Valois est un très bon parti, doublé d'un très bel homme, vous devez vivre un conte de fées ! Un instant, Gabrielle se contenta de lever un sourcil devant l'air réjoui de Michelle puis souffla, ironique malgré son indignation : - Non, mademoiselle, mais je n'avais nulle envie d'entendre vos félicitations et j'en fais peu de cas. N'ayez crainte, vous aussi, vous aurez le droit un jour à votre conte de fées lorsque l'on vous mariera à un vieux barbon tout croulant. Avec un peu de chance, il vous emmènera, sur son cheval blanc bien sûr, dans son château médiéval en province et nous serons définitivement débarrassées de vous. Le conte de fées ! Il n'en fallait pas plus pour voir partir en pleurant la demoiselle de Bergogne tandis qu'arrivaient les chocolats et les gâteaux ce qui permit à Gabrielle de faire tinter sa tasse contre celle de Sofia, comme s'il s'agissait là de champagne : - Pardonnez-moi, ma chère, dit-elle avec un petit rire, je m'échauffe encore !... Mais quelle vision, alors ! - Affligeant, renchérit Sofia, effarée, cette fille a-t-elle toute sa tête ? Et comme elle a vous a parlé ! Elle ne nous a même pas fait de révérence ! Heureusement que Monsieur n'était pas là, il n'aurait fait qu'une bouchée de cette … chose rose et bouffie. Il faudrait prouver son bon goût pour entrer en ces lieux, ce serait la moindre des choses ! - Je suis bien d'accord, Versailles est peuplé de gens de peu, cela devient de plus en plus inquiétant, l'approuva la duchesse avant de poursuivre avec un sourire mauvais : croyez-vous qu'elle soit allée pleurer dans les parterres de fleurs ?
La journée aurait pu se poursuivre plus tranquillement d'autant que les gourmandises apportées par la suivante de Sofia étaient excellentes mais il était dit que le salon de Diane était le point de rendez-vous de tous les idiots. Un nouveau boulet s'incarna devant elles en la personne d'un courtisan qui avait de grands projets pour réformer les caisses de l’état et qui parlait à Colbert de supprimer les privilèges. Gabrielle faillit en faire tomber son gâteau. - Certains n'ont ni peur de la Bastille, ni de l'exil ! S'exclama Sofia qui devait autant songer aux fanfreluches de Monsieur que Gabrielle en cet instant, réduire le train de vie de la famille royale ! Et de la Cour ! J'espère ne pas avoir à entendre d'autres sottises aujourd'hui, je pense qu'il faudrait faire rencontrer la Bergogne avec ce monsieur Silhouette. Elle lui parlerait de fleurs qui ne coûtent pas cher et il donnerait sa vision d'un monde au train de vie régulé par des hommes de robe. Mais qui va-t-on voir à présent ? Un calamar géant va-t-il sortir d'un bassin et se ruer sur le château ? - Tout est possible à présent, lâcha Gabrielle, d'autant plus effarée que, pour une fois, elle était d'accord avec Colbert, ces idées sont proprement dangereuses, heureusement qu'elles n'ont aucun avenir ! Je vais vous dire, cet homme-là méritait de finir décapité, on verrait si cela ne lui remettrait pas les idées en place d'avoir sa tête séparée de son corps ! Réduire notre train de vie... Non mais vraiment, alors que nous payons déjà l'impôt du sang ! Elle en avait oublié que personnellement, elle n'avait pas souvent eu l'occasion de porter l'épée. Elle allait imaginer un nouveau châtiment exemplaire pour ce monsieur Silhouette dont le nom ne méritait pas de rentrer dans l'histoire, à base de calamar d'ailleurs quand ce fut la cerise sur le gâteau. La vision de l'oncle de Francesco ou du moins de l'amant de sa mère, Gabrielle ne parvenait pas à se rappeler s'il y avait des liens du sang ou pas, lui coupa définitivement l'appétit. Quitte à choisir, elle aurait préféré le calamar géant, avec lui il y aurait peut-être eu possibilité d'avoir une conversation plus intéressante qu'avec Ezio. Et force était de constater qu'avoir abandonné son costume de lapin ne le servait pas. La dernière fois que Gabrielle l'avait vu, c'était au cœur de la plus grande décadence versaillaise, la fête d'anniversaire de Francesco, où il les avait toutes les deux demandé en mariage. En même temps. - Vous m'avez manqué ! Commença le Vénitien avec un large sourire de mauvais séducteur tandis que la duchesse se prenait la tête dans les mains, en laissant à Sofia le soin de répondre. Celle-ci tenta bien de faire fuir l'homme mais aucune des paroles blessantes ne le touchaient, à croire qu'il était sourd en plus d'être idiot et pervers. Ses tentatives d'approche étaient tout simplement minables et un instant, Gabrielle regretta que son époux fût absent car il aurait pu provoquer Ezio en duel et lui passer son épée au travers du corps ce qui constituait un service rendu à l'humanité à ce stade-là. - Une allégorie de l'amour ? Ne put-elle s'empêcher de répéter en entendant parler de saumon tout en se demandant qui étaient les plus imbéciles entre les Germaniques, les Hollandais ou l'oncle Ezio. Mal lui avait pris car ce dernier en tenait une couche et il se retourna vers elle pour continuer à adresser des paroles qu'il croyait sans doute être des compliments. Gabrielle lança un regard désespéré à Sofia, surtout quand il se mit à genoux à ses pieds ce qui devenait proprement gênant mais fort heureusement, il finit par les quitter, notamment après que la duchesse lui eut donné rendez-vous une dizaine de minutes plus tard dans un parterre de fleurs, promettant qu'elle serait habillée en rose bonbon. A défaut de pouvoir étrangler qui on voulait, autant faire les entremetteuses.
- Nous aurions peut-être dû accepter sa proposition de mourir pour nous, dit Gabrielle d'un ton songeur qui dissimulait à peine son exaspération, c'est bien ce genre de personnes qu'il faut envoyer à la guerre... Quoique, il serait encore capable de s'en tirer, il doit être plutôt doué dans son genre pour être encore en vie à son âge. Profitant d'un instant de calme dans cet après-midi mouvementé, Sofia prit un bout de gâteau et avança une idée qui allait faire son chemin : - Je rêve d'un monde où ces personnes là seraient enfermées dans des cages ou serviraient comme idiots de compagnie et où nous pourrons vivre entre personnes civilisées et intéressantes. - Même en idiots de compagnie, ça n'en vaut pas la peine, grommela la duchesse. - Je ne demande même pas un monde ou un royaume, au moins un endroit, un groupe de personnes, renchérit la princesse Farnèse, pas un salon, on y invite tout le monde qui puisse faire sensation, certains deviennent du grand n'importe quoi. Qu'en pensez-vous ? Gabrielle ne réagit pas immédiatement mais en mordant dans un macaron, une idée la frappa soudain. Ce qui disait Sofia était loin d'être idiot et en plus tout à fait faisable ! Elle allait expliquer cela à l'Italienne quand le dernier importun de la journée fit son apparition. - Bonjour mesdames, vous ne profitez pas de la douceur du soleil revenu parmi nous pour vous promener dans les jardins ? S'exclama Le Nôtre avec un enthousiasme tout à fait déplacé, certes, nous n'avons pas encore eu le temps de remettre en état tous les bosquets après ce long hiver mais c'est agréable et... - Mais pourquoi est-ce que tout le monde nous parle de fleurs aujourd'hui ? Demanda Gabrielle, à bout de nerfs, est-ce là la seule discussion que peuvent avoir les Versaillais ? C'est désespérant ! - Oh, je ne souhaitais pas vous importuner mais vous aviez l'air si tristes..., continua le vulgaire jardinier qui, lui non plus, n'avait pas grand-chose à faire dans le château avec son manque de particule – et qui n'avait tellement rien à faire qu'il avait décidé de s'incruster, mais si vous le souhaitez, nous pouvons parler littérature, je sais que vous êtes des personnes de goût. Figurez-vous que je me passionne en ce moment pour les petits bovidés pléistocènes dans le bassin méditerranéen et le Caucase, j'ai découvert des écrits de... - Pitié, pitié, glissa Gabrielle à Sofia, faites-le taire ! Il n'a donc pas un jardin à aller concevoir quelque part en France ? Il me semblait que tout le monde se l'arrachait pourtant – on se demande pourquoi... Ces gens-là ne lui ont en tout cas jamais fait la conversation ! Après quelques remarques bien sentie de la princesse Farnèse, le jardinier finit par quitter à son tour les deux jeunes femmes qui poussèrent un soupir de soulagement.
Pour désagréable qu'elle fut, la situation avait eu le mérite d'inquiéter suffisamment la Longueville pour qu'elle se retournât vers son amie : - Ce château part totalement à vau-l'eau, je pense que vous avez raison et qu'il y a urgence à agir, il n'est pas question de continuer à nous faire marcher sur les pieds ou de devoir continuer à batailler pour avoir un instant de tranquillité loin des boulets. Dans un monde idéal, on pourrait éliminer ces boulets en claquant juste dans les doigts mais malheureusement, Gabrielle n'était pas encore au pouvoir, on allait donc devoir se contenter du minimum. Retrouvant son sourire teinté de malice, les yeux brillants, elle se retourna à nouveau vers sa compagne et suggéra, le ton légèrement excité par son idée : - Tout ce que vous proposez est faisable. Il suffit de rassembler une société de gens bien nés, de bon goût, capables d'avoir une conversation agréable, nous pourrions lister nos exigences s'il le faut, et d'empêcher les intrus de venir nous rejoindre. Ces gens-là ne manquent pas... Bon peut-être pas dans la maison de la reine mais des personnes comme Madame ou la marquise de Montespan peuvent y prétendre. Nos rangs pourraient s'étoffer à la fin de la guerre et nous pourrions faire régner la classe et la distinction à Versailles. Il y avait uniquement un léger problème à régler : ce qui empêcherait ces fameux « intrus » de se sentir invités. Gabrielle eut un instant de doute mais elle fut frappée d'une illumination en voyant passer la cousine de la reine, Aliénor de Wittelsbach : - Je sais ! S'écria-t-elle, nous pourrions créer une société dans laquelle tout resterait secret et mystérieux. Les membres partageraient ce secret mais auraient pour obligation de se taire vis-à-vis des non-initiés. La sélection à l'entrée serait rigoureuse, comme s'il y avait une sorte de test. Et nous pourrions nous retrouver facilement entre nous, comme des sortes de salons mais privés. Vous voyez ce dont je veux parler ? Un peu comme ces Dames esclaves de la vertu, sans le côté vertueux bien sûr... Pourquoi pas un ordre ? Le mot était lancé. Et il allait les mener loin.
Spoiler:
Oui... C'est très long mais tu étais prévenue . J'espère que ça va te plaire en tout cas !
Sofia Farnèse
« s i . v e r s a i l l e s » Côté Coeur: Je l'ai fermé par sa faute. Seul lui pourrait le rouvrir un jour ... Côté Lit: Je ne suis pas de celles qui se couchent pour un sourire. A peine pour un diamant, mais souvent pour la passion. Discours royal:
♈ LA BELLA FARNESE ♈ Più bella cosa non c'è
► Âge : 24 ans
► Titre : Princesse Farnèse, Princesse Chimay par mariage
► Missives : 1402
► Date d'inscription : 03/09/2011
Sujet: Re: [Salon de Diane] Quand les princesses bâtissent un empire 24.09.13 19:04
On n'était nul part à l'abri des mauvaises fréquentations, à croire qu'un vivier s'était accroché aux murs du château et que, ni le vent, ni la pluie, ni la tempête, ni la guerre, ne les atteignaient, comme des moules à un rocher. En dresser une liste serait fastidieuse, autant demander un recueil en plusieurs volumes pour tous les lister, Sofia et Gabrielle avaient du monde à citer. Et pourquoi tout le monde venaient vers elles ? S'asseoir dans un salon ne donnait pas l'autorisation au reste du monde de venir les accoster, surtout pour dire des inepties sans intérêt ni amusement. La première du lot fut Michelle de Bergogne, dans toute sa niaiserie et sa stupidité. Il devrait être interdit de ne pas connaître les rôles de chacun, de qui apporte la politesse à qui en ce monde, Monsieur devrait demander au roi d'infliger une correction à quiconque ne ferait pas de révérences aux princesses et duchesses, par exemple. Autant dire qu'imaginer Michelle sur une roue à se faire jeter des ordures et autres fruits pourris n'étaient pas déplaisants, cela se traduisait sur le visage de Sofia alors que Gabrielle fut des plus cinglantes face à la toute jeune baronne dont les yeux se remplirent de larmes, comme toujours à dire vrai. Et comme toujours, Michelle s'enfuit en courant, pleurant comme une enfant à qui on aurait cassé son jouet. La Farnèse avait trouvé le bon mot : affligeant.
« Je suis bien d'accord, Versailles est peuplé de gens de peu, cela devient de plus en plus inquiétant. Croyez-vous qu'elle soit allée pleurer dans les parterres de fleurs ? Je n'en doute pas un seul instant, répondit Sofia dans un rire amusé, elles sont sans doute ses seules amies … Quoique, les fleurs ne parlent pas, on ne saura jamais ce qu'elles pensent d'elle ! »
L'affaire Bergogne étant close, les deux jeunes femmes allaient peut être pouvoir passer un moment tranquille, avec leur petit en-cas, de délicieux gâteaux parfumés. Mais qui est véritablement tranquille à Versailles ? Les idiots sont partout, même à courir après Colbert pour donner une idée absolument stupide que celle de réduire le train de vie de la famille royale ! Qui pouvait bien penser ainsi, et avoir la bêtise de le dire à voix haute ! Il faudrait contrôler plus que l'épée et la tenue pour entrer au château, quelques questions de bon sens seraient les bienvenus pour éviter toute déconvenue. Si l'argent ne faisait plus tourner la Cour, que serait-ce donc ? On n'allait pas non plus naître tous libres et égaux en droit pendant qu'on y est !
Sofia but à peine une gorgée de sa boisson quand suivit le troisième acte de la bêtise humaine, sans doute le summum de la stupidité : Ezio ! Lorsqu'il parut, toujours avec cette suffisance sur le visage, cette coupe de cheveux affreuse, son sourire malsain, la Farnèse eut à l'esprit de se demander si Francesco ne descendait pas plus d'Ezio que du gentil (et mou) Domenico Contarini. Cela pourrait faire une histoire intéressante à répondre, pas si improbable que cela. Mais alors, le supporter était une autre paire de manche ! Pourquoi s'était-il entiché des deux jeunes femmes à la fête de son ''neveu'' ? Toujours est-il qu'il voulait mourir pour elles, et s'était senti revigoré quand Gabrielle lui donna un faux rendez-vous. L'idiot y croyait vraiment. Il n'y avait vraiment que les imbéciles qui ne doutaient de rien ! Enfin, cela permit à ce qu'il quitte les deux jeunes femmes, ce qui était un véritable soulagement.
« Nous aurions peut-être dû accepter sa proposition de mourir pour nous, c'est bien ce genre de personnes qu'il faut envoyer à la guerre... Quoique, il serait encore capable de s'en tirer, il doit être plutôt doué dans son genre pour être encore en vie à son âge. Cet homme est capable de tous nous enterrer et de faire la même parade à nos enfants. Dommage que la stupidité ne suffise pas à interner à l'Hôtel Dieu … » soupira Sofia.
Autant dire que selon les critères des deux jeunes femmes, il y aurait du monde enfermé ! Le bâtiment de l'Hôtel Dieu ne suffirait pas, il faut l'Île de la Cité toute entière ! En se serrant un peu, ils pourraient tous y entrer et prier à Notre-Dame le salut de leur cervelle, neuve et innocence car très peu utilisée. Si seulement ... Mais alors qu'une conversation normale s'entreprit enfin, pourquoi les dérangeait-on encore ? Et pourquoi monsieur Le Nôtre faisait la promotion de son jardin ? Il n'y gagnait pas au rendement de chaque personne foulant les allées, sinon Sofia emmènerait volontiers ces millions de chinois pour faire le travail à sa place.
« Oh, je ne souhaitais pas vous importuner mais vous aviez l'air si tristes...s'excusa Le Nôtre. Tristes ? Non juste exaspérées ! lança froidement l'italienne. Mais si vous le souhaitez, nous pouvons parler littérature, je sais que vous êtes des personnes de goût. Figurez-vous que je me passionne en ce moment pour les petits bovidés pléistocènes dans le bassin méditerranéen et le Caucase, j'ai découvert des écrits de... Pitié, pitié, glissa Gabrielle à Sofia, faites-le taire ! Il n'a donc pas un jardin à aller concevoir quelque part en France ? Il me semblait que tout le monde se l'arrachait pourtant – on se demande pourquoi... Ces gens-là ne lui ont en tout cas jamais fait la conversation ! Sofia acquiesça puis se tourna vers le jardinier avec un petit sourire. Monsieur Le Nôtre, avez vous un jardin sur lequel travailler en ce moment ? Oh si, le roi m'avait demandé quelques aménagements de Fontainebleau, et puis monsieur de'Estaing m'a demandé de voir ce qu'il est possible de faire à Ravel. se félicita le jardinier. Et pourquoi n'y êtes vous pas alors ? Demanda t'elle plus acerbe. C'est bien le problème des roturiers qui s'endorment sur leurs lauriers. Ce n'est pas parce que vous êtes bon en géométrie que tout est permis. On ne parle pas à des dames comme à jardiniers ou de simples particuliers. Mais mesdames ... Allez voir dans les fleurs si j'y suis ! » conclut-elle sèchement.
Autant envoyer tout le monde dans les fleurs, peut être qu'ils finiraient par s'entendre. Ezio faisant la Cour à Michelle qui cueillerait des fleurs avec Le Nôtre, ravie d'avoir une demoiselle qui aime son travail. Cela pouvait créer un triangle amoureux saugrenu, de quoi inspirer Molière pour une de ses pièces, certain qu'il adorerait ! Une fois le paysagiste parti, Sofia souffla et regarda qui d'autre se trouvait dans le salon, pour endiguer un éventuel idiot des bacs à sable pour le virer avant qu'il n'ouvre la bouche. Rien à l'horizon, il était temps de reprendre le cours de leur discussion, bien plus intéressante que les paroles successives de leurs invités non annoncés.
« Ce château part totalement à vau-l'eau, je pense que vous avez raison et qu'il y a urgence à agir, il n'est pas question de continuer à nous faire marcher sur les pieds ou de devoir continuer à batailler pour avoir un instant de tranquillité loin des boulets. Si l'on ne peut plus être tranquille, je préférerai presque m'exiler à Nancy ou retourner chez moi. Mais ce serait s'abaisser face à la bassesse d'esprit. » Et elle croqua dans son macaron.
Il était temps d'agir, sans se salir les mains. Pas question de tuer qui que ce soit, ce n'était pas leur genre, mais il fallait tenir éloigné la racaille versaillaise, ses gens sans goûts, et ne s'entourer que de bonnes personnes capables de tenir des vraies conversations, et respecter l'étiquette aussi, entre autre !
« Tout ce que vous proposez est faisable. Il suffit de rassembler une société de gens bien nés, de bon goût, capables d'avoir une conversation agréable, nous pourrions lister nos exigences s'il le faut, et d'empêcher les intrus de venir nous rejoindre. Ces gens-là ne manquent pas... Bon peut-être pas dans la maison de la reine mais des personnes comme Madame ou la marquise de Montespan peuvent y prétendre. Nos rangs pourraient s'étoffer à la fin de la guerre et nous pourrions faire régner la classe et la distinction à Versailles. Mais comment empêcher ces mécréants de venir ? Ils seraient capables de se sentir concernés. Elle leva les yeux au ciel, imaginant Michelle à leur table, certaine que la place était pour elle. Je sais ! Nous pourrions créer une société dans laquelle tout resterait secret et mystérieux. Les membres partageraient ce secret mais auraient pour obligation de se taire vis-à-vis des non-initiés. La sélection à l'entrée serait rigoureuse, comme s'il y avait une sorte de test. Et nous pourrions nous retrouver facilement entre nous, comme des sortes de salons mais privés. Vous voyez ce dont je veux parler ? Un peu comme ces Dames esclaves de la vertu, sans le côté vertueux bien sûr... Pourquoi pas un ordre ? Oh un ordre de chevalerie voulez-vous dire ? Oh mais quelle excellente idée ! Un ordre de raffinement, de bon goût et de belles conversations, cela permettrait l'élévation d'une certaine élite, même si le reste de la population ne serait pas au courant. Sofia était enthousiaste, il n'y avait qu'à voir son large sourire. Il nous faudrait une liste de personnalités, mais je pense qu'une partie de la maison de Madame serait un bon vivier, je sais que la duchesse trie ses dames de compagnie, cela nous ferait un bon écrémage. Je suis certaine que tout ce monde apprécierait de se retrouver loin de la bêtise entre ses murs ! »
Comment imaginer qu'une simple idée lancée en l'air pourrait devenir aussi sérieuse ? Il n'y avait que les grandes lignes, tout était à définir, mais un projet de cette envergure était follement excitant ! Le tout était de trouver le bon angle d'approche et les bonnes personnes à recruter, bien que les messieurs talentueux soient à la guerre, il faudrait prier pour qu'ils survivent et reviennent en ces lieux ! Une bonne raison de se rendre à la messe, enfin Sofia n'avait pas le choix en étant dans la maison de la reine.
« Il nous faudrait aussi un nom, un emblème, c'est souvent le principal. Un beau nom et un symbole peut attirer à l'œil beaucoup de monde, même si le fond est fort. Il faudrait quelque chose à notre image, à la fois raffiné mais simple à reconnaître, ayant une signification. Mais aussi beau à l’œil, ne faisons pas l'erreur de la Toison d'Or qui a le mauvais goût de faire porter à ces messieurs une réplique d'un mouton mort en or autour du cou ! » Elle leva les yeux au ciel, dégoûtée de cette idée saugrenue.
Il fallait définir petit à petit : un fond, une forme. Elles avaient le bon, il fallait maintenant la forme. Les deux jeunes femmes se mirent à rechercher ce qui pourrait correspondre à cette élite, la douceur apparente de l'ordre et le mordant juste derrière. La première idée fut peut être trop facile mais à tenter quand même :
« J'avais bien pensé à une rose ... douce, belle à la vue, mais qui pique si on ne sait pas comment la prendre. Cela ressemble à l'intelligence : ne la manie pas qui veut. Mais cela pourrait être mal interprété, on va nous croire sympathisant anglais ou pire, partisans de Michelle de Bergogne. » Finit la jeune femme un peu dégoûtée.
L'idée faisait son petit bonhomme de chemin, les jeunes femmes lancèrent des idées, mais aucune ne retenait leur attention plus que quelques secondes, c'était une bonne idée sur le coup et puis non, cela retombait comme un soufflé. Des animaux, des fleurs, des objets, … tout y passa mais sans grand succès. Cela était frustrant d'avoir une idée mais de bloquer aussi stupidement sur un nom et un symbole, mais il fallait trouver le bon, pour ne pas se lasser, pour qu'il soit représentatif tout en étant subtil, on ne prenait pas un emblème parce que c'était joli ! Et comme chercher creusait l'appétit, Sofia se fit servir une part de tarte, à la pomme. En attendant de trouver l'idée, autant parler cuisine.
« Manger nous fera bien trouver l'idée. Vous devriez goûter, les pommes sont délicieusement sucrées et bien fermes, je … Elle regarda la tarte avec un petit sourire avant de regarder son amie. Dites moi, quoi de plus ambigu qu'une pomme ? Elle est bonne mais à condition d'être cueillie à temps, elle change de couleur et peut passer inaperçu alors qu'il est difficile de ne pas l'aimer. Et puis, une pomme n'est jamais innocente … Eve nous l'a bien prouvée. »
Vraiment, l'inspiration se trouvait n'importe où : dans les imbéciles et maintenant dans les tartes ! Et ce n'était pas prêt de s'arrêter, non pas en si bon chemin !
Contenu sponsorisé
Sujet: Re: [Salon de Diane] Quand les princesses bâtissent un empire
[Salon de Diane] Quand les princesses bâtissent un empire