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 Oh wouldn't it be lovely ? || Racine

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MessageSujet: Oh wouldn't it be lovely ? || Racine   Oh wouldn't it be lovely ? || Racine Icon_minitime29.01.12 23:38

Oh wouldn't it be lovely ? || Racine Rsu685 & & Oh wouldn't it be lovely ? || Racine 208vbfd

« Mutti, woher gehen Sie ? » (« Mère, où allez-vous ? ») « Zum einen Freund, liebchen. Bleib doch hier mit deiner Lehrerin. » (« Voir un ami, ma chérie. Reste donc ici avec ta professeure. »)

Helle se pencha pour embrasser sa fille sur le front et lui caressa la joue avant de sortir du salon, laissant Ellen à ses leçons de chant avec Mme Léonie, une remarquable musicienne qui lui avait été conseillée par une de ses amies de la Cour de Suède qui avait elle-même bénéficié de ses conseils. Regagnant la chambre que son amie Sofia lui avait laissée chez elle, elle s’approcha du secrétaire et s’y assit avant de farfouiller dans les tiroirs pour en sortir un paquet de lettres attachées par un ruban. Elle défit le nœud et sortit la dernière du lot pour la déplier avec précaution et la relire avec attention. Elle était arrivée à Versailles une semaine plus tôt et n’avait pas encore défait complètement ses malles, ignorant encore combien de temps elle resterait chez Sofia. Déjà qu’elle était infiniment reconnaissante à son amie de lui offrir un toit le temps qu’elle trouve une meilleure solution… Comment aurait-elle fait sans elle ? Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme au souvenir du jour où elle avait reçu la lettre lui proposant cette solution. Avoir une amie sur qui compter était un bien rare et précieux, comme elle avait eu maintes fois l’occasion d’en faire l’amère expérience par le passé…
Chassant de ses pensées le souvenir sombre de ses deux années à la cour du Danemark, elle se leva et alla jusqu’à la fenêtre avec sa lettre, parcourant rapidement l’écriture en pattes de mouches qui recouvrait le papier.

« … Aussi si vous le voulez bien, je vous attendrai ce mercredi à quatorze heures à l’Orangerie du palais, où je suis sûr que l’exotisme qui y règne ne manquera pas de vous séduire et de stimuler votre inépuisable imagination… […]
Sincèrement vôtre, Jean Racine. »


Souriant de plus belle, Helle étendit les bras et valsa dans la pièce en fredonnant, puis replia la lettre et la glissa dans la pochette qu’elle emmenait à son rendez-vous. Passant devant un miroir, elle s’assura que sa robe bleue était bien ajustée, remit une pince en place dans ses longs cheveux blonds et quitta la pièce. Hors de question d’arriver en retard à ce rendez-vous qu’elle attendait depuis si longtemps. Dévalant les escaliers sans se soucier de manquer complètement aux convenances, elle courait presque en sortant de l’Hôtel Farnèse et sa démarche sautillante faisait plus penser à celle d’une enfant que d’une femme mariée alors qu’elle gagnait les écuries pour détacher son cheval. Elle se fichait pas mal d’être vue par qui que ce soit. Il n’y avait de toute façon que les domestiques ici, et Sofia ne se formalisait pas de ses quelques écarts à l’étiquette, plus amusants qu’autre chose. Elle avait beau avoir vingt-six ans révolus, la danoise avait gardé quelque chose de l’enfant qu’on lui avait volée, comme une ultime preuve qu’elle aussi était passée par cette étape même si son passage avait été bien bref, coupé en plein essor par un décès tragique et un mariage désastreux. A quatorze ans, on en avait fait une épouse puis une femme. A quinze ans, on en avait fait une mère. Quelles formidables perspectives. Elle chassa une mouche et par la même occasion balaya d’un mouvement de la main ces considérations désormais inutiles. Il y avait bien longtemps qu’elle s’était résignée à son sort, ce n’était pas pour y repenser avant une telle rencontre. Elle était venue à Versailles justement pour prendre à bras le corps ce destin qui ne l’avait pas favorisée, ne comptez pas sur elle pour se laisser abattre.

Grimpant d’un bond leste sur la selle de son cheval, elle le lança au trot rapide dans les rues de Versailles, destination le château. Il faisait un temps radieux ce jour-là malgré la température fraîche de l’automne et Helle songea que Racine n’aurait pas pu avoir meilleure intuition qu’en choisissant ce jour-là pour leur première rencontre en chair et en os. Jusqu’à ce jour ils ne s’étaient jamais connus que par l’intermédiaire d’une correspondance abondante et assidue, et elle était bien curieuse de voir à quoi pouvait ressembler le célèbre tragédien français dont on lui avait tant parlé et à qui elle écrivait depuis ce qui lui semblait être une éternité. Etait-il jeune ? Vieux ? Entre deux âges ? Petit ? Grand ? Brun, blond, roux ? Ses yeux, quelle couleur ? Etait-il souriant ? Avait-il des tics, des manies ? Ressemblait-il à l’un de ses personnages ? Elle l’avait imaginé de maintes et maintes façons différentes mais aucune ne l’avait vraiment satisfaite. Elle avait l’impression qu’aucune ébauche qu’elle pourrait faire du maître ne pourrait égaler le vrai, celui qui se cachait derrière cette écriture en pattes de mouches et toutes ces pensées sur la littérature et la philosophie qu’il lui avait envoyé dans ces lettres qu’elle avait précieusement gardées. Epistolière aguerrie, Helle entretenait beaucoup de correspondances, mais celle qu’elle menait avec le tragédien était à ses yeux la plus passionnante. Il y avait dans son écriture, dans l’essence même de ses mots quelque chose qui faisait écho à l’âme littéraire de la jeune femme et qu’elle ne retrouvait chez aucun de ses autres correspondants. Quoi d’étonnant qu’elle tienne à rencontrer un homme capable d’une telle prouesse ? C’était comme proposer à un peintre amateur de rencontrer Michel-Ange. Une opportunité à ne rater pour rien au monde.
Elle franchit le portail du château et arrêta sa monture avant de mettre pied à terre et de la confier à un page qui tendait déjà la main pour prendre la bride. Jetant un regard autour d’elle, Helle finit par s’éloigner d’un pas vif, mettant le cap vers l’allée centrale près de laquelle elle savait pouvoir trouver la fameuse Orangerie. La veille, Sofia lui avait décrit l’endroit comme une réserve de plantes exotiques qu’on ne pouvait voir nulle part ailleurs en France, à sa connaissance. La danoise était de plus en plus curieuse à l’idée de découvrir ce petit paradis. Descendant les escaliers des Cent-Marches, Helle se retrouva tout à coup entourée de palmiers, orangers, citronniers et autres arbres qu’elle ne pouvait identifier mais plus variés les uns que les autres. Etonnée et séduite, Helle tourna sur elle-même pour mieux admirer la vue avant de reprendre sa marche à pas lents, ses yeux bleus sombres levés pour ne pas perdre une miette du spectacle qui s’offrait à elle. Le palais et les jardins du Roi Soleil méritaient décidément leur réputation de plus belles réalisation d’Europe. Que ce soit au Danemark ou en Suède, elle ne se souvenait pas d’avoir vu de si belles installations nulle part ailleurs, même si dans sa mémoire rien ne valait les paysages enneigés de sa chère île de Rügen.

Arrivant devant le bassin central de l’Orangerie, Helle regarda autour d’elle en guettant une silhouette quelconque mais ne vit personne. Baissant les yeux vers la montre qu’elle avait tirée d’une petite poche, elle vit qu’elle était un peu en avance et résolut d’attendre là son correspondant. S’asseyant au bord du bassin, elle pensa tout d’abord à relire sa lettre puis n’en fit rien, se contentant de rêvasser en dessinant des figures abstraites dans l’eau du bassin du bout du doigt. Elle se pencha pour ramasser quelques graviers et les jeta dans l’eau, un à un, observant avec attention les ronds qu’ils formaient dans l’onde et essayant de les faire s’entrecroiser pour former de nouvelles formes. Elle y était encore occupée lorsqu’un crissement de pas la déconcentra non loin. Levant les yeux, elle aperçut un homme qui faisait les cent pas à quelques mètres d’elle. Assez grand, plutôt jeune, elle ne lui aurait donné guère plus de trente ans. Etait-ce le fameux Jean Racine ? Il ne répondait à aucun des portraits fictifs qu’elle s’en était fait, mais après tout… Pourquoi pas ? Elle jeta son dernier gravier dans le bassin et se tourna vers le nouveau venu avant de s’adresser à lui.

« Excusez-moi monsieur si je parais indiscrète mais… Attendriez-vous quelqu’un, par hasard ? »

Après tout il y avait quelques autres promeneurs dans l’Orangerie, il pouvait bien être complètement quelqu’un d’autre que Racine… Bah, avec un peu de chance ce serait lui, et si ça ne l’était pas, peut-être serait-il assez sympathique pour lui faire deux minutes de conversation. Et au pire… Elle recommencerait à jouer avec ses graviers.
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MessageSujet: Re: Oh wouldn't it be lovely ? || Racine   Oh wouldn't it be lovely ? || Racine Icon_minitime01.03.12 2:30

Jean Racine se sentait d'excellente humeur et cela ne lui était plus arrivé depuis une éternité. Le temps était excellent et le soleil brillait fort au firmament, donnant envie au poète d'avancer en sautillant, démarche fort peu convenable pour se présenter à la cour. Il rit en lui-même, comme un enfant, en songeant à la tête éberluée qu'auraient pu faire tous ces courtisans orgueilleux et si inquiets de leur apparence à surprendre le dramaturge. A vrai dire, il se mentait à lui-même. Sa joie n'était pas due au ciel bleu et à toutes ces fadaises dont aimaient parler ces poètes de bas étage qui déclamaient des vers sentencieux sur la course des nuages, non, elle tenait à un seul nom « Helle de Sola ». Pour elle, Racine subit sans broncher les remontrances de la duchesse d'Orléans qui laissa libre cours à sa colère, il fallait la comprendre, son cadeau d'anniversaire n'avait pas été des plus réussis et les regards appuyés d'une partie des personnes présentes à Versailles cette journée-là. Les bigotes et les dames d'honneur de la reine avaient dû s'offusquer du large sourire de Jean qui décidément ne parvenait pas à rester contrit bien longtemps et qui avait déjà fait beaucoup d'efforts devant Henriette d'Angleterre. Le dramaturge ne s'arrêta pas dans la galerie des glaces, salua de loin ses connaissances et adressa juste un clin d’œil à la femme qui venait régulièrement le rejoindre dans son hôtel de Bourgogne, Whitney of Dover. Elle parut un peu vexée qu'il ne cherchât point à lui parler mais il ne voulait pas être en retard à son rendez-vous. Il l'attendait depuis des jours, il n'était pas question de le rater !

Mais qui était donc cette Helle de Sola pour transformer ainsi Jean Racine, lui faire oublier ses récentes mésaventures et le rendre indifférent aux reproches présents de la belle-sœur du roi et aux futurs de sa maîtresse ? Pas une nouvelle conquête, non, loin de là, il ne l'avait même jamais vue. La seule chose qu'il connaissait véritablement d'elle, c'était son écriture droite et soignée, tout le contraire de la sienne. Il ne se souvenait même plus comment il en était arrivé à échanger des lettres avec une étrangère tout droit venue des pays glacés du nord. Tout ce dont il se rappelait, c'était le moment où il avait reçu les premiers écrits de la dame, accompagnés d'une des histoires dont elle avait le secret. Il avait rarement ressenti cela auparavant. Un coup de foudre littéraire. Il se délectait de ses mots, de son esprit, de son charme qui transparaissait à travers ses lignes parfaites. Chaque semaine, lorsque c'était au tour de la baronne de lui écrire, il vérifiait plusieurs fois son courrier et lui qui oubliait tout et n'accordait d'importance à rien s'empressait de prendre la plume pour rédiger sa réponse, agrémentée de vers pour savoir ce qu'elle en pensait. Il avait confiance en son jugement, même si elle reconnaissait avoir parfois un peu de mal avec la langue française. En échange, il avait le droit à des petites merveilles de drôlerie et d'imagination, des petits textes courts qu'il conservait précieusement et qu'il montrait à son entourage pour tous puissent en profiter. Il était tellement rare de rencontrer une personne qui vous comprenait, une personne qui écrivait et philosophait loin des discours plein de fadaises qu'appréciaient tellement ces Précieuses stupides et futiles ou ces sérieux messieurs de l'Académie.

Quel n'avait pas été son étonnement en apprenant que la dame de Sola venait en France ! Il ignorait ses raisons et de toute façon, cela ne le regardait pas. Mais il avait sauté sur l'occasion pour lui demander la grâce d'une rencontre. Il avait tellement envie de profiter de l'esprit de cette femme sans devoir passer par le canal pénible et long de la correspondance. Racine avait déjà prévu de grandes choses pour elle, souhaitait la présenter à ses amis La Fontaine et Boileau, l'emmener au théâtre à Paris, aux salons réputés de Ninon de Lenclos et de la très intelligente Madame de La Sablière, lui faire visiter les endroits les plus agréables de la campagne environnant Paris, bref se comporter en l'ami parfait qu'il espérait être pour elle. Il n'avait jamais fait la connaissance de la femme qui la logeait, une demoiselle Farnèse mais il n'avait pas grande opinion d'elle pour toutes ces choses-là. Il était sûr qu'elle ferait des merveilles à Versailles et Paris si elle était aussi vive et agile que ses lettres. A la pensée des prochains rendez-vous qu'elle ne pourrait qu'accepter de lui accorder bien sûr, il sentit son sourire s'élargir et accéléra encore le pas. Arrivé dans un couloir où s'affairaient quelques domestiques, il esquissa des pas de danse sous les rires complices de quelques jeunes femmes puis sortit du château. Il était encore tôt dans l'après-midi, seuls quelques courtisans déambulaient au loin. Racine ajusta un peu son beau costume en admirant une nouvelle fois la grande perspective tracée par monsieur Le Nôtre puis entreprit de descendre les marches de l'escalier qui menait à l'Orangerie. Il avait fait de véritables efforts vestimentaires et n'avait guère l'habitude des fanfreluches des grands de la cour mais il devait reconnaître qu'il était plutôt élégant pour une fois dans son pourpoint or et bleu. Il ôta son chapeau orné d'une immense plume qui le grattait affreusement pour mieux profiter du soleil. C'était une magnifique journée pleine de promesses.

Arrivé dans l'Orangerie, Racine prit une grande inspiration. C'était sans nul doute l'un de ses endroits préférés à Versailles avec les recoins des jardins où personne ne se rendait jamais. Lorsque l'automne s'approchait, on n'allait plus voir les arbres fruitiers comme si leur beauté ne pouvait être appréciée que dans la chaleur moite des étés versaillais. Mais c'était l'hiver que l'Orangerie était la plus magnifique selon le dramaturge car les plantes toujours vertes luttaient contre le froid et la fuite du temps pour continuer à se dresser contre vents et marées, fiers et puissants. Les odeurs qui y régnaient faisaient voyager sans que l'on eut besoin de prendre le bateau. Il avait pensé qu'Helle de Sola saurait apprécier à sa juste valeur l'endroit où il avait suggéré que pouvait se produire leur rencontre. Mais une fois qu'il se fut avancé entre les arbres, Jean prit conscience de la faiblesse de son plan. Quelques couples étaient déjà là, avançant sans lui prêter attention. Comment allait-il reconnaître la baronne ? Évidemment, il s'était plu à l'imaginer. Il la savait mariée, mère d'un enfant déjà grand et son écriture révélait une vraie maturité. Elle devait donc être une femme plutôt âgée, la quarantaine, les cheveux déjà blancs, le visage marqué par les expériences qu'elle avait vécues. Mais aucune des dames présentes ne correspondait à cette description. Peut-être était-elle vêtue d'une robe qui marquerait son appartenance à la cour de Suède ? Cela ne l'aidait pas davantage. Pour se donner une contenance, Racine s'approcha du plan d'eau en se disant qu'il devait être en avance. Sans doute n'était-elle pas aussi impatiente que lui ou avait-elle des obligations de mère.

Sur les bords du bassin, une jeune femme désœuvrée s'amusait à lancer des graviers dans l'eau. Racine l'observa un instant, l'esprit ailleurs puis détourna son attention de cette activité puérile pour se demander par quels mots il pourrait bien accueillir son invitée. Mais ses réflexions furent interrompues par une petite voix :

« Excusez-moi monsieur si je parais indiscrète mais… Attendriez-vous quelqu’un, par hasard ? »

La jeune femme s'était approchée de lui pour tenter de lui faire la conversation. Peut-être s'ennuyait-elle assez pour oser adresser la parole à des inconnus. Elle était plutôt jolie dans sa robe bleue. Une pince était simplement glissée dans sa chevelure pour retenir de folles mèches blondes. Elle était petite et menue et Racine ne lui aurait pas donné beaucoup plus de vingt-deux ans peut-être. En temps normal, il aurait sans doute apprécié qu'un aussi charmant minois montrât de l'intérêt pour lui mais il ne tenait pas à ce que madame de Sola parût pendant qu'ils discuteraient, elle risquerait de ne point le reconnaître parmi tous ces couples. Aussi décida-t-il de couper court à la conversation :

- Mademoiselle, oui, en effet, j'attends quelqu'un mais je doute que vous puissiez m'aider dans ma recherche. Je suis navré de ne point pouvoir vous tenir compagnie mais ce fut un plaisir...

Ce fut au moment où il prononça ces derniers mots qu'il fut frappé d'un détail... L'accent avec lequel elle avait parlé n'avait rien d'un accent régional du royaume... Mon dieu, venait-il donc de rabrouer Helle de Sola elle-même ? Se pouvait-il que cette toute jeune femme à l'aspect encore juvénile fût cette épistolière de renom dont il vantait les mérites partout ? Mais quelle honte, mon dieu ! Jean Racine, pourtant rarement pris au dépourvu ne put rien faire pour empêcher ses joues de s'embraser et il ajouta précipitamment :

- Mais peut-être finalement pouvez-vous m'aider ? Est-ce donc bien vous madame de Sola ? Je suis Jean Racine, le dramaturge... Pardonnez-moi mon impolitesse, je n'imaginais point que... Que...

Le grand Racine bredouillait ! Et voilà, c'était terminé pour lui, lui qui tenait tant à faire bonne impression. Essayant de sauver ce qui pouvait l'être, il s'inclina en une profonde révérence puis lui proposa son bras en parfait gentilhomme pour déambuler tranquillement. Restait à espérer qu'Helle rirait de ce petit malentendu.
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MessageSujet: Re: Oh wouldn't it be lovely ? || Racine   Oh wouldn't it be lovely ? || Racine Icon_minitime19.03.12 20:45

Helle n’avait jamais eu de véritable « coup de foudre » auparavant. Elle avait mené de très nombreuses correspondances, et bien entendu elle en avait préféré certaines par rapport à d’autres. Le marquis de Millepertuis par exemple avait été ennuyeux à mourir et chaque lettre qu’elle recevait de lui avait été aussi fastidieuse à lire qu’un traité d’agriculture écrit par un analphabète. Et puis il y avait eu les autres : Aymeric, mon correspondant depuis l’enfance –son tout premier !-, Rebecca bien sûr, qui sans qu’elle ne l’ait jamais rencontrée était ainsi devenue son amie la plus proche, Sofia avec qui elle avait eu une correspondance pratiquement ininterrompue depuis leur rencontre en Suède… Et puis il y avait eu Jean Racine. Encore une étape au-dessus dans le délice des lettres et de la correspondance. Depuis sa première missive, elle guettait chacune de ses lettres avec l’impatience d’un écolier guettant la fin de la leçon. Il maîtrisait l’art de l’enchanter à chaque fois, mais de toujours la laisser sur une note de suspense, une interrogation qui la poussait à répondre dans la journée, laissant juste à son esprit le temps de mûrir la réponse pour l’écrire le soir. Mieux valait ne rien lui demander ces jours-là, car plus rien n’existait autour d’elle exceptée la lettre avec laquelle elle se promènerait toute la journée et les mots qui danseraient dans sa tête alors qu’elle essayerait d’attraper les bons pour les coucher sur le papier ! Plusieurs fois évidemment, elle s’était elle-même trouvée ridicule d’être aussi impatiente et même puérile, aussi avait-elle fait son possible pour réfréner sa joie guillerette dans ses réponses, adoptant un ton peut-être plus grave sans pour autant tomber dans l’ennuyeux, ça jamais ! Mais oui, elle s’était peut-être dépeinte un peu plus sage qu’elle ne l’était réellement, elle qui en écrivant n’avait qu’une seule envie : annoncer son bonheur à la terre entière ! Qu’on ne vienne pas dire d’elle qu’elle était exigeante, puisque quelques feuilles de papier chaque semaine suffisait à son bonheur…
Et son correspondant, qui était-il ? Elle avait réussi grâce à des amis qui avaient voyagé en France à obtenir le récit de ses pièces, parfois même un exemplaire imprimé, et puis lui-même lui envoyait régulièrement des vers sur lesquels il travaillait pour lui demander son avis. Lorsqu’elle lui avait répondu, elle attendait le courrier en s’imaginant Racine assis à son bureau, les doigts noircis par toute l’encre qu’il devait utiliser pour écrire, le dos courbé et les sourcils plissés de concentration. Elle l’imaginait regarder par la fenêtre sans voir le paysage, le menton dans le creux de la main, marmonnant ses rimes comme pour en tester la mélodie à voix haute. Ne trouvant pas le mot qui lui échappait, il se serait levé et aurait tourné en rond dans la pièce comme un lion en cage tout en continuant de marmonner, jusqu’à ce que ne se fasse l’illumination. Alors, il aurait couru à son bureau pour enfin écrire et apposer le point final à un nouveau poème ou une nouvelle pièce. Elle avait d’ailleurs écrit un court texte sur cette scène issue de son imagination et la lui avait envoyée avec sa dernière lettre, celle dans laquelle elle avait accepté cette rencontre à l’Orangerie. Et voilà qu’enfin, elle avait en face d’elle cet être auparavant fait d’encre et de lettre …

Du moins, si c’était bien de lui qu’il s’agissait. Elle avait toujours un petit doute, même si quelque chose en elle lui disait qu’elle avait accosté la bonne personne. N’était-il pas le seul homme ne fût pas accompagné au milieu de tous ces gens ? N’avait-il pas l’air d’attendre quelqu’un ? Il le lui confirma d’ailleurs bien vite, peut-être pas de la manière la plus avenante, mais c’était au moins une confirmation !

- Mademoiselle, oui, en effet, j'attends quelqu'un mais je doute que vous puissiez m'aider dans ma recherche.

La voix n’était pas aussi grave que la plupart des hommes qu’elle avait pu rencontrer en France depuis son arrivée, et avait même quelque chose de cassée, un peu rocailleuse, mais pas désagréable à l’oreille. Son portrait de Jean Racine se précisait : même si ce jeune homme n’était pas son correspondant –ce dont elle doutait, vu sa réponse- elle l’imaginerait avec cette voix jusqu’à le voir. Mais non, elle en était sûre, cet homme en bleu devait être Racine ! Dommage qu’elle n’ait pas pensé à lui envoyer une image, ou au moins lui dire à quoi elle ressemblait pour faciliter la reconnaissance, mais quelque chose lui disait qu’elle n’avait plus à chercher bien longtemps.

- Je suis navré de ne point pouvoir vous tenir compagnie mais ce fut un plaisir...

Soudain il se tut et la regarda avec dans les yeux une lueur nouvelle. Pour un peu, elle aurait presque entendu le « DING ! » des rouages de son cerveau qui venait de comprendre ! Croisant les bras, elle tenta de réprimer un sourire amusé mais ses yeux rieurs ne suivirent pas la consigne. Poussant le jeu un peu plus loin, elle haussa un sourcil, l’air de demander « et bien ? Vous y êtes, ou bien faut-il que je vous aide un peu ? ». En tout cas, voilà qui l’intriguait : comment se l’était-il imaginée si l’idée que la petite blondinette qu’elle était pouvait être Helle de Sola ne lui avait pas effleuré l’esprit ? Voilà un point qui l’intéressait bien et qu’elle se promettait d’élucider plus tard !

- Mais peut-être finalement pouvez-vous m'aider ?
« Peut-être ! » lâcha-t-elle avec son sourire en coin.
-Est-ce donc bien vous madame de Sola ? Je suis Jean Racine, le dramaturge... Pardonnez-moi mon impolitesse, je n'imaginais point que... Que...

C’était bien lui ! Son bonheur, qui n’avait d’égal que son amusement face à l’embarras de son interlocuteur, eut raison du masque plus ou moins énigmatique que depuis cinq minutes elle s’efforçait en vain de conserver et son visage s’illumina d’un vrai sourire. Voici donc son cher Racine ! Elle lui retourna sa révérence et accepta son bras tout en lui dédiant un regard interrogateur :

« Que quoi, monsieur Racine ? Que la pauvre jeune femme désoeuvrée au bord du bassin pouvait être votre correspondante ? J’aurais dû venir avec mon nécessaire à écriture : nul doute qu’avec la plume à la main, vous m’eussiez aussitôt reconnue ! »

Duo parmi les couples, ils passaient dorénavant complètement inaperçus au milieu de tout ce monde. Qui aurait pu croire que ces deux-là venaient tout juste de se rencontrer ? A Helle, bien qu’elle fût quelque peu intimidée par la présence de Racine en personne, il semblait qu’ils se connaissaient depuis toujours et qu’il ne s’agissait que d’un rendez-vous parmi tant d’autres. Et pourtant, pour la première fois, ils allaient pouvoir échanger directement et avoir les réponses à leurs questions ou remarques en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « lettre » ! L’avantage de la correspondance, c’était qu’on avait le temps de mûrir sa réponse. Dans une conversation en face-à-face comme celle-ci, il fallait savoir quoi dire et comment le dire simultanément et dans la seconde qui suivait ! Intérieurement, Helle priait pour que son esprit paraisse aussi intéressant à Racine dans sa conversation que dans son courrier. Et s’il la trouvait futile ? Ah non, tout sauf ça ! Voilà que tout à coup c’était elle qui s’inquiétait ! Elle ne regrettait absolument pas d’être venue mais… Et si elle n’était pas à la hauteur ? Mieux valait ne pas y penser !

« Très bonne idée que de proposer l’Orangerie pour ce rendez-vous. » remarqua-t-elle en englobant l’endroit du regard. « Avez-vous remarqué comme les couleurs de fruits, des arbres et des fleurs se font plus vives en hiver ? En été il y a tellement de couleur partout que la plupart se perd dans la masse… Mais regardez-moi ça : tout est gris ou blanc autour de nous, et les plus belles couleurs n’en ressortent qu’avec plus d’éclat. »

Comme pour souligner ses propos, elle tendait la main tout en marchant et effleurait du bout des doigts les oranges et les fleurs chatoyantes couvertes encore de rosée. Tournant de nouveau la tête vers lui en souriant, elle ajouta :

« Je n’en attendais pas moins de vous. Je dois dire que vous êtes différent de ce que j’ai pu m’imaginer, je vous voyais plus… Austère, peut-être ? Mais guère comme un professeur d’école, ces gens-là sont souvent conventionnels et vos lettres m’ont toujours donné l’impression du contraire. Vous pouvez vous vanter d’avoir attisé ma curiosité dès votre première lettre, car depuis je n’ai cessé d’essayer de deviner quel genre d’homme vous pouviez être. »

Et elle n’était pas déçue du résultat, au contraire. Non pas qu’elle se réjouissait particulièrement d’avoir affaire à un bel homme, même si elle n’allait pas mentir et dire que ça n’ajoutait aucun charme à cette rencontre ; mais elle était heureuse de voir que Jean Racine n’avait rien –ou du moins avait l’air de ne rien avoir- du lettré pédant qu’aurait pu devenir un jeune homme enivré par le succès ! Pour l’instant, elle avait sous les yeux quelqu’un de charmant, un peu timide à cause de sa maladresse de tout à l’heure, mais c’était bien le Racine de ses lettres qui cheminait à côté d’elle. Décidément, à part un orage ou son mari, rien n’aurait pu gâcher cet excellent début de journée. Et encore, si le mari aurait été un sérieux ennui, elle était sûre que même l’orage ne pourrait venir noircir le tableau !
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MessageSujet: Re: Oh wouldn't it be lovely ? || Racine   Oh wouldn't it be lovely ? || Racine Icon_minitime13.05.12 21:30

A vrai dire, la seule chose qui aurait pu inquiéter Racine en cette journée si radieuse pour ce mois de novembre, c'était d'être déçu. On savait fort bien que les personnes sans esprit, sans sens de la répartie, celles à l'âme noire et vile pouvaient se dissimuler derrière des mots charmants, parfois dictés par d'autres. Certes, on ne pouvait pas autant faire mentir les phrases et les belles pensées qui se trouvaient dans les lettres de Helle de Sola avaient tout à fait convaincu Racine qu'il allait faire face à une dame intelligente et soignée. Mais peut-être était-elle timide ? N'oserait-elle pas lui dire directement ce qu'elle avait pourtant laissé courir librement sous sa plume ? Peut-être même était-ce l'une de ces personnes qui avaient besoin du temps de la réflexion et qui ne parvenait pas à être spirituelles lorsque le moment l'exigeait ? Pire encore, Helle pouvait être l'une de ces femmes bien sérieuses que l'on trouvait parfois dans les salons, qui ne savaient badiner, juste faire part de leurs théories littéraires sans prendre part aux charmes et aux plaisirs de la conversation. Les ennuyeuses. Racine ne leur niait pas une grande intelligence mais à quoi celle-ci pouvait-elle servir si l'on passait son existence avec une mine triste sans goûter aux plaisanteries ? Mais ces sujets d'inquiétudes étaient bien éloignés de son esprit en cet instant où il la rencontrait enfin. Il ne doutait pas qu'elle saurait se montrer aussi vive et enjouée que ses lettres, véritables bouffées d'air quand les difficultés s'accumulaient sur la tête de Racine. Et la voir en cette période, alors qu'il venait, sans le vouloir, de faire un camouflet à la reine et de décevoir le roi et Madame (au moins, son malheur devait faire des heureux en les personnes de Monsieur et Molière), c'était le plus beau des cadeaux, un peu inespéré. Peut-être était-ce lui qui allait décevoir finalement ? Racine n'était pas ce poète inspiré, un peu maudit, coureur de salons comme on pouvait l'imaginer. Ou plutôt si mais il allait aussi régulièrement dans les bas-fonds de Paris et participait à plus de soirées de débauche qu'il ne le faudrait. Et cela, le dramaturge espérait bien que la douce Helle ne viendrait jamais à l'apprendre. Comment pourrait-il ensuite la regarder en face, elle qui était d'une telle sensibilité et qui avait une telle plume ? Par bien des côtés, il lui semblait qu'elle était meilleure que lui. En tant qu'écrivain mais surtout en tant que personne. Jamais il ne pourrait la désappointer.

- Que quoi, monsieur Racine ? Que la pauvre jeune femme désœuvrée au bord du bassin pouvait être votre correspondante ? J’aurais dû venir avec mon nécessaire à écriture : nul doute qu’avec la plume à la main, vous m’eussiez aussitôt reconnue !

Il lui semblait déjà qu'il venait de se ridiculiser et qu'il avait perdu une part de son estime ce qui le fit rougir de plus belle. Voilà qu'elle allait s'imaginer qu'il était un homme malpoli, presque méprisant. Racine n'avait guère l'habitude de la gêne ou de la peur de faire mauvaise impression... Non, il découvrait ce sentiment pour la première fois de son existence. Sa gouaille et son assurance l'avaient toujours sauvé dans toutes les situations. Mais face à la jeune Helle qui ne ressemblait en rien à tout ce qu'il s'était plu à imaginer d'elle, il se sentit incroyablement intimidé. Elle avait beau faire une tête de moins que lui, avoir un visage encore très enfantin, des manières de jeune personne, il avait le sentiment d'être un gosse pris en faute sous son regard un peu (trop) sérieux. Il aurait pourtant tellement voulu qu'elle l'apprécie d'entrée de jeu ! Pouvait-il imaginer pire rencontre, lui qui avait tant espéré de cette amitié ? L'esprit embarrassé de ces pensées, Racine mit quelques secondes avant de prendre vraiment conscience de ce que la jeune femme venait de lui dire. Ce qui le tira vraiment de ces songes un peu moroses, ce fut le sourire éclatant qu'elle afficha. Rêvait-il ou venait-elle.. De le taquiner ? Les joues toujours rosies, le dramaturge ne put empêcher un petit rire de franchir ses lèvres alors que l'expression de son visage s'adoucissait. En un instant, tout ce qui avait pu l'effrayer avait disparu. La petite personne devant lui se jouait de lui ! Il lui tendit son bras avec entrain et un large sourire écarta ses lèvres :

- Eussiez-vous choisi de vous déguiser en valkyrie que j'aurais été capable de ne point vous reconnaître, très chère madame, plaisanta-t-il à son tour, les yeux pétillants, la grande correspondante que vous êtes doit bien savoir que nous nous faisons bien des idées fausses sur ceux à qui nous écrivons. Et dans votre cas, la réalité est bien supérieure à tout ce que mon imagination a bien pu inventer... Pourrez-vous me pardonner si je vous avouais avec honte que vous étiez pour moi l'une de ces dames de salon aux cheveux grisonnants, à l'air bien sévère, à la taille haute et à la silhouette massive pour pouvoir faire face au dur climat du grand Nord... ? Là est bien l'image que nous autres Français, nous nous forgeons des Suédois, nous pensons que nous allons avoir affaire à des ours !

Cette tirade avait achevé de le mettre à son aise et tout en l'entraînant dans son parcours habituel dans l'Orangerie, celui qui privilégiait pour sa beauté et sa tranquillité, il adressa un regard taquin vers la jeune femme qui n'avait en effet pas grand-chose à voir avec cet animal lourd et pataud. Il se pencha vers elle pour lui faire un galant baisemain, comme pour se faire excuser de sa hardiesse mais il savait qu'elle ne pouvait l'avoir mal pris. Helle de Sola donnait vie avec une étonnante justesse aux lettres qu'elle lui avait écrites. Pleines d'esprit, de drôlerie, elles étaient à l'image de leur propriétaire, charmante et gracieuse.

- Très bonne idée que de proposer l’Orangerie pour ce rendez-vous. Avez-vous remarqué comme les couleurs de fruits, des arbres et des fleurs se font plus vives en hiver ? En été il y a tellement de couleur partout que la plupart se perd dans la masse… Mais regardez-moi ça : tout est gris ou blanc autour de nous, et les plus belles couleurs n’en ressortent qu’avec plus d’éclat.

Lui qui avait laissé son regard errer sur les alentours, admirant justement les arbres aux couleurs chatoyantes au milieu desquels déambulaient quelques couples, quelques taches éclatantes de bleu, de rouge et de jaune dans cet univers floral, reporta son attention sur elle, non sans surprise. Il n'était pas sans ignorer qu'ils avaient la même opinion sur bien des sujets, leur correspondance le leur avait assez démontré mais le fait qu'elle pense exactement la même chose que lui à propos de l'Orangerie lui confirmait encore qu'ils avaient des âmes forgées dans le même souffle, que leur esprit, pourtant formé à des kilomètres de distance, sur des lectures si différentes était semblable. Ce fut comme une bouffée d'admiration qu'il sentit grandir pour elle, presque de l'affection.

- Vous me voyez ravi que cet endroit vous plaise. Pour tout vous avouer, c'est bien là l'un des seuls lieux de Versailles que je chéris tout particulièrement surtout en hiver. Je viens ici pour me rappeler que le sommeil de la nature n'est pas éternel et que les arbres peuvent continuer de pousser et les fleurs de s'embellir même lorsque le temps leur inflige bien des épreuves... Certains des courtisans doivent sans doute penser que je viens ici surtout pour leur échapper... Ce en quoi ils n'ont pas tort... Je n'aime guère me retrouver au centre de leur foule, ce n'est guère un lieu pour produire de bons vers sinon ceux de circonstance.

Ils poursuivirent un peu leur marche, toujours entraînés par le jeune homme qui désignait du doigt de temps à autre les espèces rares que possédait le roi et dont ce dernier n'était pas peu fier.

- Je n’en attendais pas moins de vous, reprit Helle. Je dois dire que vous êtes différent de ce que j’ai pu m’imaginer, je vous voyais plus… Austère, peut-être ? Mais guère comme un professeur d’école, ces gens-là sont souvent conventionnels et vos lettres m’ont toujours donné l’impression du contraire. Vous pouvez vous vanter d’avoir attisé ma curiosité dès votre première lettre, car depuis je n’ai cessé d’essayer de deviner quel genre d’homme vous pouviez être.
- Vous m'en voyez flatté, madame, répondit Racine, surpris de ces compliments, sentant de nouveau ses joues s'embraser (ne pouvaient-elles donc point se tenir tranquilles ?). Même si j'avais été digne d'être votre correspondant, je n'aurais osé espérer attirer votre attention sur une personne telle que moi... Je le mérite si peu ! Je vois que je ne suis donc pas le seul à avoir été trompé dans mon imagination. J'espère que vous n'être point déçue de l'homme que vous avez en face de vous. Je prends mon manque d'austérité pour un compliment, nous sommes trop jeunes pour être austères, nous aurons bien le temps de l'être dans quelques dizaines d'années lorsque nos petits-enfants nous paraîtront bien facétieux et frivoles et que nous n'aurons cesse de les critiquer, n'est-ce pas ?

Ils étaient arrivés devant un parterre d'orangers et sentaient les effluves venues des fruits ronds monter vers eux. Racine adorait cette odeur. Il jeta de nouveau un regard sur Helle et la vit si rayonnante qu'il se promit de lui offrir régulièrement des fleurs. N'en était-elle pas une elle-même après tout ? Il savait où elle vivait, il ne serait pas difficile de lui en faire parvenir. Pour une femme qui se trouvait seule dans un pays inconnu, ce serait sans doute rassurant de savoir qu'elle avait un ami sur qui comptait et qui pensait à elle.

- J'espère, madame, que vous êtes bien installée dans l'hôtel de la princesse Farnèse. Si vous avez besoin d'un quelconque service, je serai ravi de vous apporter ce que vous désirez. Vous me disiez que vous aviez un enfant ? Lui aussi est-il du voyage, dites-moi ? Si tel est le cas, vous auriez tout à fait pu nous l'amener aujourd'hui, sans doute aurait-il aimé cet endroit lui aussi. J'aurais été ravi de faire sa connaissance. Cela ne doit pas être facile pour un jeune enfant de quitter tout ce que l'on a connu pour se trouver dans un pays étranger...


Il le savait parfaitement lui-même. Il avait à peine dix ans quand son grand-père Racine était mort et que sa grand-mère qui avait décidé de prendre le voile à l'abbaye de Port-Royal l'avait arraché à La Ferté-Milon, l'endroit où il avait grandi pour le faire vivre dans les alentours du couvent. Il reprit un ton plus badin pour poursuivre :

- Dites-moi, ma chère, si vous permettez que je vous appelle ainsi, combien de temps comptez-vous rester parmi nous ? Le plus longtemps possible, je l'espère, j'ai de nombreuses choses à vous découvrir, de nombreuses personnes à vous présenter et de nombreux lieux à vous faire visiter. Nous avons un programme bien chargé ! S'il y a une seule chose que je puis vous assurer, malgré tout mon respect pour la cour de Suède, c'est que vous allez vous plaire ici. Déjà... Il y fait bien moins froid !
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MessageSujet: Re: Oh wouldn't it be lovely ? || Racine   Oh wouldn't it be lovely ? || Racine Icon_minitime21.06.12 17:18

Le premier contact s’était avéré fastidieux, mais au moins il était fait, et tout s’était terminé dans un grand éclat de rire ! Helle n’aurait pu rêver meilleure rencontre avec son correspondant jusque-là sans visage, une rencontre au milieu des arbres verdoyants de l’Orangerie et des fleurs chatoyantes qui bravaient courageusement le froid de l’hiver. Eux-mêmes étaient un peu comme ces fleurs, dehors à affronter la température glaciale alors qu’il eut été plus confortable de se rencontrer en intérieur, mais combien de charme alors se serait évaporé ! Helle et Racine avaient besoin d’un décor à leur image, et surtout à la hauteur de leurs imaginations respectives : un décor coloré, stimulant, où mille détails attiraient l’œil de l’observateur attentif et provoquaient l’émerveillement. Il plaisait à la danoise de penser que ce décor de l’Orangerie était la matérialisation du décor qu’à deux ils avaient construit dans leurs lettres, d’autant plus qu’en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, elle était tombée sous le charme de ce jardin exotique dont elle ignorait encore l’existence une semaine auparavant. Si Versailles recélait d’autres merveilles de ce goût-là, elle s’y plairait encore bien plus qu’à la cour de Suède ! Charles X Gustave avait été un homme charmant, mais aussi un belliqueux que les décorations et les jardins n’intéressaient malheureusement guère. Ici, à la cour du roi Soleil, il en allait autrement, et Helle sentait grandir en elle l’admiration coutumière de tout nouvel arrivé en ces décors enchanteurs. Et elle était ravie de les découvrir au bras de son correspondant préféré !

- Vous me voyez ravi que cet endroit vous plaise. Pour tout vous avouer, c'est bien là l'un des seuls lieux de Versailles que je chéris tout particulièrement surtout en hiver. Je viens ici pour me rappeler que le sommeil de la nature n'est pas éternel et que les arbres peuvent continuer de pousser et les fleurs de s'embellir même lorsque le temps leur inflige bien des épreuves... Certains des courtisans doivent sans doute penser que je viens ici surtout pour leur échapper... Ce en quoi ils n'ont pas tort... Je n'aime guère me retrouver au centre de leur foule, ce n'est guère un lieu pour produire de bons vers sinon ceux de circonstance. Avait commenté Racine lorsqu’elle avait manifesté son admiration pour ces lieux.

Elle souriait encore de cette réplique, tellement digne de l’image qu’elle s’était faite de lui à travers ses lettres ! Elle s’émerveillait encore du bonheur que provoquait en elle cette rencontre et de la chance qu’elle avait de l’avoir à ses côtés. Plus elle regardait et écoutait son compagnon, plus elle était persuadée que cette rencontre, loin de gâcher le lien qui les unissait comme cela arrive parfois dans le cadre d’une correspondance, ne ferait que renforcer l’amitié qui les unissait déjà dans les mots. Ce n’était pas une désillusion, c’était une confirmation ; une confirmation que Jean Racine était bien l’homme épatant qu’elle avait deviné dans ses lettres et ses poèmes. Dans les yeux bleus de la danoise, on ne pouvait lire que ravissement et profond respect pour cet homme qu’elle savait être l’un des plus en vue de la cour. Elle était si curieuse de le découvrir en chair et en os qu’elle s’amusait de tout, de sa jeunesse alors qu’elle l’avait imaginé vieux, du son de sa voix, de la cadence de ses pas, de ses froncements de sourcils, de ses sourires, du rythme auquel ses mots se formaient, avec autant de fluidité et d’aisance que le cours d’un ruisseau. Jean Racine prenait corps et vie devant elle, et elle en était plus émue que ce qu’elle voulait bien laisser paraître.

- Vous m'en voyez flatté, madame, répondit-il (oh, il rougissait ? Cette découverte ne fit qu’ajouter du charme au personne, le rendant encore un peu plus humain et attachant qu’il ne l’était déjà). Même si j'avais été digne d'être votre correspondant, je n'aurais osé espérer attirer votre attention sur une personne telle que moi... Je le mérite si peu ! Je vois que je ne suis donc pas le seul à avoir été trompé dans mon imagination. J'espère que vous n'être point déçue de l'homme que vous avez en face de vous. Je prends mon manque d'austérité pour un compliment, nous sommes trop jeunes pour être austères, nous aurons bien le temps de l'être dans quelques dizaines d'années lorsque nos petits-enfants nous paraîtront bien facétieux et frivoles et que nous n'aurons cesse de les critiquer, n'est-ce pas ?
« Déçue ? J’étais justement en train de me dire que mon imagination m’avait dessiné de vous un portrait bien en-dessous de la vérité. » répondit-elle, encore étonnée de la manière qu’il avait eue de pratiquement lire dans ses pensées. « C’est moi qui suis intimidée maintenant. Moi, une petite baronne danoise sans importance, me promener ainsi au bras du plus grand dramaturge du royaume de France, après avoir échangé avec lui une si longue et passionnante correspondance ? Je continue de me demander ce que j’ai pu faire pour mériter une pareille chance, et croyez bien que je ne vais pas la laisser filer si facilement ! »
- J'espère, madame, que vous êtes bien installée dans l'hôtel de la princesse Farnèse. Si vous avez besoin d'un quelconque service, je serai ravi de vous apporter ce que vous désirez. Vous me disiez que vous aviez un enfant ? Lui aussi est-il du voyage, dites-moi ? Si tel est le cas, vous auriez tout à fait pu nous l'amener aujourd'hui, sans doute aurait-il aimé cet endroit lui aussi. J'aurais été ravi de faire sa connaissance. Cela ne doit pas être facile pour un jeune enfant de quitter tout ce que l'on a connu pour se trouver dans un pays étranger...

Helle eut un sourire reconnaissant envers Racine pour l’aide qu’il lui proposait si gentiment. Il était vrai qu’elle ne connaissait encore pas grand monde à Versailles, et qu’il lui arrivait de se sentir perdue parfois quand Sofia n’était pas là pour l’orienter un peu. Tout était si différent de la Suède ! Mais elle refusait de montrer quoi que ce soit de ses hésitations, après tout, elle s’en était très bien sortie toute seule pendant ces douze dernières années, s’expatriant à l’âge de dix-huit ans pour s’installer dans une cour totalement inconnue –et ennemie de son pays d’origine qui plus est- et elle s’en était sortie avec brio, se faisant sa propre place et élevant sa fille toute seule. S’installer à la cour de France n’avait en somme rien de bien différent que de s’installer en Suède. A la différence près que cette fois-ci, elle avait son expérience pour elle. Et puis, elle ne voulait pas abuser de la gentillesse de son nouvel ami qui avait sûrement déjà tant à faire !

« Etonnamment, Ellen a très bien pris ce départ de la Suède. Elle n’a que douze ans, mais je la trouve très mature pour son âge. Ce n’est probablement que de la fierté de mère, mais lorsque je lui ai annoncé que nous partions pour Versailles, elle a aussitôt demandé leur aide à nos domestiques pour boucler ses malles. Je vous promets de vous la présenter un jour, mais aujourd’hui elle avait sa leçon de chant, puis de français. Je suis sûre qu’elle vous adorerait ! » répondit-elle avec bonne humeur.

Jamais dans ses lettres Helle n’avait évoqué avec lui le sujet de son mari. Elle préférait largement tenir l’ombre absente d’Ulrich hors de son amitié avec Jean Racine, elle était persuadée que sinon cela lui porterait malheur, pour une raison ou pour une autre. Ne serait-ce que parce que parler de lui assombrissait son humeur et la rendait inquiète. Et si elle ne le retrouvait pas ? Et s’il avait de nouveau disparu dans la nature ? Elle n’osait imaginer la déception de sa fille, qui attendait avec tant d’impatience de rencontrer son père. Mais Helle refusait de penser à lui maintenant, et s’il apparaissait sous ses yeux dans l’instant, elle l’éviterait ! Hors de question de le laisser gâcher cette rencontre qu’elle avait attendue si longtemps !

- Dites-moi, ma chère, si vous permettez que je vous appelle ainsi, combien de temps comptez-vous rester parmi nous ? Le plus longtemps possible, je l'espère, j'ai de nombreuses choses à vous découvrir, de nombreuses personnes à vous présenter et de nombreux lieux à vous faire visiter. Nous avons un programme bien chargé ! S'il y a une seule chose que je puis vous assurer, malgré tout mon respect pour la cour de Suède, c'est que vous allez vous plaire ici. Déjà... Il y fait bien moins froid !

Cette dernière remarque fit rire Helle qui opina d’un air convaincu et commençait déjà répondre :

« Je vous l’accorde volontiers ! Pour vous répondre, je ne sais pas encore quand nous repartirons, si nous repartons un jour, mais… Min gud ! » s’exclama-t-elle entre ses dents. Et pour cause : elle venait de voir passer une silhouette bien trop familière à son goût, avec cette haute taille, ce teint pâle et ces cheveux blonds. ULRICH ?!

Aussitôt, elle perdit contenance et se dissimula vite derrière un buisson. Ce n’était pas possible, pourquoi fallait-il qu’il ressurgisse maintenant ? Mais était-ce bien lui au moins ? Elle ne l’avait vu que très brièvement, puisque son réflexe premier avait été de se cacher (elle avait encore en mémoire sa terrifiante colère le soir de leurs noces !), mais elle aurait pratiquement pu jurer que c’était bien lui ! Pourquoi maintenant, pourquoi pile pendant ce rendez-vous ? Cachée derrière son arbuste, elle déglutit, en proie à de violentes émotions contradictoires, la première étant la peur de l’affronter, la deuxième la volonté de le faire. Devait-elle le rattraper, lui courir après pour s’expliquer maintenant qu’elle l’avait sous la main ? Ou bien le retrouverait-elle plus tard, puisqu’apparemment il était toujours à Versailles ? C’est alors qu’elle remarqua que Racine la regardait d’un air étonné… Et elle l’attrapa par la manche afin de l’attirer derrière l’arbuste à son tour.

« Cachez-vous, il va nous voir ! » lui murmura-t-elle

Si le baron de Sola les voyait, c’était fichu ! Qu’est-ce qui était fichu ? Elle n’en était pas bien sûre elle-même. Cette vision inattendue l’avait profondément remuée, plus qu’elle ne l’aurait pensé, et cela ne lui plaisait pas. Elle se passa une main sur le front, reprenant ses esprits, et jeta un œil de l’autre côté. Rien. Ulrich, si c’était bien lui qu’elle avait aperçu, s’était volatilisé. Elle respira de nouveau. Peut-être avait-elle tout simplement rêvé…
C’est alors qu’elle réalisa que Racine se trouvait toujours à ses côtés, et qu’il ne devait pas comprendre grand-chose à la situation ! Elle devait passer pour une parfaite folle à ses yeux ! Cette pensée la fit rougir de honte, et c’est sur un ton bien piteux qu’elle s’adressa à lui :

« Mon Dieu… Je n’ose imaginer ce que vous pensez de moi après cette scène, et j’en suis profondément désolée… Si vous saviez comme j’ai honte ! » Elle avait désormais l’air soucieuse, mais au moins avait-elle repris possession de son sang-froid qui lui avait momentanément fait défaut. Ils reprirent leur marche, et Helle crut bon de poursuivre ses explications afin qu’il ne la prenne pas pour une illuminée. « Croyez-moi je ne suis pas si émotive, habituellement. Mais j’ai entendu dire qu’il y avait à Versailles certaines personnes que j’ai connues et que je n’ai pas vraiment hâte de retrouver, du moins pas quand je passe un agréable moment avec vous. J’ai cru voir l’une d’entre elles, et comme je n’y étais pas préparée… J’ai paniqué. Je vous présente une nouvelle fois mes excuses. »

Ulrich serait donc bien à Versailles. Forte de cette quasi-certitude, elle chassa définitivement son mari de son esprit, désireuse de retrouver la bonne humeur et l’insouciance dont elle témoignait depuis leur rencontre au bord de la fontaine. Lorsqu’elle tourna la tête vers lui, elle souriait de nouveau, et le souci n’apparaissait presque plus sur ses traits encore jeunes. Autant changer de sujet de conversation, ce serait encore le plus simple !

« Si vous désirez toujours rencontrer Ellen après ce ridicule épisode que je vous demanderais d’être assez aimable pour l’effacer de votre mémoire… » reprit-elle sur le ton de la plaisanterie. « Pourquoi ne passeriez-vous pas à l’hôtel Farnèse un de ces jours ? Je suis sûre que la princesse n’y verra aucune objection et qu’Ellen sera ravie de vous voir. Elle a beaucoup aimé vos poèmes que je lui ai lus. »

Elle n'osait pas évoquer le fameux programme qu'il avait prévu pour elle, se demandant encore s'il accepterait de la revoir après cette drôle de scène... Et pourtant elle brûlait d'en savoir plus ! Ah, si Ulrich lui avait gâché cette opportunité, elle ne lui pardonnerait jamais !
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MessageSujet: Re: Oh wouldn't it be lovely ? || Racine   Oh wouldn't it be lovely ? || Racine Icon_minitime07.12.12 18:06

La vie offrait parfois de drôles de rencontres et Racine avait appris à profiter au maximum de ce que le destin plaçait sur sa route. Comment aurait-il pu en être autrement ? Pour se trouver dans la position qu'il occupait à présent, invité à la cour de Versailles, lu par le roi lui-même, il lui avait fallu saisir les occasions qui s'étaient présentées à lui – il était bien ce que ces nobles, incapables de penser que le mérite pouvait surpasser la naissance, appelaient un parvenu. Parmi ces occasions, il y avait ces rencontres avec des personnes intéressantes, douées d'un esprit brillant, d'une plume vive, capables de lui parler de ses pièces, de le conseiller, de le critiquer – non pour le plaisir de détruire sa réputation, ceux-là n'étaient que méprisables, juste pour lui donner leur avis et l'aider à s'améliorer -, capables de le présenter à d'autres hommes et femmes de leur acabit, au roi lui-même. Racine, depuis son enfance, avait peu à peu élargi son cercle de connaissances ainsi, n'oubliait jamais les amis des premiers temps, son cousin et Le Vasseur en tête mais rayait de son existence les indésirables comme Molière. Helle de Sola faisait partie de ces belles rencontres qui illuminaient une journée et rendaient l'existence moins monotone. Pourtant Racine, en commençant sa correspondance avec elle, n'aurait jamais cru pouvoir un jour la rencontrer dans la réalité. Pendant tout le temps de leur correspondance, la jeune femme était demeurée presque abstraite à ses yeux. Mais elle était bien devant lui, bien plus jolie qu'il ne l'aurait jamais imaginé, toute faite de chair et d'os, il l'aurait presque prise pour une enfant s'il n'y avait eu ces yeux pétillants, ce regard profond, signe de sagesse et ce sourire de connivence. Une véritable fleur parmi celles de l'Orangerie, rarement endroit n'avait été plus approprié pour une première rencontre ! Et malgré la façon dont il s'était montré stupide dès les premiers mots échangés, elle n'avait pas eu l'air de lui en tenir rigueur, conversant avec lui de la manière la plus naturelle qu'il soit. Et à chaque phrase de plus, à chaque mot presque, il sentait grandir pour elle une véritable admiration qu'il ne cherchait pas à dissimuler. Combien de femmes possédaient l'intelligence ou le courage de cette mère venue d'un endroit qui n'avait rien à voir avec Versailles pour se jeter dans la fosse aux lions ? Certains auraient parlé d'inconscience mais Racine savait qu'il n'en était rien. Et il remerciait en silence le destin de lui avoir donné la chance de faire la connaissance d'une personne telle que la baronne de Sola. Il comptait bien ne pas la laisser passer !

- Déçue ? J’étais justement en train de me dire que mon imagination m’avait dessiné de vous un portrait bien en-dessous de la vérité. C’est moi qui suis intimidée maintenant. Moi, une petite baronne danoise sans importance, me promener ainsi au bras du plus grand dramaturge du royaume de France, après avoir échangé avec lui une si longue et passionnante correspondance ? Je continue de me demander ce que j’ai pu faire pour mériter une pareille chance, et croyez bien que je ne vais pas la laisser filer si facilement !

Réprimant un petit rire, Jean laissa tout de même échapper un sourire ravi en constatant que leurs pensées étaient si parallèles en cet instant même si ce n'était pas uniquement par galanterie qu'il pensait que c'était surtout lui qui devait profiter de cette opportunité. Elle avait tant à lui apprendre avec son imagination débordante et son goût si juste ! Mais n'était-ce pas là le propre de vrais amis que de songer aux mêmes choses au même moment ? Bien sûr, il n'oserait pas encore parler d'amitié après un simple premier rendez-vous, cela aurait paru bien hardi sans doute mais c'était bien ce qui avait commencé à se construire au fil de leurs lettres. Chacune d'entre elles avait été un ferment, une pièce de leur lien qui se construisait petit à petit à travers les mers et les contrées qui les séparaient, comme un fil invisible qui représentait tout ce qu'ils partageaient, l'amour des belles lettres notamment. Ils venaient de se rencontrer et pourtant ils se comprenaient – peut-être plus que Racine n'était proche de certains membres de sa famille ou de certains de ses amis. Étrange de penser que l'on pouvait trouver une âme sœur littéraire si loin de tout, au cœur d'un endroit hostile comme devait bien l'être le Danemark ou la Suède (pour la défense de Racine, il ne connaissait ces pays que derrière les récits terrifiants que les voyageurs pouvaient bien raconter dans les tavernes pour obtenir l'effroi des demoiselles). Le hasard faisait parfois bien les choses, même Racine qui n'avait pas pour habitude de s'y reposer devait bien le reconnaître.

- Étonnamment, Ellen a très bien pris ce départ de la Suède. Elle n’a que douze ans, mais je la trouve très mature pour son âge. Ce n’est probablement que de la fierté de mère, mais lorsque je lui ai annoncé que nous partions pour Versailles, elle a aussitôt demandé leur aide à nos domestiques pour boucler ses malles. Je vous promets de vous la présenter un jour, mais aujourd’hui elle avait sa leçon de chant, puis de français. Je suis sûre qu’elle vous adorerait !

Déjà une enfant de douze ans ?! Racine ne put s'empêcher de jeter un coup d’œil surpris sur sa compagne qui lui paraissait si jeune mais sans se départir de son sourire bienveillant. Comment cela était-il possible ? A quel âge avait-on donc marié Helle ? Certes, il n'était pas besoin d'aller aussi loin que le Danemark pour voir ce genre de pratiques mais cela répugnait Racine... Presque autant que Molière dans ses pièces, c'était dire ! Au moins, avoir une fille déjà presque adolescente comportait l'avantage d'avoir une vraie interlocutrice en face de soi. Quelqu'un à qui on pouvait parler littérature et dont on pouvait encore façonner l'esprit. Racine était sincèrement curieux de voir à quoi pouvait ressembler cette jeune demoiselle. Il espérait de tout cœur qu'elle tienne de sa mère, mère qu'il regardait avec un œil nouveau, encore plus admirateur si cela était possible. Car en plus de tout, Helle était une femme qui avait élevé un enfant et cela la rendait plus expérimentée dans les choses de l'existence que Racine qui n'avait pas encore eu l'occasion de devenir père. Cela devait tout changer. Donner un sens nouveau à ce que l'on accomplissait. Et s'il formait les enfants qu'on voulait bien lui confier comme la petite Éris en son temps ou l'adorable fils de l'inspecteur de police La Reynie, ce n'était pas pareil que de savoir que le petit être que l'on avait sous les yeux était de son sang, qu'il avait une part de soi et une part d'une personne que l'on avait aimé. Il aurait aimé avoir des enfants, un jour, mais sa situation de dramaturge de la cour qui vivait au milieu de sa troupe n'était pas des plus simples pour avoir une épouse respectable. Et rien ne lui disait qu'il serait à la hauteur, lui qui avait grandi sans modèle paternel. Voilà quelque chose qui le distinguait radicalement de Helle mais auquel il aurait voulu goûter.

- Je retiens votre promesse, alors, madame, répliqua Racine d'un ton joyeux, je serais ravi de la connaître. Pour la description que vous me donnez d'elle, elle m'a tout l'air d'avoir le même caractère que sa mère, ce sera donc un véritable plaisir. Je vois que vous prenez à cœur son éducation, ce dont je ne pouvais douter telle que je vous connais désormais. Si vous avez besoin d'un humble poète formé aux lettres latines et grecques, je vous propose mon aide pour sa formation, n'hésitez pas. Il est tellement important de nos jours d'être instruite pour une jeune fille, tant de parents sont coupables de penser le contraire !

Pas un instant, Racine ne pensa à demander ce qu'était devenu le père de la jeune fille. L'imaginait-il probablement mort comme le sien, terrassé par la maladie, ce qui était bien faux mais pas un instant, dans sa correspondance, Helle n'avait évoqué ce sujet pour le détromper. D'ailleurs, celui-ci, sans que le dramaturge n'en prit conscience, se rappela à eux d'une bien étrange manière. Les deux jeunes gens allaient continuer sur le sujet du programme – bien chargé – qui les attendait quand Helle poussa une exclamation qui fit sursauter son interlocuteur, lui qui venait de se focaliser sur la bonne nouvelle d'un départ encore lointain de son amie.

- Je vous l’accorde volontiers ! Pour vous répondre, je ne sais pas encore quand nous repartirons, si nous repartons un jour, mais… Min gud !

Avec une profonde perplexité, Racine vit la baronne de Sola plonger derrière un buisson comme si sa vie en dépendait. Il voulut faire un trait d'humour mais cette réaction l'avait réellement pris au dépourvu. Il se contenta donc de lever la tête vers la direction où Helle avait, semble-t-il, vu quelque chose qui l'avait effrayée et se mit même sur la pointe des pieds pour distinguer une silhouette qui disparaissait derrière un oranger avant de s'arrêter quelques instants pour regarder autour de lui, permettant au dramaturge de voir son visage. Grand, massif, blond, les traits affirmés et sévères que ne venait pas éclairer l'ombre d'un sourire. Il s'agissait de ce Danois qui avait fait grande impression à la cour mais dont Racine ignorait le nom. Il fallait bien dire que cet homme ne paraissait pas s'intéresser au théâtre et n'avait jamais été dans le public d'une de ses représentations – Dieu seul savait toute l'attention que Racine prêtait à ces détails !

- Oh mais il s'agit d'un de vos compatriotes..., s'exclama-t-il en s'attirant l'attention de l'ours mal léché qu'était Ulrich de Sola – l'époux de sa compagne mais ça, il l'ignorait encore, vous êtes bien peu de Danois parmi nous et il faut bien dire que ce monsieur correspond tout à fait à l'idée que l'on peut se faire des habitants de ces royaumes... Voulez-vous que je... ?
Mais Helle ne lui laissa pas le temps de terminer et le saisissant par la manche, l'attira avec force auprès d'elle, derrière le buisson.
- Cachez-vous, il va nous voir ! Murmura-t-elle, d'un air un peu inquiet.

Bon d'accord, cet homme n'avait pas l'air des plus sympathiques mais ce n'était pas une raison pour se cacher et trembler devant lui, si ? D'ailleurs, il s'éloignait déjà à grands pas. Racine jeta un regard interrogateur vers Helle, laquelle semblait l'avoir oublié et se reprenait peu à peu. Au bout de quelques instants, elle s'aperçut enfin qu'il l'observait silencieusement et se mit à rougir avant de lancer piteusement, à la grande honte de Racine qui n'avait pas voulu la mettre mal à l'aise :

- Mon Dieu… Je n’ose imaginer ce que vous pensez de moi après cette scène, et j’en suis profondément désolée… Si vous saviez comme j’ai honte ! Croyez-moi je ne suis pas si émotive, habituellement. Mais j’ai entendu dire qu’il y avait à Versailles certaines personnes que j’ai connues et que je n’ai pas vraiment hâte de retrouver, du moins pas quand je passe un agréable moment avec vous. J’ai cru voir l’une d’entre elles, et comme je n’y étais pas préparée… J’ai paniqué. Je vous présente une nouvelle fois mes excuses.
- Vous n'avez pas à me présenter vos excuses, vous avez vos raisons que je ne comprends certes pas mais que je ne peux vous juger et je m'en garderai bien
, répliqua Racine avec un sourire réconfortant, tout en lui offrant son bras pour continuer leur promenade.

Mais la jeune femme ne retrouva que petit à petit la grâce et l'insouciance qui la caractérisait depuis le début de leur conversation. Ils avait terminé de faire le tour de l'Orangerie et se retrouvaient désormais devant la fontaine qu'ils avaient quitté quelques temps auparavant et où avait eu lieu la méprise. En se tournant de nouveau vers elle, Racine eut la bonne surprise de voir de nouveau ce sourire qu'il appréciait tant sur les lèvres de la baronne et elle lui lança sur le ton léger de la plaisanterie :

- Si vous désirez toujours rencontrer Ellen après ce ridicule épisode que je vous demanderais d’être assez aimable pour l’effacer de votre mémoire… Pourquoi ne passeriez-vous pas à l’hôtel Farnèse un de ces jours ? Je suis sûre que la princesse n’y verra aucune objection et qu’Ellen sera ravie de vous voir. Elle a beaucoup aimé vos poèmes que je lui ai lus.

Racine fut réellement soulagée de la voir dans les mêmes dispositions qu'auparavant et un large sourire joyeux et sincère illumina son visage :

- En doutez-vous ? Évidemment que je souhaite toujours rencontrer votre fille, surtout si elle en a le désir également. J'ignore si la princesse Farnèse me verra d'un aussi bon œil mais si elle donne son accord, je me ferais un plaisir de vous rendre visite au moment où vous le désirerez. A présent, que dites-vous de reprendre mon bras pour nous rendre dans les jardins eux-mêmes ? Je vous concède que c'est beaucoup plus habituel pour un visiteur découvrant Versailles mais vous n'y couperez pas. Et ainsi nous pourrons poursuivre notre conversation en toute quiétude... J'ai encore tellement à vous dire sur ce que j'ai prévu pour vous ! J'ai parlé de votre venue à beaucoup de mes amis, notamment le poète monsieur de La Fontaine, mon lointain cousin et monsieur Boileau que vous aimerez, j'en suis certain... Il vous faudra aussi aller dans les salons, celui de ma chère Françoise d'Aubigné est sur son déclin depuis la mort de son époux mais il vous faut la connaître et elle vous fera bon accueil. Il y a bien sûr celui de Sapho, mademoiselle de Scudéry ou encore celui de Ninon de L'Enclos...

Et ce fut en continuant à babiller qu'ils s'éloignèrent tous deux de l'Orangerie, Racine guidant les pas de sa compagne comme il avait l'intention de la guider dans le tout Paris qui comptait. Une chose était certaine : ce jour-là rien ni personne n'aurait pu lui ôter son sourire !

FIN



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