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 L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi]

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Gabriel N. de la Reynie


Gabriel N. de la Reynie

« s i . v e r s a i l l e s »
Côté Coeur: Son travail est son seul amour...et éventuellement son fils!
Côté Lit: Quand il a le temps et qu'il est d'humeur, une dame galante et consentante, mais jamais elle devra passer avant sa charge!
Discours royal:



Justicier en chef
La perfection au masculin

Âge : 41
Titre : seigneur de la Reynie, lieutenant général de police
Missives : 260
Date d'inscription : 26/10/2012


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MessageSujet: L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi]   L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi] Icon_minitime07.12.12 2:58

Les derniers jours avaient été plutôt éprouvants pour le lieutenant de police : il avait eu fort à faire avec cette histoire de mousquetaires qui violentaient les prostituées, dans l’effervescence des préparatifs pour la guerre, des échauffourées avaient eu lieu un peu partout dans Paris et les autorités avaient eu beaucoup de mal à calmer la virulence des émeutiers. Gabriel n’était pas surpris, les hommes avaient toujours été excités à l’idée de partir à la guerre, curieusement, l’appel du sang était plus fort que celui de la raison.

Gabriel avait donc veillé tard pendant quelques nuits et son fils s’en était beaucoup plaint :


- Père, restez avec moi ! Je voudrais tant vous chanter cette nouvelle chanson que Nourrice m’a apprise ! Venez passer une soirée avec moi et nous chanterons !

Le seigneur de la Reynie n’était pas un monstre et aimait son fils mais lorsqu’il s’octroyait une soirée sans travail, ce n’était pas pour chanter des comptines ! Si encore il était sûr de ne pas recevoir de reproche à moitié déguisé sur son absence prolongée, mais il connaissait Florent : à la première occasion, il lui rappellerait qu’ils se voyaient à peine tous deux et qu’il en souffrait. Oh il ferait subtilement – ce n’était pas son fils pour rien – mais il n’avait pas le cœur à recevoir des leçons surtout venant d’un garçon de six ans !

Autrement dit, pour se sortir de la tête la violence qu’il vivait au quotidien, ce soir, il sortirait ! Ce n’était pas les invitations qui manquaient, depuis qu’il avait été nommé lieutenant de police, on s’arrachait sa présence lors des salons, dîners ou fêtes diverses. Gabriel s’était plusieurs fois dit qu’il ferait bien d’en profiter avant qu’il ne soit plus à la mode mais il y avait tant à faire pour transformer Paris en ville sûre ! Heureusement les hôtes éconduits n’en prenaient pas ombrage et ne se décourageaient jamais de l’inviter encore et toujours jusqu’à ce qu’il accepte. Aussi le lieutenant de police n’eut qu’à soulever quelques documents officiels pour trouver quelques billets d’invitation.

Il se décida pour celui de la princesse Farnèse, il n’avait pas souvent l’occasion de fréquenter la Cour et leurs fêtes pouvaient souvent se montrer si merveilleusement décadente qu’il n’y avait de meilleure occasion pour se changer les idées. Et puis surtout, la comtesse de Langres lui en avait parlé la dernière fois qu’il l’avait croisée et l’avait assurée de sa présence. Cette vieille grosse femme était certes très intéressante mais surtout, elle serait accompagnée de sa fille. Celle-ci était une jeune veuve de vingt-neuf ans qui possédait un charme sans pareil et ne dédaignait pas la compagnie masculine sans se comporter de façon trop légère. Il lui avait semblé qu’elle lui montrait de l’intérêt et Gabriel se disait que c’était l’occasion ou jamais de vérifier si son intuition était bonne.

Gabriel envoya donc un agent chercher une tenue de circonstance chez lui afin de ne pas croiser le regard de reproche de son fils – c’était tout de même un comble que lui, l’un des hommes les plus craints de Paris, redoute de croiser un garçonnet – se prépara dans son bureau tout en relisant ses dernières notes sur l’affaire des cadavres d’enfant qu’on retrouvait constamment, passa à la taverne demander à la tenancière de lui fignoler sa mise comme l’aurait fait une épouse puis commanda un carrosse pour le conduire à Versailles jusqu’à l’hôtel Farnèse.

Gabriel n’avait eu l’occasion de contempler cet hôtel que de l’extérieur, il n’avait encore jamais été mené à la famille de la princesse. Elle-même, il ne lui avait encore jamais adressé la parole. Il était même flatté de faire partie de la liste des invités. À un moment ou l’autre dans la soirée, il devrait se débrouiller pour être présenté à la maitresse de maison afin de la remercier personnellement pour l’insigne honneur qui lui était fait. Il pourrait enfin la complimenter sur l’architecture extérieure plus que somptueuse de sa demeure. Il savait par ouï-dire que c’était dans le plus pur style italien mais il ne pouvait que croire qu’on ne lui avait pas mentit étant donné qu’il n’était encore jamais sortit de France. Lorsqu’il arriva dans la Cour puis qu’il entra dans la demeure, Gabriel comprit qu’il ne devrait pas se laisser trop aller dans ses commentaires sur l’esthétique du lieu : à part le palais de Versailles, il n’avait encore jamais rien vu d’aussi somptueux. Il cacha rapidement sa fascination pour le luxe des lieux, les – très nombreux – invités ne devaient pas se laisser aller à penser qu’il était intimidé car à l’origine, il n’était pas de leur monde.

Gabriel salua quelques invités de façon désinvolte. Il n’y avait rien à dire là-dessus : la princesse italienne savait ce que le mot « réception » voulait dire et elle tenait parfaitement son rang en en donnant une qui ne laissait aucun doute sur son appartenance à la haute noblesse. La Reynie l’aperçut au loin, parfaitement à sa place parmi la haute-noblesse de France et des environs. Il salua également quelques femmes qui ne semblaient pas désintéressées du fait de finir la nuit en sa compagnie. Il en fut flatté mais il en cherchait une en particulier.


- Monsieur de la Reynie, encore une fois je vous trouve extrêmement bien entouré ! Cela vous gênerait-il que je vous embarrasse de ma compagnie ?

Gabriel sourit, il savait à qui appartenait cette jolie voix. Il se retourna pour apercevoir Angélique de Merteuil, la fille de la comtesse de Langres, celle qu’il désirait retrouver plus que tout. La soirée qui avait bien démarrée, serait désormais parfaite.

- S’il y a bien quelque chose qui ne m’embarrasse jamais, c’est votre compagnie, madame la comtesse. Ce serait au contraire pour moi un honneur d’en bénéficier ce soir !
- C’est que, monsieur, je risquerai de vous accaparez et vos admirateurs m’en voudraient pour ce geste.
- Eh bien madame, prenons donc le risque que vous m’accapariez !


Ils se jetèrent un dernier coup d’œil afin de dissiper les derniers doutes : ils étaient sur la même longueur d’onde. La jeune femme n’était pas la plus belle femme présente ici, mais elle était de loin la plus charmante : elle avait fait de ses quelques disgrâces un atout de séduction. Elle avait aussi assez d’esprit pour qu’on puisse lui faire la conversation avant et après l’amour et malgré le fait qu’elle ne soit pas farouche, elle ne collectionnait pas non plus les conquêtes. Juste ce qu’il fallait pour qu’un homme se sente flatté d’en faire partie. Oh elle n’était pas fort connue à la Cour car elle détestait se faire remarquer de qui elle n’avait pas remarqué. Gabriel savait donc qu’il avait réussit son pari : ce soir il ne penserait pas aux meurtres ni à sa charge ni à la culpabilité qu’il éprouvait envers son fils.

- Eh bien Angélique, vous ne me présentez pas ?

La jeune femme eut soudain l’air ennuyé. Une jeune femme, charmante et souriante, s’installa soudain entre eux.

- Monsieur de la Reynie, voici mon amie Claude de la Baume-Suze, comtesse de Suze-la-Rousse. Claude, dois-je vraiment vous présenter notre glorieux lieutenant de police, monsieur de la Reynie ?
- Enchanté, madame,
s’inclina poliment Gabriel.

Son amie comprit soudain qu’elle venait d’interrompre un moment de séduction et en rougit.

- Angélique, je vous en prie, ne m’abandonnez pas ce soir, je ne connais personne ! Pourtant, reprit-elle rougissante, je ne voudrais pas vous importuner.
- Vous ne nous importunez pas madame,
mentit Gabriel car il ne pouvait décemment pas laisser une dame esseulée dans une réception mondaine.

Pourtant il était contrarié, surtout que, bien qu’elle paraisse sincère dans son amitié pour madame de Merteuil, la nouvelle venue n’avait pu s’empêcher de le détailler de la tête aux pieds.

- Claude, je vais vous présenter à quelques amis, je vous promets de ne pas vous laisser seule ! Monsieur, cela vous dérange-t-il si je consacre un tout petit peu du temps qui vous est impartit à mon amie ?
- Nullement madame, mentit encore une fois Gabriel.
- Dois-je dire à ma mère de ne pas m’attendre pour rentrer, demanda-t-elle encore mais cette fois, tout bas à l’oreille de Gabriel.
- Oui, vous devriez, lui répondit-il sur le même ton.

Il regarda les deux femmes s’éloigner avec un certain pincement au cœur. Diable, cette jeune comtesse veuve lui plaisait décidément beaucoup. Il en était là dans ses pensées, ce qui fait qu’il n’avait pas remarqué que quelqu’un avait observer toute la scène de loin et en semblait pour le moins contrarié.
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MessageSujet: Re: L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi]   L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi] Icon_minitime08.02.13 17:56

Maximilien était ce qu’on pouvait sans crainte de se tromper un homme du monde. Formé depuis sa plus tendre enfance à toutes les bizarreries et délicatesses de la vie mondaine, il avait suffisamment voyagé et fréquenté les différentes cours d’Europe pour pouvoir se targuer d’en connaître tous les us et coutumes et pouvoir s’adapter à chacune d’elles avec la facilité d’un caméléon, si bien que s’il n’y avait eu son accent, on aurait pu le croire natif de chacun des pays dans lesquels il se rendait. Diplomate, enjoué, cultivé, doté d’un solide sens de l’humour et de l’autodérision, et suffisamment discret pour être vu sans avoir l’air de se mettre sur le devant de la scène, c’était le convive rêvé, le courtisan parfait dont ses hôtes pouvaient être fiers de le recevoir. Il distrayait, savait mener une conversation comme personne, et ne semblait devoir mal s’entendre avec personne. Avec lui au moins, l’on était sûr de n’avoir aucune mauvaise surprise, puisqu’avec sa bonhomie et son sourire espiègle il ne semblait capable d’avoir aucun ennemi ; et il n’était si assez coureur de jupons ni même assez beau garçon pour susciter la jalousie de ses homologues masculins craignant pour leurs propres conquêtes. Jeune, distingué, sans histoire. En d’autres termes, Maximilien pouvait être fier d’être le parfait gentilhomme de son temps, ni exagérément chevaleresque, ni rebelle. Ce qui le distinguait des autres et le rendait si populaire était peut-être justement toute la bonne volonté qu’il mettait à se couler dans ce moule et le brio avec lequel il tenait son rôle.

Du moins était-ce là la théorie dans laquelle Igor avait décidé de se lancer alors qu’il habillait son maître pour la énième soirée du mois, cette fois-ci chez la princesse Farnèse. Maximilien s’était étonné d’être invité chez une princesse de son rang qu’il ne connaissait point encore sinon de vue, mais Igor avait eu l’air de trouver ça normal compte tenu de la position sociale de Maximilien lui-même ainsi que toutes les raisons exposées ci-dessus, que le duc de Leuchtenberg avait écoutées sans l’interrompre –sachant que c’était inutile- avec un sourire amusé au coin des lèvres. Igor avait tendance à s’emballer sur les qualités de son employeur aussi bien que pour grossir ses défauts, habitude qui avait au moins le mérite de permettre à Maximilien de s’attacher la complète fidélité de son valet aussi bien que de connaître ses propres défauts et essayer de les corriger, tout en sachant qu’ils n’étaient en général pas aussi terribles que ce qu’il voulait bien dire. En somme, en plus d’être un serviteur fidèle et efficace, Igor était une sorte de miroir bien utile à un homme du monde en permanence soumis au regard des autres.

« Tu diras à ma sœur que je suis sorti, Igor, et que je ne dînerai pas ici ce soir. Je rentrerai certainement tard, donc si à minuit je ne suis pas encore là va te coucher. Je saurai me débrouiller tout seul. »
« Bien monseigneur. » répondit le cosaque en brossant une dernière fois le pourpoint de Maximilien. Un dernier coup d’œil dans le miroir lui assura qu’il avait l’air présentable, et il quitta sa chambre pour gagner la voiture où l’attendait le cocher.
« A l’hôtel Farnèse, mon ami. En route ! » s’exclama-t-il gaiement en donnant une tape contre la paroi une fois qu’il fut à l’intérieur. L’équipage se mit en branle, et ils laissèrent l’hôtel Wittelsbach derrière eux pour les prochaines heures…

L’hôtel Farnèse était d’une magnificence stupéfiante, ainsi que le constata Maximilien en embrassant l’imposant bâtiment du regard. Il songea à Aliénor et se dit qu’elle apprécierait certainement l’architecture des lieux et peut-être même aurait une ou deux choses à lui apprendre à ce sujet –après tout c’était elle qui avait choisi l’hôtel dans lequel ils logeaient désormais, il était prêt à parier qu’elle en savait bien plus que lui dans ce domaine. Une fois son examen terminé, il entra et dut accueilli par un valet de pied qui le débarrassa de sa cape et le guida jusqu’à la salle de réception, non moins magnifique que le reste de la masure. Une fois annoncé et introduit, Maximilien fut aussitôt abordé par des connaissances de Versailles elles aussi de la partie, qu’il salua avec plaisir avant d’entamer la conversation sur le sujet qui était désormais sur toutes les lèvres : la guerre. Maximilien en particulier revêtait un intérêt particulier pour le reste de la cour de France, car il était autrichien et appartenait donc à ‘l’autre camp’. Et de fait, ainsi qu’il l’avait annoncé à Aliénor quelques jours plus tôt, Léopold Ier l’avait rappelé à la cour de Vienne d’abord afin d’y recevoir ses instructions, puis l’enverrait à Nancy où il ferait partie de l’état-major du Saint-Empire. Une tâche qui ne plaisait guère au jeune homme qui n’avait jamais eu beaucoup de goût pour la guerre bien qu’il aimât l’exercice des armes. Se battre en duel amical –ou non- était une chose, mais commander à des régiments entiers d’hommes armés en était une autre. La guerre était chose nécessaire pour tout pays ; mais s’il pouvait n’y prendre qu’une petite part ou bien une part diplomatique, il ne s’en porterait que mieux. Heureusement, Léopold avait l’air d’avoir d’autres plans en tête pour lui. D’autant plus qu’il fallait aussi compter avec Madame, dont il était récemment devenu chevalier d’honneur et qui aurait certainement quelques tâches à lui confier pendant ses voyages. L’année à venir s’annonçait chargée pour le jeune duc… Qui n’en montra rien à ses interlocuteurs, laissant plutôt entendre qu’il se rendait simplement à Nancy pour diriger ses hommes, rien de plus. L’art d’être mondain c’était aussi de savoir taire les informations délicates sans en avoir l’air.

Il y eut pourtant un bref moment durant lequel le parfait mondain se trouva déstabilisé. Un moment auquel l’on pourrait même donner un nom, nom qu’il avait appris à force de croiser sa jeune propriétaire à la cour : Claude, comtesse de Suze-la-Rousse. Il s’agissait d’une jeune fille d’une vingtaine d’années à peine, arrivée à la cour il y avait peu, timide et rougissant pour un rien, mais dont le charme touchant avait éveillé l’intérêt de Maximilien. Il n’avait aucun mal à reconnaître la beauté d’une femme quand il en voyait une, mais se laissait plus facilement atteindre par les femmes qui lui ressemblaient : discrètes, pas nécessairement de grande beauté, mais avec ce qu’on pouvait appeler une figure d’esprit. Bien sûr tout règle avait ses exceptions –Haydée, par exemple, était loin de ressembler à ce portrait avec son excentricité marquée- mais celle-ci avait toujours été prouvée. En la voyant là ce soir-là, il se dit que c’était enfin l’occasion rêvée pour échanger autre chose que leurs salutations habituelles et peut-être nouer une conversation plus amicale, mais Maximilien avait deux problèmes de taille. D’abord, s’il était excellent diplomate et un ami rare, il n’avait jamais été particulièrement été doué avec les femmes, souffrant qu’un chronique manque de confiance en lui sur ce chapitre –elles avaient la fâcheuse tendance de toujours lui préférer ses amis. Ensuite, alors qu’il était en train de justement rassembler son courage pour trouver quoi dire et se rassurer en songeant qu’il n’avait d’ami pour lui faire concurrence ce soir, il l’aperçut se diriger vers un homme et une femme et leur adresser la parole, visiblement connaissant la jeune femme –Angélique de Merteuil l’identifia-t-il aussitôt pour l’avoir souvent vue avec la comtesse comme des siamoises inséparables. Et aussitôt après, il la surprit en train détailler son compagnon avec dans le regard une lueur qui n’aurait même pas trompé un aveugle. Verdammt. Souffla-t-il, résigné. La partie n’avait donc même pas commencé qu’il avait déjà perdu. Classique. Levant les yeux au ciel, il se détourna de la scène dont il avait été le témoin et attrapa une coupe de champagne en s’éloignant, la mine renfrognée. Il alla rejoindre un autre groupe de personne, incluant la princesse Farnèse à laquelle il présenta ses plus respectueux hommages et la remercia chaleureusement pour son invitation, lui assurant qu’il passait là une soirée des plus excellentes.

« Vous m’en voyez enchantée, mon cher duc. Nous n’avons guère eu le temps de faire connaissance à la cour, mais peut-être aurons-nous là l’occasion de rattraper cet impardonnable retard. » sourit Sofia di Parma.
« Et si vous êtes trop accaparée ce soir, princesse, je ne manquerai pas de venir vous présenter mes hommages la prochaine fois que je vous apercevrai à Versailles. » compléta Maximilien alors que justement d’autres convives arrivaient pour saluer la princesse.
« Je crois que le devoir m’appelle hélas, mais avant de vous abandonner permettez-moi de vous souhaiter encore une bonne soirée. Cela me fait penser : vous qui êtes un diplomate et vous intéressez aux affaires des pays que vous visitez, vous devriez aller faire la connaissance de notre lieutenant de police ! Monsieur de la Reynie aura sans doute mille histoires de crimes et mystères passionnantes à vous raconter ! »

Maximilien l’assura qu’il ne manquerait pas l’occasion. Il avait déjà aperçu le lieutenant de police plusieurs fois à Versailles et ne manquerait pas de le reconnaître quand il le verrait… Il embrassa donc la foule du regard pour tenter de l’apercevoir –il était vrai qu’il avait voulu faire sa connaissance depuis un certain temps déjà, l’homme avait l’air des plus intéressants- et ne put s’empêcher de paraître surpris en reconnaissant la silhouette d’un homme qu’il n’avait vu que de dos jusque-là : l’homme que la comtesse de Suze-Rousse dévorait des yeux une minute plus tôt. D’ailleurs les deux jeunes femmes s’étaient éloignées, et le lieutenant enfin identifié était resté seul. Maximilien hésita une demi-seconde, puis décidant que de toute façon c’était raté pour sa part, autant faire contre mauvaise fortune bon cœur. C’est donc avec un sourire purement diplomatique mais non sans une lueur d’intérêt dans le regard qu’il se dirigea vers le désormais solitaire lieutenant de police. Ne serait-ce que pour voir de quelle matière il pouvait bien être fait pour faire ainsi se retourner la moitié des femmes présentes, comme il l’observa bien rapidement. Et c’est avec l’air le plus aimable du monde qu’il l’aborda en arrivant à sa hauteur :

« Eh bien monsieur le lieutenant de police, où donc est passée la charmante compagnie en laquelle vous vous trouviez il y a une seconde encore ? Je vous envie votre succès mais me désole de vous voir errer maintenant en solitaire ; aussi permettez-moi de vous tenir compagnie le temps que ces dames ne reviennent. Je me présente, Maximilien de Wittelsbach, duc de Leuchtenberg à votre service. »

Il s’inclina comme tout gentilhomme le faisait en face d’un autre gentilhomme dont il reconnaissait la valeur et les mérites, puis poursuivit :

« J’espère que vous me pardonnerez de vous avoir abordé de manière si cavalière. Mais j’ai entendu dire grand bien de vous depuis mon arrivée à Versailles, et j’eusse été chagriné de devoir partir pour la Lorraine sans avoir eu l’honneur de faire votre connaissance. »

A quoi bon cacher qu’il était dans le camp ennemi ? Son accent germanique l’aurait trahi de toute façon, malgré sa maîtrise parfaite du français. Et il ne comptait pas parler de politique de toute manière, donner l’impression au lieutenant de police qu’il cherchait à collecter des informations serait l’idée la plus stupide de la soirée. Avec celle de tomber sous le charme d’une femme qui en pinçait visiblement pour une autre, bien sûr. Il ne s’en étonnait plus guère d’ailleurs : la Reynie avait beau être un peu plus petit que lui, il était nettement mieux bâti que lui, le gringalet, respirait l’assurance tranquille des hommes qui savent qu’ils ont du charisme sans non plus enfler de vanité, et dégageait à la fois intelligence et force de caractère, deux qualités certainement qui rassuraient les femmes quand elles étaient associées à un corps athlétique comme il paraissait en être doté, sans compter un beau visage et un regard pénétrant. En un mot comme en cent, Gabriel de la Reynie était un bel homme, le savait, et les femmes aussi.

« A vrai dire en ce moment je suis plus intrigué par vos talents de diplomate, et je me demande, quand mesdames de Merteuil et de la Suze-Rousse reviendront, comment vous ferez pour poursuivre votre agréable conversation avec l’une sans briser le cœur de l’autre. Mademoiselle de la Baume-Suze ne mérite pas pareil traitement. » déplora-t-il sur un ton léger qui venait compenser son intrusion dans des affaires qui ne le regardaient pas. A moins bien sûr qu’elles ne le regardent, comme la Reynie risquait bien de le comprendre si Maximilien n’était pas si imprudent dans son désappointement…
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Gabriel N. de la Reynie


Gabriel N. de la Reynie

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MessageSujet: Re: L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi]   L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi] Icon_minitime24.02.13 17:45

Tandis que la réception battait son plein, Gabriel attendait patiemment que les dames aient fini de glousser dans leur coin en échangeant quelques propos. Il prit une coupe à un valet et salua quelques courtisans poliment mais ce soir, il n’était concentré que sur la dame qui lui promettait de passer une agréable nuit et il ne parvenait à s’en détacher. Gabriel n’était pas un homme à femmes, qui avait ce besoin compulsif de séduire une femme différente tous les soirs. Il avait connu quelques demoiselles avant son mariage, avait été un époux modèle mais depuis son veuvage, ces rencontres galantes étaient l’un des rares plaisirs qu’il s’autorisait en-dehors de son travail. Et il était fier de n’avoir jamais eu le moindre problème pour trouver des conquêtes intéressantes. Certes, il n’était plus de première jeunesse et il était un peu petit pour un homme, sans compter que sa manie de cacher ses sentiments pouvait le faire passer pour un homme froid. Mais malgré cela, son charme était resté intact et le fait de, sans en avoir l’air, faire toujours attention à sa personne, lui valait l’attention de certaines dames. Il n’en était fier que lorsqu’il se trouvait en compagnie de l’un de ses meilleurs amis, le duc de Richmond, plus jeune et plus beau que lui, et de voir qu’il avait autant de succès que son ami.

Il eut un pincement au cœur, songeant que son ami partirait bientôt à la guerre, dans le camp ennemi. Il resterait ici pour assurer la sécurité dans Paris en l’absence des hommes mais cela l’arrangeait de ne pas avoir à prendre le risque de combattre son ami ainsi que le dernier membre du trio, le duc de Sudermanie. Gabriel songea un instant à quitter la fête pour se rendre auprès de ses deux compères mais cela n’aurait pas été respectueux envers madame de Merteuil. Pourvu que son envahissante amie les laisse rapidement tranquille tous les deux !


- Eh bien monsieur le lieutenant de police, où donc est passée la charmante compagnie en laquelle vous vous trouviez il y a une seconde encore ?

Gabriel sortit brusquement de sa rêverie. Il se trouvait en face d’un homme qui venait d’un haut-lignage. L’inconnu était plutôt mince, possédait un sourire sincère, un regard intelligent ainsi qu’un accent germanique. Se pouvait-il qu’il soit obligé de partir bientôt pour la Lorraine ? Néanmoins, Gabriel retrouva tout de suite ses bonnes manières, comme s’il n’avait jamais été concentré sur autre chose que sur la soirée.

- Il est vrai que je fus gâté en ce début de soirée mais ces dames ont éprouvé le besoin de se repoudrer le nez.
- Je vous envie votre succès,
reprit l’inconnu, mais me désole de vous voir errer maintenant en solitaire ; aussi permettez-moi de vous tenir compagnie le temps que ces dames ne reviennent.
- J’en serai honoré, cher monsieur.
- Je me présente, Maximilien de Wittelsbach, duc de Leuchtenberg à votre service.
- Enchanté, monsieur le duc. Vous semblez savoir qui je suis mais je ne manquerai pas à mon devoir pour autant : je me nomme Gabriel Nicolas, seigneur de la Reynie. Et comme vous n’avez pas manqué de le savoir, je suis également lieutenant de police.


Les deux hommes se saluèrent respectueusement. Malgré le fait qu’il eut préféré se retrouver en compagnie de la dame qu’il espérait bien conquérir ce soir, il appréciait toujours autant l’art de la conversation et il aurait été dommage de manquer l’occasion d’échanger quelques propos avec un homme intéressant.

- J’espère que vous me pardonnerez de vous avoir abordé de manière si cavalière. Mais j’ai entendu dire grand bien de vous depuis mon arrivée à Versailles, et j’eusse été chagriné de devoir partir pour la Lorraine sans avoir eu l’honneur de faire votre connaissance.
- Vous êtes tout pardonné, monsieur le duc. Je suis également honoré de vous rencontrer, j’avais entendu parler de vous, en bien également.


C’était lors des soirées de travail organisées avec Colbert qu’il avait entendu parler du jeune duc. Il était reconnu comme excellent diplomate en Europe. On disait qu’il avait beaucoup voyagé, sûr qu’il avait beaucoup de choses à raconter.

- Quant à moi, monsieur, je suis chagriné de vous savoir dans l’autre camp : un diplomate de votre acabit nous aurait été bien utile en ces temps troublés. Toute personne à Paris le sait : depuis que je l’ai faite, je n’aime pas la guerre ! Et les hommes occupant votre fonction ont tout mon respect car c’est par eux que vient la paix.
- A vrai dire en ce moment je suis plus intrigué par vos talents de diplomate, et je me demande, quand mesdames de Merteuil et de la Suze-Rousse reviendront, comment vous ferez pour poursuivre votre agréable conversation avec l’une sans briser le cœur de l’autre. Mademoiselle de la Baume-Suze ne mérite pas pareil traitement.


Gabriel se sentit légèrement déçu. Lorsqu’il rencontrait un homme de cette trempe, il espérait entamer une conversation enflammée sur la politique, ce n’était pas avec lui qu’il désirait parler des femmes. Il avait déjà du mal à se confier à ses meilleurs amis sur ses conquêtes amoureuses, alors avec un parfait inconnu, cela lui sembla un peu prématuré. En réalité, en une seconde, il avait vu la soirée parfaite se dessiner sous ses yeux : une conversation passionnante avec un homme illustre et une nuit passionnée avec une femme des plus séduisantes. Oui, le lieutenant de police se sentit un peu frustré. Toutefois, la dernière remarque du duc le fit tiquer : lui qui croyait que c’était son avis sur des choses importante que le diplomate venait chercher en l’abordant, il tombait de haut. En réalité, il s’agissait d’une simple histoire de jalousie ! Et ce, pour une femme qui ne l’intéressait même pas ! S’il avait pour habitude de laisser éclater ses sentiments, Gabriel en aurait éclaté de rire. Mais il garda son air impassible.

- Avec tout le respect que j’éprouve pour cette demoiselle, monsieur le duc, je puis vous assurer qu’elle en a vu d’autres !

Gabriel prit un moment pour observer le jeune duc plus attentivement. Il était plutôt maigre, c’est vrai, mais il se tenait bien, souriait souvent, avait un regard qui ne laissait aucun doute sur sa grande intelligence et sur sa bienveillance naturelle. On pouvait également observer au fond de sa prunelle, un air d’homme qui est resté un grand enfant, air dont les femmes étaient assez souvent friandes. En quelques secondes, Gabriel vit la solution à son problème : il enverrait la jeune demoiselle avec le duc tandis qu’il s’éclipserait discrètement avec la belle veuve. Ce n’était pas la soirée parfaite qu’il s’était imaginé, mais au moins, tout s’arrangeait.

- Allons, vous me faites trop d’honneur, s’il est vrai que l’une de ces deux dames occupe mes pensées ce soir – et que, par chance, elle me laisse penser que j’occupe une certaine place dans les siennes – il serait prétentieux de ma part de penser qu’une femme pourrait avoir le cœur brisé à cause de moi. Vous savez, je ne suis ni beau parleur, ni vain séducteur, mais je dois vous faire une confidence :

Le Haut pouvoir des Astres a permis –
Quand je naquis – d’être heureux et servit ;
Dont, connaissant celle qui m’est promise,
Resté suis sans sentiment de vie,
Fors sentir le mal, qui me convie
A regraver ma dure impression
D’amour cruelle et douce passion,
Où s’apparut cette divinité
Qui me cause l’imagination
A contempler si haute qualité.


Observant des mots de dame Pernette du Guillet sur son interlocuteur, le lieutenant de police reprit :

- Depuis la mort de ma néanmoins honorable épouse, quelques dames ont la courtoisie de me détourner de mon chagrin mais, je ne sais si l’on pourrait parler d’affaire de cœur.

Gabriel avait décidé de jouer la carte de l’honnêteté sur ses intentions envers madame de Merteuil : il avait en face de lui un homme jaloux qui avait été, malgré lui, assez franc sur ses intentions envers mademoiselle de la Baume-Suze. Étant donné qu’il était d’un rang plus élevé que le sien, Gabriel avait le devoir de rétablir l’équilibre en étant tout aussi droit dans ses propos. Néanmoins, il ne mentait pas non plus sur les sentiments véritables de la demoiselle : il lui avait semblé qu’elle ne s’intéressât à lui que pour posséder le même joujou que son amie. Il n’y avait aucune volonté de séduire dans ses intentions, juste celle d’en finir avec les complexes qu’elle nourrissait à l’égard de sa compagne. La convaincre qu’il y avait plus palpitant à conquérir lors de cette soirée serait un véritable jeu d’enfant.

- Mais si vous voulez être parfaitement rassuré sur la chose, faites-moi le plaisir de rester en ma compagnie jusqu’au retour de ces dames. Ainsi vous pourrez juger par vous-même. Sans compter que si, par malheur, je me trompais, mademoiselle de la Baume-Suze apprécierait d’autant plus votre sollicitude.
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A peine Maximilien avait-il lancé le sujet de conversation qu’il le regretta. Non seulement parce qu’il culpabilisait de s’être allé ainsi à la petite flamme de rancœur qui s’était brièvement allumée dans son cœur –pour s’éteindre presque aussitôt, il n’était pas assez attaché à mademoiselle de la Baume-Suze pour le rendre rancunier- mais parce qu’il se rendait compte quelle image ridicule il donnait de lui. Il avait l’occasion de discuter avec le lieutenant de Police de Paris, certainement l’un des hommes les plus intéressants qui lui avait été donné de rencontrer à Versailles, et il l’abordait en lui parlant d’un sujet aussi léger que les femmes. L’espace d’un court instant, aussi duc soit-il, Maximilien eut fortement envie de s’enterrer six pieds sous terre. Ou de déguerpir en inventant une excuse bancale, mais l’une comme l’autre solution n’auraient fait qu’aggraver son cas. Il n’avait plus qu’à continuer sur sa lancée en se maudissant pour son idiotie. En réalité la situation n’avait rien de dramatique, il n’était ni le premier et certainement pas le dernier à discuter des femmes présentes à la soirée avec un autre convive –puisque les femmes, avec la guerre, étaient le sujet de conversation préféré des hommes- mais il savait qu’il pouvait faire bien mieux que ça. Heureusement qu’Aliénor n’était pas là, elle aurait eu de quoi se moquer de lui. Quand elle lui demanderait comment s’était passée cette soirée, il prendrait bien soin d’occulter cette partie-là de la fête.

Maximilien se rassura en se disant qu’il pourrait toujours faire dévier la conversation sur un autre sujet quand le moment lui semblerait opportun ; après tout, il était diplomate, éviter les sujets non-désirés faisait partie du métier. Le lieutenant de police devait forcément être un homme intelligent, mais avec un peu de chance la manœuvre passerait inaperçue… Qu’au moins l’art de la diplomatie serve à autre chose qu’à provoquer des guerres ou les résoudre ! Attrapant une coupe de champagne sur le plateau d’un serveur qui s’était présenté devant eux, il releva les yeux sur son interlocuteur, le scrutant pour essayer de détecter si son intervention s’était révélée inopportune ou s’il avait une chance de s’en tirer sans trop de casse. Dieu merci, c’était la deuxième hypothèse qui semblait prévaloir, même si un officier de sa trempe et de sa fonction devait certainement être aussi bon menteur que lui. Mais au moins, les apparences seraient sauves et il serait toujours temps de se rattraper plus tard. N’est-ce pas ?

- Avec tout le respect que j’éprouve pour cette demoiselle, monsieur le duc, je puis vous assurer qu’elle en a vu d’autres ! répondit la Reynie sans que Maximilien ne puisse exactement discerner le fond de sa pensée. Bien, au moins ne lui reprochait-il pas son indiscrétion, ce qui aurait été justifié, il pouvait encore sauver les meubles. Imperceptiblement soulagé, Maximilien but une gorgée de son verre en balayant la salle du regard, comme à la recherche du déclic qui lui fournirait avec exactitude leur prochain sujet de discussion qui ne lui ferait pas sembler sauter du coq à l’âne. Mais malheureusement pour le jeune homme, La Reynie le prit de court.
- Allons, vous me faites trop d’honneur, s’il est vrai que l’une de ces deux dames occupe mes pensées ce soir – et que, par chance, elle me laisse penser que j’occupe une certaine place dans les siennes – il serait prétentieux de ma part de penser qu’une femme pourrait avoir le cœur brisé à cause de moi. Vous savez, je ne suis ni beau parleur, ni vain séducteur, mais je dois vous faire une confidence…

Et sur ces mots, de déclamer un poème que Maximilien n’avait jamais entendu auparavant –il nota qu’il allait devoir approfondir ses connaissances de la littérature française, la poésie que ces français étaient capable de produire était tout à fait remarquable- alors que le duc méditait sur les paroles de son interlocuteur. S’il lisait entre les lignes, ce n’était donc pas mademoiselle de la Baume-Suze qui l’intéressait, mais sa compagne peut-être ? Notant ce détail dans un coin de sa tête, Maximilien se concentra sur la fin du poème pour être certain d’en saisir toutes les nuances, et commenta avec un bref hochement de tête :

« Poème fort élégant. Vous avez une belle élocution monsieur, c’est un grand talent pour les gens de notre métier. Et je ne connais point de poème plus difficile à déclamer que ceux qui parlent d’amour. »
- Depuis la mort de ma néanmoins honorable épouse, quelques dames ont la courtoisie de me détourner de mon chagrin mais, je ne sais si l’on pourrait parler d’affaire de cœur.
« Beim Himmel ! Toutes mes condoléances, monsieur. Et je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses si je me suis montré indélicat ou ait ravivé de tristes souvenirs. » s’excusa Maximilien alors que son sourire de circonstance s’effaçait de son visage. Il n’avait jamais été marié encore –au grand désespoir de son frère d’ailleurs- mais connaissait le chagrin de perdre un être cher. N’avait-il pas vu partir son père alors qu’il n’était qu’un enfant, puis son ami le plus proche il y n’y avait que deux ans à peine ? Il se souvenait de ce jour et des funérailles comme si c’était hier, dans le moindre détail, si bien qu’un léger frisson parcourut son échine et qu’il craignit un bref instant qu’une hallucination allait le prendre au dépourvu. Par réflexe il jeta un regard alerte autour d’eux, mais fut rapidement rassuré. Il ne voyait rien et se sentait tout à fait normal. Fausse alerte, songea-t-il soulagé en se recomposant une attitude normale et se tournant vers son interlocuteur qui reprenait :

- Mais si vous voulez être parfaitement rassuré sur la chose, -Maximilien se sentit rougir, bien que légèrement. Percé à jour. - … faites-moi le plaisir de rester en ma compagnie jusqu’au retour de ces dames. Ainsi vous pourrez juger par vous-même. Sans compter que si, par malheur, je me trompais, mademoiselle de la Baume-Suze apprécierait d’autant plus votre sollicitude.

Essayant avec plus ou moins de succès de masquer sa gêne, Maximilien jeta un regard bref aux deux femmes qui avaient été accostées par un groupe d’autres jeunes filles, lui laissant un peu de répit. Finalement, il n’aurait rien contre l’idée de ne pas se retrouver face à elles. Quel imbécile il avait été ! Conservant soigneusement ses réflexions pour lui, Maximilien se tourna de nouveau vers La Reynie et, ayant retrouvé la maîtrise de ses moyens, déclara :

« Qu’il en soit ainsi monsieur, mais je m’en voudrais de vous laisser croire qu’une dame soit le seul motif qui m’ait poussé à venir vous demander l’honneur d’un entretien. Votre réputation à Versailles n’est plus à faire, et quand j’ai appris que vous étiez présent j’ai immédiatement souhaité faire votre connaissance. Ce n'est qu’après, quand la princesse Farnèse m’a montré qui vous étiez, que j’ai réalisé que vous étiez aussi l’homme que j’avais vu discuté avec ces dames… Mais si le réputé lieutenant de police et cet homme avaient été deux personnes différentes, soyez sûr que j’aurais opté pour un entretien avec le policier. »

Dieu merci, Maximilien était diplomate mais disposait d’une qualité qu’un certain nombre de ses confrères ne possédaient pas : l’honnêteté. Et un visage assez expressif pour bien vouloir la traduire quand il parlait avec sincérité. Il savait être un bon menteur, certainement, mais contrairement à des hommes d’Etat comme le célèbre Richelieu, préférait faire usage du mensonge le moins possible, qu’il s’agisse des affaires internationales ou privées. Si pour certains la diplomatie était l’art du mensonge, Maximilien préférait l’envisager comme l’art de dire la vérité et la faire accepter avec le plus de tact possible ; une approche qui lui avait valu maint succès et certainement évité beaucoup d’ennuis. Curieusement, les gens avaient l’art d’apprécier autant la sincérité bien formulée que le mensonge trompeur, selon les circonstances. Et il avait appris aussi que sourire était un atout considérable dans cet art de la sincérité qu’il avait si bien appris à manier.

« J’espère pouvoir vous être d’une compagnie agréable en attendant le retour de ces dames, afin de me faire pardonner mon attitude quelque peu cavalière. Je dois confesser que ce système de police que vous avez développé, à la force de vos seuls bras si j’ai bien compris ce qui m’a été dit, est tout à fait fascinant : celui que nous avons en Bavière n’est pas moitié aussi bien développé, surtout depuis la guerre qui a causé des dégâts considérables… »

Celle de Vienne était différente bien sûr, mais Maximilien n’en oubliait pas sa famille plus proche et savait que Ferdinand-Marie avait notamment ce problème à régler, avec la guerre à laquelle il s’était déjà rendu, la reconstruction entreprise par leur père des années plus tôt et pas encore terminée, les mariages qu’il cherchait à leur imposer, à Aliénor et lui… Autant se faire pardonner de ne pas lui faciliter la tâche en lui mâchant le travail ailleurs, l’air de rien. Avec un peu de chance ça lui ferait momentanément sortir ses sottes idées de fiançailles de la tête.

« Un lointain aïeul, un certain Clodulf, avait commencé à prendre des dispositions dans ce sens mais une guerre –une autre !- l’a empêché de terminer les mesures entreprises, et personne n’a songé à y réfléchir depuis… Mais il est bon de voir qu’il y a ailleurs en Europe des gens de votre trempe qui songent à assurer la sécurité intérieur de leur Royaume. L’on pense souvent aux guerres à nos frontières, mais rarement à celles qui font rage à l’intérieur… » remarqua-t-il avec un sourire teinté d’une légère ironie. Lui-même avait à peu près réussi à ramener l’ordre au sein du Leuchtenberg depuis quelques années, mais la perspective de la guerre échauffait de nouveau les sangs, et ce n’était certainement pas son frère qui allait songer à lui consacrer un peu d’aide !

Et pendant ce temps, Maximilien en oubliait peu à peu les deux dames... Erreur.
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Gabriel N. de la Reynie


Gabriel N. de la Reynie

« s i . v e r s a i l l e s »
Côté Coeur: Son travail est son seul amour...et éventuellement son fils!
Côté Lit: Quand il a le temps et qu'il est d'humeur, une dame galante et consentante, mais jamais elle devra passer avant sa charge!
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MessageSujet: Re: L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi]   L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi] Icon_minitime03.07.13 18:59

Tandis qu’il poursuivait sa conversation avec le jeune duc, Gabriel ne put s’empêcher de lancer quelques regards accusateurs à son verre comme si son contenu avait été le seul responsable de son attitude un peu indélicate envers monsieur de Wittelsbach. Il le savait, c’était là l’un de ses pires défauts : diplomate amateur à ses heures perdues, sondeur de conscience, grand défenseur de la justice, il pouvait se montrer un véritable rustre par moment, entamant une conversation en se fichant éperdument de mettre ses interlocuteurs mal à l’aise. Il avait pourtant l’air sympathique mais Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.
Et le pauvre jeune homme en face de lui venait d’en faire les frais. Gabriel regrettait un peu – très peu néanmoins, il n’était pas rongé par les remords non plus - son attitude mais le mal étant fait, autant tâcher de rattraper les choses l’air de rien afin d’avoir encore droit à son débat tant rêvé ! Il avait l’habitude de percer les gens à jour et de le leur faire savoir parce qu’en tant qu’homme intelligent, il ne supportait pas qu’on le prenne pour un imbécile mais ce soir, il n’était pas là pour ça. Mais bon, déformation professionnelle : il n’avait pas caché au duc qu’il avait percé ses intentions à jour – en même temps, ce n’était pas bien compliqué à comprendre – et lui avait fait des remarques assez appuyées en ce sens. Non, vraiment ce n’était pas très délicat.


- Qu’il en soit ainsi monsieur, mais je m’en voudrais de vous laisser croire qu’une dame soit le seul motif qui m’ait poussé à venir vous demander l’honneur d’un entretien. Votre réputation à Versailles n’est plus à faire, et quand j’ai appris que vous étiez présent j’ai immédiatement souhaité faire votre connaissance. Ce n'est qu’après, quand la princesse Farnèse m’a montré qui vous étiez, que j’ai réalisé que vous étiez aussi l’homme que j’avais vu discuté avec ces dames… Mais si le réputé lieutenant de police et cet homme avaient été deux personnes différentes, soyez sûr que j’aurais opté pour un entretien avec le policier.
- Je suis flatté de votre intérêt et espère ne plus vous décevoir maintenant, répondit Gabriel avec un sourire qui se voulait bienveillant. Et sachez que j’ai également entendu parler de vous, en bien tout naturellement ! Vos talents de diplomate ne sont plus à démontrer !

Gabriel avait beaucoup de défauts, mais il n’était pas hypocrite. Ses paroles étaient parfaitement sincères : il était heureux de rencontrer le fameux jeune diplomate germanique qui avait tant alimenté ses conversations avec Colbert et de voir que son ami n’avait en rien exagéré quand il décrivait les différents talents du jeune homme. Certes, il semblait manquer d’assurance avec les femmes mais ça ne l’empêchait visiblement pas d’être l’un des hommes les plus brillants de sa génération. Après avoir passer une bonne partie de sa journée à palier l’incompétence et la sottise du commissaire Brunet, parler à un grand esprit faisait plaisir à Gabriel.

- J’espère pouvoir vous être d’une compagnie agréable en attendant le retour de ces dames, afin de me faire pardonner mon attitude quelque peu cavalière.
- Non, c’est moi, répondit sincèrement Gabriel.

C’est vrai que si le duc avait manqué de discrétion, Gabriel le lui avait rendu et bien ! Ils étaient donc parfaitement quittes sur ce point.

- Je dois confesser que ce système de police que vous avez développé, à la force de vos seuls bras si j’ai bien compris ce qui m’a été dit, est tout à fait fascinant : celui que nous avons en Bavière n’est pas moitié aussi bien développé, surtout depuis la guerre qui a causé des dégâts considérables…

Le lieutenant de police ne put s’empêcher de redresser le cou comme un jeune coq dont on viendrait de flatter le plumage. Ce système de police, il en était plus que fier. Bien sûr qu’il était unique en son genre puisqu’il avait tout imaginé, inventé et mis en place pour le service du roi Louis XIV. Il avait donc bien compris qu’il ne pourrait essayer de trouver le moyen d’exporter son idée mais qu’importe ! Il était heureux de voir que son idée allait finir par fonctionner correctement s’il continuait à s’y atteler de la sorte. Et puis surtout, quel bonheur de voir tant de travail reconnu.

- Un lointain aïeul, un certain Clodulf, avait commencé à prendre des dispositions dans ce sens mais une guerre –une autre !- l’a empêché de terminer les mesures entreprises, et personne n’a songé à y réfléchir depuis… Mais il est bon de voir qu’il y a ailleurs en Europe des gens de votre trempe qui songent à assurer la sécurité intérieur de leur Royaume. L’on pense souvent aux guerres à nos frontières, mais rarement à celles qui font rage à l’intérieur…
- Oui, malheureusement on oublie qu’il n’y a pas que les soldats vainqueurs ou en déroute qui causent des problèmes dans la population. Et puis, tout le problème vient de la notion même de : « justice ». Puisqu’il s’agit d’être juste et équitable, on pourrait penser qu’il s’agirait de la même justice pour tout le monde. Or, le système féodal laissait souvent le sort des plaignants ainsi que des criminels au bon vouloir et à l’humeur – changeante car humaine – d’un seigneur. Je ne critique pas ce système mais tout de même, avouez que le fait de codifier chaque crime, chaque façon de procéder et de juger permet d’accéder déjà à quelque chose de plus…juste. Car si le Roi définit pour tous et toutes ce qui est grave, ce qui ne l’est pas et à quel degré, cela permet ainsi aux criminels de prendre conscience de ce qu’ils font, que comme leurs actes ont le même degré de gravité dans chaque ville, pas selon son dirigeant, d’une certaine façon, ils savent où ils en sont et agissent en connaissance de cause. J’ai heureusement réussi à en parler à quelqu’un qui m’a aidé à former tout ça parce que quand on a le goût de la chose, quand on a le goût de la chose bien faite, le beau geste, parfois on ne trouve pas l'interlocuteur en face, je dirais, le miroir qui vous aide à avancer. Alors ce n'est pas mon cas, comme je le disais là, puisque moi au contraire, j'ai pu ; et je dis merci à la vie, je lui dis merci, je chante la vie, je danse la vie... Mais pardonnez-moi, je parle trop !

Ah ça, quand Gabriel était lancé sur le sujet, il était difficile de le faire taire. Ses deux meilleurs amis en savaient quelque chose et devaient presque l’assommer pour l’arrêter quand il leur faisait part de ses nouvelles idées. Enfin, pas le duc de Sudermanie. Lui, le laissait parler longtemps, perdu dans ses pensées. Sans s’en rendre compte, Gabriel avait commencé à ponctuer chacun de ses mots par de grands gestes et avait pris un air illuminé.

- Monsieur de la Reynie, pardonnez notre contretemps, nous devions parler d’affaires de femmes !

Gabriel sursauta, il avait presque oublié qu’ils attendaient le retour des dames. Mais il est vrai que c’était là le vrai but de sa soirée : une charmante conquête pour lui faire oublier les difficultés de sa charge. Néanmoins, il avait apprécié sa discussion avec le duc – bien qu’il ne l’ait pas laissé beaucoup parler. Il décida donc qu’il était temps de se faire pardonner ce manque évident de courtoisie.

- Il n’y a aucun problème mesdames, cela m’a permis de faire la connaissance de monsieur de Leuchtenberg, un charmant gentilhomme qui aimait parler diplomatie.

Gabriel laissa ses compagnons se saluer entre eux en réfléchissant au moyen dont il pourrait user pour que l’attention de mademoiselle de la Baume-Suze se concentre sur le duc et plus sur lui – ainsi il pourrait se concentrer sur la belle veuve. Ce fut celle-ci qui lui apporta la solution à son problème :

- Monsieur de la Reynie, madame de la Baume et moi-même avions un point de désaccord et un besoin évident de vos lumières sur la question : figurez-vous qu’elle me soutient que les plus beaux poèmes sont de langue française alors que je pense bien qu’il est important d’en lire venus d’autres pays – en trouvant une bonne traduction bien entendu ! Qu’en pensez-vous ?

Gabriel se souvint qu’avant qu’il ne noie son nouveau compagnon dans ses paroles concernant sa charge, il lui avait évoqué un certain goût pour la poésie.

- Eh bien madame, je suis tout à fait de votre avis, répondit-il tandis que la jeune femme lançait un regard triomphant à son amie. Mais vous avez de la chance mademoiselle, monsieur le duc ici présent pourra certainement évoquer la poésie de son pays dont j’ai entendu beaucoup de bien. Mon travail me laisse peu de temps pour la lecture, ce que je déplore, mais j’ai toujours voulu en savoir plus.

Étaler le grand esprit du duc était, à coup sûr, le meilleur moyen de faire en sorte que la jeune femme le remarque. Il resterait à côté pour s’assurer du succès de son entreprise bien sûr. Voyant que la dame de ses pensées avait parfaitement compris son ménage et lui souriait d’un air entendu, il se sentit encore mieux. Décidément, quelle belle soirée ! Mais bon, rien n’était encore gagner pour le duc…
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MessageSujet: Re: L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi]   L'étude des femmes est une science comme les autres [Gabriel-Maxi] Icon_minitime18.01.15 22:47

Maximilien respirait déjà mieux, ravi d’avoir réussi à faire dévier le sujet de conversation. Il était vrai que les femmes n’étaient déjà pas le point fort du jeune duc quand il s’agissait de les aborder, alors pour parler d’elles avec quelqu’un d’autre, il fallait encore se lever tôt. Il se sentait ridicule, à vingt-huit ans déjà, de se comporter comme un jeune homme de dix-sept – et encore, son frère aîné au même âge était bien plus débrouillard que lui sur ce plan-là – et l’aisance du lieutenant de police n’arrangeait rien. Discuter du système judiciaire français était certes une entreprise moins légère, mais autrement plus intéressante et facile pour le jeune homme qui se sentait particulièrement empoté ce soir-là. Ni marié, ni fiancé, et certainement pas prêt de l’être, Maximilien n’avait absolument pas placé ses relations avec les femmes dans la tête de son ordre de priorités. Avec la guerre qui menaçait, il préférait s’occuper de politique, un jeu bien plus fascinant à son sens puisqu’il y excellait plus. Non pas que Maximilien ait quelque chose contre les femmes, mais clairement, on avait oublié de lui inculquer correctement l’art de l’amour et des histoires galantes. La politique et la diplomatie étaient des jeux qui lui paraissaient bien innocents, en comparaison. Des jeux dont il maîtrisait les tenants et les aboutissants et dont il avait fini par connaître les règles sur le bout des doigts malgré son jeune âge, un âge qui conduisait souvent ses interlocuteurs grisonnants à le sous-estimer, mais qui faisait pour cette même raison sa force et sa discrétion. L’empereur du Saint-Empire avait eu la bonne intuition en faisant de son cousin son espion personnel en France. Alors oui, Maximilien se sentait bien plus à l’aise, maintenant qu’il naviguait à nouveau en terrain connu. Et il fallait bien le reconnaître, Gabriel de la Reynie avait une façon de parler de son système de police qui le rendait encore plus fascinant. Ses mains sagement ramenées dans son dos, l’air attentif, le jeune duc de Leuchtenberg hochait poliment la tête, ses yeux verts brillant d’intérêt alors qu’il avait droit à une critique en règle du système judiciaire féodal. Il était parfaitement d’accord avec les propos de son interlocuteur et nota que ces critiques, au fond, s’appliquaient aussi parfaitement au Saint-Empire, peut-être même plus vu la taille de l’Empire de Léopold. Y aurait-il une possibilité d’adapter et d’appliquer les idées de la Reynie aux germains ? Le diplomate nota dans un coin de sa tête de tenter l’expérience au Leuchtenberg, maintenant que la paix y avait été à peu près ramenée.

« Alors ce n'est pas mon cas, comme je le disais là, puisque moi au contraire, j'ai pu ; et je dis merci à la vie, je lui dis merci, je chante la vie, je danse la vie... Mais pardonnez-moi, je parle trop ! »
« Je vous en prie monsieur, c’est tout à fait passionnant ! La France peut s’estimer heureuse d’avoir un homme de votre bon sens pour s’occuper de sa police, et votre estimé roi a bien de la chance d’avoir vos conseils avisés pour gérer un royaume aussi important. » répondit Maximilien en souriant. Il oubliait de mentionner qu’il aimait les gens bavards plus que les gens silencieux, puisque les bavards lui permettaient de faire ce qu’il faisait le mieux : écouter et apprendre. On se dévoilait toujours en parlant, aussi préférait-il en dire le moins possible, même si le procédé pouvait paraître malhonnête. Et puis, la passion de la Reynie pour son sujet de conversation lui plaisait. Il en avait complètement oublié les deux demoiselles qui les avaient d’abord rapprochés, jusqu’à ce que celles-ci ne se rappellent à leur bon souvenir.

- Monsieur de la Reynie, pardonnez notre contretemps, nous devions parler d’affaires de femmes !

Flûte. Maximilien retint une grimace, et au lieu de ça afficha un sourire aussi aimable que poli. Il s’en était presque sorti. Diable, il aurait dû en profiter pour partir, entraîner le lieutenant de police ailleurs pour qu’elles ne les retrouvent pas, mais c’était raté. Il n’avait plus qu’à prier pour que le sol s’ouvre en deux sous ses pieds, à moins qu’un autre miracle ne vienne le sauver. Plein d’espoir, il jeta un regard à la Reynie, pour constater, dépité, que le lieutenant de police était bien plus ravi que lui du retour des deux jeunes femmes.

- Il n’y a aucun problème mesdames, cela m’a permis de faire la connaissance de monsieur de Leuchtenberg, un charmant gentilhomme qui aimait parler diplomatie.
« Mesdames. » se contenta de saluer Maximilien, jouant de son éternelle courtoisie discrète. Les deux amies le saluèrent en retour, ravies de compter quelqu’un d’aussi haut placé parmi elles – bien entendu elles avaient déjà entendu le nom du duc, un diplomate envoyé personnellement par l’empereur, et dire qu’il était si jeune, et les voilà qui se perdaient en politesses, avant de s’intéresser à nouveau à la Reynie, et Maximilien de se demander pour la énième fois ce qu’il faisait encore là.
- Monsieur de la Reynie, madame de la Baume et moi-même avions un point de désaccord et un besoin évident de vos lumières sur la question : figurez-vous qu’elle me soutient que les plus beaux poèmes sont de langue française alors que je pense bien qu’il est important d’en lire venus d’autres pays – en trouvant une bonne traduction bien entendu ! Qu’en pensez-vous ?

Maximilien eut un sourire, amusé par la coïncidence. La poésie était décidément un sujet de conversation bien apprécié des français. Voilà quelque chose qui le changeait des germaniques et de leur manie de parler sans cesse de guerre et de finances. Mais puisque la question s’adressait à Gabriel, il se garda bien de dire quoi que ce soit, préférant réfléchir à la manière dont il allait pouvoir discrètement s’éclipser pour rentrer chez lui et éviter Aliénor pour ne pas avoir à lui conter cette drôle de soirée. Il n’était pas au bout de ses surprises.

- Eh bien madame, je suis tout à fait de votre avis, répondit-il tandis que la jeune femme lançait un regard triomphant à son amie. Mais vous avez de la chance mademoiselle, monsieur le duc ici présent… Surpris, Maximilien haussa les sourcils, ne s’attendant pas à être pris à la partie dans le débat. A quoi jouait-il ? ...pourra certainement évoquer la poésie de son pays dont j’ai entendu beaucoup de bien. Mon travail me laisse peu de temps pour la lecture, ce que je déplore, mais j’ai toujours voulu en savoir plus.

Sacré la Reynie ! Alors qu’il sentait les regards des deux jeunes femmes se poser sur lui, pleines de curiosité, Maximilien se prit à espérer à nouveau pouvoir se téléporter. Certes, la poésie était un sujet qu’il maîtrisait bien, mais le mettre comme ça sur le devant de la scène alors qu’il avait fort bien compris qu’il n’était pas des plus à l’aise dans la situation présente… Etait-ce sa manière de se venger ? Maximilien n’eut guère le temps d’y réfléchir, déjà madame de la Baume renchérissait :

« Vraiment, monsieur de Wittelsbach ? Alors peut-être pourrez-vous nous éclairer de vos lumières, vous qui nous venez de si loin ! »
« Oh, je suis loin d’être le spécimen le plus exotique de cette soirée, madame. » répondit Maximilien en tentant de ne rien laisser paraître. « Hélas, j’ai bien peur que la poésie de par chez moi n’ait quelque peu perdu de sa superbe. A part Martin Opitz, que personnellement je trouve bien trop sec et rigoureux pour rivaliser avec un Racine, nous n’avons guère de beaux poètes à l’heure actuelle. Je lui préfère l’élégance et la passion de Christian de Hoffmannswaldau. »
« Vraiment ? Et qu’a-t-il écrit, de brave homme ? »

Maximilien, qui n’avait pas songé une seule seconde qu’on l’écoutait sérieusement, marqua une seconde de pause pour regarder la jeune femme, qui ne le quittait pas des yeux, attendant sa réponse. Ca alors, c’était bien à lui qu’elle faisait attention, maintenant ? Décidant de ne pas laisser passer l’occasion, même s’il n’y croyait qu’à moitié, Maximilien embraya :

« Des poèmes que nous appelons ‘Galantengedichte’, des poèmes galants. Une poésie qui n’est pas sans rappeler les chants de vos troubadours au temps du Fin’Amor de la reine Aliénor. Mais votre amie et vous avez toutes les deux raisons, et vos poètes français ont de sérieux rivaux, que ce soit chez les italiens et leurs accents chantants, ou les anglais comme Philip Sidney et son Astrophil and Stella… »
« Dieu du ciel, vous semblez connaître toute la poésie du monde à vous seul ! »

Plus qu’abasourdi, Maximilien jeta un regard à la Reynie, qui semblait beaucoup s’amuser et pas le moins du monde déterminé à intervenir. D’ailleurs, sa compagne de la soirée, la jolie veuve, profita de ce que le duc accaparait l’attention de son amie pour prendre le lieutenant de police par le bras et l’emmener doucement à l’écart, provoquant un instant de panique chez Maximilien. Si la Reynie s’éloignait nul doute que madame de la Baume-Suze allait s’empresser de le suivre pour ne pas le céder à son amie ! Et lui, de quoi aurait-il l’air, une fois tout seul ? Il n’aurait plus qu’à rentrer, c’était là le seul point positif de la chose, mais à quel prix… Persuadé qu’il allait se faire abandonner d’un instant à l’autre, Maximilien se tourna à nouveau vers son interlocutrice, persuadé qu’il allait avoir à lui dire au revoir d’un instant à l’autre, un pincement au cœur… pour s’apercevoir qu’elle le regardait toujours, et n’avait pas l’air décidée à bouger de là. Au contraire, elle lui souriait, et ses yeux clairs brillaient d’une lueur que Maximilien osait à peine identifier. Etait-ce une étincelle d’intérêt tout neuf qu’il voyait là dans ses prunelles ambrées ? Il n’y croyait pas, mais fut bien obligé de l’admettre lorsque la jeune femme posa sa main sur son bras, l’invitant à poursuivre leur conversation près du balcon. Lorsque Maximilien se retourna pour chercher la Reynie du regard, il n’était plus là.

Une heure plus tard, alors que les invités commençaient lentement à vider les lieux, Maximilien avait prié madame de la Baume-Suze de l’attendre quelques instants, le temps d’aller saluer le lieutenant de police. Il l’avait repéré de loin, près du buffet, et avait attendu que la veuve ne s’absente pour aller chercher son manteau pour l’approcher. Un sourire flottant au coin des lèvres, le jeune duc arriva à la hauteur de son allié inespéré du soir, sa cape déjà sur ses épaules, sur le départ.

« Monsieur de la Reynie. » l’aborda-t-il. « Ce fut un plaisir de vous rencontrer. Madame de la Baume et moi-même n’allons pas tarder à partir, et je vois que vous êtes sur le point de faire de même, j’ai donc voulu vous saluer une dernière fois pour vous remercier pour cette soirée… »

Laissant sa phrase en suspens, une lueur de malice brilla dans ses yeux juvéniles, et il ajouta non sans amusement :

« Avouez que vous l’avez fait exprès. J’ai bien hésité entre vous maudire ou vous bénir, mais finalement, je crois que je vais opter pour la seconde option. Mais surtout, discuter avec vous a été un véritable plaisir, et j’espère que nous aurons à nouveau l’occasion de nous croiser. N’hésitez pas à venir me rendre visite si l’envie vous prend de parler à nouveau de votre passionnant système judiciaire, je serai ravi de reprendre notre conversation où nous l’avions laissée. »

Et Maximilien, beau joueur, de s’incliner. Ravi de s’être fait, peut-être, un nouvel ami malgré la farce de cette soirée.
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Pendant quelques secondes, Gabriel eut l’impression que le duc allait partir en courant. Se pouvait-il qu’on soit un homme brillant, cultivé, bien né, et manquer à ce point de confiance en soi ? Le lieutenant de police avait prévu tous les cas de figure, sauf celui-là. Il est vrai qu’en apercevant le jeune homme, il avait sentit tout de suite qu’il avait beaucoup de choses passionnantes à dire, aussi n’avait-il pas imaginé une seconde qu’il puisse se sentir démuni face aux femmes. Il espérait sincèrement qu’il se reprendrait vite, sinon il ferait le travail pour lui mais ce serait dommage qu’un homme de sa qualité ne puisse séduire une femme sans son aide.

• Dieu, en voilà un qui doit me maudire de l’avoir envoyer en pleine lumière, pensa-t-il.

Dire qu’il avait agit en pensant que cela rendrait service à tout le monde. Mais, alors qu’il réfléchissait au moyen de sortir le duc de l’embarras dans lequel il l’avait mit, celui-ci sembla retrouver l’usage de la parole et se mit à parler de la poésie germanique.

Là où le lieutenant de police ne s’était pas trompé sur son nouveau compagnon, c’est qu’il était réellement passionnant et avait énormément de choses à raconter. Une fois lancé sur un sujet qu’il connaissait réellement sans penser au fait qu’une jeune femme séduisante était en train de l’écouter, il devenait réellement fascinant et le charme semblait opérer sur la comtesse de la Suze-Rousse. Même Gabriel avait envie de prolonger la conversation afin d’en savoir plus sur la poésie des autres pays européens. Et quel était cette galantegedichte ? Il n’en avait jamais entendu parler.


- Dieu du ciel, vous semblez connaître toute la poésie du monde à vous seul !, roucoula la comtesse de la Suze.

Diable, le charme semblait opérer. Un peu inquiet, il observa l’effet des paroles du jeune homme sur madame de Merteuil. Heureusement, elle semblait penser la même chose que Gabriel :

• Même si cette conversation est un véritable charme pour l’esprit et les oreilles, une prochaine fois peut-être.

Un peu rassuré, il jeta un dernier coup d’œil à la compagne de son amante et le résultat était là : l’érudition et la timidité évidente du jeune duc faisaient effet. Ce soir, le jeune homme ne rentrerait pas seul, et lui non plus. Il sourit et observa d’un air amusé, l’air perdu de son nouveau compère. Il suffisait de jeter un regard à la dérobée à madame de la Suze pour se rendre compte qu’elle l’empêcherait de s’enfaroucher ce soir. La belle Angélique lui prit le bras et l’attira un peu à l’écart, maintenant que leurs compagnons respectifs étaient en pleine conversation, il était inutile de rester pour les surveiller.

- Ce jeune duc semblait tomber à pic, dites-moi, lui dit madame de Merteuil. J’aime beaucoup mon amie, mais elle ne semblait pas vouloir me quitter.
- Oui, j’ai eu de la chance de faire sa rencontre, non seulement sa compagnie est charmante mais, de plus, il avait certainement beaucoup de choses à dire à madame la comtesse.
- Oui, une véritable aubaine.

Elle fit signe à un serviteur qui allait et venait entre les convives avec un plateau et attrapa deux verres de vin. Elle en tendit un au lieutenant de ils trinquèrent joyeusement.

- A la bonne fortune de ce soir, dit Gabriel en lui lançant des regards de plus en plus appuyés.
- A la bonne fortune de ce soir, répondit Angélique, tout en lui lançant un regard soupçonneux. Ceci dit, mon ami, il n’y a pas que moi que madame de la Suze ne semblait pas avoir envie de quitter avant cette belle rencontre.

Gabriel sourit en voyant la pointe de jalousie dans les yeux de la jeune femme. Comment pouvait-elle croire qu’il lui préférerait l’une de ses amies, alors qu’elle avait tous les atouts pour le charmer. Décidément, le manque de confiance en matière de séduction le fascinerait toujours.

- Ah, je ne sais pas, mentit-il ouvertement, je n’ai rien remarqué. Il faut dire, madame, que je n’ai eu ce soir, d’yeux que pour vous.

Cette dernière phrase avait au moins le mérite d’être vraie. Il regarda à nouveau vers l’endroit où il avait laissé le futur couple pour voir la jeune comtesse entraîner le duc vers le balcon avec l’air du chasseur qui veut mettre un point d’honneur à ne pas laisser échapper sa proie. Bien, la soirée semblait sauvée pour tout le monde. Gabriel fit ce qu’il put pour être un invité idéal en parlant avec quelques personnes, mais sans jamais quitter sa compagne. Elle n’avait pas l’intention de le laisser s’échapper non plus, parfait. Elle le présenta également à la maîtresse des lieux ;

- Altesse, merci pour votre invitation dans votre somptueuse demeure, vous me faites trop d’honneur.
- Monsieur de la Reynie, votre réputation n’est plus à faire. Je suis charmée que vous ayez pu répondre à mon invitation et espère que vous serez des nôtres à nouveau.
- Je l’espère aussi, madame.

La rencontre fut fugace, mais le lieutenant se promit de parler plus longuement avec son hôtesse une prochaine fois. Après un moment à deviser de choses et d’autres avec la belle Angélique, celle-ci dit d’un air totalement innocent :

- Doux Jésus mais il est vraiment tard. Monsieur, me ferez-vous la courtoisie de me ramener chez moi ? Les routes ne sont pas sûres à une telle heure. Et puis, vous resterez bien à loger ? Je m’en voudrais de vous laisser faire plusieurs heures de route pour Paris ce soir…
- Madame, vous êtes trop bonne pour moi. J’accepte avec bonheur votre invitation.

Angélique sourit et partit chercher son manteau. Gabriel en fit de même et jeta sa cape sur ses épaules avec soulagement. C’est à ce moment qu’il entendit une voix derrière lui :

- Monsieur de la Reynie.  Ce fut un plaisir de vous rencontrer. Madame de la Baume et moi-même n’allons pas tarder à partir, et je vois que vous êtes sur le point de faire de même, j’ai donc voulu vous saluer une dernière fois pour vous remercier pour cette soirée…
- Mais c’est moi qui vous remercie, ce fut une belle rencontre, sincèrement. Et puis, si votre soirée se termine de façon aussi charmante que la mienne, j’en suis fort aise.
- Avouez que vous l’avez fait exprès.
- Ah, monsieur, vous m’avez percé à jour. Je vous avoue que votre présence arrangeait bien mes affaires, même si je regrette d’avoir eu à ruser pour cela.
- J’ai bien hésité entre vous maudire ou vous bénir, mais finalement, je crois que je vais opter pour la seconde option. Mais surtout, discuter avec vous a été un véritable plaisir, et j’espère que nous aurons à nouveau l’occasion de nous croiser. N’hésitez pas à venir me rendre visite si l’envie vous prend de parler à nouveau de votre passionnant système judiciaire, je serai ravi de reprendre notre conversation où nous l’avions laissée.
- Avec plaisir Monsieur. Si vous passez à Paris, venez me rendre visite au Châtelet, je pourrais tout vous montrer.

Amusé par le départ tout guilleret de son nouvel ami, Gabriel retrouva la belle Angélique et la raccompagna à son carrosse.

- Quelle charmante soirée, conclut-il avec le sourire.

TOPIC TERMINE (enfin)

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