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 [Malte] Un voyage presque royal

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MessageSujet: [Malte] Un voyage presque royal   [Malte] Un voyage presque royal Icon_minitime23.06.13 18:48

Monsieur ? Il est l'heure, votre escorte vous attend.

En réponse, il n'y eut qu'un soupir. Dans cette chambre où les meubles étaient recouverts de draps pour les protéger en l'absence de l'occupant, il régnait une drôle d'atmosphère. Au milieu de cette pièce, un homme debout baissa la tête. Il avait une tenu de cavalier dans les tons bleu nuit pour rester discret malgré tout, assez épais pour son voyage en cette milieu de février qui ne lésinait pas sur les températures négatives. Guillaume du Perche, puisque c'était lui ce cavalier, prit le sac qui était à ses pieds et quittait sa chambre qu'il n'était pas sûr de revoir un jour. Fataliste, il laissa son valet Arthur fermer ses appartements du Trianon et les deux hommes quittèrent le Trianon. Dehors se trouvaient deux chevaux à disposition, ainsi que quatre hommes en guise d'escorte. C'est qu'il fallait rester discret et ne pas attirer l'attention sur eux. Deux de ces hommes étaient de la Maison du Roi envoyé par sa Majesté pour protéger Guillaume lors de son périple ; l'un conduisait un véhicule pour transporter les quelques affaires du nouveau roi de Malte ainsi que du ravitaillement ; le dernier, et non le moindre, était un chevalier de l'Ordre de Malte, leur guide et celui qui allait devoir tout apprendre à Guillaume en chemin.

Et voici que ce petit monde s'en alla. Avec un dernier pincement au cœur, Guillaume se tourna vers le Trianon, passa entre l'Orangerie et le Bassin des Suisses et admira une dernière fois le château. Un nouveau soupir s'échappa de ses lèvres, mais comme le choix lui manquait, il continua le chemin. Le voyage à cheval jusqu'à Naples devait durer une quinzaine de jours, avec plusieurs arrêts prévus à Auxerre, Chalon et Lyon pour la France, passer par la Savoie avec Chambéry et Turin. Il faisait froid dans les premiers kilomètres mais à mesure que l'on quittait la Savoie et les montagnes, les douceurs italiennes réconfortait en ce mois de février un peu morose. Guillaume avait peu parlé durant cette première partie de périple. Il semblait dans ses pensées, toujours absent et tellement grave. Il faut dire que tout ce bouleversement avait profondément changé les choses. Lui, le célibataire endurci avait réussi à ouvrir son cœur à une jeune femme qu'il n'aurait sans doute jamais plus que comme amante, le voici marié à une femme qu'il n'aimait pas sur ordre royal, s'était vu jeté par sa belle et le voilà non seulement affublé d'une bague au doigt mais aussi d'un titre stupide que celui de roi de Malte. Et par ce titre, il devait faire le voyage jusqu'à son île pour se faire couronner, faire connaissance de ses sujets et repartir pour la guerre où le roi de France l'attendait. C'était bien loin de ses plans de servir comme officier dans l'armée française. Ce soir là, à Turin, il était encore pris dans ses pensées au coin du feu, quand le chevalier vint s'asseoir à ses côtés.

Vous n'avez que peu mangé. Il vous faut des forces pour continuer notre voyage.
Je n'ai pas très faim. répondit simplement Guillaume sans tourner la tête.
Je ne suis pas votre gouvernante, je tiens à ma mission de vous amener en vie jusqu'à La Valette. La réponse fut un long silence. Pour vous faire une confidence, je n'approuve pas vraiment ce voyage. Malte est sous le contrôle du Grand Maître et voir s'imposer un roi n'est pas du goût de tout le monde. Pourtant, il va falloir cohabiter durant quelques temps ensemble donc il faut prendre sur nous pour tenter de faire bonne figure. Il est peut être temps de parler ensemble de ce voyage, pour qu'il se passe le mieux possible.

Les deux hommes, en froid depuis l'arrivée du chevalier, s'entendirent pour la première fois. Guillaume daigna enfin de le regarder et hocha de la tête pour approuver ses dires. Si tout ne s'apprenait pas en un soir, ils avaient au moins l'occasion de poser les bases. Une partie de la soirée fut consacrée à l'histoire de Malte et à l'Ordre en place, pour ne pas faire de gaffe dés son arrivée. Guillaume avait déjà mis les pieds à Malte quelques années auparavant, il y avait fait un crochet lors d'un voyage, mais l'île n'avait fait que lui servir d'escale et il n'avait jamais poussé son périple trop loin à Malte.

Puis le voyage reprit dans les différents duchés italiens : Gènes, La Spezia, Livourne … Ils longèrent la côte méditerranéenne jusqu'à Rome. Durant tout le long, Guillaume récitait les différents grands hommes de l'Ordre, la bienséance, à retenir des dates clés et aussi à apprendre quelques mots de maltais. Il avait la chance de parler italien assez bien, cela le sauverait aux yeux des gens, même si certains rois ou reines étaient montés sur des trônes sans forcément parler la langue de leur patrie. L'atmosphère était un peu plus détendue depuis Turin, du Perche avait un peu repris confiance même s'il ne respirait pas le bonheur. Gabrielle l'obsédait tout le temps depuis qu'elle lui avait bien fait comprendre que c'était terminé entre eux. Cela avait fait si mal au jeune homme, il avait senti son cœur se briser en milliers de petits morceaux et avait compris pourquoi il ne l'avait jamais ouvert auparavant : aimer tuait à petit feu. Entre son mariage et son départ, quelques jours s'étaient écoulés où il avait tenté une fois de parler à la duchesse de Longueville mais sans succès. Mais il ne comptait pas abandonner si facilement, Guillaume s'était fait la promesse de ne pas laisser tomber cette histoire, il aimait la jeune femme mais n'avait pas trouvé la force de le lui dire, de prononcer ces mots qui semblent si faciles à dire quand on voyait les autres le faire, alors qu'en réalité cela était plus qu'un obstacle. Elle ne voulait pas de lettre ? Il lui en enverrait quand même à partir du moment où il serait de retour en France, il n'abandonnerait pas de la sorte.

C'est peut être aussi cette motivation de revenir vie en France que du Perche accéléra la cadence du voyage pour galoper jusqu'à Naples, puis Tarente, là où attendait une flotte qui les conduirait jusqu'à Malte. Depuis le duché de Savoie, l'escorte royale était parti et c'était à présent au tour du conducteur du véhicule d'être laissé là, au port, puisque seul le chevalier, Guillaume et son valet étaient prévus sur le bateau. Deux jours et deux nuits de bateau furent nécessaires pour arriver dans le port de La Valette, capitale de Malte et siège de l'Ordre. Guillaume avait troqué ses habits de voyageur pour quelque chose de plus courtisan de couleur violet, assez chaud car malgré le soleil en cette belle journée, le vent était violent et il ne faisait qu'une dizaine de degrés. Arrivé enfin à quai, Guillaume suivit le chevalier jusqu'au palais de l'Ordre de Malte, là où il résiderait jusqu'à son départ. Il traversa une partie de la ville, magnifique endroit aux influences de plusieurs mondes : tantôt arabe, tantôt florentin ou romain, cette ville était d'une étonnante beauté avec ses murs clairs et ses petites rues. Mais le clou du spectacle fut le magnifique palais dont la cour intérieure, luxuriante de verdure, rendait l'atmosphère douce et plaisante. A l'intérieur, tout n'était que peinture et dorure, à faire pâlir Versailles ! Le nouveau roi était impressionné par la beauté du palais, tellement en contraste avec les vœux des chevaliers.

Introduit dans une magnifique salle de lambris et de peinture sur l'histoire de l'Ordre, il fut reçut par le Grand Maître et ses subalternes. Le Grand Maître était un espagnol du nom de La Oleza, il n'avait pas encore soixante ans et portait la sagesse sur son visage, mais aussi la sévérité inquisitrice lorsque l'on annonça la venue de Guillaume. Ce dernier posa un genou à terre en signe d'humilité face au Grand Maître qui était le véritable chef de l'Ordre. Tête baissé, genou au sol, du Perche attendait qu'on lui demandait d'être relevé mais dut supporter cette position de trop longues secondes avant que La Oleza ne daigne enfin se décider.

Monsieur du Perche, soyez notre hôte dans notre palais, qui se trouve sur votre île, si j'en crois bien mes dires.
Je ne saurais parler de Malte comme de mon île. commença Guillaume, sérieux mais humble. Me voilà sur le trône d'une île déjà bien gardée par l'Ordre dont vous êtes le Grand-Maître, je prendrais la place que vous me confierez. Un titre ne donne pas tous les pouvoirs.

Il n'était pas confiant mais son visage sérieux et son discours fut approuvé par les hommes et femmes entourant le Grand-Maître, beaucoup hochaient la tête pour approuver et murmuraient entre voisins des choses incompréhensibles pour Guillaume. Il était réaliste et ne s'était jamais rêvé roi de n'importe quelle terre, sauf peut être d'un endroit où il serait un digne pacha entouré de ses dames. Mais même cela, il n'en rêvait plus.

Votre discours m'étonne autant qu'il me plaît.
Vous étonne ? Avez vous eu un si noir portrait de ma personne ?
En tout franchise, je ne m'attendais pas à voir un jeune homme qui semble avoir la tête sur les épaules.
Les caractères changent aussi vite que peut mettre un message pour être transmis de Versailles à Malte. Il retrouva un peu le sourire et un peu la confiance. Vous a t'on dit que j'étais joueur ? Homme à femme ? Dépensier ? Aventurier ? Libertin ? Anti-clérical ?
Un peu de tout cela en effet. Mais on ne m'avait pas dit que vous étiez intelligent. J'espère que vous aurez loisir à me prouver que le portrait qu'on m'a brossé de vous est faux.
Je n'oserais mentir à un homme aussi sage que vous. Quelques rires se firent entendre. Mais j'espère que ma vie et une partie de ma personnalité ne seront pas un obstacle à notre entente.

Après quelques paroles échangées durant quelques minutes encore, Guillaume fut congédié et emmené à sa chambre pour se reposer. Quelle magnifique pièce ! Là encore, que de peintures, de paysages cette fois, d'armoiries maltais et de dorures ! Sans oublier le lit fait dans de l'ébène tout comme le reste des meubles. Ôtant ses chaussures, il s'installa dans le lit tandis que son valet se laissa tomber dans un fauteuil avec vue sur la ville.

Crois tu que mon séjour sera aussi réussi que cette entrevue ? Je n'ai pas l'impression que l'on m'aime beaucoup.
Le Grand-Maître a l'air de vous apprécier, il vous convie au souper de demain, vous laissant ce soir pour reprendre des forces. Arthur sourit à son maître. Vous ne voulez pas de ce titre alors pourquoi voulez vous être aimé de ces gens ?
Pour ne pas causer de tort à mon roi. C'est lui qui m'a placé ici, je veux m'en montrer digne. Pas question de faire une autre bourde.

Le premier soir à Malte fut dans sa chambre, avec un repas apporté, quelques lectures avant de se coucher pour une bonne nuit bien méritée dans un lit moelleux. Les jours suivants se passèrent globalement bien. On préparait la cérémonie de couronnement, qui se ferait dans la grande intimité avec les membres de l'Ordre, quelques personnalités de l'île et puis c'était tout. Pas de grande liesse pour le nouveau roi, ce n'était peut être pas plus mal. Un peu débordé par toute cette politique qu'il ne maîtrisait pas toujours, Guillaume allait de chevaliers en personnalités, chacun avait un avis sur une question, ou une question à poser à Guillaume, ou seulement pour lui dire de rentrer chez lui. Du bon comme du moins bon, quelques tensions puisqu'en parallèle du couronnement, il y avait l'organisation de la future armée à préparer, après tout du Perche venait principalement pour cela, chercher de quoi commander. Autant dire que là encore, tout le monde n'était pas d'accord sur la question !

Cinq jours après son arrivée, voici Guillaume du Perche s'avancer dans la grande salle du palais, avec un manteau d'hermine, prêt à être couronné par le Grand-Maître, La Oleza. Avec ce dernier, les rapports étaient plus sympathiques, il avait pu voir que ce roi de représentation n'était pas un total imbécile. Guillaume avait du apprendre son discours en maltais, un serment qu'il faisait de ne pas trahir le royaume ni l'Ordre, d'être un homme honorable et valeureux et de s'en remettre aux ordres de l'Ordre. Il avait passé ses journées à apprendre la bonne prononciation et y mettre le ton. Cela eut son petit effet dont il n'était pas peu fier, en cette journée de 5 mars 1667. Il portait une couronne sur la tête et la seule pensée qui lui vint était que cela était sacrément lourd, qu'il comprenait pourquoi Louis XIV ne mettait pas souvent la sienne. Le repas qui en suivit permit de démontrer au Grand-Maître une bonne fois pour toute que Guillaume n'était pas un moins que rien.

Que va t'il advenir de vos pratiques de jeu, monsieur ?
La guerre a l'avantage que les soldats ne misent pas leurs soldes. Je doute que des tables de jeux soient dans les campements.
Mais il pourrait y avoir des femmes.
Croyez le ou non, mais je me suis promis de ne plus être la caricature de moi-même. Je suis après tout marié et …
… Sa Majesté Louis XIV a du vous spécifier qu'il ne voulait pas voir sa dame cocufiée. coupa La Oleza avec un petit sourire, où Guillaume répondit du tac au tac :
Je suis résolu à être le seul cocu du couple. Et je saurais m'en tenir.

Cela eut pour effet de faire rire l'espagnol. Il n'était un secret pour personne qu'Amy était la favorite du roi, et que ce mariage n'était qu'un simulacre pour protéger la dame d'une éventuelle demande en mariage et la voir entre les mains d'un prince que Louis XIV ne pouvait pas vraiment contrôler. Les chroniqueurs ont aussi du bien voir que le « couple » ne s'appréciait pas vraiment, personne ne pouvait parler d'un mariage réussi. D'un mariage tout court.

Et concernant la religion ?
Je tiens à tordre le cou à ce cliché car je me suis toujours rendu à la messe. Et si tel n'était pas le cas, le Roi en savait les raisons qu'il acceptait.
Le roi acceptait vos absences ?
Oui. Je pouvais manquer Dieu si j'avais l'aval de son représentant sur Terre.

Le Grand-Maître hocha une nouvelle fois la tête. Décidément, ce du Perche était plus intelligent et moins stupide qu'il ne le pensait ! La soirée continua ainsi, dans une bonne atmosphère malgré les regards noirs qui lui étaient jetés ici ou là. Guillaume ne pouvait pas rassembler tout le monde, il n'était pas là pour cela, toutes les responsabilités revenaient à La Oleza et il les lui laissait avec grand plaisir. A présent, il avait hâte de repartir pour retourner dans sa chère France, même si c'était pour faire la guerre. Mais son retour fut décalé à plusieurs reprises en raison du mauvais temps et des mauvaises conditions de navigation. Ce ne fut finalement que le 12 mars qu'il put prendre la mer à nouveau, avec cette fois-ci deux mille hommes et un nouveau parcours, en bateau jusqu'à Marseille et la petite flotte accosta avant que tout ce petit monde dut remonter la France, en direction de la frontière avec la Lorraine. Guillaume partait comte, il revenait roi ; il était parti officier, il revenait en état-major ; il avait voyagé en homme d'épée et il revenait en chef de guerre.
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