Elena s’affairait depuis quelques jours aux préparatifs de son départ pour la Lorraine. Maintenant que sa mission d’ambassadrice à Versailles était terminée, elle n’avait plus sa place à la cour du roi de France. La déclaration officielle de la guerre impliquait une réorganisation des ressources humaines, matérielles et financières de sa petite principauté de Lillebonne en vu du conflit à venir. L’heure était désormais à la préparation des défenses, mise en place de mesures en prévision d’un siège et l’organisation des ravitaillements de l’armée. La belle hispanique avait bien l’intention de s’intéresser aux affaires militaires de son époux. Il était si facile pour elle de l’influencer qu’elle n’hésiterait pas une seconde à lui imposer ses avis en ce qui concerne les décisions militaires et politiques à prendre.
La jeune femme était consciente de toutes les inimités qu’elle avait attiré sur elle et sa famille lors de son entretien auprès du souverain français. Étrangement, cela lui importait peu. Bien au dessus de toutes les médisances, elle ne voyait que ses propres intérêts dans l’affaire. Des domaines, l’argent, le rang de princesse de sang… Rien de ce que lui avaient apportés ses noces n’était suffisant pour ses beaux yeux. L’ambitieuse ne voulait rien de moins que le monde à ses pieds. Aujourd’hui, elle réclamait la terre des Trois-évêchés. Ce n’était pas les terres qu’elle convoitait avec tant d’ardeurs mais plutôt le pouvoir politique. Elle serait celle qui ferait fléchir le roi de France ! Elle comptait sur la parole de ses puissants alliés pour donner à ces prétentieux français la leçon qu’ils méritent.
Cependant, avant de regagner ses terres, Elena avait encore quelques petites affaires personnelles à régler. Un homme à Versailles, un seul parmi tous ses jeunes éphèbes constamment à la recherche des faveurs de ces dames, était capable de faire chavirer son cœur. Bien qu’elle ait eu vent de sa réputation sulfureuse, la jeune femme ne pouvait réfréner cette attirance pour lui. Elle était également au courant de toutes ses rumeurs si dégradantes qui courraient à son sujet concernant sa relation avec le frère du roi, mais ne pouvait être que des médisances destinées à flétrir sa réputation. Cet homme dont elle convoitait la faveur n’était autre que le propre cousin de son époux, le chevalier de Lorraine ! Ces liens du sang ne la rebutait pourtant pas une seconde. Au diable ce pantin à qui elle avait promis devant Dieu fidélité ! C’était le cousin si qui elle voulait à la merci de ses désirs. Pour satisfaire ce nouveau caprice, elle serait prête à commettre les pires forfaits. D’ailleurs, elle avait même élaboré un stratagème pour attirer son attention…
Incapable de cesser les machinations, Elena cherchait à mettre en place son petit scénario, si bien travaillé et répété. Lorsqu’elle avait une idée en tête, rien ne la faisait changer d’avis. Elle avait décidé que cet homme lui appartiendrait et ça serait le cas ! De toute façon, il ne pourrait résister éternellement à ses battements de cils et son sourire angélique, tout n’était qu’une question de temps. La capricieuse était persuadée que ses charmes finiraient par opérer sur sa proie. Lorsqu’elle le croisa seul au détour d’un bosquet, elle perçu instantanément la chance qui s’offrait à elle. Telle une prédatrice aux griffes acérées, la princesse de Lillebonne pris donc le jeune homme en chasse. Il essaya bien de lui échapper mais la traque ne s’éternisa pas bien longtemps, heureusement pour elle car sa blessure à la cuisse, présent de Milena son ennemie de toujours était encore douloureuse par moment.
Quel accueil l’attendait-elle ! Piquée à vif par la réplique cinglante du chevalier de Lorraine, Elena était furieuse ! Un tel affront brutalisait son ego à un point inadmissible. Personne n’avait le droit de l’envoyer sur les roses de la sorte ! Il disait ne pas avoir la patience d’écouter, elle, une Sotomayor ! Il devrait plutôt être flatté qu’elle daigne lui accorder tant d’intérêt. La belle espagnole devait cependant admettre que lui seul maîtrisait l’art de la remettre à sa place. Paradoxalement, c’était justement cette distance qu’il imposait qui l’attirait tant chez son cher cousin. Tant de dignité et de fierté… Au final, ils se ressemblaient bien plus qu’il ne le pensait.
La colère ne lui en fit pas pour autant oublier la raison pour laquelle elle était venue le trouver. Elle devait maintenant jouer le rôle qu’elle avait préparé. La manipulation était un art pour lequel elle avait déjà prouvé ses capacités par le passé. Une occasion de plus ne l’effrayait en aucun cas. La jeune femme ne pouvait pourtant pas se permettre d’ignorer l’agressivité dont avait fait preuve Philippe envers elle.
Vous n’avez guère la patience de m’écouter, dites-vous ? Je vais finir par croire que c’est ainsi que l’on se montre courtois dans votre famille. Vous parlez de mon époux. C’est justement à son sujet que je venais vous trouver…
Dans un premier temps, sa stratégie consistait à titille la curiosité de son cousin. Elle n’avait pu s’empêcher de le moucher par la même occasion. Sa fierté était ainsi préservée.
Afin de convaincre son auditeur, Elena devait se montrer fragile. Au cours de toutes ses expériences, elle avait pu remarquer que les hommes se laissaient plus facilement manipuler lorsqu'on les menait à adopter une attitude protectrice. Elle avait choisi d’en jouer aujourd’hui. Elle ne devait pas cracher le morceau de suite, il fallait d’abord lui faire croire que cela lui en coûtait de révéler la vérité. Le mystère qui entourait la révélation donnait de l’importance à l’information. C’est donc d’une petite voix qu’elle ajouta dans un murmure en détournant la tête :
Si vous saviez mon cher cousin ce que j’endure là-bas… Je ne peux y retourner…
Ses talents de comédienne étaient si bien affûtés qu’elle arrivait même à en avoir les larmes aux yeux. Il ne suffisait plus que le poisson morde à l’hameçon. Elena venait d’établir un contexte précipice à ses manigances. Allait-il tomber dans le piège qu’elle lui préparait ?