« La famille est le vrai roman de l’individu. » Les feuilles mortes, gelées par le froid, craquaient sous les pas du cheval. L’air brumeux sortait de ses naseaux et parfois, un renaclement se faisait entendre dans le bois sombre.
Encapuchonné, son cavalier pressait alors les jambes, enjoignant sa monture d’avancer au travers des fourrées.
La lune éclairait faiblement le sentier; sa lueur blafarde traversait les squelettes dénudés des arbres et ces gardiens silencieux ouvraient la voie au cavalier. De temps en temps, une petite brise fraîche venait faire gémir les troncs noueux de centenaires.
Ils marchèrent ainsi une courte lieue avant d’approcher d’une clairière baignée dans le halo lunaire. Un silhouette se dressait là, emmitouflée dans une large cape sombre, un chapeau rabattu sur son visage. Une main s’échappait des pans pour tenir fermement les rênes d’un cheval à l’arrêt.
-Etes-vous venu en personne, Général, ou avez-vous cette fois envoyé l’un de vos sbires, gronda une voix grave et sentencieuse?
-En personne, répliqua le cavalier d’une voix claire.
Du moins...cela sera exact sous peu.L’on entendit l’homme souffler, mais lâchant les rênes sur l’encolure de son cheval, s’avança vers l’autre qui mettait pied à terre.
-Le Général est un homme, fit-il gravement. Ses yeux se posèrent sur la main gauche du cavalier que celui-ci déganta; une pierre écarlate brilla sous la lumière de la lune. Les doigts fins et blancs disparurent aussitôt sous le gant de cuir, mais déjà, l’homme avait pâli et relevé la tête.
Dans son regard d’azur brillait cette étrange lueur d’incrédulité teintée d’espoir. Cette lueur qui illumine le regard obscurci par le deuil et les années. Une lueur de renaissance.
Mais le cavalier avait déjà baissé son capuchon avant que l’homme n’eut pu ouvrir la bouche pour balbutier quelques mots, et une cascade de cheveux bruns se déversa autour d’un visage pâle et féminin. Les prunelles d’un bleu pâle brillèrent d’un éclat humide alors qu’elle saisissait les mains de l’homme avec ferveur.
-Père, souffla-t-elle...!
-Emmanuelle....ma petite fille... L’émotion avait étreint le vieux duc de Sérigny qui d’un geste avait pris la jeune femme dans ses bras, serrant aussi fort qu’il le pu ces épaules frêles. Des larmes roulèrent sur les joues creusées par les âges.
-Papa....Je n’espérais plus vous revoir. Je n’espérais même plus rien, jusqu’à ce que j’apprenne que vous déteniez mon secret. Elle plongea son visage dans l’épaule paternelle, comme l’enfant qu’elle avait été, et laissa couler ses propres larmes. Depuis quand n’avait-elle revu ce père tant craint? Avec lui remontaient tout ces vieux souvenirs qui appartenaient à un autre temps. Elle revoyait Réaumur, les prés dans lesquels elle courrait avec Angélique...les disputes avec Louise et les leçons d’escrime de Jules. Avec son père, c’était Emmanuelle de Sérigny qui faisait à nouveau surface, plus fragile qu’elle ne l’avait été depuis une décennie.
Mais les larmes coulaient bien trop pour la laisser parler et quelques minutes durant, elle sanglota doucement, sentant cette main paternelle glisser le long de ses cheveux.
Il ne l’avait jamais réconforté. Du plus loin que remontaient ses souvenirs, jamais il n’avait montré autant de tendresse envers l’un de ses enfants, ni même avait été aussi proche d’eux.
Etaient-ce les années qui l’avait rendu plus faible, ou cet espoir désespéré de revoir un jour sa fille? Emmanuelle ne pouvait le dire tant le duc restait un mystère pour son entourage. Et à cet instant, elle préférait retenir les moindres secondes qui passaient, tel un dessert à savourer.
-L’évêque est venu me voir...il m’avait fait juré de ne rien dévoiler sur cette affaire, expliqua le duc en prenant le visage d’Emmanuelle entre ses mains. Il caressa ces deux joues qui n’étaient plus aussi rondes que lorsqu’elle était enfant, réalisant soudainement qu’elle était devenu femme.
Je savais que me taire était te préserver du danger...Je n’ai pu te confier qu’à un unique ange gardien, en qui j’ai toute confiance. A ses côtés, je savais qu’il me remplacerait s’il le fallait, termina-t-il avec émotion.
-Anglerays, n’est-ce pas?-Oui...-Papa, ne pu que répondre Emmanuelle avant de replonger entre les bras du vieux duc!
Peut-être vais-je enfin parvenir à vous dire la raison de ma venue, parvint-elle à articuler entre deux sanglots.-Nous avons toute la nuit à présent, fit-il doucement.
Elle se calma enfin, reprenant contenance et essuyant les larmes qui avaient trempé son visage, elle replaça quelques mèches, souriant à son père. Il avait bien vieilli, les rides marquant son visage sévère. Mais dans ce regard, brillait toujours cet éclat indéfinissable. On pouvait y lire l’ambition d’un homme, mais aussi de longues nuits sans sommeil, d’éprouvantes batailles et des épreuves à la hauteur de son rang. Elle avait tant détesté le souvenir de ce visage! De longues années, elle avait nourri cette rancoeur envers celui qu’elle considérait comme l’unique responsable du bris de leur famille. Ce soir, elle ne parvenait plus à articuler les remontrances qu’elle s’était répété sur le chemin, tant l’émotion de revoir le visage de son père l’avait étreinte.
-Longtemps, père, je vous ai jugé coupable. J’étais même venue ici avec de lourdes charges contre vous, mais aujourd’hui.... Elle se tu un moment, baissant les yeux vers la boîte de ses bottes.
-Continue, répondit Sérigny en lui relevant doucement la tête.
Je suis assez âgé pour entendre ce qu’un de mes enfants doit me reprocher. Et plus encore, j’attendais cet instant où je devais comparaître devant l’un de vous.Emmanuelle soupira faiblement. Depuis toujours, il avait su leur couper l’herbe sous le pied, menant chaque danse au rythme qu’il souhaitait. Avouer son attente, c’était expliquer implicitement à sa fille qu’il était coupable, mais qu’il avait préparé une défense.
Son regard se durcit à la pensée qu’il pu encore la duper, elle, sa fille.
-Alors dites-moi de suite quelle est votre ligne de défense, nous ne perdrons pas de temps, répliqua-t-elle plus froidement qu’elle ne l’eu voulu en essuyant une dernière larme furtive.
Sérigny sourit dans un petit rire.
-De tous mes enfants, tu es celle qui me ressemble le plus, se contenta-t-il de répondre.
-Moi? Vous confondez avec Louise! C’est elle, la belliqueuse, la sournoise, la rebelle. C’est elle qui se bat, pas moi!-Et pourquoi alors cet anneau? Pourquoi ce rôle que tu as accepté? Que fais-tu de tes journées, sinon te battre contre les ennemis de l’Ordre? Porter un faux nom ne te sert-il donc pas à protéger ta famille d’un danger peut-être permanent? -Je...mais il l’avait prise de court et Emmanuelle ne su que répondre.
-Je ne suis pas idiot, Emmanuelle et tu le sais bien assez. Je sais que cet Ordre laïc n’est pas aussi innocent qu’il peut le paraître et quel que puisse être ce complot dans lequel tu trempes certainement en ce moment, je suis certain qu’il a un dessein plus lourd que traquer quelques jansénistes.-Ne me croyez pas non plus assez stupide pour vous le dévoiler, renifla-t-elle.
-Tu es glissante, mouvante, ton rôle te rend sournoise et secrète. Tu te faufiles, tu dupes et tu trompes...voilà le quotidien que tu as choisi. Nous sommes de la même pâte, Emmanuelle. Tu me ressembles bien plus que tu ne veux l’admettre. Il se tu un moment, détournant les yeux du regard sombre que lui jetait à présent sa fille.
Tu as toujours été ma préférée...pourquoi à ton avis t’ai-je mariée selon tes désirs?Elle ne su que répondre à cette écrasante vérité. Peut-être pendant sa jeunesse avait-elle caché sous cette patine si dorée ce qu’elle était réellement. Peut-être ce vêtement ne reflétait-il que les tréfonds de son âme. Peut-être n’était-elle que ce fantôme dont elle jouait le rôle.
-Mais je t’écoute, Emmanuelle. Crache ce que tu as sur le coeur, tu attends ce moment depuis trop longtemps, lui lança-t-il alors qu’elle se retournait.
-Comment dormez-vous? -Fort mal depuis la mort du roi Louis XIII.-Vos manigances vous ont rattrapés.-Viens-en au fait. Cette voix sentencieuse fit bondir le coeur d’Emmanuelle, alors que quelques minutes auparavant, elle eu tout donné pour rester dans ces bras protecteurs. Elle pivota pour lui faire face, le regard flamboyant, retrouvant cette colère qu’elle avait nourri sur le sentier.
-LES faits! Je vous ressemble, moi? Mais je n’ai pas trahi mes amis! Encore moins ma famille! Je n’ai pas abandonné ma fille à un homme cupide ou a un exil qui m’en aurait débarrassé! Je n’ai pas utilisé mes enfants comme des pions, des cartes, des quilles dans un jeu de boules, servant uniquement mes intérêts! Je ne les ai pas laissé couler au fond d’un gouffre qui eu terni mon image! Louise a été presque vendue pour rattaper vos intrigues contre le pouvoir! Angélique n’est qu’un jouet innocent sur lequel vous n’avez plus d’emprise! Quand à Jules...il suit aveuglément vos désirs. Elle marchait le long d’un rond imaginaire, relevant parfois la tête vers Sérigny, le pointant du doigt, le coeur battant par tout ce qui remontait à la surface.
Vous avez les mains tâchées du sang de Chalais! Et vous osez prévoir une défense à cela?!Elle le fixa aussi intensément qu’elle l’eu fait d’un ennemi à faire parler. En ce court instant, il n’avait plus le visage du père, mais les traits du coupable, de l’homme à condamner. Celui-ci, tranquille, apaisé, baissa néanmoins le regard dans une lueur d’excuse.
-Est-ce tout, demanda-t-il posément?
-Cela est bien suffisant!-Oui, j’ose me défendre de ce que tu appelles “crimes”, commença-t-il.
J’ai de nombreux torts, mais dans ceux-ci, il n’y a pas celui d’avoir abandonné ma famille. Il n’y a rien de plus important pour moi que cela.-Et Louise, le coupa Emmanuelle?!
-Laisse-moi finir, s’exclama-t-il brusquement!
Pourquoi crois-tu que Jules a été dès son plus jeune âge sous les ordres de Turenne? Parce qu’il est le plus brillant de nos maréchaux! Parce que servir sous ses drapeaux, c’est s’assurer une place, un avenir. Pourquoi Louise a-t-elle été chez les Condé? Parce que c’était là le premier lieu mondain! Parce qu’avec toutes les relations qu’elle pouvait s’y faire, sa place et peut-être son avenir aurait pu être assuré. Elle y a eu les amis les plus fidèles, elle a eu à ses côtés des esprits mordants qui ont forgé son caractère. Et plus encore, cette place ralliait notre famille à une famille princière.-Toujours cette ambition au détriment de vos enfants!-Tais-toi, asséna-t-il.
J’avais pour Angélique des souhaits identiques. J’espérais qu’elle saurait se montrer à la hauteur, que je puisse la faire rejoindre la Maison de la Reine que j’ai toujours servi avec ferveur. La Fronde a rompu ce projet...-Quel dommage, répliqua Emmanuelle, amère.
-Angélique est devenu une précieuse frôlant la sottise. Préférais-tu qu’elle ridiculise notre nom ou qu’elle aille apprendre à se montrer en public auprès de celle qui savait mieux le faire de nous tous?Emmanuelle se contenta de hausser les épaules face à l’évidence.
-Angélique a été élevée par sa soeur et je m’en réjouis. Louise n’est pas idiote, elle craint la mauvaise réputation...et cela, elle l’a acquis dans sa jeunesse.-Bien....et que dire du mariage de Louise, justement? Ne vous sentez-vous pas coupable d’avoir brisé son avenir? N’était-ce pas un odieux replâtrage pour vos intrigues contre la Couronne?!-Et que sais-tu de cela, ma chère enfant, répondit tranquillement Sérigny?
Voilà bien des mystères que tu ne détiens pas, car je mets un point d’honneur à garder bien au chaud tout ce qui touche à ma famille. -Je sais ce que Louise m’en a dit, fit-elle, sur la défensive.
-Elle n’avait que quinze ans lorsque cela s’est fait, s’amusa-t-il!
Elle ne pensait qu’à suivre ces deux têtes folles et libertines de Bourbon...il leva les yeux au ciel en se rappelant les premiers émois de sa fille aînée.
Vois-tu, reprit-il gravement,
tu sais aujourd’hui combien il est difficile de tirer des ficelles et de rester éloigner des intrigues. Tu en as fais l’expérience. Je peux affirmer que Louise n’avait que 5 ans lorsque son destin fut scellé. 1626, cette date t’est-elle familière?-Chalais, fit sombrement Emmanuelle.
-Exactement. Ton oncle Chavigneul, paix à son âme, m’y avait entraîné bien malgré moi. Le cardinal avait toute puissance et j’avais un instant espéré que m’unir à ce complot me permettrait d’élever un peu plus notre nom. J’avais la protection de la reine et du roi, je restais éloigné du coeur de la rébellion ne touchant pas les moindres détails de l’affaire. Lorsque Chalais tomba, chacun des membres de l’association fut traqué et je savais que je n’étais ni Chevreuse ni Monsieur pour en sortir vivant. -Vous avez trahi?-Non. J’ai confessé ma faute au roi. Je n’ai jamais voulu de Gaston sur le trône, comme l’espéraient certains...c’est ce qui a sauvé ma tête.-Mais quand Louise avait quinze ans, relança Emmanuelle?
-J’avais juré allégeance à la reine, au roi et même au cardinal qui pensait m’avoir dans ses filets...l’idiot, ajouta-t-il dans un sourire.
Refusant de savoir de quoi il s’agissait, je transmettais des messages de la reine. Le cardinal entre temps avait souhaité que je la surveille, il la pensais capable de trahison. Puis le frère de Chalais est revenu à Paris, jurant la perte de ceux qui ont fait tomber son frère.-Dont vous?-C’est exact. Je vais te passe les détails sordides de l’affaire, mais sache simplement que le roi tenait assez à ma tête pour que le cardinal lui fasse une fleur. Il lavait mon nom de l’affaire de 26 si ma fille épousait l’un des ses parents, lointains ou non.-Vaunoy, conclu Emmanuelle dans un soupir.
-Tu as compris. Que pouvais-je faire d’autre?-Refuser.-C’était ma tête qui était tranchée, à l’époque.-C’est le prix de la trahison.-Et que serait-il advenu de ma famille? Jules et Louise, alors hautement placés? Aurais-je du sacrifier mes trois enfants pour cela, ou accepter une offre qui ne me plaisait pas? Aurais-tu préférer vivre en exil, fille d’un traître?Tous deux s’affrontèrent un moment du regard, mais Emmanuelle craqua la première, lisant dans les prunelles paternelles tout l’amour de celui-ci. Elle venait de réaliser les sacrifices qu’il avait du faire, les accords passés, toutes ces heures de doute et de crainte de voir un nom s’écrouler. Elle se senti si stupide d’avoir osé le défier, le juger alors qu’elle-même ne valait pas mieux à l’heure actuelle. Elle savait Valentine en vie, mais que faisait-elle pour la protéger? Elle l’abandonnait...
En une seconde, ce tableau glacial se craquela et Emmanuelle fondit en larmes, retenue par son père. Un lourd sanglot secoua ses épaules alors qu’elle sentait la main paternelle la réconforter et entourer ses épaules.
-Pardon, murmura-t-elle entre deux saccades.
Qui suis-je pour vous juger alors que j’ai abandonné ma propre fille.-Tu avais besoin de l’entendre, ma petite fille. J’avais besoin de te le dire, car nous nous ressemblons bien trop.Il posa une main douce sur sa tête, la berçant lentement comme il ne l’avait fait lorsqu’elle était enfant. Cette fille, devenue femme...il avait tant envie de l’aider, de lui tendre une main, mais il savait qu’il ne lui serait d’aucun secours tant qu’elle ne l’avait elle-même demandé. Il fallait lui laisser cette décision.
-Quand cherchera-tu Valentine? J’ai tant envie de connaître ma petite-fille.-Elle est en Angleterre, Papa, parvint-elle à répondre.
Une personne à la cour sait où elle se trouve. Mais pas maintenant...trop de choses à venir.-Dis-moi. Tu n’es pas uniquement venue pour obtenir quelques réponses du passé. J’attendais le Général.Emmanuelle se détacha de l’étreinte de son père et sourit faiblement alors qu’il essuyait sa joue humide.
-A la fin de l’année, les choses vont changer, Papa. Je pourrais retrouver Valentine mais plus encore...elle se tut une courte seconde, le regard soudainement illuminé.
Je pourrais être à nouveau Emmanuelle de Vaunoy, revenir à la vie, écarter de moi tout danger. Un large sourire éclaira son visage pâle.
-Tu auras vaincu tes ennemis?-Non, mais je ne les craindrai plus. Depuis dix ans, c’est l’évêque qui les tient éloigné de moi en me camouflant. Mais tout ceci est bientôt terminé!-Que veux-tu dire?-Je serai Général au début de la nouvelle année. Dès la mission en cours terminée.Sérigny fixa sa fille, incrédule. Elle? Sa petite fille? Sa petite poupée? Général de cet ordre si secret?!
-Je...tu auras tous ces pouvoirs entre tes mains?-Tous ces destins, peut-être aussi. Des vies, même, répondit-elle gravement.
Je ne peux utiliser ce que je détiens à des fins personnelles, mais si un seul cheveu de ma fille lui est arraché, le coupable se verra affublé d’assez de péchés pour que sa vie soit réduite à néant.-Emmanuelle....-Vous avez intrigué pour nous protéger, je fais de même, fit-elle avant qu’il ne la coupe.
Ne me jugez pas.-Je ne me le permettrai pas, sourit Sérigny, une lueur de fierté dans les yeux.
Tu sais que toujours ma main sera à toi si besoin est. -Je le sais, papa. Et toujours la mienne sera là pour notre famille. Le vieux duc sourit plus faiblement. A son esprit, deux visages naissaient lentement, tels deux fantômes qu’il avait cherché à oublier. Leurs noms voguaient doucement au-dessus de ces traits qui prenaient forme. Isabelle....Aymeric... Devait-il lui avouer une vérité si lourde? Peut-être n’était-ce pas le bon soir.
-Papa? -Je t’aime, ma petite fille.Sans un mot de plus, il l’attira vers lui, profitant de ces instants qu’il avait tant espéré depuis une décennie.
-En quoi l’Ordre a-t-il besoin de moi aujourd'hui, reprit-il en déserrant son étreinte?
Elle se redressa, le regard plus sûr, reprenant son rôle de l’ombre.
-J’ai besoin que vous m’aidiez à revenir. J’ai prétexté une affaire de l’Ordre pour cacher ma venue à des oreilles indiscrètes.-Comment puis-je faire?-Emmanuelle de Vaunoy a été déclarée morte. Il lui faut revenir officiellement à la vie et enterrer Diane de Noirange. Je dois récupérer mes biens, les rentes de mon défunt mari, mes titres, et toutes mes possessions immobilières.-Et le roi..? Nous avions la protection du feu roi Louis XIII, mais celui-ci n’a de moi que l’image d’un vieux comploter reclu sur ses terres, fit Sérigny ironiquement.
-J’ai un ami sûr à la cour, répondit-elle avec une courte hésitation sur le terme “ami”.
Un proche du roi qui pourra aisément tirer ces ficelles administratives sans en être inquiété. Je ne peux le voir moi-même sans éveiller quelques soupçons.-Son nom?-Aymeric de Froulay, maréchal des Logis du roi.Sérigny frémit imperceptiblement, mais dans l’obscurité, Emmanuelle ne remarqua rien. Un face à face avec Froulay? Lui? Après l’affaire qui les avait lié? Que savait-elle de ce passé? Son souhait était-il seulement innocent?
-Je prendrai contact avec lui.-En mon nom...il connaît mon identité.-Bien. Est-ce tout? -Je le crois, oui, fit-elle.
Un court instant, tous deux se dévisagèrent silencieusement, avant qu’Emmanuelle ne vienne à nouveau dans les bras de son père.
-C’est bon de revenir, Papa. ***