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 'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie)

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Frances Cromwell


Frances Cromwell

« s i . v e r s a i l l e s »
Côté Coeur: Certes, mon époux y occupe une place, mais le reste est tout entier dévoué à ma vengeance.
Côté Lit: Personne, hormis mon époux, à l'occasion, en Angleterre. Mais comme je suis en France à présent...
Discours royal:



La B e l l e D a m e sans Merci

Âge : 28 ans
Titre : Comtesse de Longford
Missives : 716
Date d'inscription : 06/06/2008


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MessageSujet: 'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie)   'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie) Icon_minitime30.07.12 20:34

'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie) Mini_827808Icon5 'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie) Mini_422756Icon6
‘Alas, what danger will it be to us,
Maids as we are, to travel forth so far!
Beauty provoketh thieves sooner than gold.’

As You Like It (1.3.515-517),William Shakespeare



The Gravel Road

L’écho des roues d’un carrosse sur les pavés. Une porte que l’on claque. Des ordres murmurés en anglais, et une silhouette encapuchonnée qui s’avance silencieusement dans une petite rue étroite. L’endroit était à n’en point douter l’un des coins les plus malfamés que l’on pouvait trouver à Paris, l’un des ces coupe-gorges, repère de bandits de la pire espèce et de diseurs de messes noires. D’ailleurs, la pestilence du lieu était à la hauteur de sa réputation. Une odeur de sang mêlé à celle de l’eau qui a trop longtemps stagné saisit à la gorge la mystérieuse visiteuse. Mais loin de s’en émouvoir outre-mesure, la jeune femme continua son chemin, évitant soigneusement la boue et la saleté qui s’étalaient ça et là. Si elle n’avait point rebroussé chemin, c’était pour une bonne raison. Une excellente raison même, qui valait le coup de quitter un instant les dorures de Versailles pour affronter la fange de ce lieu sordide. C’était une quête en somme, un voyage périlleux pour obtenir le Saint-Graal, du moins en apparence. Cette pensée fit sourire la jeune femme encapuchonnée, mais ce n’était point un sourire de jeune demoiselle fraîchement débarquée à la Cour, ni même celui d’une coquette gourgandine. Non, en vérité, il s’agissait d’un sourire d’ironie, marquant presque la victoire, un sourire que l’on ne voyait que rarement sur le visage d’une jeune femme innocente. Mais Frances Cromwell n’était pas innocente. Avec plusieurs empoisonnements à son actif, un commerce de poisons florissants et une couverture sans tâche qui lui permettait d’atteindre ses cibles sans trop de difficultés, la jeune femme en question avait depuis longtemps jeté aux loups la toison de la blanche brebis qu’elle était autrefois. Un insatiable désir de vengeance l’avait conduite en France, puis à la Cour, et enfin, à tuer. Duper, empoisonner et s’enfuir, telles étaient ses activités principales, l’unique but de son existence. Et c’était pour cette raison qu’elle acceptait de se rendre dans ce lieu malfamé, pour y quérir les ingrédients nécessaires à la composition de ses philtres. La Voisin était d’ailleurs sa fournisseuse principale et Frances devait bien se l’avouer, l’empoisonneuse qu’elle était dépendait entièrement de cette vieille harpie...

Quelques badauds aux allures de cauchemars ambulants croisèrent Frances, ou plutôt cette inquiétante silhouette vêtue de noir. Ils lui jetèrent des regards vaguement intéressés, assez étonnés de voir une femme de la haute venir dans le quartier. Car même si l’empoisonneuse avait pris la peine de dissimuler son visage, elle n’avait point songé que la qualité du tissu de sa robe qui apparaissait de temps en temps durant sa marche, ainsi que celui de sa cape, révélait à quiconque son statut social. La vengeance la rendait parfois oublieuse de certains détails, et celui lui avait déjà joué des tours. Il n’était point rare non plus qu’elle oublie son rôle de petite comtesse irlandaise pour un temps, toute entière habitée par sa rancune tenace pour tous ceux qui soutenaient le roi Charles II d’Angleterre. Et tandis que ses pensées étaient tournées vers ses dernières commandes de poisons, passant en revue les plus efficaces comme les plus saugrenues, ces dernières étant celles de Sofia di Parma et n’avaient point pour but de faire passer l’arme à gauche à la victime, juste de lui infliger maux de tête et d’estomac—après tout, certains s’amusaient autrement—Frances se dirigeait naturellement vers le lieu de rendez-vous que lui avait donné sa fournisseuse. Elle se déplaçait d’un pas léger, agile et rapide, car l’odeur commençait à l’incommoder, et la rue, de plus en plus étroite, devenait plus sombre à mesure qu’elle avançait. Levant la tête pour apercevoir un instant le soleil, Frances s’aperçut avec angoisse que les étages supérieurs des maisons s’empilaient à outrance, jusqu’à entrainer une curieuse inclination des murs vers la rue, comme s'ils s'apprêtaient à se rejoindre en formant une arche, bloquant ainsi la lumière du soleil. Etait-ce une illusion de son esprit, rendu inquiet par le manque de lumière ? La jeune femme pressa le pas. Comme elle avait hâte d’en avoir fini avec cette vieille harpie, qu’elle puisse retourner à Versailles, là où l’on apercevait le soleil et où l’on ne risquait pas de se faire trancher la gorge.

Dans sa hâte, Frances ne prêta guère attention aux pas qui faisaient à présent écho aux siens. Des pas silencieux, mais lourds. Des pas du prédateur qui suit sa proie, comme le loup qui a flairé une belette. La belette en question, toujours inconsciente du danger, continuait son chemin, certes inquiète, mais pas autant qu’elle n’aurait dû l’être, si elle avait su qu’elle était ainsi suivie. Et puis soudain, les pas cessèrent et la belette trouva alors ce silence bien trop... calme. Elle fit quelques pas, mais ce fut trop tard : le loup passa à l’attaque en bondissant d'une minuscule ruelle adjacente qu'il avait prise pour mieux surprendre sa proie. Frances n’eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait, qu’elle se retrouva plaquée contre un mur de bois, une main puissante enserrant sa gorge délicate, l’autre y apposant un couteau couvert par endroit de sang séché. Il ne manquait plus que ça.

‘Envoie les pièces ma mignonne, et tu resteras en vie.’

Comment ? Se faire rudoyer par ce rustre ? Se voir imposer un tel chantage par un mécréant ? Un gueux de la pire espèce ? L’orgueil de Frances ne fit qu’un tour, mais la crainte de la mort eut le dessus et au lieu de s’offusquer et de se mettre à insulter son assaillant—ce qui se serait bien sûr avéré particulièrement stupide, il fallait en convenir—elle tourna ses pensées vers ce qui importait le plus : sa survie. Et véritablement, l’esprit était capable de choses incroyables en ces moments périlleux. Prise par une pulsion de courage—ou suicidaire—, Frances gifla son agresseur de toutes ses forces, et si le geste ne parvint pas à l’assommer, il étourdit néanmoins le loup pendant quelques secondes, secondes durant lesquelles la belette repoussa le couteau qu’elle avait sous la gorge, et se mit à courir aussi vite qu’elle le put en direction de la lumière. Oubliée La Voisin, oubliés les ingrédients ! Sauver sa vie était devenue pour l’instant l’unique priorité de Frances. Malheureusement pour elle, courir en robe 17ème à travers des petites ruelles mal éclairées n’était pas une activité qu’elle pratiquait quotidiennement, et l’homme eut tôt fait de la rattraper. Furieux de s’être laissé avoir, et surtout, frappé par une femme, il voulut rendre à Frances la monnaie de sa pièce. La gifle qu’il lui asséna avait cent fois plus de poids que celle qu’il avait reçue et l’envoya valser contre un mur de bois humide. A nouveau, la jeune femme perdit le contact avec la réalité. Le fil de logique qui reliait ses pensées se rompit, et pendant quelques secondes, elle crût avoir affaire à son frère Richard. Lui aussi assénait de solides gifles. Mais… Richard, en France ? Cette pensée la fit sourire pendant deux secondes. L’instant d’après, elle se demanda si sa dernière heure était venue. Quelle poisse quand même, mourir dans un coin malfamé de Paris quand on est une demoiselle Cromwell...

Mais alors qu’elle s’attendait à recevoir un autre coup de la part de son agresseur, il ne se passa rien. Assise dans la poussière, adossée légèrement au mur sur lequel elle avait été projetée, les cheveux défaits, la mine pâle, elle mit plusieurs secondes à retrouver une vision normale. Et tandis qu’elle luttait contre les points gris qui dansaient devant ses yeux, elle aperçut des silhouettes floues en train de se battre. Plissant les yeux, elle crût reconnaître le gueux qui l’avait agressée, mais ne pouvait distinguer les traits de son opposant. Toujours est-il que le combat faisait rage, et les coups pleuvaient de chaque côté. Intérieurement, Frances souhaita que son agresseur perde.
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MessageSujet: Re: 'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie)   'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie) Icon_minitime21.08.12 22:18

« Monsieur le duc, il est vraiment imprudent de sortir à cette heure-ci… »
« Imprudent en quoi, ma bonne Mrs McKenna ? »
« Ne faites pas l’innocent ! Aller à pieds dans les rues de Paris, à l’heure où les voleurs et les truands commencent à sortir… »
« Vous vous faites trop de souci pour moi très chère. » répondit joyeusement l’irresponsable en achevant s’accrocher sa cape.

Catherine McKenna leva les yeux au ciel et esquissa un geste de profonde impuissance qui traduisait toute l’exaspération que lui inspirait son maître. Dans le reflet du miroir, Christian lui jeta un regard où brillait une lueur de malice, avant de se retourner et de lui tapoter amicalement l’épaule. La brave gouvernante tenta une dernière fois de le convaincre en le suppliant des yeux, mais elle renonça bien vite et jeta définitivement l’éponge. Lorsque le duc avait décidé de quelque chose, il s’y tenait résolument, même s’il s’agissait de la pire idée possible. Sous ses airs de ne pas y toucher, il était quelqu’un de terriblement têtu quand il s’y mettait…
C’est donc après avoir vaincu la résistance de sa chère domestique que Christian, les mains nonchalamment enfoncées dans les poches, sortit de son hôtel privé pour affronter le froid de l’hiver parisien. Un froid qu’il sentait à peine, habitué aux températures parfois glaciales de sa Suède natale. Levant le nez vers le ciel, il constata que celui-ci était totalement obscurci par des nuages d’un gris très clair, mais opaque. Il sourit. On allait probablement avoir de la neige d’ici peu. Comme si cette pensée le rassérénait, il reprit le cours de sa marche et s’éloigna en sifflotant un air qu’il avait entendu dans ces mêmes rues parisiennes quelques jours plus tôt. De quoi s’agissait-il déjà ? Il ne s’en souvenait plus ; mais baste, c’était là les aléas de la mémoire… Peut-être qu’il l’entendrait de nouveau en se promenant, qui sait ?

Bientôt, Christian arriva dans un quartier qu’il commençait à bien connaître. C’était là que se trouvait le vendeur de vieilleries chez qui il avait déjà dégoté une montre assez ancienne marquée du sceau des Templiers. Une jolie surprise pour son fils qui se passionnait en ce moment pour tout ce qui se rapportait de près ou de loin à la chevalerie. L’homme qui tenait la boutique était un allemand d’environ cinquante ans, mais aussi vif et vaillant qu’un jeune homme de vingt ans. Et surtout, c’était un immense curieux qu’aucun défi n’effrayait. Rechercher, dénicher les vieux objets, quitte à remuer tout Paris ou toute la France, voilà ce qui lui plaisait ! Il ne pouvait que s’entendre avec Christian, qui avait souvent besoin de trouver certaines choses… Inaccessibles. En chemin, il s’arrêta à un étal de fruits et légumes et jeta une pièce au vendeur qui, en réponse, lui lança la pomme rituelle, celle que Christian ne manquait jamais d’acheter sur la route pour cet antiquaire. Il commençait à être connu dans le coin, ce drôle de noble toujours souriant qui avait toujours le mot pour rire. On lui donnait du « messire » et du « monseigneur » sans vraiment connaître son identité, et finalement, on l’aimait bien, ce monsieur qui savait se montrer si sympathique et généreux…

« Aha, monseigneur ! Quel plaisir de vous revoir ! »
« Le plaisir est réciproque, Herr Meyers. A votre sourire, je devine que vous pouvez ajouter un nouveau succès à votre tableau de chasse… »
« De facto, monseigneur ! Tenez, voici le livre que vous m’avez demandé… Une sacrée aventure, qui a mené mon commis jusqu’aux frontières hollandaises ! Mais il est revenu hier, quand je vous ai envoyé mon petit message ! »

Meyers tira de son tiroir un petit manuel relié, qu’il tendit à son client fétiche.

« Le voici… A ne pas mettre en toutes les mains, bien entendu. » précisa-t-il avec un clin d’œil.

Une lueur brilla dans l’œil de Christian alors qu’il parcourait les pages du dit manuel. Enfin, il le rangea précautionneusement dans la poche intérieure de son pourpoint et eut un sourire qui, si l’on ne connaissait pas le personnage, pouvait passer pour un sourire de conspirateur…

« Evidemment. Merci pour votre aide Herr Meyers, je reviendrai sûrement vous voir très vite… »

Et il sortit de la boutique. Il était d’excellente humeur. Depuis le temps qu’il les cherchait avec acharnement, ces fameux Discorsi de Galilée ! Quelle idée aussi de se faire censurer par le Vatican et d’être obligé de le faire parvenir illégalement aux Pays-Bas pour pouvoir le publier en douce depuis sa prison dorée… Mais le livre était enfin en sa possession, et il n’avait plus qu’à le ramener chez lui pour enfin pouvoir l’étudier comme il se devait et faire avancer les recherches que lui et ses complices menaient depuis plusieurs années déjà. Des recherches aussi secrètes que leur combat commun, celui de la transparence de la science et de l’Eglise. Un combat peut-être désespéré, mais digne qu’on y consacre de l’énergie. Puisque les ennuis de Galilée avaient commencés avec ses travaux sur l’héliocentrisme, c’était aussi par là que les scientifiques devaient conjuguer leurs efforts, entre autres choses qui rendraient un jour sa véritable place à la science, et surtout, à la Vérité. Oui, avec un grand V. Ainsi songeait notre scientifique utopiste, quand il passa devant une ruelle où un bruit qui ressemblait à une gifle attira son attention –n’oublions pas qu’il avait l’oreille aiguisée. Surpris, il tourna la tête, et… Vit une jeune femme gifler un homme qui faisait bien deux têtes de plus qu’elle, avant de détaler en courant. Stupéfait, il vit aussi l’homme partir à sa poursuite. Flairant qu’il y avait probablement là bien plus qu’une dispute entre amoureux, il les suivit en se faisant le plus discret possible et les retrouva quelques mètres plus loin, au détour d’une autre ruelle, alors que l’armoire à glace rendait à la demoiselle une gifle bien plus violente que celle qu’il avait reçue. Ce geste eut l’effet d’un électrochoc sur le duc.

« Hélà, vous ! »

Sous l’intonation de cette voix autoritaire, l’agresseur se retourna et son regard tomba sur un type blond au moins aussi bien vêtu que la dame, et probablement désireux de voler à son secours. Le rustre sortit de nouveau son couteau de sa gaine et n’hésita pas une seconde avant de se jeter sur Christian qui, ayant laissé son épée chez lui –encore un oubli qui lui vaudrait une sévère réprimande de Mrs McKenna- n’avait que ses poings pour se défendre. Fort heureusement, il savait bien les utiliser. Qui a dit qu’avoir trois frères aînés était inutile ?
Il vit venir le premier coup de poignard et l’esquiva pour s’emparer du poignet de son adversaire avant de lui asséner un coup de poings dans la mâchoire. Le coup fit reculer l’autre de plusieurs pas, et il dut s’appuyer au mur pour ne pas tomber. Mais il devait être solide, car il recouvra vite ses esprits et se jeta de nouveau sur le suédois. Grâce à son avant-bras, Christian fit dévier le coup destiné à son épaule et donna du poing dans l’estomac du voleur, qui plia sous le choc. Il en profita pour lui attraper le bras et le tordre pour essayer de lui faire lâcher son poignard, mais il avait affaire à un vrai bœuf, lequel se redressa tout à coup pour lui donner un violent coup de tête. Christian ne put éviter ce coup-là et aurait probablement fini par terre s’il ne s’était retenu au mur. Grimaçant, il porta une main à son visage et constata que sa lèvre saignait. Décidément, il se ferait bien gronder en rentrant ! Voyant que l’autre venait vers lui, il tâtonna et sa main tomba sur ce qui semblait être une canne abandonnée là, probablement par un gentilhomme un peu enivré. Quelle chance ! Il s’en empara et la leva au-dessus de sa tête pour asséner un rude coup sur celle de son agresseur. Il n’avait pas son épée, mais ne l’avait-on pas entraîné à manier la canne quand il était plus jeune ?

« Si tu veux un conseil l’ami, déguerpis d’ici bien vite, ou tu tâteras de ce pain-là. » lança-t-il à son adversaire sur un ton presque plaisant. L’autre sembla hésiter un quart de seconde. Mais l’argument n’avait pas dû porter, puisqu’il partit de nouveau à l’assaut. Prêt à cette éventualité, Christian évita un nouveau coup de lame et frappa son adversaire au flanc de toutes ses forces, lui brisant probablement une côte au passage. Profitant de la déconcentration occasionnée, il esquissa un nouveau mouvement rapide et visa le genou, qu’il entendit craquer. Nouveau cri. Il n’attendit pas plus et abattit une dernière fois son arme improvisée sur la tête du loup, lequel s’effondra à terre dans un bruit sourd, pour ne plus bouger. Il avait dû l’envoyer au pays des songes pour un bon moment ! Christian regarda la canne qu’il tenait en main avec une espèce d’étonnement peint sur le visage, comme si l’objet avait agi de lui-même, puis la jeta sur le côté ; bien décidé à ne plus l’utiliser. Enfin, il put aller s’agenouiller près de la jeune femme.

« Mademoiselle, êtes-vous blessée ? Je suis sincèrement navré d’être intervenu si tard, la Providence ne semble pas avoir jugé bon de me placer sur votre route avant… Montrez-moi votre visage, voyons s’il y a des contusions… » dit-il en retrouvant son éternel sourire et sa voix posée et agréable. Délicatement, il repoussa les quelques mèches blondes qui dissimulaient encore les traits de la jeune femme et découvrit avec une sorte d’étonnement des traits fins, réguliers, un visage pâle, altier et beau. Une beauté délicate comme on en trouvait tant dans la littérature, mais si peu en réalité. Qui que soit cette jeune femme, elle n’était probablement pas n’importe quelle passante ! Christian tira de sa poche un mouchoir avec lequel il tamponna légèrement l’arcade sourcilière de la belle inconnue.

« Ne bougez pas, vous saignez un peu… Là, voilà qui est mieux. Tenez, prenez ce mouchoir pour vous arranger, je ne voudrais pas vous paraître importun. » proposa-t-il avant de se relever en lui tendant la main pour l’aider à faire de même, tendant aussi le bras au cas où elle ressente le besoin de s’appuyer. Après toutes ces émotions, il en connaissait plus d’une qui auraient perdu connaissance !

« Vous êtes bien courageuse de vous promener seule dans les rues de Paris ! » lança-t-il joyeusement, comme s’il s’agissait là d’une aventure amusante. « Néanmoins je vous conseillerais d’être accompagnée la prochaine fois, voyez quelles misères peuvent arriver… Tout le monde n’a pas le mérite d’être honnête dans cette ville, hélas ! Venez, asseyez-vous sur ce banc… »

Toujours très galamment, il la mena au banc de pierre qui donnait sur la rue principale, celle où se trouvait la boutique où il était quelques minutes plus tôt. Une fois qu’elle fut assise, il héla une toute jeune fille et lui demanda d’aller quérir de l’eau à l’hôtellerie juste à côté. La gamine, qui connaissait le drôle de seigneur blond, obéit aussitôt et revint peu après avec un verre et un broc d’eau. Christian la remercia d’une piécette et tendit une coupe remplie à sa nouvelle connaissance.

« Heureusement, il y a aussi du bon dans ce monde… Il y en a toujours. Au fait, mon nom est Christian Vasa, duc de Sudermanie, à votre service, mademoiselle… ? »
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Frances Cromwell


Frances Cromwell

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MessageSujet: Re: 'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie)   'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie) Icon_minitime07.10.12 2:41

Prostrée sur le sol au milieu de la poussière, les jupons éparpillés, et le souffle court, Frances attendait l’issue du combat, ne sachant s’il lui faudrait à nouveau fuir cette brute qui avait décidé de la mettre en pièce ou remercier celui qui s’était porté à son secours. Qui était-il d’ailleurs, ce courageux ou cet inconscient qui s’était mis entre elle et son poursuivant ? La gifle qu’elle avait reçue et qui l’avait projetée contre le mur l’avait quelque peu étourdie, aussi ne parvenait-elle point à fixer les traits de cet inconnu. Et puis d’ailleurs, la lutte à laquelle se livraient les deux hommes ne lui permettait pas d’y voir grand-chose, tant leurs mouvements étaient rapides. Rapides et violents. Elle entendit des craquements sinistres et devina bien vite, sans pour autant avoir lu beaucoup d’ouvrages à ce sujet, qu’il s’agissait d’os que l’on brisait. Les cris de douleur que poussait son agresseur lui apportèrent bien vite cette confirmation. Et si Frances tressaillit à chacun des coups portés sur celui qui l’avait menacée, elle n’en éprouva pas moins un certain soulagement lorsque l’homme s’effondra sur le sol, assommé par son adversaire. Il ne lui ferait plus de mal à présent.

Mais voilà que son sauveur inconnu venait à sa rencontre après avoir jeté la canne qui lui avait servi à se défaire du loup qui menaçait la pauvre belette. Que dire ? Que faire ? Frances ignorait ses intentions, et même si elles avaient l’air noble—ne venait-il pas de la sauver alors que rien ne l’y obligeait ?—il pourrait toujours lui réclamer quelque… service qu’elle n’était pas prête à lui rendre. Aux yeux de la jeune femme élevée dans une foi puritaine hostile à la musique, au théâtre et aux célébrations de toutes sortes, il n’y avait que peu d’hommes de valeur. Et les courtisans de Charles II n’en faisaient point partie. La plupart mentait et trompait les femmes qu’ils rencontraient. Les liens même du mariage n’avaient plus rien de sacré pour ces goujats que le parfum d’une courtisane détournait du lit conjugal avec une facilité déconcertante. Si l’homme qui l’avait sauvée s’avérait être l’un de ces joyeux Cavaliers, nul doute qu’il lui demanderait une faveur bien particulière. Mais il n’en fut rien.

« Mademoiselle, êtes-vous blessée ? » s’inquiéta l’inconnu. Une réaction que Frances aurait été à mille lieues d’anticiper, elle qui pourtant se targuait de mener à la baguette ses cibles. « Je suis sincèrement navré d’être intervenu si tard, la Providence ne semble pas avoir jugé bon de me placer sur votre route avant… Montrez-moi votre visage, voyons s’il y a des contusions… » Et avant que Frances ait pu prononcer quoique ce soit, elle se retrouva nez à nez avec son sauveur qui s’était accroupi auprès d’elle pour examiner son visage. Elle tressaillit lorsqu’il repoussa avec délicatesse—une délicatesse encore inconnue pour elle—les mèches de cheveux qui s’étaient échappées de sa coiffure au cours de la lutte avec son poursuivant. Frances porta un regard timide vers celui qu’elle découvrait pour la première fois. Par un curieux hasard, les points gris qui dansaient devant ses yeux quelques secondes auparavant cessèrent leurs rondes, et elle put clairement distinguer le visage de son sauveur. Il avait des traits doux et aucune lueur de convoitise ne brillait dans ses yeux. Au contraire, elle y lut une inquiétude sincère qui la fit presque se sentir mal à l’aise d’être la cause de cette attention. Et puis cet air si… gentil. Assurément, l’homme ne pouvait être qu’un bon samaritain de passage dans cette rue malfamée. Mais ‘méfiance’ était le maître mot de Frances, et sans doute d’une bonne partie des Cromwell qui avaient vu l’allégeance indéfectibles de certains partisans de la République disparaître sous le joug de la trahison. Être le témoin d’un tel retournement de situation aurait rendu n’importe qui suspicieux à propos de son entourage.

Jetant des coups d’œil à la dérobée en direction de son sauveur, Frances espérait en apprendre plus sur lui afin de deviner ses intentions. Car si celles-ci semblaient nobles, elle n’était point à l’abri d’une nouvelle trahison. Ce n’était point à une Cromwell que l’on apprendrait cela. Elle remarqua les vêtements de l’homme, ses gestes délicats, le ton de sa voix et songea qu’il s’agissait d’un noble. Mais ses investigations s’arrêtèrent net lorsque l’inconnu sortit de sa poche un mouchoir qu’il porta délicatement à son visage. Ce geste, pourtant anodin, prenait en fait une toute autre tournure pour Frances qui n’avait jamais laissé personne la toucher ainsi. Il y avait bien ses cibles, qui ne se lassaient pas de promener leurs sales pattes sur elle—jusqu’à ce qu’ils ne tombent raides morts sur le tapis—mais aucune ne faisait usage d’une telle douceur. En réalité, aucun homme ne s’était soucié d’elle ainsi. Sauf son époux.

A cette pensée, la jeune femme ne put s’empêcher de tourner la tête, comme pour cacher son trouble. « Ne bougez pas, vous saignez un peu » sembla la rappeler à l’ordre son sauveur. « Là, voilà qui est mieux. Tenez, prenez ce mouchoir pour vous arranger, je ne voudrais pas vous paraître importun. » Lentement et sans un mot, Frances saisit le mouchoir pour l’appliquer elle-même sur la plaie. Elle ignorait à quoi elle ressemblerait dans les jours à venir, mais songea qu’il fallait bien s’attendre à des questions à ce propos. Toutefois, avant qu’elle ait pu se demander si elle parviendrait à cacher sa blessure sous une poudre, l’inconnu se releva et lui tendit la main pour qu’elle fasse de même. Mal à l’aise, Frances prit la main de son sauveur et se releva à son tour dans un bruissement de jupes. Elle s’aperçut qu’elle tremblait, mais ne savait si c’était à cause du froid ou… de la peur. Timidement, elle se laissa entraîner par lui, ne sachant s’il fallait fuir ou pas. Et quand bien même elle aurait voulu courir, elle n’était pas certaine que ses jambes puissent la supporter. Elle était encore choquée par ce qui venait de se passer, mais se calmait peu à peu, au son de la voix de cet inconnu.

« Vous êtes bien courageuse de vous promener seule dans les rues de Paris ! » poursuivit ce dernier d’un ton joyeux qui déstabilisa un instant Frances, car elle ne s’attendait pas le moins du monde à ce que la conversation continue ainsi. « Néanmoins je vous conseillerais d’être accompagnée la prochaine fois, voyez quelles misères peuvent arriver… Tout le monde n’a pas le mérite d’être honnête dans cette ville, hélas ! » Cette dernière phrase embarrassa la demoiselle Cromwell. Une once de culpabilité peut-être ? Car même si ses intentions étaient nobles lorsqu’elle empoisonnait ceux qui avaient trahi son père, puis son frère—c’était toutefois ce dont elle était convaincue—elle n’en demeurait pas moins une meurtrière. Elle ne tuait point pour voler comme le faisait son agresseur, non, le but de ses crimes transcendait de loin celui du chapardeur, mais au final, ses mains portaient le sang de ses victimes.

« Venez, asseyez-vous sur ce banc… » poursuivit l’homme en l’entraînant gentiment vers un banc. A nouveau, Frances le suivit, et ils quittèrent bientôt la sombre allée où s’était déroulée la bagarre. Le ciel semblait plus dégagé par ici, et les quelques rayons de soleil qui perçaient les nuages de-ci et de-là réchauffaient légèrement la petite place qu’ils rejoignaient. C’était un drôle de couple que celui formé par cet homme blond à la lèvre fendue mais dont le sourire témoignait d’une joie de vivre presque enfantine, et cette jeune femme au teint pâle et aux cheveux défaits. Lorsqu’ils parvinrent au banc, Frances s’y assit et tandis que son compagnon demandait à une jeune fille d’aller chercher de l’eau, elle en profita pour remettre de l’ordre dans sa tenue. Ce n’était pas tant un souci d’élégance ou de coquetterie qui motivait son geste, mais plutôt une tentative assez pitoyable pour retrouver sa contenance. Car il fallait avouer que Frances ne savait trop sur quel pied danser en présence de son sauveur, d’où son mutisme. Elle avait beau observer, elle ne parvenait point à découvrir quels vices pouvaient se cacher sous le visage rieur de l’homme qui l’avait sauvée. Et lorsque celui-ci lui tendit le verre d’eau, elle n’eut que le courage de murmurer un timide « merci ».

Elle avala quelques gorgées du liquide, mais faillit s’étrangler en entendant les dernières paroles de l’homme. « Heureusement, il y a aussi du bon dans ce monde… Il y en a toujours. » Même si elle était convaincue que ses empoisonnements étaient justes—elle agissait au nom de son père après tout, en digne fille qu’elle était—elle ne put s’empêcher de se sentir coupable à ces mots. Ah, si seulement il savait ! L’aurait-il tirée des griffes de ce voleur s’il avait su qu’elle avait déjà empoisonné plusieurs hommes ? L’aurait-il seulement aidée, lui aurait-il adressé la parole ? Mais fort heureusement, l’inconnu ne sembla pas s’apercevoir de son trouble puisqu’il continua sur sa lancée : « Au fait, mon nom est Christian Vasa, duc de Sudermanie, à votre service, mademoiselle… ? » Un noble, elle avait vu juste ! Un duc qui plus est ! Sans doute fréquentait-il la Cour, ce qui nécessitait la plus grande prudence en formulant une réponse. Il ne fallait point se compromettre et reprendre son rôle habituel. Un mensonge, encore.

« Madame, » répondit Frances d’une voix qui ne tremblait plus. « Lucy, comtesse de Longford. Je suis veuve depuis peu. » La même rengaine semblait-il. Sauf que cette fois, Frances était véritablement mal à l’aise de se cacher derrière le masque de cette Lucy. Il y avait chez son interlocuteur un tel élan de sincérité et de gentillesse qu’elle se sentait le devoir de lui rendre la pareille en répondant la vérité. Mais dire qui elle était mettrait fin à tous ses plans, et elle ne pouvait faillir à la mission qu’elle s’était assignée, aussi retourna-t-elle à son rôle… avec cependant moins de succès qu’à l’accoutumée.

« Je vous remercie de votre geste. Vous m’avez sauvée alors que rien ne vous y obligeait, je vous en serai éternellement reconnaissante. Ma situation ne me permet point de trop grande largesses, mais je serai heureuse à l’avenir de pouvoir vous rendre la pareille » parvint-elle à articuler. Puis, elle s’enhardit à répondre encore : « c’est la nécessité et non la curiosité qui m’a conduite en ces lieux. J’étais à la recherche de quelque médecine… Les rentes d’une veuve ne sont pas bien grandes, comme vous pouvez vous en douter » Il s’agissait là de justifier la raison pour laquelle elle n’avait fait appel à quelque médecin plus renommé. A vrai dire, il était nécessaire d’expliquer les raisons de sa présence en ces lieux. Aucune jeune femme noble n’aurait acceptée de se rendre dans un coin aussi malfamé, si ce n’était par pure nécessité. Et les finances allaient souvent de paire avec cette même nécessité.

« Heureusement que le hasard a porté vos pas jusqu’ici. La Fortune s’est montrée clémente envers moi cette fois-ci » continua Frances, désireuse elle-aussi de savoir les raisons qui avait poussé le duc de Sudermanie à se promener au milieu de ces rues que la noblesse boudait d’ordinaire. Allait-il mentir lui aussi ?
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MessageSujet: Re: 'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie)   'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie) Icon_minitime31.10.12 18:55

Que d’aventures en une seule journée ! Même s’il était sûr de se faire sévèrement remonter les bretelles par sa gouvernante en rentrant, Christian ne regrettait absolument pas d’être intervenu dans cette bagarre : son côté serviable était satisfait d’avoir volé au secours d’une belle inconnue, et son côté aventureux ravi d’avoir eu droit à un peu d’exercice. Après tout ce n’était pas tous les jours qu’il avait le droit de jouer au preux chevalier qui se porte au secours des demoiselles en détresse, et il avait toujours eu envie de jouer ce rôle un jour ou l’autre. Voilà qui était fait, il pouvait retourner l’âme en paix à ses expériences explosives !
Mais qui était cette demoiselle qu’il avait tirée des griffes d’un dangereux prédateur ? Pour le moment il ne savait strictement rien d’elle ; si ce n’était qu’elle était vêtue sobrement mais avec assez de goût pour trahir peut-être des origines plus élevées, qu’elle semblait un peu plus jeune que lui, et qu’elle avait l’air tout bonnement tétanisée. Qui ne le serait pas après pareille mésaventure ? Heureusement, Christian avait du positivisme à revendre, et s’il ne convainquait pas la jeune femme, il avait au moins le mérite de la détourner de l’incident qui venait de se produire. Il n’avait aucune idée de la méfiance qu’il éveillait en la jeune femme –comment aurait-il pu deviner ? Il n’avait pas le réflexe de se demander à chaque fois qu’il rencontrait une jeune femme si celle-ci était oui ou non une dangereuse empoisonneuse. Une erreur peut-être, mais qu’heureusement il n’était pas le seul à commettre à la cour. En attendant il babillait joyeusement, comme il le faisait toujours, avec cette bonne humeur sereine qui était sa marque de fabrique plus sûrement qu’une tâche de naissance. Parfois, quand il avait de la chance, c’était contagieux, et son interlocuteur se retrouvait dans ce même état d’optimisme pour le temps qu’il passait avec le duc, et même après qu’ils ne se soient quittés avec un peu de chance. Et même lorsque son interlocuteur y était résolument hermétique, il laissait rarement indifférent, et c’était tout ce que voulait Christian : que la jeune femme oublie l’incident dont elle avait été victime, même si pour cela elle devait le trouver prodigieusement agaçant… Néanmoins cela n’avait pas l’air d’être le cas : les yeux d’escarboucle bleue le regardaient avec un mélange de curiosité et surtout d’incrédulité. C’était au moins un début.
Ce « merci » timide et discret, il le prit comme un signe d’encouragement. Au moins ne rechignait-elle pas au contact et revenait-elle de petit enfer qu’elle venait de vivre. En réponse, Christian lui sourit, comme toujours. Puis il s’assit à côté d’elle sur le banc, essuyant discrètement le sang qui coulait de sa lèvre –non décidément, Mrs McKenna ne serait pas contente quand elle rentrerait.

« Madame. Lucy, comtesse de Longford. Je suis veuve depuis peu. » répondit finalement l’inconnue, d’une voix encore voilée mais plus assurée. Le sourire de Christian s’effaça brièvement, un voile de triste compassion passant sur son visage.
« Je suis navré de l’apprendre. Mes plus sincères condoléances. » dit-il avec une honnêteté déconcertante. Pour être lui-même passé par là quelques années plus tôt, même sans aimer son conjoint, la perte d’un compagnon de vie ne peut laisser personne indifférent. Lucy –puisque là était son nom- avait-elle été attachée à son mari comme lui avait été attaché à Lisbeth ? Il l’espérait et ne l’espérait pas tout à la fois : il l’espérait car personne ne méritait un mauvais mariage, et il ne l’espérait pas parce qu’il savait d’expérience que passer le deuil serait d’autant plus difficile, et que les fantômes du passé étaient d’autant plus difficile à oublier qu’on y était lié. Bien que presque dix ans se soient écoulés depuis la mort de la duchesse de Sudermanie, elle continuait à hanter l’hôtel Vasa de temps à autre, se rappelant au bon souvenir de ses occupants. C’était une présence douce et intrigante –mais une présence qui n’aurait tout de même pas dû être. Plus maintenant.

« Je vous remercie de votre geste. Vous m’avez sauvée alors que rien ne vous y obligeait, je vous en serai éternellement reconnaissante. Ma situation ne me permet point de trop grande largesses, mais je serai heureuse à l’avenir de pouvoir vous rendre la pareille » poursuivit-elle.
« Madame, si je ne me doutais pas que c’est la grandeur d’âme et non pas un sentiment d’obligation qui vous pousse à prononcer ces paroles, je m’en serais senti offensé. » plaisanta-t-il avec une lueur rieuse dans les yeux, indiquant qu’il n’était en réalité pas du genre à s’offenser pour si peu… Voire à s’offenser du tout. « Tout l’honneur était pour moi. Et puis ce n’est pas tous les jours que j’ai l’occasion de jouer aux justiciers improvisés. »

Il croyait la conversation terminée et cherchait un autre sujet de conversation mais elle le prit de vitesse.

« c’est la nécessité et non la curiosité qui m’a conduite en ces lieux. J’étais à la recherche de quelque médecine… Les rentes d’une veuve ne sont pas bien grandes, comme vous pouvez vous en douter »

Christian hocha la tête, indiquant qu’il comprenait. Il est vrai qu’il n’avait jamais eu de problèmes d’argent –il fallait bien un avantage à être de sang royal, tout de même- mais il imaginait facilement quel genre de problème pouvait en découler. Lui aussi s’aventurerait probablement dans ces ruelles sombres et mal famées si la nécessité l’y poussait ; autrement que pour dénicher des livres rares et illégaux bien sûr.

« Heureusement que le hasard a porté vos pas jusqu’ici. La Fortune s’est montrée clémente envers moi cette fois-ci »
« Puisqu’il faut rendre à César ce qui est à César –c’est bien ainsi qu’on dit, ici ?- remerciez la science plutôt que la Fortune, Madame. Je suis un peu scientifique à mes heures perdues, et c’est la recherche d’un livre rare qui m’a conduit dans la librairie que vous voyez juste en face de nous. » expliqua-t-il. Un peu scientifique à ses heures perdues… Quel doux euphémisme pour l’homme capable de ne pas remarquer qu’un ami a organisé une fête dans son hôtel car trop absorbé par ses expériences. Ou capable de faire exploser son laboratoire. Ou du moins une partie. Mais évidemment il n’allait pas vraiment s’en vanter devant sa nouvelle connaissance. Nouvelle connaissance qui l’intriguait hautement, par ailleurs. Intuitivement physionomiste, Christian avait une grande facilité à deviner ce que ses interlocuteurs ressentaient et parfois à deviner à peu près à quoi ils pouvaient bien penser. Et ce dont il était sûr concernant Lucy of Longford, c’était qu’elle retenait quelque chose. Comme si, à chaque nouvel élan pour lui parler, une ceinture invisible la retenait brutalement au dernier moment. Il pouvait presque distinguer le souffle coupé, l’éclat de surprise et de détresse mêlées dans les yeux bleus. Que cela signifiait-il ? Lui mentait-elle ? Si oui, sur toute la ligne ? Ou bien se retenait-elle simplement de lui en dire plus ? Il n’en avait pour le moment aucune idée ; mais voilà qui venait épaissir le mystère Longford… Un mystère qui n’était pas pour lui déplaire. En bon scientifique qu’il était, les énigmes l’avaient toujours irrémédiablement attiré. Y compris lorsqu’elles avaient forme humaine. Cette appréciation se traduisit peut-être sur son visage ; car il eut un sourire mystérieux et amusé en la regardant de nouveau d’un air curieux.

« Je dois dire que vous m’intriguez, madame. Je croyais qu’il n’y avait que dans les contes que l’on croisait une jeune femme en détresse entourée d’un si grand mystère. Rassurez-vous, je ne chercherai pas à le percer ; mais il y a quelque chose de romanesque dans notre rencontre qui n’est pas pour me déplaire. » remarqua-t-il comme s’il s’agissait de la chose la plus amusante du monde. « En attendant, votre chevalier servant vous propose de vous trouver un carrosse pour vous ramener chez vous saine et sauve. »

Il arrêta la gamine de tout à l’heure et lui enjoignit de partir à la recherche d’un fiacre. La petite partit aussitôt au triple galop et disparut au coin de la rue. Christian la regarda s’éloigner, songeur, puis se tourna vers Lucy en croisant les mains dans son dos pour la considérer d’un air interrogateur.

« J’y pense madame, n’avez-vous point pensé à prendre de quoi vous défendre dans ce genre de situation ? Sachant dans quel genre d’endroit vous vous rendiez c’est tout de même curieux. Je vous conjure d’être prudente à l’avenir, car malgré tout le désir que j’en ai, je ne pourrai pas voler à votre secours à chaque fois. Sauf si vous me prévenez quand vous sortez bien sûr mais je doute que vous en ayez envie ! » conclut-il en riant.

Et pourtant, ils allaient être amenés à se revoir, contre toute attente, ces deux êtres qui n’avaient strictement rien en commun si ce n’est leur blondeur, peut-être. Et encore. Pourtant, Christian le sentait bien de son côté et l’assumait entièrement : il avait envie de le revoir, ce joli mystère blond, cette charmante énigme à l’accent anglais ! Il n’aurait su expliquer pourquoi en dehors de ce mystère évidemment qui attirait son attention et qu’il n’avait aucune envie de voir filer sans l’avoir résolu. Peut-être y avait-il d’autres raison à cela, mais lesquelles précisément, il aurait été incapable de le définir. Et peut-être était-ce justement cette incertitude à laquelle il était si peu accoutumé et que Lucy of Longford, en quelques minutes, avait réussi à éveiller en lui, qui lui donnait envie de la voir de nouveau. C’est alors qu’une idée germa dans son cerveau. Attention, danger !

« Quel âne je fais ! Pardonnez mon langage, mais il faut dire les choses comme elles sont. » s’exclama-t-il joyeusement. « Madame, vous plairait-il de prendre des cours avec moi pour apprendre à vous défendre ? J’ai entendu dire que certaines femmes de la cour apprenaient à manier les armes ou la dague pour ce genre de situation précisément. Comme vous l’avez vu je ne me défends pas trop mal ; voudriez-vous de moi comme professeur ? J’avoue que je me sentirais plus rassuré de vous savoir prête à vous défendre si jamais pareil incident devait se reproduire. »

Il conclut avec un large sourire :

« Et vous parliez tout à l’heure de me rendre la pareille… Vous ne sauriez me rendre meilleur service qu’en me donnant la certitude que vous serez sauve dès que vous sortirez en ville ! »
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Frances Cromwell


Frances Cromwell

« s i . v e r s a i l l e s »
Côté Coeur: Certes, mon époux y occupe une place, mais le reste est tout entier dévoué à ma vengeance.
Côté Lit: Personne, hormis mon époux, à l'occasion, en Angleterre. Mais comme je suis en France à présent...
Discours royal:



La B e l l e D a m e sans Merci

Âge : 28 ans
Titre : Comtesse de Longford
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MessageSujet: Re: 'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie)   'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie) Icon_minitime27.01.13 23:24

La situation n’avait rien de drôle pour Frances, et pourtant, le duc de Sudermanie poursuivait la conversation sur le ton du badinage, comme si leur rencontre avait été le fruit d’un heureux hasard au détour d’un salon ou d’une partie de cartes lors d’une soirée dans les appartements à Versailles. A un moment seulement, son visage se fit plus grave alors qu’il offrait ses condoléances à la jeune ‘veuve’ dans un élan de sincérité qui troubla encore plus Frances, dont le visage de son époux lui apparaissait à nouveau, semblant la rappeler silencieusement à l’ordre. Elle avait promis de lui être fidèle jusqu’au bout, jusqu’à ce que la mort les sépare. Comme son faux veuvage lui pesait en cet instant ! Et ce n’était pas seulement le poids de la culpabilité : il y avait aussi ce mensonge fait aux hommes, mais aussi à Dieu, et pour une puritaine comme la demoiselle Cromwell, ce crime était bien plus difficile encore à admettre… Pourrait-elle seulement espérer un jour le pardon divin ?

‘Puisqu’il faut rendre à César ce qui est à César –c’est bien ainsi qu’on dit, ici ?- remerciez la science plutôt que la Fortune, Madame. Je suis un peu scientifique à mes heures perdues, et c’est la recherche d’un livre rare qui m’a conduit dans la librairie que vous voyez juste en face de nous.’

A nouveau, ses pensées austères furent arrêtées par la présence rassurante de son sauveur, et pour un temps, elle en oublia son époux. Un scientifique ? Voilà qui était curieux, et diablement ironique. La science face à la religion… Se prêtait-il à quelques expériences dans un laboratoire peuplé de bocaux au contenu étrange ? Observait-il les étoiles pour tenter d’y lire le destin de l’humanité ? Composait-il des philtres aux propriétés magiques et saugrenues ? L’esprit de la jeune Cromwell se perdait en rêveries à la manière de celui d’une enfant, une enfant qu’elle n’était plus, une enfant qu’elle n’avait pas, puisqu’en dépit de plusieurs années de mariage—et même de deux époux—, jamais encore elle n’avait été mère. Néanmoins, elle se consolait de ce manque en songeant qu’il lui aurait été plus difficile encore de quitter l’Angleterre pour accomplir sa vengeance si elle avait eu un ou plusieurs enfants.

‘Alors soit, j’offrirai toute ma reconnaissance à la science, mais aussi à votre érudition qui vous aura poussé jusqu’ici pour que vous puissiez trouver votre livre,’ répondit-t-elle dans un demi sourire. Son éducation puritaine l’empêchait de donner trop de crédit à la science, du moins ouvertement, car en réalité, elle considérait qu’ne bonne empoisonneuse se devait de prendre en compte les propriétés scientifiques de ses ingrédients plutôt que de croire en de vaines superstitions préconisant d’utiliser de la bave de crapaud entre onze heures et minuit lors d’une pleine lune. Cela dit, elle se garderait bien de partager ouvertement son avis avec son interlocuteur. En dire le moins possible devrait s’avérer une bonne technique qui lui permettrait d’éviter toute question embarrassante, ou tout impair qu’elle pourrait commettre. Hélas, même son silence semblait intéresser le duc de Sudermanie, et elle s’empressa de détourner le regard lorsqu’elle s’aperçut que ses yeux détaillaient son visage comme pour y discerner la vérité qu’elle s’efforçait de lui cacher.

‘Je dois dire que vous m’intriguez, madame. Je croyais qu’il n’y avait que dans les contes que l’on croisait une jeune femme en détresse entourée d’un si grand mystère. Rassurez-vous, je ne chercherai pas à le percer ; mais il y a quelque chose de romanesque dans notre rencontre qui n’est pas pour me déplaire,’ poursuivait-il. Pendant une fraction de seconde, elle se crût démasquée, et s’attendit presque à ce qu’il prononce son nom, son véritable nom. Aussi fut-elle soulagée d’entendre qu’il n’en ferait rien. Ou presque soulagée. ‘De grâce monsieur, ne vous attardez donc point sur cette intrigue qui n’en est point une. Vous perdriez un temps précieux que vous pourriez consacrer à vos recherches, et ce que vous découvririez ne vaudrait pas le tourment de votre investigation. Je ne suis hélas pas un personnage de l’une de ces légendes que l’on conte par chez moi—nouveau mensonge visant à donner plus de crédibilité à son identité irlandaise—, mais j’admets que votre venue s’apparentait fort à celle d’un chevalier.’ Tout en parlant, Frances essayait d’adopter elle aussi le détachement du duc de Sudermanie, nourrissant l’espoir que ce badinage le conduirait à se focaliser sur autre chose que le mystère qu’elle semblait constituer à ses yeux. ‘En attendant, votre chevalier servant vous propose de vous trouver un carrosse pour vous ramener chez vous saine et sauve.’ Etait-ce là une petite victoire ? Avait-il renoncé à chercher à en découvrir plus sur elle ? La jeune femme n’osait en espérer trop, et d’ailleurs, elle était assez gênée que son interlocuteur prenne les devants pour lui trouver un carrosse. Son orgueil était gravement atteint, et tandis que la petite fille s’éloignait en courant, elle se demanda si son apparence inspirait donc tant de pitié au duc pour qu’il veuille à ce point s’assurer qu’elle rentre en un seul morceau. Et elle n’était pas au bout de ses surprises. Voilà que son interlocuteur revenait vers elle, les mains croisées dans le dos, la considérant d’un air interrogateur, guère rassurant pour une jeune femme qui tentait désespérément de cacher son identité. Il avait pourtant assuré qu’il ne pousserait pas plus loin la curiosité.

‘J’y pense madame, n’avez-vous point pensé à prendre de quoi vous défendre dans ce genre de situation ? Sachant dans quel genre d’endroit vous vous rendiez c’est tout de même curieux. Je vous conjure d’être prudente à l’avenir, car malgré tout le désir que j’en ai, je ne pourrai pas voler à votre secours à chaque fois. Sauf si vous me prévenez quand vous sortez bien sûr mais je doute que vous en ayez envie !’ poursuivit-il en riant.

Un sourire passa sur le visage de Frances. Elle avait l’impression d’être au théâtre, observant sur la scène un personnage aussi joyeux qu’extravagant. Mieux encore : elle faisait à la fois partie de la pièce en tant que Lucy of Longford, et des spectateurs, bien au courant de son identité et de ses activités d’empoisonneuse, alors que le duc était à mille lieues de s’en douter. Comme nommait-on cela déjà ? Ah oui, dramatic irony. Se défendre ? Elle en était bien capable. Elle avait envoyé au tapis un petit nombre de cibles. Quelques gouttes d’un cordial préparé par ses soins et hop ! Bien sûr, dans la rue, tout était différent. Avec ses funestes aiguilles enduites de poison, elle serait peut-être parvenue à se débarrasser de son agresseur… encore aurait-il fallu qu’elle parvienne à se dégager de son étreinte. Le duc avait sans doute raison finalement. Elle devrait se montrer plus prudente à l’avenir. Peut-être se rendre chez La Voisin avec le valet de Mrs Hutchinson ? Non, cela éveillerait trop les soupçons. Soudain, la solution jaillit des lèvres de son interlocuteur.

‘Quel âne je fais ! Pardonnez mon langage, mais il faut dire les choses comme elles sont. Madame, vous plairait-il de prendre des cours avec moi pour apprendre à vous défendre ?’

Frances en sursauta presque. Apprendre à se défendre ? Avec le duc de Sudermanie en personne ? Elle, une femme ?

‘Je… Enfin, vous n’y pensez pas…’ balbutia-t-elle. Cependant, elle n’eut guère le loisir d’en dire plus, son interlocuteur continuant joyeusement sur sa lancée : ‘J’ai entendu dire que certaines femmes de la cour apprenaient à manier les armes ou la dague pour ce genre de situation précisément. Comme vous l’avez vu je ne me défends pas trop mal ; voudriez-vous de moi comme professeur ? J’avoue que je me sentirais plus rassuré de vous savoir prête à vous défendre si jamais pareil incident devait se reproduire.’

L’attention aurait été charmante, et sans doute même flatteuse—d’ordinaire un duc ne se préoccupait pas de savoir si une obscure petite comtesse risquait sa vie en se promenant dans les bas-fonds parisiens—si elle n’avait point tant gênée Frances. Elle avait bien entendu parler de ces femmes qui maniaient l’épée, et le nom de Mary Frith, ou plutôt Moll Cutpurse, cette femme qui s’habillait en homme pour arpenter les rues de Londres sous le règne du roi James I, résonnait encore dans la mémoire des anglais. Mais s’imaginer, elle, manier l’épée ? Elle avait pu récupérer une dague sur l’une de ses victimes, et savait qu’en lui tranchant la carotide, son agresseur mourrait en quelques minutes, mais de là à envisager de s’en servir réellement… Son art, c’était les poisons, pas l’escrime. Et puis, les puritains assignaient des rôles bien précis à chaque sexe. Se battre n’étaient pas une activité que les femmes étaient censées pratiquer. Les hommes non plus d’ailleurs, mais c’était une autre histoire.

Frances s’apprêtait à refuser—avec politesse, certes, mais à refuser quand même—lorsqu’une pensée toute singulière pénétra son esprit. Elizabeth. Sa sœur aînée n’aurait sans doute pas détourné une telle proposition. Elle avait toujours été si… aventurière ! Et puis, Frances avait beau connaître les limites que l’on imposait aux femmes en Angleterre, cela ne voulait pas dire qu’elle obéissait à la lettre à ces restrictions. D’ailleurs, sa présence en France attestait très certainement d’un désir sous-jacent d’émancipation. A Paris, à Versailles, tout comme à l’abbaye de Longchamp, elle était libre !

‘Et vous parliez tout à l’heure de me rendre la pareille… Vous ne sauriez me rendre meilleur service qu’en me donnant la certitude que vous serez sauve dès que vous sortirez en ville !’ acheva le duc de Sudermanie dans un large sourire, ce qui semblait être chez lui une habitude aussi courante que la figure monotone de Frances. Quelques secondes s’écoulèrent, durant lesquelles la jeune femme fixa le sol, triturant nerveusement des pans de sa robe, pesant mentalement le pour et le contre. Sa couverture ne serait-elle pas en danger si elle acceptait ?

Elle releva soudainement la tête, et fixa son interlocuteur avec une certaine insistance. Leurs yeux se croisèrent, et Frances fut happée par ce regard et la bienveillance qui en émanait. Elle fut presque bouleversée, sans trop savoir pourquoi, songeant qu’il devait s’agir là d’une impression que donnait cet étrange—mais agréable—personnage. Finalement, elle finit par donner sa réponse, regrettant à moitié, même si elle savait qu’après ça, elle ne pourrait plus revenir en arrière.

‘Ma foi… J’accepte votre proposition. Ce sera un très grand honneur, même si je crains de ne point être une élève fort talentueuse. On ne m’a pas enseigné à me défendre durant mon enfance, non, mais plutôt à broder. Malheureusement, on ne peut tuer personne avec une aiguille…’ Ou presque, mais là n’était pas la question. Elle venait d’accepter, à elle de se montrer à la hauteur de cet ‘apprentissage’ plutôt original pour une jeune femme de la noblesse, sans oublier bien sûr, de ne pas se départir de sa couverture. Lucy of Longford, encore et toujours.

A cet instant, la petite fille revint, informant le duc qu’elle avait déniché un carrosse et que celui-ci attendait dans une rue adjacente, avant de disparaître en courant, non sans avoir jeté un dernier regard sur cet étrange ‘couple’.

Spoiler:
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MessageSujet: Re: 'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie)   'Le loup, le renard et la belette' (Christian de Sudermanie) Icon_minitime01.05.13 17:54

Christian n’avait pas la moindre idée de ce dans quoi il venait de s’embarquer ; mais même s’il l’avait su, cela n’aurait probablement pas fait la moindre différence. Proposer à une parfaite inconnue qu’il venait tout juste de rencontrer dans des circonstances plus que douteuses à lui apprendre à se battre en aurait fait frémir plus d’un, ou plus d’une, mais le duc n’était pas du genre à s’embarrasser de ces considérations. Tout ce qui comptait à cet instant c’était d’avoir la certitude de revoir lady Lucy of Longford, l’énigmatique Lucy dont il sentait déjà les contours d’un épais mystère l’enrober comme une aura discrète mais obsédante pour le scientifique qu’il était. Christian ne faisait pas partie de ces scientifiques froids qui ne juraient que par la raison et la prudence : au contraire, son intuition était l’un de ses principaux outils de travail, et il s’y fiait aveuglément même si cela devait le conduire droit dans le mur. Ses principales réussites avaient été conduites par cet instinct inné pour flairer les bonnes idées ou les questions qui méritaient qu’on s’y arrête, qu’il s’agisse de science aussi bien que de l’humanité. Un instinct qui tendait naturellement vers ce qui était caché, vers l’obscur, vers les secrets qu’il aurait mieux valu gardés cachés derrière le sombre rideau de la bienséance ou de la sécurité de tous. Christian, derrière son sourire affable et sa bonne humeur perpétuelle, était attiré par les secrets les plus sombres de l’humanité, et si on lui avait présenté un Méphistophélès, nul doute qu’il n’aurait pas hésité un instant avant de se transformer en docteur Faust.

Qui était Lucy of Longford ? Une veuve irlandaise d’après ses dires, mais Christian sentait, Christian savait qu’il y avait autre chose derrière. Il était loin d’imaginer toute la vérité, la famille Cromwell, les conflits avec la couronne d’Angleterre, les meurtres et les poisons, mais il se plaisait à imaginer quelque mystère romanesque, une famille d’intrigants, un passé d’aventures et de secrets, un secret familial peut-être, une recherche de trésors, une injustice à réparer.

‘De grâce monsieur, ne vous attardez donc point sur cette intrigue qui n’en est point une. Vous perdriez un temps précieux que vous pourriez consacrer à vos recherches, et ce que vous découvririez ne vaudrait pas le tourment de votre investigation. Je ne suis hélas pas un personnage de l’une de ces légendes que l’on conte par chez moi.’ Avait-elle cherché à le dissuader.

En vain. Une fois que Christian avait une idée en tête, il n’en démordait pas. Et s’il acceptait pour cette fois de jeter l’éponge et ne plus chercher à en savoir plus, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il renonce tout à fait à mener l’enquête –enfin, enquête était un bien grand mot, il ne se serait pas permis de faire plus que poser quelques questions à la principale intéressée.

Finalement elle accepta qu’il lui trouve une voiture, et alors qu’il envoyait sa petite messagère en éclaireur, il eut l’impression qu’il avait vaincu la défiance première de son interlocutrice. Il la sentait toujours hésitante, incertaine probablement quant à savoir si elle pouvait faire confiance ou non à cet étrange énergumène sorti de nulle part pour mettre à terre un maraud et s’en relever avec un grand sourire avant de proposer de servir de professeur d’escrime à une parfaite inconnue. Il la sentait hésiter, passer de la confiance à l’interrogation à chaque seconde qui passait, comme une funambule sur un fil ne sachant de quel côté pouvoir tomber sans se blesser. Christian n’était pas pressé. Il lui laissa poliment le temps de méditer sur la question, ne la quittant pas des yeux, fasciné par le spectacle qu’offrait le visage de la jeune femme en proie à ces interrogations. Elle était d’un grand sang-froid, mais ne pouvait empêcher un muscle de son visage de se contracter légèrement, ou une ombre imperceptible d’apparaître sur son front délicat. Un spectacle des plus divertissants –et intéressants- pour un observateur attentif comme lui.

Finalement, elle releva la tête pour le fixer droit dans les yeux, regard auquel il ne chercha même pas à se dérober, un sourire amusé et énigmatique flottant sur ses lèvres. De plus en plus fascinante. Il se laissa volontiers sonder par ce regard indéchiffrable, et son sourire s’agrandit lorsqu’elle lâcha enfin :

‘Ma foi… J’accepte votre proposition. Ce sera un très grand honneur, même si je crains de ne point être une élève fort talentueuse. On ne m’a pas enseigné à me défendre durant mon enfance, non, mais plutôt à broder. Malheureusement, on ne peut tuer personne avec une aiguille…’
« Sage décision, madame. Et si jamais mes talents de pédagogue ne vous conviennent pas, rien ne vous empêchera de mettre un terme à nos leçons. Nous avons donc un accord. » sourit-il avant de tirer d’une poche de son pourpoint un petit carnet sans lequel il ne déplaçait jamais, une mine, et griffonna l’adresse de son hôtel particulier sur une feuille qu’il déchira avant de la lui tendre. « Voici mon adresse. Faites-moi savoir quand vous désirez commencer, je suis à votre entière disposition. »

Il ne s’écoula guère de temps avant que la petite fille ne revienne les informer que le véhicule était là et les attendait au coin de la rue. Se levant du banc où ils étaient assis, Christian tendit le bras à lady Lucy pour l’accompagner, prévoyant si jamais elle ne s’était pas tout à fait remise de ses émotions. En arrivant au carrosse, il lui prit la main –fine, blanche et délicate - et l’aida à grimper avant de refermer la portière sur elle. Il observa une dernière fois à travers la fenêtre ouverte ce visage aïgu, ces traits fins, et ces yeux d’escarboucle au reflet indéchiffrable. Alors qu’elle s’apprêtait à se défaire du mouchoir qu’il lui avait attaché pour en faire un pansement, il arrêta son geste et eut un sourire :

« Je vous en prie, gardez-le. Ainsi je suis un peu plus sûr que vous m’écrirez pour organiser notre prochaine rencontre. Et sinon, cela vous fera un souvenir du jour où vous avez rencontré un suédois un peu étrange dans les rues de Paris ! Je vous souhaite une bonne route, madame, soyez prudente. »

Et il laissa le véhicule partir. Il resta là, immobile, pendant plusieurs minutes sans quitter des yeux la rue au coin de laquelle il avait tourné, emportant avec elle le mystère fait femme qu’il commençait à regretter d’avoir laissé si vite filer. La reverrait-il un jour ? Lui écrirait-elle comme convenu ? Rien n’était moins sûr. Mais Christian n’avait pas envie d’être pessimiste : qui vivre verra !
Il ne sorti de ses pensées que lorsqu’un autre véhicule s’arrêta non loin de lui et que son conducteur l’apostropha :

« Eh ben monseigneur ! Faut pas rester au milieu de la route, vous risquez de vous blesser v’savez ! »
« Pardonnez-moi mon brave, j’étais perdu dans mes rêveries. » s’excusa-t-il avant de s’écarter, pour reconnaître avec surprise un corbillard. « Qu’est-ce que c’est donc que cela ? Qui est mort ? »
« Ohfff, un pauvre hère de la haute qu’on dit mort de chagrin après que son frère ait été jugé pour aller savoir quoi comme bêtise encore. Sauf vot’respect monseigneur, y a pas qu’en bas qu’on trouve de sacrées crapules. »
« Et qu’est-il arrivé au frère ? » s’enquit Christian, curieux, en observant le cercueil à l’arrière.
« Il a eu son procès, et on l’a pendu, il me semble. C’était ben mérité ! »
« Dans mon pays, on les pend sans procès, c’est plus court. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit à l’époque pour m’expliquer nos méthodes judiciaires un peu trop expéditives. »
« Y a plus d’justice nulle part, mon pauv’ seigneur. Enfin, mieux vaut que j’emmène çui-là maintenant, si ça vous dérange pas. »
« Bien sûr, je vous retarde, allez donc. » Il tapota gentiment le couvercle laqué du cercueil, ajoutant à voix basse : « Allez en paix mon pauvre vieux. Et soyez assez aimable pour saluer ma chère épouse, voulez-vous ? En attendant mon tour, j’ai un joli mystère à résoudre. »

Et se détournant hâtivement, il remonta la rue, bien décidé à tenir parole. Il avait l’intime conviction qu’entre lui et Lucy of Longford, c’était loin d’être terminé. Au contraire, cela ne faisait que commencer ! songea-t-il gaiment.

FIN DU TOPIC.
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