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| (Chapelle) Et il y en a qui pensent que les épreuves sont une bénédiction divine.. | |
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| Sujet: (Chapelle) Et il y en a qui pensent que les épreuves sont une bénédiction divine.. 06.10.12 18:28 | |
| Il y avait de ces jours où Éléonore Sobieska était hantée par les visages des disparus. Ils venaient la rejoindre dans son sommeil, visiter son esprit et se débattre derrière ses paupières. La jeune femme ne croyait pas aux esprits, elle savait que ce n'étaient qu'images mais parfois celles-ci lui semblaient si réelles qu'elle se réveillait en sursaut pour tenter de leur échapper et gardait les yeux grands ouverts sans pouvoir se rendormir. Il lui semblait presque qu'elles se dissimulaient derrière les meubles de sa chambre. Parmi ces ombres, il y avait celles qui lui faisaient des reproches, qui la poursuivaient pour la punir de ses mauvais actes. Il y avait les autres, celles qui pleuraient leur destin tragique et qui ne cessaient de lui demander pourquoi elle ne les avait pas sauvées. Ces lamentations auraient pu rendre la jeune femme folle mais les morts finissaient par l'abandonner et rejoindre le monde de l'au-delà. Elle était partagée entre un intense soulagement mais aussi une toute aussi forte déception car elle était seule ici-bas. Terriblement seule car tous l'avaient quittée les uns après les autres, tous ceux qui avaient veillé sur elle, son père, son frère aîné, sa belle-mère, son unique amour... Si la douleur de leur perte avait parfois fini par s'éteindre comme pour Zofia Sobieska qui était partie tranquillement, dans son sommeil, ce n'était pas le cas de Marek ou Andrew, penser à eux était toujours terrible et chaque fois que c'était leur visage qui s'agitait devant elle, Éléonore avait l'impression qu'on lui perforait le cœur.
Il faisait terriblement froid dans la chapelle royale de Versailles et même Éléonore malgré son habitude des basses températures et son manteau de fourrure sur les épaules tremblait et claquait des dents. Elle avait l'impression d'être glacée jusqu'aux os. A quelques pas devant elle, la souveraine restait droite et stoïque mais la pâleur de sa peau, presque bleuie comme celle de la plupart de ses suivantes indiquait assez qu'elle se trouvait mal. Mais la Polonaise ne la regardait pas. Non ses yeux vagabondaient aux alentours sans se fixer sur aucun point en particulier, au fil de ses pensées morbides, revenant de manière régulière sur le crucifix où un Christ sanguinolent baissait la tête comme épuisé. La journée était grise et pluvieuse. Peu de lumière pénétrait dans la chapelle, seulement éclairée par les centaines de bougies disposées sur les balcons et créant un jeu d'ombres presque effrayant. Éléonore remarquait tout cela de manière indifférente. Son esprit était définitivement ailleurs et seul le soubresaut de ses épaules et le tapotement de ses doigts, comme si elle était agacée ou impatiente, indiquait qu'elle était toujours présente parmi les vivants. Le banc était très inconfortable et si elle avait encore été cohérente, elle aurait sans doute souhaité s'en aller d'ici le plus vide possible. Mais elle ne désirait plus rien. Sauf peut-être que ses ombres la quittent.
La journée avait été une suite de contrariétés. Éléonore n'avait pas fermé l’œil de la nuit et semblait avoir perdu toute l'énergie qui la caractérisait en se levant pour aller servir la reine. Personne ne lui avait fait de remarques sur son manque d'entrain mais elle savait que cela avait été remarqué. Elle avait l'habitude de mettre un peu d'animation dans la maison mais là, elle s'était contentée d'échanger quelques mots avec Aliénor de Bavière et Sofia di Parma. Puis, au milieu de la journée, un message venu du Danemark lui avait rappelé qu'elle avait des devoirs et que l'on attendait des résultats. Elle avait déchiré la missive puis l'avait lancé avec soulagement dans le feu, songeant que s'ils ne gardaient pas son fils, cela aurait fait longtemps qu'elle aurait fait fi de leurs demandes. Seule une lettre reçue de Pologne lui avait mis un peu de baume au cœur mais pour une fois, Marysienka lui avait parlé assez ouvertement de la situation politique et surtout de la déception de Jan d'avoir entendu dire qu'il ne serait pas soutenu par l'empereur Léopold au profit d'un idiot notoire, Michal Wisniowiecki en cas d'élection. Après tout ce qu'Eléonore avait fait pour s'attirer les bonnes grâces de l'autrichien, tous les dangers qu'elle avait couru à sa demande, il osait se détourner de sa famille ! Tout ça pour offrir le trône à une barrique de vin – c'était en effet la forme dont se rapprochait plus ce petit nobliau – qui ne savait pas articuler deux mots à la suite ? Le fils d'un homme qui aimait à faire massacrer ses ennemis sur le champ de bataille et qui ne connaissait de « politique » que le mot ? Cela avait fortement contrarié la jeune femme qui avait passé le reste du temps qui l'avait conduit à la messe à ruminer la situation. Rien n'allait et Éléonore était frustrée de ne rien pouvoir y faire.
Sentant un regard lui vriller le dos, la Polonaise se retourna brusquement et ses yeux se posèrent sur un homme blond assis à un peu plus loin derrière elle. Elle n'avait pas assez de volonté pour lui jeter un regard noir aussi se contenta-t-elle de froncer les sourcils avant de reprendre une attitude digne. Que faisait-il ici ? Comment un Suédois pouvait-il franchir la demeure du Seigneur sans honte et sans baisser la tête ? Elle n'eut pas le temps d'apporter des réponses à ses questions car l'office se terminait et la reine, après quelques saluts respectueux, partait sans autant prendre son temps qu'à l'accoutumée, entraînant sa maison avec elle. Éléonore se releva et décida d'ignorer l'homme qu'elle ne souhaitait pas revoir. Il n'y avait aucune raison pour que la chance ne soit pas avec elle et qu'elle ne puisse pas s'éclipser. Peut-être même que la comtesse de Soissons, la surintendante de la maison accepterait de la laisser partir pour le reste de l'après-midi. Elle désirait plus que tout autre chose la solitude. Le passage à la messe ne l'avait pas réconfortée, au contraire.
Une foule de plus en plus dense cherchait à quitter les lieux tout en laissant passer la reine. Tous les nobles de la cour s'étaient levés et s’apostrophaient à voix forte comme une sorte de danse bien préparée qui donnait le tournis à Éléonore. Elle en avait perdu de vue Christian de Suède ce qui n'était pas plus mal. Elle suivit la reine un peu à distance mais la marche s'interrompit un instant, le temps pour Marie-Thérèse de recevoir un compliment ou une requête. La Polonaise soupira de lassitude, se sentant étouffer dans le monde. Elle voulait sortir, respirer un peu d'air frais. Mais elle sentit soudain une poigne douce enserrer son poignet droit et sursauta violemment. Qui osait... ? Elle eut à peine besoin de lever la tête pour savoir. C'était Christian évidemment. Elle sentit une bouffée de haine l'envahir, chassant l'apathie qui l'avait habitée jusque-là, rien ne lui aurait fait plus plaisir que de pouvoir effacer ce sourire, de faire disparaître ce visage de son champ de vision. Surtout un visage qui se trouvait aussi près du sien.
- Lâchez-moi, siffla-t-elle de manière menaçante, les sourcils froncés et en cherchant à se dégager, ce qui n'était pas si facile quand on se trouvait compressée au milieu de la maison de la reine.
La souveraine ne pouvait-elle pas faire un effort et avoir le tact, pour une fois, de rendre service à sa suivante ? Ne pouvait-elle pas simplement ébranler le cortège pour que Christian soit contraint d'ôter sa main pour ne pas finir sans bras (les courtisans étaient assez cruels pour ne pas y prêter attention) ? Ou alors lui envoyer les chiens pour... Non, cette idée était stupide, se ravisa Éléonore en voyant les minuscules bichons possédés par Marie-Thérèse et qui ne feraient pas de mal à une mouche – s'ils arrivaient à en attraper une. Mais non, la Polonaise ne pouvait avancer et était contrainte de faire face à Christian. La détestation qu'elle avait pour lui était loin d'être raisonnée. Il s'était toujours montré courtois envers elle, malgré les circonstances de leur rencontre. Mais elle avait vu les soldats de son armée piller sa ville, détruire son pays, blesser son frère et cela, même s'il n'y était directement pour rien, elle savait qu'elle ne pourrait s'empêcher de l'en rendre coupable et qu'elle ne pourrait lui pardonner. C'était même pire que cela. Elle lui avait fait confiance, il lui avait promis qu'il protégerait sa sœur. Mais il avait failli, Rozalia était morte dans l'incendie de son couvent. On ne pouvait pas faire confiance à la parole d'un Suédois.
Éléonore se souvenait du choc que cela avait été de le voir à Versailles. Que faisait-il ici ? Était-il venu propager son œuvre de mort jusqu'en France ? Plusieurs fois, elle avait vu sa haute silhouette dans les couloirs du château, plusieurs fois, il avait cherché à l'aborder mais elle avait toujours fui. Elle savait bien qu'elle ne pourrait supporter des explications sur ces vieux événements. Elle ne voulait pas replonger dans la guerre qui avait déchiré la Pologne pendant des années. Il aurait encore sans doute quelques paroles toutes prêtes, pleines de miel à lui servir sur un plateau, en espérant qu'elle s'en délecte. Sans doute voulait-il se donner bonne conscience mais elle ne lui ferait pas ce plaisir. Non, il était responsable, combien même n'était-ce pas lui qui avait donné directement les ordres. Il était responsable car en tant que prince, il assumait les actes de son peuple.
- Je ne veux rien entendre de votre bouche, continuait Éléonore, les lèvres serrées, vous êtes méprisable et ne méritez même pas que je vous adresse la parole. Que cherchez-vous donc ? A continuer à me hanter par les souvenirs de la période la plus honnie et la plus malheureuse de mon existence ? Dois-je vous apprendre comment j'ai été mise au courant que vous aviez tué ma sœur ? Par la bouche même d'un époux méprisable et violent que vous m'aviez imposé !
Elle était de plus en plus fébrile, se tordait les mains avec nervosité et sa respiration devenait de plus en plus saccadée. Elle crut un instant qu'elle allait s'effondrer mais elle se raccrocha à la personne la plus proche, à savoir Christian avant de s'écarter avec horreur. Elle étouffait et cherchait de l'air en bousculant ceux qui l'entouraient, sans prêter attention aux cris indignés qu'on lui adressait. Ses gestes devenaient de plus en plus violents mais elle s'en rendait à peine compte. La conscience de ce qu'elle faisait la quittait peu à peu. Seuls restaient cette haine mais surtout ce désespoir qui se lisait dans ses yeux hagards. |
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| Sujet: Re: (Chapelle) Et il y en a qui pensent que les épreuves sont une bénédiction divine.. 29.11.12 23:32 | |
| La présence de Christian à la messe était pour le moins incongrue, mais pas incompréhensible. Encore que, plus les minutes passaient, plus le duc s’interrogeait sur les raisons de sa présence ici, jusqu’à ce qu’il ne baisse les yeux sur son fils assis à ses côtés qui écoutait d’une oreille attentive les paroles du prêtre. Hannes, à qui il n’avait jamais donné de réelle éducation religieuse et à qui il n’en aurait probablement jamais donné s’il n’avait pas pressenti à la cour de France et chez le roi en personne une certaine crainte et même de la détestation envers les protestants. Christian ne s’intéressait pas à la religion, mais comment expliquer cela aux gens ? Pour n’importe qui, suédois égale luthérien, et les guerres de religions et la Saint-Barthélémy ne sont finalement pas si éloignées que ça. En relevant les yeux, il croisa le regard de Mrs McKenna, la gouvernante de l’enfant qui avait justement été à l’initiative de cette conversion, et elle sembla lire dans ses pensées puisqu’elle hocha brièvement la tête avant de se concentrer de nouveau sur la messe. En faisant suivre à Hannes une éducation catholique et en le faisant baptiser –le comte de Froulay avait d’ailleurs plus qu’aimablement accepté d’être le parrain- aux su et vu de tous, peut-être que Christian pourrait lui éviter le peur sourde de la persécution que de nombreux Huguenots avaient vécu depuis si longtemps et dont même les étrangers n’étaient pas exempts. Même lui, pour qui la religion était le dernier de ses soucis. Jusqu’à aujourd’hui. Il n’était pas seul dans cette aventure : il avait amené en ce pays catholique et pas toujours tolérant un fils, son garçon de onze ans, et son unique priorité était de le préserver. Il avait déjà laissé trop de gens derrière lui pour accepter de le laisser lui aussi. Il y avait bien longtemps que Christian avait cessé d’essayer de leur échapper. Il n’avait jamais voulu les combattre de toute façon, acceptant leur présence à ses côtés comme on accepte une fatalité, avec résignation, presque avec humilité. Ce n’est pas comme s’ils étaient agressifs ces fantômes, après tout. Ils se contentaient d’être là, de cheminer à ses côtés, comme des ombres glaçantes auxquelles il avait bien fini par s’habituer. Parfois ils s’amusaient à peser sur ses épaules, comme pour en tester la solidité et murmuraient presque à son oreille, lui demandant jusqu’à quand il supporterait de les porter, eux et les autres, les morts comme les vivants. Jusqu’à quand il les supporterait avant de les lâcher ou de s’écrouler. Mais bon, pour l’instant il tenait même si parfois ses épaules se courbaient un peu sous leur poids, à croire qu’ils faisaient exprès d’appuyer, mais comment leur en vouloir ? Quelque part, c’est qu’il devait le mériter. Au moins un peu.
Décrochant peu à peu de la messe, son regard dévia sur les autres membres de l’audience et s’arrêta sur une chevelure rousse qui lui sembla familière. Encore une fois cette impression, ce froid qui s’installait progressivement, signalant là la présence d’un fantôme. Mais lequel ? Au lieu de chercher à s’en débarrasser, Christian fixa cette nuque, espérant avoir une réponse. Elle ne tarda pas. Lorsque la jeune femme se retourna et qu’il reconnut Eléonore Sobieska il sentit presque la main de Rozalia passer sur ses épaules, comme pour lui dire « alors, que vas-tu faire maintenant ? En tout cas bonne chance… ». Et c’était là une excellente question. Effectivement, qu’allait-il faire ?
Quelques instants plus tard, tout le monde se levait et il faillit perdre la tête rousse de vue. Il marmonna rapidement à l’intention de Mrs McKenna qu’il avait à faire et qu’il lui laissait Hannes pour rentrer, puis il fendit à son tour la foule, obéissant à une impulsion subite, évènement suffisamment rare chez lui pour être noté. Lui qui aimait prendre son temps d’habitude se lançait maintenant à la poursuite d’une ombre qui lui échappait sans cesse depuis qu’il l’avait croisée pour la première fois à Versailles, et comment lui en vouloir ? Il devrait, il aurait dû la laisser en paix, il le savait. Et pourtant c’était comme si quelqu’un le poussait dans le dos, pas vraiment amicalement, comme si on lui donnait des coups entre les épaules alors qu’il avancerait sur son chemin de croix. Alors il fendit la foule, presque sans en avoir conscience, sachant seulement que pour une raison quelconque il devait la rattraper. Pour lui parler, pour s’expliquer. Sur quoi, il ne savait vraiment lui-même ; pour expliquer, pour s’excuser, pour lui demander pardon, pardon d’un crime d’une nation dont il portait le poids à lui tout seul aux yeux de la jeune femme et dont, inconsciemment peut-être, il essayait de se décharger un peu. Après tout était-il entièrement responsable du destin de la Pologne pendant la guerre ? Ca, c’était une question à laquelle Christian lui-même n’avait pas encore trouvé de réponse. Le comble pour un scientifique.
- Lâchez-moi ! réagit-elle aussitôt alors qu’il lui avait enserré le bras pour qu’elle arrête de s’échapper, de s’évanouir dans l’ombre comme elle l’avait toujours fait jusqu’ici.
Il aurait dû la lâcher, d’ailleurs c’est ce qu’il fit, par réflexe. Et s’il n’y avait eu cette foule compacte autour d’eux il se serait probablement contenté de la regarder partir, regrettant une fois de plus alors que quelque chose lui soufflait qu’il avait le droit de parler, le droit de se défendre face aux accusations et à la haine aveugle d’une jeune femme qu’il n’avait pourtant cherché qu’à défendre. Il avait échoué c’était vrai, et il ne se le pardonnerait jamais, de même qu’il ne se pardonnerait jamais d’avoir échoué à protéger sa sœur. Pour autant, devait-il porter le poids d’autant de morts, seul, en unique responsable ? Malgré toute sa bonne volonté et sa tendance à endosser les responsabilités des autres, il y avait quelque chose dans sa tête qui lui disait que non. Il avait le droit, pour une fois, de dire non. Une première dans la vie du duc.
- Je ne veux rien entendre de votre bouche, vous êtes méprisable et ne méritez même pas que je vous adresse la parole. Que cherchez-vous donc ? A continuer à me hanter par les souvenirs de la période la plus honnie et la plus malheureuse de mon existence ? Dois-je vous apprendre comment j'ai été mise au courant que vous aviez tué ma sœur ? Par la bouche même d'un époux méprisable et violent que vous m'aviez imposé ! « Eléonore écoutez-moi, je… »
Mais avant même qu’il n’ait pu poursuivre, elle se dégagea de sa prise et parvint à s’écarter de lui en bousculant quelques personnes au passage. Mais si elle croyait se débarrasser de lui si facilement, elle se trompait lourdement. Ouvrir la bouche, enfin s’être accordé le droit à la parole semblait avoir déverrouillé un verrou en lui, celui qui avait retenu pendant toutes ces années le flot de révolte contenue, la culpabilité, l’horreur, et l’envie de se battre pour défendre le peu d’innocence qu’il lui restait. Oui il avait une certaine part de culpabilité dans tout ce qu’il s’était passé en Pologne, il le savait et n’avait jamais cherché à le nier ; comme Eléonore le disait elle-même, en tant que prince, il revêtait les crimes de son peuple qu’il n’avait pas réussi à stopper dans son élan meurtrier. Mais était-ce pour ça qu’il devait aussi se heurter à la haine d’Eléonore pour la simple raison qu’elle n’avait pas le vrai responsable, son frère ou les soldats, sous la main ? Il avait peut-être sa part de responsabilité dans toute cette horreur ; mais il avait aussi tenté de l’arrêter, avec les maigres moyens dont il avait disposé à l’époque. Son dos, ses épaules n’en portaient-ils pas encore la trace ? Il avait essayé, il avait échoué. Si on lui reprochait d’avoir échoué, qu’on se montre au moins juste et qu’on se souvienne qu’il avait essayé.
Le cœur ainsi gonflé par ce qui ressemblait à un souffle de révolte face à cette injustice, il lui emboîta aussitôt le pas et s’apprêtait à protester mais son œil saisit les gestes désordonnés, la respiration saccadée, et surtout ce regard qui lui rappelait tant celui de Rozalia des années plus tôt, alors qu’il la ramassait pratiquement inconsciente dans ce couvent en flammes. Quelque chose n’allait pas. Et s’il n’agissait pas rapidement, quelqu’un d’autre allait s’en apercevoir, la reine elle-même peut-être. Alors Christian fit quelque chose qu’habituellement il faisait très rarement : il fit preuve d’autorité et imposa sa volonté à Eléonore. Il la rattrapa et lui attrapa de nouveau le bras, doucement mais fermement alors qu’elle semblait sur le point de s’écrouler et l’entraîna sans lui laisser le luxe du choix. La maintenant debout en passant son autre bras autour de ses épaules malgré le dégoût que ce contact pouvait provoquer chez la jeune femme, il l’emmena dans une pièce adjacente, puis une autre, plus petite et beaucoup moins fréquentée puisque tout le monde était occupé chez la reine. Le visage fermé, Christian la fit s’asseoir sur un banc et s’accroupit à sa hauteur, levant sur elle des yeux bleus qui traduisaient tout à la fois : son sentiment de culpabilité, sa tristesse, son acceptation de sa haine, mais aussi sa détermination et sa fermeté.
« Madame, je sais que vous me haïssez et à travers moi mon pays, mon peuple, et le roi qu’a été mon frère. Et je ne puis vous en blâmer : la conduite de la Suède a été impardonnable et ni la mort de Charles X Gustave, ni celle de votre mari, ni même la mienne ne pourra jamais racheter les pertes terribles que vous et la Pologne avez subies. Nos soldats –mes soldats- ont été responsables d’un nombre incalculable de morts, et à travers eux j’en suis responsable, bien que la lame de mon épée n’ait jamais touché personne, je vous conjure de le croire. »
Les mots se bousculaient dans la bouche de Christian, comme trop longtemps retenus derrière le voile du silence et de la honte, et la peur peut-être d’affronter Eléonore, de ranimer de vieux démons qui n’auraient fait que les blesser plus encore tous les deux. Mais il réalisait à présent qu’il en avait assez de se cacher pour leur échapper ; puisqu’ils étaient de toute façon décidés à les tourmenter jusqu’à la fin de leurs jours, pourquoi ne pas essayer au moins de faire front commun, de les apaiser, et de s’apaiser également ? Pour se tourmenter éternellement au lieu d’essayer de panser les plaies ?
« Quant à votre sœur, j’ignore ce que vous a raconté votre mari mais je puis vous jurer sur tout ce que j’ai de plus cher que je ne l’ai pas tuée ! Je suis peut-être responsable de sa mort à travers mes soldats ; ou pour avoir échoué à la sortir du couvent à temps. Mais je ne suis entré dans ce couvent en flammes que pour la tirer de là, et j’aurais réussi si les fumées toxiques ne m’avaient pas devancé ! Je ne cherche pas à vous convaincre de me pardonner, mais je veux que vous me jugiez au moins sur la base de a vérité, pas ce que des mensonges ou votre haine aveugle peuvent vous souffler ! » martela-t-il sur la fin, laissant pour la première fois depuis longtemps transparaître un sentiment d’une violence qu’il n’était plus habitué à éprouver et qu’il avait du mal à contenir. La détresse d’un homme innocent obligé de se battre contre ses juges alors qu’on l’a déjà condamné à l’échafaud. Malheureusement pour lui aussi, le supplice ne faisait que commencer…
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| Sujet: Re: (Chapelle) Et il y en a qui pensent que les épreuves sont une bénédiction divine.. 16.01.13 0:26 | |
| Il y a un moment où les démons resurgissent. Forcément. Tous ceux auxquels on tenté d'échapper ou qu'on a voulu enfouir loin en soi, derrière un visage souriant, des yeux rieurs, des paroles aimables ou futiles, quitte à y consacrer tous ses efforts. Mais malgré tout, il y a un moment où le masque grimaçant conçu pour faire rire le public se fissure et laisse apparaître les ombres soigneusement cachées car elles feraient fuir tout le monde. Éléonore était de celles qui avaient de bien trop nombreux démons. Pas ces petits péchés de ces femmes à la conscience tranquille qui avouent être trop gourmandes à leur confesseur ou avoir songé une fois à un autre homme qu'à leur époux. Non, ses erreurs, ses regrets étaient si monstrueux qu'elle avait tenté de les faire disparaître, de les effacer de sa mémoire. En vain. On ne pouvait pas oublier et ils réapparaissaient dans les moments les plus inappropriés comme à la sortie de la messe d'une reine de France quand un Suédois essayait de vous adresser la parole alors que vous ne rêviez que de lui échapper. C'en était terminé de la Éléonore joyeuse, toujours prête à s'amuser et à vivre de nouvelles aventures, celle que tout le monde connaissait dans cette cour de France. Venait d'apparaître la femme rongée par les souvenirs, presque malade de tout ce qu'elle avait fait et de tout ce qu'elle n'avait pas pu faire. Elle était incapable de repousser ces démons ricanants qui s'emparaient de son esprit. Elle revit nettement le visage de son père d'abord, elle crut voir sa haute silhouette dans la foule mais évidemment sa raison lui criait que ce n'était pas lui, il était mort, il reposait en paix dans son tombeau de Cracovie. Elle étouffait. La jeune femme porta une main à sa gorge comme si cela allait changer quelque chose à sa situation. Puis elle eut brusquement conscience du monde qui l'entourait, la bousculait sans lui prêter attention. Elle se sentit saisie par le bras, de manière ferme mais néanmoins rassurante, presque réconfortante, comme si quelque chose tenait encore debout dans cette marée, un pilier dur qui résistait. Elle ne s'aperçut pas tout de suite de qui il s'agissait ni même ce qu'il faisait d'elle et se laissa entraîner sans chercher à protester, comme une poupée de chiffon. Elle ouvrit bien la bouche pour dire qu'elle était attendue auprès de la reine mais la phrase qu'elle prononça ne fut pas entendue par l'homme ou alors il n'y prêta pas attention. Elle n'était même pas certaine de l'avoir bien dite. La Polonaise voulut faire demi-tour mais ses muscles n'obéirent pas. Aussi s'abandonna-t-elle et ferma les yeux dans l'espoir de voir disparaître les démons.
Quand elle rouvrit les paupières, elle se trouvait dans une petite pièce vide, sans doute utilisée par les prêtres qui faisaient les offices en compagnie de la seule personne avec laquelle elle aurait tout donné pour ne pas voir là. C'était Christian de Sudermanie, ce démon d'un genre tout particulier qui évoquait pour elle les pires moments de son existence. Derrière ce visage au teint blanc, ces yeux bleus où brillait la détermination, Éléonore ne voyait, elle, que les flammes qui avaient détruit les villes de son pays, la blessure sanguinolente de la joue de Jan quand il avait reçu une claque pour avoir osé protester contre la trahison, le mépris d'un autre Suédois auquel elle avait été contrainte de s'unir. Que voulait-il sinon la torturer plus encore ? Elle continuait à se tordre les mains sans pouvoir réfléchir mais son premier réflexe qui avait été la fuite lui fut impossible. Et lui parlait, comme si elle était encore en capacité de penser, d'accepter des arguments construits. Il parlait sans s'arrêter comme pour se décharger de tout ce qu'il avait cherché à lui dire depuis des semaines, des années peut-être.
- Madame, je sais que vous me haïssez et à travers moi mon pays, mon peuple, et le roi qu’a été mon frère. Et je ne puis vous en blâmer : la conduite de la Suède a été impardonnable et ni la mort de Charles X Gustave, ni celle de votre mari, ni même la mienne ne pourra jamais racheter les pertes terribles que vous et la Pologne avez subies. Nos soldats –mes soldats- ont été responsables d’un nombre incalculable de morts, et à travers eux j’en suis responsable, bien que la lame de mon épée n’ait jamais touché personne, je vous conjure de le croire. - Que voulez-vous alors ? S'écria-t-elle (sa voix lui parut stridente), vous souhaitez que je vous pardonne ce qui n'est pas pardonnable ? Que je soulage votre conscience ? Comme osez-vous me le demander ? Vous voulez me faire croire que vous n'avez tué personne ? Mais vous étiez là, vous étiez là, répéta-t-elle comme si cela expliquait tout, vous avez regardé les autres le faire, vous êtes coupable de n'avoir rien fait, d'avoir seulement mis le pied en Pologne avec une armée... Coupable ! Coupable ! Elle se balançait sur son banc, les yeux un peu exorbités, proche de la nausée parce qu'elle trouvait qu'il se tenait trop près d'elle. Oh non, elle ne voulait pas souffrir seule, voir s'effacer les dettes. Elle sentit ses yeux se recouvrir de larmes mais elle les chassa. Il n'était pas question qu’Éléonore Sobieska pleure devant un Suédois. Elle l'avait déjà assez fait en un autre temps. Pourtant, il n'avait pas pitié d'elle, il poursuivait son discours inflexiblement, pour la mettre au pied du mur. - Quant à votre sœur, j’ignore ce que vous a raconté votre mari mais je puis vous jurer sur tout ce que j’ai de plus cher que je ne l’ai pas tuée ! Je suis peut-être responsable de sa mort à travers mes soldats ; ou pour avoir échoué à la sortir du couvent à temps. Mais je ne suis entré dans ce couvent en flammes que pour la tirer de là, et j’aurais réussi si les fumées toxiques ne m’avaient pas devancé ! Je ne cherche pas à vous convaincre de me pardonner, mais je veux que vous me jugiez au moins sur la base de a vérité, pas ce que des mensonges ou votre haine aveugle peuvent vous souffler ! - Pauvre Rozalia, murmura-t-elle sans avoir vraiment entendu ce qu'il lui disait, pauvre Rozalia tuée dans l'espace sacré de Dieu, martyrisée... Je la vois, vous savez ? Je vois son visage toujours calme et serein... Elle était si gentille avec moi, si douce et aimable, tout l'inverse de Katarzyna. Elle ne méritait pas de mourir... J'aurais dû mourir des dizaines de fois, moi, j'aurais dû être sacrifiée à sa place... Évidemment vous n'y êtes pour rien, vous avez fait votre possible, on fait toujours de son possible quand on échoue. Mais quand vous êtes rentré chez vous, vous avez retrouvé votre famille, votre tranquillité... Nous, il ne nous restait rien, seulement des larmes et un pays à reconstruire... Des ombres qui continuent de nous hanter chaque jour... Rozalia...
Tout s'effondrait autour d'elle, toutes ses certitudes et la pièce elle-même tournoyait sous ses yeux comme si elle était prise dans une spirale infernale. Elle se prit la tête entre les mains, voulut se la taper contre les murs mais il aurait fallu qu'elle se lève pour cela et elle ne pouvait tout simplement pas. Ses paumes touchèrent des joues trempées de larmes à sa grande surprise. Elle ne s'était même pas aperçue qu'elle s'était mise à pleurer. Elle se sentait si mal qu'elle n'avait qu'une envie... Que tout cela stoppe par la violence s'il le fallait. Comme il aurait été doux de se sentir s'éteindre et disparaître, ne plus souffrir tout simplement. Mais elle n'avait rien à proximité pour se soulager et de toute façon, le duc lui bloquait le passage. Dans sa déchéance, elle se raccrochait à une idée fixe, la seule qui puisse l'empêcher de sombrer complètement, qui lui permettait de ne pas être entièrement perdue : sa haine. Elle ne savait plus réellement pourquoi elle haïssait Christian de Sudermanie mais c'était assez puissant pour tenir sa tête hors des flots qui menaçaient de la submerger. Malgré ses tremblements qui secouaient tout son corps, donnant l'impression qu'elle allait finir par s'effriter, elle leva les poings et avec la rage du désespoir, elle se mit à frapper celui qui se trouvait devant elle. Elle ne dut pas lui faire beaucoup de mal avec la carrure qu'il avait mais elle y met le peu de force qu'elle conservait. Ses sanglots faisaient désormais un boucan infernal mais elle ne parvint pas à les stopper, se rendant à peine compte qu'elle pouvait attirer des personnes malintentionnées à son égard. Au bout de plusieurs minutes, elle s'arrêta enfin et s'agrippa aux épaules de Christian pour ne pas tomber, calmant peu à peu ses pleurs déchirants.
- Pourquoi ? Murmura-t-elle, pourquoi le destin s'acharne-t-il contre moi ? Qu'ai-je fait sinon naître au mauvais endroit, dans la mauvaise famille ? J'avais tout perdu quand j'étais retournée en Pologne, mon enfant, l'homme que j'aimais et que je n'ai pas pu épouser et vous étiez là pour semer votre œuvre destructrice. Vous m'avez ôté mon insouciance, ma jeunesse. Vous avez été là le jour de mon mariage, qu'avez-vous donc fait pour empêcher que cela se produise ? J'ai dû me débarrasser moi même de cette homme, avais-je le choix ? Et vous êtes là, à vivre libre quand je suis enchaînée par le poids de mes malheurs, condamnée à errer de royaumes en royaumes sans que personne ne veuille jamais de moi. Je pourrais accepter la fatalité si seulement je comprenais.
Ses larmes s'étaient calmées mais sa vision restait floue et ses hallucinations reprenaient. Elle voyait désormais Andrew puis le visage de celui-ci se transformait jusqu'à saisir les traits de son premier époux, un homme brutal. Combien il était désespérant de se voir unie à une personne que l'on méprisait ! Combien difficiles les heures passaient ensemble. Il lui semblait qu'il riait d'elle. Puis il disparut à son tour.
- Vous pouvez partir... Non partez, commanda-t-elle d'une voix faible, vous ne devez pas voir cela, je vous l'interdis. N'avez-vous pas envie de fuir en voyant combien je suis un monstre ? Le sang coule encore sur mes mains, les démons se sont emparés de mon esprit et je ne suis qu'un pantin, l'ombre de moi-même... La réelle Éléonore ?... Ne sommes-nous pas constitués de nos songes ?... Je ne veux pas vous entendre davantage... Laissez-moi me lever, enfin !
Au moment où la colère allait resurgir, Éléonore entendit un bruit sourd qui ressemblait à l'ouverture d'une porte et le son se répercuta dans son cerveau à l'infini comme un écho. En effet, un homme qu'elle ne reconnut pas tant sa silhouette était floue apparut dans son champ de vision. Un courtisan à n'en pas douter car il était habillé de couleurs vives qui éblouirent la jeune femme et lui fit détourner la tête. Il dut marquer un temps de surprise car il ne parla pas tout de suite. - Je suis navré de vous déranger, finit-il par dire d'un ton gêné, mais madame Sobieska est attendue auprès de Sa Majesté la reine. Mécaniquement, Éléonore fit des signes de dénégation avec la tête et balbutia en s'accrochant à celui qui était toujours devant elle – car il n'avait pas fui, plongeant ses prunelles désespérées dans les bleues de Christian : - Je ne veux pas... Je ne veux pas... Je ne veux pas... Ce n'était pas tant qu'elle ne voulait pas mais qu'elle ne pouvait pas. Toute tremblante, incapable de réapparaître aux yeux de tous ce qui lui semblait une tâche insurmontable, elle se sentait si misérable qu'elle releva les jambes pour les serrer contre elle et se mit en position fœtale. Seule contre le monde. Seule contre elle-même surtout. |
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| Sujet: Re: (Chapelle) Et il y en a qui pensent que les épreuves sont une bénédiction divine.. 30.04.13 22:03 | |
| - Que voulez-vous alors ? Vous souhaitez que je vous pardonne ce qui n'est pas pardonnable ? Que je soulage votre conscience ? Comme osez-vous me le demander ? Vous voulez me faire croire que vous n'avez tué personne ? Mais vous étiez là, vous étiez là, vous avez regardé les autres le faire, vous êtes coupable de n'avoir rien fait, d'avoir seulement mis le pied en Pologne avec une armée... Coupable ! Coupable ! s’écriait-elle encore et encore, martelant ses accusations comme autant de boulets de canons destinés à le détruire, à le réduire en morceaux autant que faire se pouvait. Et Christian restait là, à encaisser sans broncher les reproches, la colère, la haine même d’Eléonore sans chercher à protester plus avant, car à quoi bon ? Oui ce traitement était peut-être injuste, oui il ne le méritait peut-être pas, mais que faire d’autre ? Ils étaient tous partis, Rozalia, Charles, le premier époux d’Eléonore, Jean-Casimir qui l’avait forcé à prendre part à la guerre alors qu’il s’y était vigoureusement opposé, et de cette hécatombe il ne restait désormais plus qu’eux, les deux survivants du naufrage. Un naufrage désastreux qui les avait dépassés et n’avait rien laissé sur son passage sinon un vaste champ de ruines encore fumantes malgré les années qui avaient passées, un champ de ruines qu’ils ne pouvaient que regarder, impuissants, sans savoir quoi faire de leurs deux mains. Dévastés. Sans savoir quoi faire de ce désastre sans nom.
- Pauvre Rozalia, murmurait-elle encore, endiguée dans le brouillard de ses souvenirs, pauvre Rozalia tuée dans l'espace sacré de Dieu, martyrisée... Je la vois, vous savez ? Je vois son visage toujours calme et serein... Elle était si gentille avec moi, si douce et aimable, tout l'inverse de Katarzyna. Elle ne méritait pas de mourir... J'aurais dû mourir des dizaines de fois, moi, j'aurais dû être sacrifiée à sa place...
Christian ne répondit pas. Qu’aurait-il pu répondre, de toute façon ? Il réalisait maintenant le mal qu’il avait provoqué en forçant Eléonore à l’écouter, en la forçant à se retourner sur de vieux souvenirs encore douloureux et avec lesquels elle avait visiblement plus de mal à vivre que lui. Il se maudit pour sa stupidité, pour son insensibilité qui lui avait fait croire que puisque lui avait plus ou moins réussi à tourner la page, il devait en être de même pour l’ancienne victime des horreurs commises par son frère, par leur armée, et indirectement par lui-même. Il mentirait s’il disait qu’il n’y avait pas un seul jour qui s’écoulait sans qu’il ne songeât à la Pologne ; oui, il était allé de l’avant, oui, les flammes de la Pologne appartenaient au passé, un passé douloureux mais un passé quand même. Alors que pour Eléonore, le passé et le présent se mélangeaient inextricablement, comme à ce moment précis où la douleur du souvenir semblait la serrer entre ses griffes comme un étau. Et il en était responsable. Comme il avait été responsable de son malheur par le passé il était responsable de sa rechute aujourd’hui, par égoïsme, parce qu’il avait voulu enfin se débarrasser d’un poids dont il ne voulait plus mais dont d’autres n’avaient jamais réussi à se défaire et continuaient à souffrir.
Soudain elle se redressa d’un bond, laissant libre cours à sa rage en le martelant de coups de poings qui l’alarmèrent d’autant plus qu’ils semblaient donné par une fillette, tant ils étaient faibles et désordonnés. Elle pleurait, criait, coulait un peu plus au fond de son désespoir sous le regard impuissant du duc qui n’avait jamais autant souhaité avoir le pouvoir de revenir en arrière. Les paroles incohérentes d’Eléonore entraient par une oreille, ressortaient par l’autre ; ne restait que la douleur insupportable qui suintait dans chacun de ses mots, qui criait à l’aide de tout son corps. ‘Coupable !’ résonnait encore dans l’esprit confus de Christian, qui se sentait perdre complètement le contrôle de la situation, si jamais il l’avait eue à un moment dans cette conversation surréaliste. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait, ni comment il avait pu en arriver là, comment ils avaient pu en arriver là, avant de réaliser avec effroi qu’il s’était conduit exactement à l’inverse de tout ce qu’il avait pu préconiser. Le pardon, la générosité étaient passés à la trappe : dans son désir d’être pardonné et de pouvoir enfin aller de l’avant, c’était comme s’il avait pris la tête d’Eléonore à deux mains et l’avait enfoncée dans un lac glacée pour la forcer à regarder au fond sous prétexte que ça lui ferait du bien. Lui le premier, aurait dû pardonner à Eléonore le fait qu’elle ne lui ait jamais accordé ce pardon. Et il ne l’avait pas fait, se positionnant en tyran exigeant d’une femme meurtrie ce qu’elle n’était pas encore en mesure d’accorder. Si Christian n’avait pas été formé dès son plus jeune âge à faire montre du flegme légendaire des puissantes familles royales, il se serait probablement effondré lui aussi su ce banc. Misérable. Il n’était qu’un misérable.
-Je ne veux pas vous entendre davantage... Laissez-moi me lever, enfin ! s’exclama-t-elle dans un nouvel accès de révolte. Et cette fois-ci, Christian l’aurait laissée filer. Il n’aurait eu ni la force ni la présence d’esprit de réagir de toute manière ; elle aurait pu sortir un poignard de son corset et le trucider sur place qu’il n’y aurait même pas songé. A vrai dire, il l’aurait peut-être mérité, à la réflexion.
Le duc s’apprêtait enfin à accéder à la requête d’Eléonore et battre en retraite quand la porte derrière lui s’ouvrit. Il se retourna –peut-être un peu trop vivement pour être honnête- et reconnut l’un des courtisans présents à la messe. Celui-ci marqua un temps d’arrêt, remarquant le visage larmoyant et déformé par la peine de la jeune femme, et l’air assombri du suédois. Il hésita, puis s’enquit :
- Je suis navré de vous déranger, mais madame Sobieska est attendue auprès de Sa Majesté la reine.
Christian allait hocher la tête quand il sentit les mains d’Eléonore s’agripper à sa veste.
- Je ne veux pas... Je ne veux pas... Je ne veux pas...
Et devant le triste spectacle de cette femme en proie aux pires tourments, Christian renonça à partir. Dans un de ces rares moments où le duc de Sudermanie était désemparé et ne savait quelle décision raisonnable il devait prendre, il choisit la voie qui jusqu’ici lui avait plus ou moins réussi mais qui était aussi la seule issue qu’il connaissait : suivre son instinct. Tant pis si Eléonore devait par la suite se remettre à le haïr pour ne pas être parti quand elle l’en suppliait, si lui ne faisait pas déguerpir ce courtisan inopportun, ce n’était certainement pas elle qui y arriverait en conservant sa dignité. Fort de cette nouvelle résolution, Christian se tourna vers le courtisan qui semblait de plus en plus perplexe et alarmé à la vision d’une courtisane de la reine qui semblait plus bas que terre.
« Je ne crois pas que ce soit une bonne idée monsieur, madame Sobieska n’est guère en de bonnes dispositions, comme vous pouvez le constater par vous-même… » commença Christian à voix basse en se déplaçant imperceptiblement de manière à s’interposer entre Eléonore et le regard indiscret du nouveau venu. « Madame Sobieska se sent-elle mal ? Doit-on faire prévenir quelqu’un ? » s’enquit-il d’un air mi-inquiet mi-soupçonneux. « Non monsieur, vous voyez bien qu’elle n’a pas l’air de quelqu’un qui souffre d’une indigestion de melons. » s’agaça Christian avant d’aussitôt retrouver un air préoccupé, mais serein. « Madame Sobieska vient d’apprendre une nouvelle tragique, je pense qu’il serait plus avisé de l’excuser auprès de Sa Majesté. Dites à la reine que nous lui présentons nos excuses, et que je vais m’occuper de madame Sobieska. Elle n’est pas en état de voir qui que ce soit pour le moment. »
Vaincu par l’autorité douce, mais ferme de Christian, le jeune homme battit en retraite et présenta ses excuses avant de quitter la pièce.
De nouveau seuls. Christian attendit quelques instants, immobile, le regard fixé sur la porte à guetter si quelqu’un d’autre allait venir ou s’ils étaient en sécurité. Puis, une fois assuré qu’on ne viendrait plus les déranger, il baissa de nouveau les yeux sur la jeune femme. Son cœur se serra une fois de plus et il tendit la main, hésitant, avant de serrer le poing et de renoncer. Il doutait qu’une main amicale sur l’épaule d’Eléonore soit la bienvenue en ce moment, et encore moins la sienne. Un nouveau poids s’abattit sur les épaules décidément bien chargées du suédois, alors qu’il se rappelait encore une fois qu’il était responsable de l’état dans lequel elle se trouvait. Il détourna les yeux alors que les visages de Rozalia agonisante dans ses bras et de Lisbeth terrassée par la maladie lui revenaient en mémoire avec plus d’exactitude que jamais, si bien qu’il crut un instant pouvoir les toucher en tendant la main. Mais il savait pertinemment que ses doigts ne se seraient refermés que sur du vide, ce même vide qui hantait son foyer depuis la mort de sa femme malgré les efforts pour le combler, le même gouffre qui devait peupler la vie de la polonaise effondrée à ses côtés. Il était donc écrit qu’il ne pourrait en sauver aucune ? ‘En ce monde il se faut l'un l'autre secourir : si ton voisin vient à mourir, c'est sur toi que le fardeau tombe’. Jamais cette idée n’avait semblé aussi vraie à Christian qui se sentait soudain écrasé sous le poids du peuple Polonais et de ses morts ; écrasé sous le poids des morts qu’il n’avait jamais voulu, et qui ne le lâcheraient désormais plus de son existence.
« Vous devriez avoir la paix maintenant, je doute que ce jeune homme revienne de sitôt. » Il hésita un instant, perdu dans ses pensées trop agitées pour son esprit habituellement aisément domptable malgré son côté bordélique. Bizarrement raidi, les traits crispés par tout ce qui venait d’être dit, par tout ce qu’il devait taire, par tout ce qu’il n’aurait pas dû dire, le duc semblait soudain avoir pris dix ans de plus. Puis il fit un effort pour se reprendre et tourna la tête vers Eléonore, sans chercher à éviter son regard : « Je ne vous importunerai plus, madame. J’ai eu tort, et je vous demande pardon… Non, oubliez ce que je viens de dire, je suppose qu’il serait mal venu de vous demander pardon pour ça aussi. Vous ne me reverrez plus, à moins que vous n’en exprimiez le souhait. Je vous en donne ma parole, si elle revêt encore quelque valeur pour vous. »
Il marqua encore un court instant d’hésitation, avant de tendre, presque timidement, la main vers elle, paume tournée vers le ciel.
« Permettez-moi au moins de vous raccompagner jusqu’à vos appartements. Vous n’avez pas l’air d’être en état de rentrer seule, et les courtisans de la reine pourraient bien être encore dehors… Après cela, je vous fais le serment de disparaître de votre vie si c’est ce que vous voulez. La décision est vôtre. J’obéirai. »
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| Sujet: Re: (Chapelle) Et il y en a qui pensent que les épreuves sont une bénédiction divine.. 04.06.13 19:50 | |
| La crise passait petit à petit, avec une lenteur qui contrastait avec la violence avec laquelle elle s'était emparée de l'esprit d’Éléonore avant de le démonter avec un acharnement véritablement cruel. La jeune femme qui s'était recroquevillée sur elle-même et pressait ses genoux jusqu'à en faire blanchir les jointures de ses doigts la sentait s'éloigner comme une marée qui avait tout englouti et qui finissait par se retirer car elle s'était emparée de tout ce qu'elle avait pu. Cela aurait pu être un soulagement, cela aurait dû l'être mais la Polonaise ne ressentait plus rien sinon ce vide qui remplaçait son cœur et ses entrailles. A quoi bon lui laisser la vie sauve si c'était pour ne faire d'elle qu'une coquille vide ? La tempête qui s'était déchaînée avec son esprit l'avait abandonnée, exsangue, incapable de bouger, de réfléchir ou de prendre une décision. Néanmoins, en se retirant, elle emportait avec elle les lambeaux de songes, les hallucinations qui avaient tenté de l'agripper pour l'emporter du côté du monde des fous où elle avait bien failli basculer. Sa poigne angoissante également, celle qui avait tant oppressé sa victime. La gorge d’Éléonore se desserrait, de nouveau l'air passait dans sa gorge sèche et sa poitrine se soulevait sans plus de heurts. Sa vision redevenait plus nette à mesure que ses yeux bleus terrifiés s'asséchaient même si ses joues d'une pâleur mortelle restaient baignées de larmes. Frigorifiée, elle continuait à trembler et à imiter un mouvement de balancier d'avant en arrière en se raccrochant à quatre mots qu'elle répétait en boucle « je ne veux pas » et en souhaitant que toute cette lumière s'éteigne enfin à jamais, qu'elle puisse rejoindre ceux qui l'avaient aimée et qui réclamaient sa présence. Elle n'y croyait pas réellement en cet instant : elle voulait juste un long sommeil d'oubli sans retrouver la douleur du réveil. Il y avait peut-être pire que la haine, que la souffrance, il y avait la terrible conscience de ne pas être maîtresse de soi et de son esprit, de ne plus avoir de volonté propre.
Éléonore ne fermait pas les yeux pour autant et devant elle, se dressait la haute et forte silhouette de ce Suédois à la large carrure qui lui semblait si grand et si imposant qu'elle songea qu'il aurait pu la tuer en une étreinte. Mais il lui avait épargné la vision de son visage de traître et ce n'était que son dos qu'il lui montrait en s'interposant entre elle et le nouvel arrivé dans la pièce qu'elle était parvenue à oublier l'espace de quelques instants et qui voulait l'amener jusqu'à la reine. Une sourde angoisse pointa encore en elle quand elle s'imagina devoir faire face au regard de la souveraine ou de ses suspicieuses dames de compagnie, toutes vêtues de noir, comme les Inquisitrices dont elles portaient les noms tels Rotrude et Gerberge et qui poursuivaient les criminels jusqu'à ce qu'ils versent autant de sang qu'ils en ont fait couler. Mais paradoxalement, ce fut son pire cauchemar, cet homme blond venu de ses steppes froides qui la protégea en se plaçant entre elle et le courtisan pour l'empêcher de rassasier sa curiosité. L'homme qui venait de la jeter dans les profondeurs de son propre abîme et qui refusait de l'abandonner aux ombres qui la tenaient entre leurs griffes, le bourreau et le sauveur. Christian de Sudermanie s'adressa directement à l'indiscret pour lui demander de sortir et l'empêcher d'accomplir sa mission, sous le prétexte qu'elle venait d'apprendre une mauvaise nouvelle, comme s'il avait compris que l'avis de la reine sur la question était le dernier des soucis d’Éléonore. La jeune femme ne comprit pas tout des paroles que prononça le duc mais il parvint à obtenir le départ du courtisan, c'était tout ce qui comptait en cet instant. Le silence s'installa, seulement troublé par les bruits, les quelques grincements que faisaient le banc sur lequel la Polonaise s'était effondrée au fur et à mesure des mouvements qu'elle lui imposait ainsi que par les reniflements de la jeune femme. Quand elle releva les yeux, il la fixait de son regard bleu mais elle ne se rendit pas compte qu'il hésitait sur la conduite à tenir. Elle détestait ce beau visage, ces pommettes qui n'avaient jamais été blessées, ces boucles blondes, ce bleu lui-même et elle avait bien conscience que chaque mot qu'elle lui avait jeté n'avait que pour but, outre d'exorciser un peu la souffrance qui continuait à la torturer, de le détruire en partie, de le cribler de balles comme auraient du l'être tous ceux qui étaient coupables des misères de la guerre du Nord ou de lui faire partager un peu le fardeau de son existence. Mais si son air était préoccupé et sombre, il ne paraissait pas avoir été touché ou blessé. Pas autant qu'elle l'aurait cruellement voulu.
- Vous devriez avoir la paix maintenant, je doute que ce jeune homme revienne de sitôt, dit-il d'une voix hésitante comme s'il ne savait s'il devait prendre la responsabilité de la laisser seule... Ou comme s'il avait peur de sa possible réaction. Mais elle n'accueillit cette déclaration qu'avec indifférence, se contentant de stopper son mouvement de balancier tout en gardant sa position fœtale. Le monde extérieur s'était depuis longtemps évanoui pour elle de toute façon. Comme si tout ce qu'il y avait derrière cette porte n'était qu'un songe au même titre que ses hallucinations. - Je ne vous importunerai plus, madame, poursuivit-il d'un ton posé et grave qui ne lui ressemblait guère, j’ai eu tort, et je vous demande pardon… Non, oubliez ce que je viens de dire, je suppose qu’il serait mal venu de vous demander pardon pour ça aussi. Vous ne me reverrez plus, à moins que vous n’en exprimiez le souhait. Je vous en donne ma parole, si elle revêt encore quelque valeur pour vous. Ces paroles eurent la solennité du serment et c'était exactement tout ce qu'avait désiré Éléonore depuis qu'elle avait revu le duc de Sudermanie à Versailles, aussi hocha-t-elle la tête sans répliquer, les yeux fixés dans ceux de son interlocuteur mais encore perdus dans le vague. Une nouvelle fois, le Suédois eut une hésitation mais il se jeta à l'eau malgré le risque de voir la colère d’Éléonore exploser, ce qui était en réalité sans grand risque car on ne pouvait pas brûler le vide qui la composait. Il lui tendit une main franche presque amicale, paume ouverte vers le ciel. Une main blanche et non couverte de sang, les crimes finissaient toujours par être lavés. - Permettez-moi au moins de vous raccompagner jusqu’à vos appartements. Vous n’avez pas l’air d’être en état de rentrer seule, et les courtisans de la reine pourraient bien être encore dehors… Après cela, je vous fais le serment de disparaître de votre vie si c’est ce que vous voulez. La décision est vôtre. J’obéirai. Elle aurait aimé se relever seule, le regarder du haut de tout son mépris et lui tourner le dos mais il lui fallait quitter cette pièce avant le retour des hommes d’Église. Elle n'avait pas le choix et ne tenait pas à ce que d'autres personnes soient mises au courant de tout ce qui venait se passer. De toute façon... Christian de Sudermanie venait d'assister à la plus violente des crises qui l'avait jamais secouée, il l'avait vue au bord de l'abîme, marcher sur la corde raide, sa fierté n'était plus. Presque malgré elle, elle leva une main secouée de tremblements compulsifs puis elle la déposa dans la paume chaude et ferme de son interlocuteur. Elle détesta cette poigne autant que celle-ci la rassura.
Avec une douceur certaine que ressentit à peine la jeune femme, entièrement crispée, le duc l'aida à se relever et à faire quelque pas. Pendant un instant, la tête lui tourna mais elle se reprit assez rapidement surtout lorsque l'on sortit enfin de la pièce et que l'air vif de ce mois d'hiver l'atteint en plein visage. Ils marchèrent pendant de longues minutes jusqu'à l'aile réservée aux appartements dans le silence, Éléonore largement appuyée sur le Suédois, croisant juste quelques personnes qui les fixèrent non sans curiosité et qui interrompirent leurs conversations dont on entendait juste quelques bribes par ci par là « un salon de peinture se prépare » ou « pourquoi s'obstiner à interdire l'homosexualité lorsque l'on sait qu'Henri II Plantagenêt et Thibaud de Blois étaient homosexuels ? ». Éléonore se rendit compte qu'elle serait elle aussi un objet de conversation au même titre que les autres futilités, ni plus ni moins, sans plus d'importance et cela la rasséréna. Lorsqu'ils furent arrivés devant la porte de sa chambre, elle avait presque retrouvé un peu de vigueur et tenait debout sans chanceler. Dès qu'elle le put, elle se détacha de Christian de Sudermanie, non sans répulsion et s'accrocha à l'embrasure de la porte qui s'ouvrit sur une domestique inquiète. - Madame ? Madame, que s'est-il passé ? Mais Éléonore, encore incapable de répondre à des questions aussi simples, se retourna vers le Suédois qui continuait à lui faire face, les bras ballants. Avaient-ils encore des choses à se dire après ce qu'ils venaient de vivre ? Cette crise qui les avait rapprochés comme jamais mais qui allait les séparer ? Pendant de longues secondes, la Polonaise soutint le regard du Suédois avec toute la rancœur de la victime pour l'occupant puis elle se résigna à parler : - Vous auriez pu m'abandonner seule et sans défense à l’Église, commença-t-elle sans pouvoir se résoudre à le remercier car elle ne pouvait forcer ces mots à sortir de sa bouche mais elle hocha la tête en sa direction, vous savez, le destin est une chose étrange, il aime à nous voir souffrir, à nous imposer des épreuves et il n'a aucune pitié car il n'y a pas de fin. Pourtant, je plie, et ne romps pas. Jamais. Elle répéta ce dernier avec une volonté farouche, la première depuis que sa crise était passé. Ces paroles contrastaient avec son état de faiblesse mais pourtant c'était là sa seule certitude. Sa haine n'avait pas disparu, au contraire mais elle savait bien que Christian connaissait sa culpabilité et une sorte de statu-quo s'était installé. Éléonore releva le menton pour dire ses derniers mots au prince qui avait participé à la conquête de son pays, auquel son propre frère vouait une certaine estime avant qu'il n'ait contribué à la mort de sa sœur : - Maintenant, partez. Non, si vous avez une once d'honneur, disparaissez de ma vie à jamais, oubliez tout ce que vous avez vu aujourd'hui, cessez de venir me tourmenter, vous et toutes les réminiscences que vous portez avec vous. Je ne veux plus rien avoir à faire à vous ni à vos compatriotes. Elle ignorait encore à quel point elle se fourvoyait. Elle faillit faire volte face d'un coup mais au dernier mot après une légère hésitation, elle ajouta d'une voix très faible, comme celle d'une petite fille en quête de quelques paroles rassurantes : - Je voulais vous demander quelque chose... Est-ce que... Est-ce qu'il est possible d'expier ses fautes ? Finit-on par se pardonner à soi-même du sang que l'on a versé ? Éléonore battit des paupières pour chasser des larmes invisibles puis finit par se couler jusque dans ses appartements dont la porte claqua derrière elle à cause de la domestique qui jeta un regard noir à l'homme resté à l'extérieur. Elle se sentait désormais nauséeuse mais l'obscurité de sa chambre l'accueillit avec une certaine bienveillance. La douleur était de nouveau apparue dans son cœur mais elle savait désormais pourquoi : elle reprochait à Christian d'être coupable et bourreau. Mais c'était bel et bien ce qu'elle était elle- même. Ce qu'elle détestait en lui, c'était son propre reflet. La Polonaise se laissa tomber sur son lit et se recroquevilla, yeux fermés sur ce monde si cruel. A présent, il ne lui restait plus que le silence et les ombres. |
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