S’associer à un fou est une tyrannie pour l’âme. Assise sur le lit de la cabine, Andréa soupira, cherchant à se trouver des excuses pour ne pas s'être enfuie déjà depuis plusieurs heures. Cela n'aurait pas été difficile : il n'y avait pas de garde devant sa porte, elle avait déjà ouvert la porte pour voir le couloir et il n'y avait pas âme qui vive. A part deux voix sur le pont, il ne semblait pas qu'il y ait grand monde. Deux personnes sont facile à maîtriser, ou au pire elle aurait couru très vite et aurait atteint le quai en un rien de temps. Fuir n'était pas difficile à faire, elle avait déjà fait cela quelques années auparavant. D'Ostende tenter de rejoindre les Pays Bas espagnols, la Flandre, Dunkerque et retourner à Versailles. Ah oui voilà pourquoi elle ne voulait pas s'enfuir, sans doute parce que Versailles était une prison pire qu'ici ... Mais que faisait Andréa sur l'Espada de Neptuno ?
Il fallait revenir trois jours en arrière, non plutôt dix. Après l'épisode avec Silvestre, Andréa aurait dû retourner à Versailles comme il était convenu, c'était même la seule issue. Mais la jeune femme avait traîné sur le quai un long moment, à observer les magnifiques navires de ligne de marins et frégates de corsaires. Un ressemblait en beaucoup à l'Athéna, son ancien navire et elle s'était approchée, un peu mélancolique mais surtout émerveillée. Depuis qu'elle avait posé le pied sur le vieux continent, elle n'avait pas revu la mer, confinée à Versailles où les bancs de poissons étaient des thons ou des anguilles et des requins. L'idée lui avait traversé l'esprit un instant, puis elle s'était ravisée avant de retourner à l'auberge où elle séjournait, ne repartant que le lendemain. Pourtant, au petit matin, elle n'était plus dans sa chambre, avait eu le temps d'écrire une missive à la marquise pour lui signaler qu'elle restait dans sa famille un temps indéterminé, ce qui devait ravir la noble d'un autre temps de ne plus l'avoir dans les pattes. Quant à elle, elle avait troqué la robe pour un pantalon large marron, une ample chemise blanche, elle avait même pris soin de mettre des palets pour aplatir sa poitrine. Délaissant le maquillage, elle avait aussi pris soin d'attacher ses cheveux pour les cacher sous un tricorne acheté chez un marchand, ainsi qu'une épée. Le poignard, elle l'avait conservé, le même depuis les Caraïbes. Désormais André, il/elle avait cherché un bateau où s'engager. Après être capitaine, elle retombait au bas de l'échelle mais elle aurait fait n'importe quoi pour remettre un pied sur un bateau, prendre le large. Voici comment elle avait atterri sur un bateau français, qui partait trois jours plus tard pour une bataille contre les espagnols. Une grosse défaite plus tard, comment pouvait-on comparer la petite marine française à l'armada espagnole, certains équipages furent fait prisonniers. Andréa avait reconnu un bateau ennemi, elle ne pouvait pas oublier l'Espada de Neptuno, et avait imploré tous les dieux des mers pour ne pas revoir Palma. Et pourtant, elle l'avait vu monter à bord, triomphant, imbu de sa personne face à l'équipage français. Tout le monde fut mis à quai en tant que prisonnier de guerre ... sauf elle. Il l'avait reconnue, c'était évident. Elle restait prisonnière sur le bateau.
Plus que se détester, Felipe et Andréa avaient un ennemi commun : Roberval. C'est à force de "discussions" (disons plus engueulades) qu'ils étaient tombés d'accord sur le fait qu'Arthur était l'homme à abattre. Pour la première fois depuis ... toujours? ... ils s'alliaient vraiment. Voilà aussi pourquoi elle restait de son plein gré sur le bateau, un plan se dessinait petit à petit. Perdue dans ses pensées, elle sursauta en entendant un type jurer devant sa porte et continuer de marcher, parlant dans sa barbe. Curieuse, la jeune femme passa la tête dans l'entrebâillement de la porte et vit le second de Palma s'énerver tout seul, même insulter son capitaine.
J'lui en donnerais moi des hystéries. J'aurais dû partir tant qu'il était temps, rester à Cuba, loin de ce fou et ses drogues ... qu'il se pende sur son mât tiens !Pas content le Weber ! Andréa en déduisit que l'idiot qui avait hurlé il y a quelques minutes était l'espagnol sous substances. Elle l'avait toujours vue sobre, sérieux, peut être cynique mais pas hystérique. Elle espérait le voir encore dans cet état, puis aller se coucher, elle quitta sa petite cabine et monta sur le pont. Mince, il n'était plus pendu comme l'avait décrit Weber mais quand elle s'approcha et qu'il l'observa, Andréa vit clairement qu'il n'était pas dans son état normal, vu son œil pétillant et ce sourire un peu flippant.
Aaaah ! Vous voilà enfin !
Je ne me savais pas attendu ... lâcha t'elle, ironique alors qu'il avança jusqu'à elle avec son drôle d'air.
J´ai plus d´appétit qu´un Barracuda ! Ce soir j´ai de la fièvre et toi tu meurs de froid… Un instant interdite de ce spectacle et de ces rimes affreuses et sans équivoque, l'ancienne pirate se mit à lui rire au nez, sans aucune retenue. Et cela était si comique qu'elle dut même essuyer une larme au coin de l'œil. Il était certain qu'elle lui ressortira quand il redescendra sur terre et qu'elle ne le lâcherait pas de sitôt avec cela !
Palma, vous êtes ridicule ... lâcha t'elle après avoir retrouvé son calme.
C'était au-delà de ses espérances là. Sous drogue, il était un autre, une sorte de Mister Felipe et Docteur Palma en sorte ! Elle comprenait un peu mieux le second qui devait supporter cela tous les jours, elle lui aurait tiré dessus depuis longtemps, cela était amusant quelques minutes, mais pas tout le temps. Et il continuait !
La lumière du phare d´Alexandrie fait naufrager les papillons de ma jeunesse…
Quel poète ! se moqua t'elle toujours. J'ignorais ce tal .... AAAAAH lâchez-moi ! Il l'avait pris dans ses bras et la portait tout en avançant. Non seulement c'était inattendu mais il lui faisait mal ! Et il l'emmenait où ainsi ? Dans sa cabine, tiens donc !
Je te mangerai cru si tu n´me retiens pas !
Si vous essayez, je vous tue Palma ! Lâchez moi, imbécile ! Elle tenta de s'extirper mais peine perdue, il avait de la force, même dans cet état ! Andréa avait beau se débattre, lui donner un coup de pied dans le tibia ou le repousser, rien n'y faisait, elle était coincée. Dans la cabine, il la laissa tomber sans ménagement, heureusement que la jeune femme avait assez de réflexe pour ne pas tomber comme un vulgaire sac au sol. Par réflexe, elle fit quelques pas pour s'éloigner de lui, et passa derrière la table pour rester loin de ce fou irresponsable. Leur relation avait toujours été spéciale, assez peu définissable, il se passait quelque chose entre la pirate et le marin espagnol, mais cette drôle d'alchimie ne marchait pas dans l'état dans lequel il était, Andréa restait donc sur ses gardes.
C'est donc à ça que vous occupez vos soirées ? Encore plus pathétique que je ne pensais. Je me suis finalement trompée en croyant faire affaire avec vous. Je ne négocie pas avec des … elle le regarda d'un air dédaigneux …
des gens comme vous.Le mot drogué n'était pas tombé mais il n'était pas loin …