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 Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde

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MessageSujet: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime08.04.12 16:15





Teofilia Eleonora


SOBIESKA




(BRYCE DALLAS HOWARD)


Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Tumblr19

« Un homme qui a vécu dans l'intrigue un certain temps ne peut plus s'en passer »
[Jean de La Bruyère]

    ► Eléonore ignore la date exacte de sa naissance sinon qu'elle a vu le jour au début de l'année 1635. Elle a donc 31 ans.
    Noble polonaise en exil, intrigante professionnelle. Elle est la fille illégitime de l'ancien voïvode de Ruthénie et Kasztelan de Cracovie Jakub Sobieski, mort depuis 1646 et la demi-sœur de Jan Sobieski, hautman depuis peu protecteur de la Couronne polonaise.
    ► Elle est issue d'une grande famille de la noblesse polonaise par son père mais n'a aucune idée de l'identité de sa mère, son père est mort avant d'avoir pu le lui dire. Elle suppose que celle-ci était une noble dame autrichienne puisqu'elle a été conçue pendant que son père était en voyage à Vienne. Elle a toutefois reçu une culture très francophile et a appris à parler en français. Elle maîtrise parfaitement le français, le latin, le polonais, l'allemand et l'anglais.
    ► A cause de la mort rapide de ses deux époux, elle est aujourd'hui veuve. En Pologne, on la surnomme la "veuve sanglante" car leurs morts ont pu sembler suspectes à l'époque...
    ► Elle est une fervente catholique. Si son père était un partisan de la tolérance religieuse, sa détestation des Suédois l'a poussé à considérer tout protestant comme un méprisable hérétique.
    ► Elle préfère les hommes mais n'a jamais dit non à aucune nouvelle expérience tant que cela sert ses intérêts.



♕ PROTOCOLE ♕
VERSAILLES : PARADIS OU ENFER ?

Eléonore aurait peut-être pu apprécier Versailles à sa juste mesure si elle n'avait pas été contrainte et forcée de s'y rendre pour y accomplir les volontés du roi du Danemark. Certes, depuis sa plus tendre enfance, elle rêvait d'aller en France, le royaume ami de sa famille, elle a appris à parler en français, on lui a tant de fois vanté la beauté du château, le luxe de l'endroit, les mœurs policés de la cour en elle-même. Elle ne peut que s'y sentir comme un poisson dans l'eau. Versailles, en voilà un défi à sa mesure ! Toutefois, Eléonore aurait plus tendance à décrire l'endroit comme un enfer : l'étiquette y est affreusement rigide, bien plus qu'en Pologne, sa charge auprès de la reine ne lui laisse que peu de temps pour souffler (et servir cette reine... Quel ennui !) et ses loisirs se bornent à essayer de s'attirer l'amitié d'Helle de Sola pour découvrir où se cache Ulrich... Mais pour être parfaitement honnête, si elle s'en plaint, elle s'y amuse follement. C'est un terrain de jeux sans fin, on y trouve la fine fleur de la noblesse européenne et c'est encore un lieu dans lequel elle n'a pas tissé sa toile. Mais cela elle ne l'avouerait jamais ! Parfois, quand même, son frère et la cour de Pologne lui manquent plus que tout et tous les charmes de Versailles ne sauraient lui faire oublier sa mélancolie.

COMPLOT : VÉRITÉ OU FANTASME PUR ?

En voilà une question stupide ! Si vous la lui posiez directement, Eléonore aurait sans doute tôt fait de vous rire au nez. Évidemment qu'il existe des complots, quelle cour n'en est-elle pas remplie ? Il faut dire qu'elle a elle-même souvent participé à en mettre au point que ce soit pour attenter à la vie de souverains ou plus modestement pour organiser des mariages. De part sa position un peu à l'écart au sein d'une grande famille polonaise, la jeune femme a toujours été au centre des actions louches et elle a été très tôt mis au fait des complots et des intrigues. Grandir au sein d'un pays en guerre, connaître ses premiers émois dans une cour en exil et faire ses premières armes à Constantinople, tout cela ne pouvait que la vouer à être une intrigante de premier ordre ! Et de fait, Eléonore est une intrigante professionnelle qui noue et dénoue les alliances à tous les endroits où elle se trouve quitte à parfois se mettre en danger. Elle est de tous les complots... Mais ironiquement, n'est absolument pas au courant du fait qu'on pourrait en vouloir à la vie de Louis XIV. Il faut dire qu'elle l'apprécie plutôt ce roi...

COLOMBE OU VIPÈRE ?

Paradoxalement, Eléonore n'a jamais été très friande des rumeurs pour la simple et bonne raison que cela s'avère généralement faux. Et que ce sont ces rumeurs elles-mêmes qui la font perdre lors de ses petites intrigues. Plutôt que de se fier aux rumeurs, elle préfère aller chercher elle-même l'information à la source pour être sûre de sa fiabilité. Pas question d'agir sur des racontars ! Néanmoins, elle ouvre grand ses oreilles à Versailles car elle a besoin de ses ragots pour comprendre les rapports de force à la cour. Et elle doit bien avouer qu'en faire circuler de temps à autre peut être jouissif ! Surtout quand cela est scandaleux et concerne l'un de vos ennemis... Elle-même n'a pas une très bonne réputation en Europe de l'Est et attend bien arriver encore blanche à Versailles. Mais dans son cas, elle sait bien que les rumeurs sont en deçà de la vérité !

DES LOISIRS, DES ENVIES A CONFIER ?

Vous voulez dire mis à part sa recherche d'Ulrich de Sola dans le but de l'assassiner ou son obsession de mettre son frère Jan sur le trône de Pologne ? A vrai dire, notre chère Eléonore est une hyperactive, tout l'intéresse mais elle ne peut garder son attention sur quelque chose qu'à peine quelques minutes d'affilées. Il faut donc toujours qu'elle soit occupée car elle s'ennuie très vite. Autant dire qu'elle a testé tous les loisirs possibles et inimaginables. Elle préfère ce qui lui permet de bouger et de sortir. La jeune femme est une experte en équitation et apprécie aussi qu'il lui sort permis de tirer même si la patience n'est pas son fort comme vous l'aurez compris et que la chasse lui est donc fortement déconseillée. Mais de manière générale, tous les jeux d'extérieur lui plaisent ce qui fait dire à ses détracteurs qu'elle n'est rien qu'une enfant qui a grandi trop vite. Elle déteste en revanche les longues conversations sur des sujets aussi futiles que la mode. Elle ne peut rester en place lors d'une pièce de théâtre, apprécie peu la lecture, il lui faut toujours du mouvement ! Toutefois, sa grande passion reste l'intrigue, elle s'y complaît plus que dans toute autre activité, cela lui permet de faire travailler son esprit en permanence. Mentir, comploter, manipuler, en voilà des amusements dignes d'elle !

♕ HOP, RÉVÉRENCE ! ♕
What a Face
► En tout... 116 ans, j'ai compté !
► Je suis devenue accro, vous devriez m'y voir souvent !
► Code bon by Lisa
► Comment avez vous connu le forum ? Cas de schizophrénie aggravé.



Dernière édition par Eléonore Sobieska le 19.04.12 2:11, édité 8 fois
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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime08.04.12 16:15

Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Zhovkv11
PROLOGUE

_________________________________________________


Ce furent les claquements des sabots dans la cour qui annoncèrent à Zofia Sobieska l'arrivée de visiteurs au château de Zhovkva. Occupée à des travaux d'aiguille, elle releva soudain la tête et tendit l'oreille pour tenter de deviner de qui il s'agissait. Elle avait passé de longues semaines dans ses appartements aux tentures noires sans recevoir la moindre personne. Mais aucun son particulier ne la renseigna. Malgré elle, son regard accrocha une forme sombre dans un coin de la pièce et elle sentit son cœur se serrer. En cet instant-là, si Dieu l'avait voulu, le berceau aurait du osciller sous le poids d'un enfant et les vagissements de ce dernier auraient du emplir la pièce. Mais il était vide, Zofia était seule. Une douleur au doigt lui fit de nouveau poser les yeux sur ses mains. Elle s'était piquée et le sang coulait déjà sur ce qu'elle avait cousu, rendant inutilisable le tissu. Dans un soupir, elle lâcha l'ouvrage et enveloppa sa blessure dans son mouchoir. Dehors, des bruits de voix commençaient à se faire entendre. Elle songea qu'elle aurait préféré continuer à faire des points, cela occupait assez son esprit pour ne plus penser à la souffrance qui tiraillait son cœur. Mais après tout, n'était-il pas temps de revenir au monde ? Elle avait passé des jours entiers à genoux à prier que Dieu ait pitié de l'enfant et le fasse entrer au royaume des cieux mais elle ne devait pas oublier qu'il lui restait deux fils de sept et six ans et une toute petite fille d'un an qui avaient besoin de leur mère. Ils ne méritaient pas de la voir prisonnière de sa peine. Celle-ci avait beau lui marteler l'esprit à chaque instant, elle devait se relever et vivre avec.

Des cris s'élevaient maintenant de la cour et une voix sèche, surpassant les hennissements des chevaux, lança des ordres que Zofia ne comprit pas. Elle sentit son souffle devenir plus court. Comme pour répondre à ces paroles, un bruit de cavalcade résonna dans toute la demeure. Les enfants poussaient des exclamations de joie qui confirmèrent la jeune femme dans ses soupçons. Elle se redressa d'un bond et sentit une certaine nervosité s'emparer d'elle. Cela faisait si longtemps qu'elle ne l'avait pas revu ! Avait-il changé pendant ces longs mois passés à la cour de Vienne et sur les routes du Saint Empire en guerre pour trouver une épouse à leur roi ? Avait-il parfois pensé à elle pendant ce voyage ? Elle s'arrêta un instant à la porte de sa chambre quand la dernière question surgit dans son esprit : avait-il appris la nouvelle ? Elle l'espéra. Elle ne voulait pas avoir à le lui annoncer.

Cela faisait des jours qu'elle n'avait pas vu le soleil. Il osait une percée timide derrière les nuages de cette fin d'année 1635. Zofia dut cligner plusieurs fois les paupières pour distinguer ce qui se passait dans la cour du château. L'agitation qui y régnait indiquait assez que le maître des lieux était de retour. Elle lui tourna un instant la tête, elle qui avait vécu ces derniers temps dans l'isolement mais Zofia s'y habitua progressivement. Dès que sa vision fut redevenue normale, ce fut lui qu'elle distingua en premier. Sa silhouette massive se détachait dans ce tableau. Il attirait toujours tous les regards sans même le chercher. Il était descendu de son cheval et serrait désormais ses fils entre ses bras dans un grand éclat de rire que l'on devait entendre aux quatre coins du château. Il ébouriffa les cheveux du cadet, Jan en poussant de grandes exclamations sur sa haute taille. Zofia était si heureuse de le revoir qu'elle laissa même échapper un demi-sourire lorsqu'il donna une bourrade à Marek en lui disant d'un air indigné qu'il allait bientôt le rattraper. Mais ce sourire s'évanouit de ses lèvres dès que Jakub Sobieski se tourna vers elle. Son visage rond et jovial se décomposa lorsqu'il comprit à la tenue de deuil de Zofia ce qui s'était passé. Il se détacha sans un mot des enfants et se rapprocha de son épouse qui sentit une vague de reconnaissance l'envahir. Lorsqu'il fut devant elle, elle put mieux voir les nouvelles rides qui s'étaient installées au coin de ses yeux et sa peau brunie par les heures de chevauchée. Jakub lui prit les mains et déposa un baiser sur chacune d'elle.

- Oh, madame...
- C'était une petite fille, réussit-elle à prononcer d'une voix étranglée.

Il eut une expression indéchiffrable mais une vraie tristesse traversa ses yeux marrons. Il se reprit pourtant bien vite et ouvrit la bouche pour prendre la parole. Mais un cri de bébé le lui empêcha. Stupéfaite, Zofia retira ses mains et demeura ébahie pendant quelques instants. Une femme blonde qui descendait d'une voiture portait un petit paquet qui s'agitait entre ses bras. C'était de là que venaient les pleurs. La femme, une étrangère qui ne connaissait pas les lieux, hésita à s'approcher mais parut reprendre confiance en voyant Jakub. Zofia ne comprit pas tout de suite ce que cela signifiait. Pourquoi diable son époux ramenait-il un bébé de son voyage à Vienne ? Jakub, devant elle, avait repris contenance et son visage s'était fermé.

- Voici une orpheline que j'ai recueillie. Elle vivra parmi nous et j'ose espérer que vous la considérerez comme votre propre fille. Venez mademoiselle.

La femme, visiblement la nourrice, obéit et présenta le paquet à Jakub qui s'en saisit avec une délicatesse inaccoutumée pour un homme de cette trempe. Zofia ne put s'empêcher de penser qu'il n'avait jamais pris aucun de ses enfants dans ses bras. Mais il ne le garda pas longtemps et le tendit à son épouse. Elle eut un moment d'hésitation et croisa le regard de Jakub. Elle n'eut pas même pas besoin de regarder le bébé, en un éclair, elle sut la vérité. Elle aurait préféré ne pas comprendre. Mais c'était trop tard et déjà des interrogations douloureuses lui brûlaient les lèvres. Quelle femme avait-elle pu faire vaciller Jakub de la fidélité conjugale et le pousser au péché ? Quelle femme pouvait-elle être assez exceptionnelle pour s'attirer l'amour du guerrier et bien plus, le pousser à recueillir leur enfant et à élever un bâtard comme ses autres enfants ?

- Madame, reprit-il d'un ton qui n'admettait pas de réplique, elle remplacera l'enfant que vous avez perdu. Elle sera entièrement à vous comme si l'aviez porté dans votre sein. Personne ne vous l'ôtera jamais et vous ferez d'elle ce que vous désirez qu'elle soit. Ma seule condition est son prénom : elle a été baptisée sous le prénom d'Eleonora.

Elle lut dans son regard qu'il avait comprit qu'elle savait. Elle aurait pu adopter la posture d'une femme bafouée, tourner les talons et continuer à se recueillir sur son enfant mort. Mais cela ne rimait à rien. Si Jakub se complaisait dans ce secret de Polichinelle, pourquoi pas après tout ? La petite n'y était pour rien. Et un berceau vide attendait de remplir son office. Sans un mot, elle s'empara du bébé qui pleurait toujours et ne put s'empêcher de le bercer un peu dans l'espoir de le calmer. C'était une belle petite fille déjà potelée au crâne parsemé de mèches rousses. Ses yeux bleus étaient ouverts et fixaient Zofia. Sentant que la crise s'était désamorcée, Marek et Jan s'approchèrent autour de leur mère pour tenter de voir quelque chose de la petite.

- Faites-en une vraie Sobieska, murmura Jakub.

Zofia échangea de nouveau un regard avec lui et cligna des yeux. Ce n'était plus de la surprise, de la douleur ou de la colère. C'était une promesse muette.




Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Tumblr20
CHAPITRE I

_________________________________________________



« L'enfance n'est rien qu'une suite de désillusions »


Château de Zhovkva, Royaume de Pologne-Lituanie, année 1642
Eleonora se tortillait sur son siège sous le regard furieux de sa sœur aînée, Katarzyna. Petite mère lui lançait de temps à autre des regards noirs pour tenter de la calmer mais cela ne servait à rien, la petite fille ne parvenait pas à rester en place. Pourtant tout le monde savait qu'elle ne supportait pas de devoir rester immobile et silencieuse plus d'une dizaine de minutes, pourquoi l'obligeait-on à le faire tout de même ? Sans compter que rien ne l'ennuyait plus que de devoir supporter la conversation des grandes personnes tout en brodant, activité dans laquelle elle était si mauvaise que cela en devenait une torture autant pour elle que pour les gouvernantes qui devaient reprendre ses points. Elle allongea le cou pour voir comment se débrouillait Katarzyna qui mettait une grande application à la tâche. Évidemment, c'était parfait mais tout ce que pouvait entreprendre sa sœur, ou plutôt sa demi-sœur (Kat ne supportait pas que l'on oublie ce « demi ») était réussi. Aux pieds de celle-ci, Rozalia, la dernière née, jouait avec une poupée de bois. Eleonora aimait à se définir comme une grande face à ce bébé brun et joufflu mais en cet instant précis, elle aurait aimé être elle-aussi considérée comme une enfant et avoir l'autorisation de s'amuser avec Rozalia. Cela pouvait parfois être intéressant quand une dame leur lisait des passages des Saintes écritures mais cette journée-là, l'entretien tournait autour de personnes dont Eleonora n'avait encore jamais entendu parler si bien que son esprit vagabondait sans qu'elle ne puisse l'arrêter. Dans l'espoir de trouver une position dans laquelle elle serait plus à l'aise, elle bougea encore.

- Mais enfin, cessez de gigoter, s'exclama petite mère.

Petite mère qu'elle appelait ainsi uniquement parce que Katarzyna avait toujours refusé que la bâtarde puisse aussi nommer Zofia Sobieska « maman » ne correspondait en rien à son qualificatif. Elle était grande, trapue et ses grossesses successives l'avaient rendu très ronde. Ses traits carrés lui donnaient un air sévère qui ne s'éclairait que de temps à autre. Les réticences de Kat étaient bien ridicules car tout le monde devinait que Zofia n'était pas la mère d'Eleonora rien qu'en les mettant l'une à côté de l'autre. Pourtant petite mère avait toujours eu une grande affection pour le vilain canard de la famille, la seule à avoir une flamboyante chevelure rousse qui la distinguait sans problème du reste de la maisonnée. Aussi après avoir soupiré pour la forme, elle eut un geste pour l'autoriser à quitter la pièce. Eleonora sentit soudain soulagée et se leva d'un bond en remerciant petite mère d'un ton joyeux. Enfin libre ! Elle remarqua à peine l'expression pleine de mépris et de rancœur que lui adressait Katarzyna et sortit à toute allure. Zofia avait toujours eu une indulgence coupable pour elle et au bout de sept années passée auprès d'elle, Eleonora savait comment exploiter cette faiblesse. Des années plus tard, bien après le décès de petite mère, elle se demanderait pourquoi Zofia l'autorisait à ne pas accomplir toutes les tâches qu'on demandait à Kat puis Rozalia, à ne pas assister aux leçons des précepteurs de ces dernières. Était-ce tout simplement que personne n'arrivait à gérer son hyperactivité ? L'aimait-elle plus que ses propres filles pour céder à tous ses caprices ? La jalouse Kat en avait été persuadée. Ou considérait-elle qu'il était inutile pour une bâtarde de savoir bien se tenir comme le rang l'exigeait ?

Mais en cette journée-là, Eleonora était bien loin de se poser toutes ces questions. Elle récupéra au passage le petit chien tout poilu que lui avait offert son père quelques mois plus tôt et quitta le château en sautillant, toute heureuse de sentir enfin le soleil caresser sa peau blanche et le vent jouer avec sa chevelure. Avant que quelqu'un ne change d'avis, elle se mit à courir vers la direction opposée à la ville de Zhovkva, saluant au passage les domestiques des Sobiescy qui l'adoraient et ne manquaient jamais une occasion de la chouchouter. C'était en direction des bois que père avait installé la ménagerie et du haut de ses sept ans, Eleonora aimait ce lieu plus que tout autre au monde. Elle pouvait passer des heures à s'élancer de parc en parc pour faire peur aux daims, tenter d'énerver les bisons et d'approcher les chamois craintifs. Son chien jappait à ses côtés en la suivant. Depuis peu, père avait fait apporter un énorme ours et Eleonora n'avait pas encore reçu l'autorisation de s'en approcher. Elle comptait bien profiter de l'absence de père, parti à la cour du bon roi Ladislas pour faire ce qu'elle avait envie.

Mais un bruit dans les fourrées la détourna de son intention initiale. Son chien, resté à quelques pas derrière elle, se mit à grogner. Le cœur battant, elle s'arrêta et fixa les herbes qui s'agitaient pour essayer de savoir ce dont il s'agissait.

- Chut ! Commanda-t-elle à son chien qui ne cessa pas pour autant de geindre.

Elle s'approcha encore un peu et s'agenouilla. Les mouvements s'étaient interrompus. Eleonora patienta quelques instants alors qu'elle bouillait de sauter sur l'endroit où devait se trouver l'animal. Mais elle fut récompensée lorsque surgirent deux oreilles pointus, bientôt suivies d'un museau roux. Un renard ! La petite fille eut le souffle coupé de pouvoir le distinguer d'aussi près. Il ne se sauvait pas, se contentant de la fixer de ses yeux jaunes méfiants. Les deux se regardèrent pendant de longues minutes jusqu'à ce qu'une voix de garçon ne les interrompe :

- Eleonora ? Dis-moi que je rêve ! Est-ce bien toi qui ne bouge pas ?

Le renard hésita un instant mais devinant l'approche d'une haute silhouette, il prit ses jambes à son cou et disparut derrière les arbres. Eleonora se redressa et leva la tête vers son frère Jan :

- Êtes-vous content, monsieur ? Vous avez fait fuir un adorable renard ! J'aurais peut-être pu l'apprivoiser si vous ne l'aviez pas effrayé ! Dit-elle en colère.

Jan s'approcha et lui ébouriffa les cheveux dans un grand éclat de rire :

- Pardonnez-moi, madame, j'ignorais que vous puissiez vous tenir calme aussi longtemps, la surprise était trop grande.
- Riez, je ne vous pardonnerais pas comme cela !
- Mauvaise tête, grand Dieu, je pourrais te détester pour ton mauvais caractère si je ne t'aimais pas autant, ma petite renarde. Tiens, en voilà, un surnom qui te va bien ! La renarde !

Eleonora finit par se dérider après une dernière bourrade et ayant retrouvé toute sa bonne humeur, elle se mit à cribler son frère de coups de poings tandis que celui-ci faisait mine d'avoir mal.

- Et bien, que tu frappes fort, ma renarde, les duels avec Marek ne sont que des jeux d'enfant à côté de toi. Tu impressionnerais même les Suédois !
- Cesse de m'appeler ainsi !

Eleonora ne savait pas que ce surnom était destiné à lui rester.





Dernière édition par Eléonore Sobieska le 17.04.12 10:45, édité 5 fois
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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime08.04.12 18:11


CHAPITRE I

_________________________________________________

Château de Zhovkva, Royaume de Pologne-Lituanie, année 1645
Eleonora, les yeux mi-clos, épiait les oiseaux. La chaleur était étouffante cet jour-là et l'avait obligée à se réfugier à l'ombre d'un grand chêne. Couchée sur le sol, elle sentait plus qu'elle ne la voyait la présence de Petro. Les pépiements des moineaux couvraient le bruit de la respiration du garçon. Petro avait beau être plus âgé qu'elle, elle s'amusait beaucoup avec lui. Il vivait au château avec le reste de la famille et il n'était pas aussi froid que Kat. Rozalia parfois les accompagnait mais c'était une petite fille craintive qui n'osait pas effectuer la moitié des choses que faisait sa sœur. Petro acceptait toujours, lui. Mais au milieu du jour, le soleil était trop haut pour que l'on songeât à explorer les alentours aussi Eleonora avait proposé de s'allonger au pied du grand chêne.

- Tu veux donc faire une sieste ? avait demandé Petro les yeux brillants.
- Est-ce si incroyable que cela que je veuille ne rien faire ?
- Nous allons voir combien de temps tu parviendras à te taire et à ne pas bouger, avait ironisé le jeune garçon.

Sur le moment, rien n'avait paru plus facile à Eleonora. Mais à peine vingt minutes plus tard, elle devait bien admettre que cela relevait de la torture la plus simple. Si la chaleur était assez assommante pour l'aider à rester immobile, sa langue la démangeait. Elle ouvrit plusieurs fois la bouche pour parler mais elle se ravisa à temps. Elle tourna la tête vers Petro. Il avait fermé les yeux et souriait d'un air assez béat.

- Pourquoi souris-tu ?

Zut et rezut ! Eleonora se mordit la langue mais c'était trop tard, elle avait parlé. Le garçon rouvrit les yeux et eut un rire un peu moqueur :

- J'avais raison, tu n'auras pas tenu bien longtemps !

La petite fille se détourna et fit une moue boudeuse. Était-ce de sa faute si elle ne tenait pas en place à la fin ? Il lui semblait pourtant que Petro aimait bien cela, lui qui la suivait partout et participait à toutes ses aventures, quitte parfois à risquer de se faire dévorer par l'ours, de prendre un coup d'épée dans la jambe (pour sa défense, Eleonora ne maîtrisait pas vraiment l'arme en question) ou de tomber dans la rivière qui passait près du château. Depuis les départs fréquents de ses frères à l'université pendant des semaines entières, il était son seul véritable ami mais elle détestait quand il riait ainsi à ses dépens.

- Allons, ne fais pas la tête, petite renarde. Si tu étais autrement, tu ne serais pas mon amie.

Dans une tentative pour se la concilier, il se rapprocha un peu d'elle et glissa sa main près de la sienne. Eleonora, le cœur battant devant cet absolu interdit qui s'apprêtait à être franchi, sentit les doigts de Petro prendre les siens et les serrer. La main de Petro était un peu moite mais ce n'était pas désagréable. Elle tenta de se détendre en changeant de sujet :

- Est-ce que parfois ton pays ne te manque pas, Petro ?

Il eut un soupir de regret :

- Tous les jours. Je vivais près d'un immense lac avec mes parents. J'y étais un prince, mon père m'a appris à monter à cheval avant même que je ne puisse marcher. Mais je suis heureux d'être là avec toi. Quand tu es avec moi, j'ai l'impression d'être un peu chez moi ici...

Les deux jeunes gens n'entendirent pas les bruits de pas qui venaient vers eux aussi eurent-il un grand sursaut lorsqu'une voix grave et glaçante interrompit leur conversation :

- Lâche ma sœur, traître !

Affolée, Eleonora arracha sa main à celle de Petro et se releva. Devant elle, se tenait Marek, l’œil noir de colère. Derrière lui, Jan se tenait un peu plus à l'écart mais son visage furibond indiquait assez la nature de ses sentiments.

- Mais je..., tenta de protester Petro.
- Tu n'as pas le droit de la toucher, rugit Marek qui s'avança à sa portée et le gifla si fort que Petro tomba à la renverse, tu n'es qu'un otage de père, tu as déjà bien de la chance que notre père n'ait pas ordonné ta mort et celle de ton père. Il te traite comme son propre fils, t'élève en tant que tel et que fais-tu derrière son dos ? Tu cherches à séduire sa fille ! Tu n'es qu'un traître et tu as bien de la chance que je ne porte pas mon épée !
- Ne raconte pas de bêtises, s'écria Eleonora exaspérée, Petro ne m'a rien fait !

Elle tenta de s'interposer entre les deux garçons mais fut arrêtée par les bras de Jan qu'elle n'avait pas vu venir. Elle se débattit un instant mais en vain, l'étreinte était trop forte. Jan la serrait tant contre lui qu'elle sentit le battement de son cœur. Il l'embrassa sur le front puis posa sa joue mal rasée contre celle douce de sa sœur :

- Je sais que tu apprécies beaucoup Petro mais nous sommes tes frères, nous t'aimons et nous te protégeons contre ceux qui te veulent du mal.

Des larmes pleins les yeux, Eleonora ne répliqua pas et eut juste le temps de voir Marek cracher une dernière fois sa diatribe contre Petro :

- Vous autres Cosaques, vous n'êtes que des traîtres et des lâches ! Tu viens de prouver que tu ne méritais pas la confiance que l'on t'accorde. A partir d'aujourd'hui, nous te surveillerons. Oh, ne t'imagines pas que parce que nous sommes souvent absents, partis à l'université, nous ne saurons pas ! Reste éloigné de nos sœurs et tout se passera bien.

Jan tournait déjà les talons en entraînant Eleonora. La jeune fille lança un dernier regard à Petro, toujours à genoux au pied du vieux chêne. Le regard plein de haine qu'il lançait à Marek lui arracha un frisson.


Cathédrale Saints-Stanislas-et-Venceslas, Cracovie, année 1646
Le froid qui régnait à l'intérieur de la cathédrale pénétrait jusqu'aux os d'Eleonora et la glaçait. Elle avait l'impression que c'était elle qui était morte et que, devenue fantôme, elle observait son propre enterrement. Oui, c'était elle que l'on allait enfermer dans cette boîte de bois et glisser dans le tombeau de pierre gris et lisse. Les voix des chanteurs s'élevèrent doucement au départ puis prirent de plus en plus de profondeur à mesure que le cercueil avançaient dans la nef. Eleonora murmurait en même temps les paroles du chant liturgique en latin, la langue que l'on apprenait à parler aux enfants des nobles en Pologne. C'était son père qui l'obligeait à l'utiliser. Elle se moquait toujours de sa manière de prononcer les mots en roulant les « r », le faisant lever les yeux au ciel. Elle était persuadée qu'il essayait de rendre le latin plus effrayant ainsi, plus slave pour impressionner la Diète quand il devait se lever pour y prendre la parole. Elle sourit à ce souvenir mais c'était un sourire faux, étrangement tordu qui disparut rapidement. Elle ne le reverrait jamais plus. Bien sûr, elle n'avait jamais été très proche de père, il était souvent absent en tant que conseiller du roi Ladislas et grand chef de guerre. Mais toujours, il revenait couvert de médailles et d'honneur sur son étalon blanc. Il sautait de son cheval dans la cour du château et embrassait sa fille Eleonora, elle avant tout autre, même si c'était souvent parce qu'elle se trouvait elle-même dehors et non à l'autre bout du château à lire et à coudre comme Katarzyna et Rozalia. Aux yeux d'Eleonora, c'était un géant qui daignait parfois se pencher vers la pauvre créature qu'elle était, un héros auquel elle vouait admiration et idolâtrie. Il devait bien être immortel. Et pourtant il n'était plus là, Dieu l'avait rappelé à lui.

Eleonora eut une pensée reconnaissante pour petite mère. Zofia l'avait obligée à porter un voile noir qui dissimulait son visage et les larmes qu'elle ne parvenait pas à retenir. Petite mère était effondrée et sanglotait, elle, sans honte, soutenue par ses belles-sœurs. Lorsque sa masse noire s'ébranla, la jeune fille lui emboîta le pas mais elle fut violemment repoussée en arrière. Levant les yeux, elle fit face à Katarzyna :

- Tu n'as pas à marcher à nos côtés, tu n'es qu'une bâtarde !

Eleonora ne chercha même à répliquer à cette provocation gratuite devenue si habituelle dans la bouche de Kat. Elle chercha à échapper à l'emprise de sa demi-sœur, désespérée de voir la procession s'éloigner sans elle. Très vite, le cercueil de père disparut à sa vue.

- Laisse moi passer, Kat, s'il te plaît !
- Et pourquoi donc ? Tu ne devrais même pas être là, ta présence est un déshonneur pour notre famille.
- Je fais partie de la famille, il était mon père tout comme le tien !
- Ne te berce pas d'illusions, bâtarde, tu n'es pas une Sobieska et tu ne le seras jamais. Que crois-tu ? Qui voudra bien t'épouser, toi la sauvageonne que tout le monde appelle la renarde et qui n'arrive pas à rester attablée plus de dix minutes d'affilée ? Tu es une telle honte que je ne comprends pas qu'on ne t'ait pas encore fait prendre le voile ! Rozalia et moi, nous ferons de beaux mariages pour établir des alliances, nous servirons les Sobiescy et le royaume de Pologne, toi, tu n'es d'aucune utilité.

Les mots de Katarzyna frappèrent Eleonora comme autant de pierres pointues pour la lapider. Sous l'affront, elle recula d'un pas, choquée, la gorge serrée en un sanglot qui refusait de sortir. Ce n'était pas tant la haine et le mépris qui transparaissaient des paroles de Kat qui la blessaient, non c'était qu'elle savait que sa demi-sœur avait raison. Elle venait de confirmer tout ce qu'elle avait toujours redouté. Non, elle avait beau avoir le droit d'en porter le nom, elle n'était pas une Sobieska. Non, elle ne pourrait pas servir la famille.

- Katarzyna, reprends ta place dans le rang, gronda la voix furieuse de Marek.

Marek était désormais le chef de la famille et dans son costume pourpre de starost, il ressemblait tant à père qu'Eleonora fut surprise de voir que Kat n'obéit pas sans discuter :

- Je ne reprendrais pas ma place tant qu'elle sera là.

Le jeune homme posa une main protectrice sur l'épaule de sa petite sœur qui apprécia le contact. Mais ce fut ce qu'il dit après qui la rassura définitivement :

- Ton avis ne compte pas. Eleonora est notre sœur, elle aussi pleure son père autant que nous tous. Elle est peut-être celle qui a le plus le droit d'être parmi nous. Je ne te le redemanderai pas une troisième fois : reprends ta place. Prie pour que père ne soit pas témoin de cette scène dans l'au-delà car la honte qu'il doit ressentir doit être égal au manque de respect que tu lui manifestes.

Kat s'exécuta non sans grommeler. Marek se pencha vers Eleonora et souleva un peu le voile pour lui caresser la joue et essuyer les larmes.

- Merci, murmura-t-elle, père sait qu'il n'y a pas d'autre endroit où j'aimerais être.
- Je le sais moi aussi. Va, ma chérie. Reste juste un peu à l'écart de Kat pour ne pas la provoquer.

Eleonora acquiesça, replaça son voile et suivit Marek. Si son cœur se sentait un peu plus léger à l'idée que son frère l'ait défendue, elle savait qu'il lui faudrait gagner sa place au sein de la famille, que rien ne serait jamais gagné pour elle. Ce fut ce jour-là, le jour de l'enterrement de son père qu'elle décida de se vouer exclusivement aux intérêts des Sobiescy.


Lettre de Jan Sobieski à sa sœur Eleonora Sobieska datant d'avril 1648
Ma très chère et adorée sœur,

Votre lettre a fini par nous parvenir avec quelques semaines de retard mais quel n'a pas été notre plaisir à découvrir que mère allait mieux et que vous restiez égale à vous-même ! Je veux bien croire que vous mettiez de l'animation à Cracovie, ce serait plutôt le contraire qui serait étonnant ! Nous savons bien que deux ans se sont déjà écoulés depuis notre départ à Marek et à moi et que nous manquons à mère mais rassurez-vous, nous rentrons prochainement. Le tour d'Europe que nous avait conseillé père est bientôt terminé mais j'avoue que nous aurons sans doute du mal à quitter Paris, cette ville est une splendeur que vous apprécieriez, j'en suis certain. D'ailleurs, à chaque fois que nous rentrons dans une nouvelle contrée, nous avons une pensée pour vous. « Qu'Eleonora aurait aimé cette vue ou ce bâtiment », ne cesse de me répéter Marek. Vous nous dites que vous rongez votre frein en Pologne et cette image nous a bien amusés. Je suis sûr que si vous n'aviez pas reçu l'interdiction formelle de venir avec nous, nous vous aurions retrouvée le jour de notre départ sur votre cheval prête à quitter le château vous aussi ! D'ailleurs, il faudrait que j'en reparle à mère mais je la soupçonne de plus en plus d'avoir fermé votre chambre à double tour ce matin là. Je vous connais si bien que je vous entends me répondre de votre adorable voix outrée : « Mais je serais sortie par la fenêtre ! ». Je vous promets que nous vous rapportons tant de cadeaux que vous nous pardonnerez aisément de ne pas vous avoir prise avec nous.

Nous avons en effet été mis au courant de la révolte des Hongrois et de l'appel de notre roi à sa bonne noblesse. C'est la raison principale de notre retour si rapide, nous comptons bien servir notre pays jusqu'à la mort s'il le fallait. Vous souvenez-vous de l'inscription de la tombe du grand-père Danilowicz, le géniteur de mère ? « Qu'il est doux de mourir pour sa patrie ! ». Mais ne vous inquiétez pas pour nous, Marek manie l'épée mieux que personne et je lui sers de stratège pendant ce temps pour qu'il ne fonce pas dans ses ennemis aveuglément. Il serait furieux de savoir que je vous écris cela, ne lui en dites rien bien sûr ! Cette révolte sera vite stoppée par les soins de nos armées. Pensiez-vous un seul instant que je craignais que vous fussiez effrayée ? Bien sûr que non, vous êtes la petite personne la plus têtue et la plus courageuse que je connaisse. Mais enfin, il semblait bien que les Hongrois menaçaient notre bonne ville de Zhovkva et ils ne sont pas d'honorables soldats. Nous avons entendu dire qu'ils avaient brûlé toutes les synagogues sur leur passage, laissant périr des milliers de Juifs ! Qui se comporte donc ainsi sinon des barbares ? Je vous remercie de nous avoir averti de la fuite de Petro Bulavin, il était après tout normal qu'il cherche à regagner sa terre natale et son peuple entré dans la rébellion. A vrai dire, cela me rassure, je ne supportais pas l'idée que vous fussiez à la portée de son poignard. Vous continuez à prendre sa défense toutes ces années après mais je peux vous assurer qu'il ne mérite pas votre amitié.

Pour terminer cette lettre sur une note un peu plus positive, laissez moi vous dire quels grands hommes nous avons rencontrés en France. Nous avons été les invités d'honneur de la cour du roi d'Angleterre en exil. C'est un fort brave garçon qui ne mérite pas tous les malheurs qu'il a déjà traversé mais aussi un bon compagnon et, je l'espère, un ami fidèle. Les Français eux-mêmes, malgré les soulèvements qu'ils subissent à l'heure où vous nous écrivons, nous ont reçus de manière chaleureuse. Nous avons pu échanger des mots avec le vainqueur de Rocroi, ce fameux grand Condé tout comme avec d'autres grandes familles du royaume, le jeune roi lui-même nous a fait l'honneur de nous convier au Palais Royal. Voilà qui doit vous faire mourir de jalousie !

Nous sommes bientôt de retour, Marek se joint à moi pour vous embrasser bien fort, vous et toutes les femmes de la famille. Vous nous manquez terriblement chère petite renarde,

Votre frère dévoué, Jan.


Château de Cracovie, année 1652
- Je suis navré.

Jan baissait les yeux, affreusement gêné, les épaules basses comme si le poids du monde venait de lui tomber sur les épaules. Il semblait tellement abattu qu'Eleonora eut pitié de lui. Mais ce ne fut pas vers lui qu'elle se précipita mais vers petite mère qui s'était effondrée sur le sofa et était secouée de sanglots déchirants. Elle tenta de serrer la masse qu'était devenue petite mère avec les ans mais n'y parvint pas totalement. Voyant que ses efforts ne servaient à rien, elle se détacha de Zofia et resta là, les bras ballants, étrangement vide à l'intérieur. Elle ne parvenait même plus à analyser ses propres sentiments, le choc était trop grand. Ses yeux étaient embués mais les pleurs ne coulaient pas sur ses joues. C'était comme si une part d'elle-même venait de s'éteindre, venait de mourir en même temps qu'elle avait appris la disparition de son frère aîné sur lequel reposaient tous les espoirs de la famille. Il avait passé tant d'années à la protéger, à veiller sur elle, à lui promettre que tout irait bien que pendant un court instant, elle le détesta d'être parti et de la laisser seule sur cette terre avec petite mère qui n'arriverait jamais à se remettre de cette perte. Rozalia se leva à son tour et posa sa main sur le dos de Zofia, signe de soutien muet mais dont tous purent apprécier l'efficacité car les soubresauts qui secouaient petite mère se calmèrent.

- Au moins, il a pu partir comme il l'a toujours souhaité, sur un champ de bataille, les armes à la main, murmura Eleonora.

Elle eut l'impression d'avoir hurlé cette phrase dans le silence désespéré qui emplissait la pièce. Jan releva les yeux et elle frissonna devant la peine qu'elle lisait en lui. Qu'avait-elle donc dit ?

- Je vous dois la vérité, je crois (il se racla la gorge). Il n'est pas mort sur le champ de bataille.

Cela eut le don de faire se redresser petite mère qui arborait un visage rouge et qui demanda, incrédule :

- Que voulez-vous dire par là ? Jan, répondez-nous !

L'instant s'éternisa, instant pendant lequel personne n'osa prononcer le moindre mot ou même bouger. Jan parut enfin se décider :

- Il... Marek et 8 000 des hommes qui combattaient avec lui ce jour-là ont été faits prisonniers par les troupes tatars à la solde des Hongrois. Il n'est... Pas mort sur le champ de bataille à proprement parler.
- Mais que s'est-il passé ? L'interrogea Zofia d'un ton impérieux qui ne laissait rien présager de bon.
- D'après nos informations, les prisonniers ont été livrés aux Cosaques contre de l'argent. Ceux-ci les ont... Oh mère, c'est trop douloureux, je ne peux le dire ! Ils les ont exécutés froidement les uns après les autres pour se venger de leur dernière défaite à Bhiala. Marek n'a pas obtenu plus de faveur parce qu'il était commandant d'une troupe de cavalerie, au contraire, ils l'ont exécuté en dernier pour qu'il puisse voir chacun de ses camarades mourir avant lui. Nous avons tout fait pour négocier, vous pouvez l'imaginer, mère, le roi Jean Casimir est même intervenu personnellement mais ils refusent de nous rendre le corps de Marek.

C'était bien pire que tout ce qu'Eleonora avait pu imaginer. Elle mit un certain temps à se rendre compte de la mort affreuse qu'avait subi son frère et se mit à trembler. Comment avaient-ils osé ? Comment avaient-ils pu ? Ils auraient pu obtenir une bonne rançon de 8 000 prisonniers mais leur haine était si grande qu'ils les avaient tous tués... Qui étaient ces gens-là ?

- Mais je ne suis pas venu uniquement pour cela, madame ma mère. Je dois vous avertir que les Hongrois, après s'être emparés du sud du royaume, marchent sur Cracovie. Vous devez quitter la ville au plus vite.
- Je croyais que nous étions en bonne position de l'emporter, osa répliquer Eleonora d'une voix faible.

Elle ne se voyait pas quitter cette ville qui l'avait accueillie après leur fuite éperdue de Zhovkva. Où iraient-elles ? Allaient-elles devoir errer en quête d'un nouveau toit ?

- Les magnats du nord ont refusé d'engager leurs troupes en arguant du fait que la guerre durait depuis bien trop longtemps. Mais ne vous préoccupez pas de cela, voulez-vous ? Nous gagnerons, ce n'est qu'une question de temps. Nous vengerons Marek et tous les autres. L'important est que vous soyez en sécurité.
- Que suggères-tu ? Tu es maintenant le chef de famille, Jan, tout repose sur toi.
- Rozalia prononcera ses vœux d'entrée en religion quelques mois avant la date prévue. Elle sera sauve dans son couvent de Varsovie et priera pour le salut de nos âmes et pour notre patrie. Mère, quant à vous, vous gagnerez la cour réfugiée en Lituanie, la reine Louise-Marie vous accueille dans sa suite et vous vivrez chez Katarzyna, son époux Zaslawski a assez d'argent pour vous entretenir.

Eleonora voyait le champ de ses possibilités se réduire. Elle ne voulait pas entrer en religion et petite mère avait refusé de l'y obliger en disant qu'elle n'était pas une telle criminelle. Mais Kat ne voudrait jamais la voir chez elle.

- Quant à vous, Eleonora, vous vous doutez bien que Kat refuse de vous faire entrer à la cour. J'ai pensé qu'il serait préférable de vous envoyer chez nos amis à l'étranger pendant quelques temps. Je vais écrire de ce pas à mon ami le roi d'Angleterre en exil pour le prévenir de votre arrivée. Vous partirez juste après le courrier.

Elle s'inclina. Avait-elle d'autres choix ? Si elle aurait désiré soutenir l'effort de guerre de la Pologne comme elle le pouvait, cela faisait des années qu'elle rêvait de voyager. Se retrouver en France était une chance incroyable. Jan tourna les talons et pendant une seconde, au moment où il sortait, le cœur d'Eleonora bondit dans sa poitrine. Sa haute silhouette toute de rouge vêtue lui sembla vraiment royale.

- Eleonora, approchez mon enfant. Il faut que vous donniez des ordres pour que l'on fasse nos bagages. Vous partirez loin, j'aurai de nombreuses instructions à vous donner. Mais avant tout, faites recouvrir les murs de la maison de tentures noires en souvenir de votre frère bien-aimé.
- Oui, petite mère.

En s'éloignant pour appeler les domestiques, Eleonora comprit soudain ce qui était mort en elle en même temps que Marek. C'était son enfance insouciante et joyeuse.





Dernière édition par Eléonore Sobieska le 17.04.12 15:39, édité 5 fois
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CHAPITRE II

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« On sait que l'on a quitté l'enfance quand on accepte de renoncer à ses rêves »


Cour en exil du roi d'Angleterre, France, année 1652
Eléonore se trémoussait sur son fauteuil mais après avoir subi les regards noirs de petite mère et de Katarzyna pendant la majeure partie de son enfance, ce n'était pas celui d'Eleanor du Portugal qui allait l'impressionner. Bien au contraire, elle répliqua un sourire charmant à la noble dame qui se détourna d'elle en haussant les épaules et sans rien oser lui reprocher. Pour s'occuper l'esprit alors que ces Anglaises parlaient toilette, sujet de conversation qui dépassait totalement la jeune polonaise qui malgré ses dix-sept ans n'était guère coquette, elle laissa son regard dériver sur le reste de la pièce et tourna machinalement sa cuillère dans le breuvage infâme avec lequel on avait rempli sa tasse. Quiconque la connaissait assez savait que quelque chose se préparait quand elle arborait cette expression-là. Elle ne supportait pas l'ennui, il fallait toujours l'occuper. Alors, certes, on commençait à la connaître dans cette cour si triste et si peu amusante reconstituée en France, elle avait déjà su se faire remarquer à maintes reprises pour son hyperactivité, son bavardage intempestif et ce que la duchesse de Kintyre appelait ses manières « polonaises » pour ne pas dire « mauvaises ». Elle était tel un ouragan qui dévastait tout sur son passage et elle n'avait pas l'intention de laisser un seul survivant chez ces Anglais !

Ce fut lorsqu'elle vit Morgan of Richmond que son visage s'éclaira soudain et que son esprit trouva sa nouvelle idée brillante. Il la fixait lui aussi et venait visiblement de comprendre qu'il était sa prochaine victime car il esquissa une grimace qu'Eléonore décida de prendre pour un sourire. Elle appréciait vraiment le cousin du roi qui avait presque le même âge qu'elle et avec lequel elle partageait nombre de ses amusantes idées, souvent contre son gré. Mais elle n'était pas stupide et si elle savait qu'elle l'agaçait, elle pensait qu'il l'aimait bien lui aussi. Il avait un tempérament porté au découragement et s'ennuyait à mourir dans cette cour qui se berçait encore d'illusions sur l'idée d'un retour prochain dans leur royaume d'origine. Elle était une nouveauté, une attraction passagère qui l'amusait sans doute.

- Mais dites-moi, monsieur le duc, seriez-vous sur le point de sortir ? L'apostropha-t-elle en se redressant pour se tenir toute droite sur son siège.

Question rhétorique s'il en était. Au vu de son accoutrement, il partait à la chasse ce qui excita encore plus Eléonore. Depuis le temps qu'elle le suppliait de l'emmener tirer ! Certes, elle n'y connaissait rien et ce n'était pas franchement utile pour une jeune noble mais Eléonore n'en avait cure. C'était son objectif et rien ne pourrait l'empêcher de parvenir à son but et sûrement pas cette mauvaise tête de Morgan.

- Oui, mademoiselle, répondit-il poliment mais en arborant un air de martyr.
- Oh, vous m'en voyez ravie, je disais justement à madame votre mère que j'avais envie de prendre l'air !

Eleanor n'écoutait pas et se contenta d'un geste de la main pour autoriser la jeune fille à quitter la pièce, ravie de se débarrasser d'elle. Elle ne se le fit pas dire deux fois et courut presque jusqu'au jeune homme qu'elle prit par le bras :

- Vous n'avez plus d'excuse, Morgan, c'est bien aujourd'hui que vous m'apprendrez à tirer ! Voilà qui sera charmant. Votre mère n'en saura rien.
- Charmant, oui et quand vous aurez tué le premier gueux qui passera à votre portée, je ne suis pas sûr que ma mère appréciera, grommela Morgan, s'attirant une bourrade amicale de la jeune fille, je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée de vous confier une arme, vous ne savez pas obéir...
- Jusqu'à présent, je n'ai jamais obéi mais il n'est jamais trop tard pour apprendre, n'est-ce pas ? Continua-t-elle d'un ton guilleret.

Il protesta encore dans un premier temps mais elle le supplia et le taquina tant et si bien qu'il finit par céder devant sa volonté. Il lui montra comment tenir l'arme et comment faire feu et si Eléonore était au départ une catastrophe, à la fin de l'après-midi elle se débrouillait assez bien pour que Morgan ne soit plus obligé de se tenir juste derrière elle quand elle tirait (pour éviter les coups mortels) et lui confie même son propre fusil. Et ils étaient partis tous les deux à la chasse au lièvre. Morgan avait commandé à Eléonore de rester bien derrière lui mais tout à son envie de débusquer le gibier, il ne lui prêtait plus attention. La jeune fille, elle, se rendait compte qu'elle n'était guère faite pour la chasse en elle-même. C'était d'un tel ennui ! Sans tenir compte des recommandations de son ami, elle traînait sur le chemin, passait par des sentiers parallèles et le perdit rapidement de vue. Cette journée-là était magnifique et elle en profita pour respirer à pleins poumons, le fusil négligemment tenu sur son bras gauche. Elle approchait d'une rivière peu profonde qui se trouvait là et il n'y avait personne à l'horizon. Un petit paradis. Mais un bruit la fit s'arrêter net. Cela venait de la rivière, derrière des arbres et des taillis, si bien qu'elle ne voyait rien. Était-ce un animal sauvage ? Si c'était le cas, elle pourrait peut-être le toucher et montrer l'étendue de ses progrès à Morgan ? Le cœur battant, elle s'approcha à pas de loups et pointa son arme en avant. Morgan lui avait bien rappelé qu'il fallait éviter de se faire voir. La main prête à tirer, elle bondit en avant et pointa le canon sous le nez de l'animal.

Ce n'était pas un animal mais Andrew, le frère aîné de Morgan dont les boucles noires qui tombaient dans son cou étaient toutes mouillées. Il fut si surpris de cette interruption qu'il ne put s'empêcher de pousser un petit cri et leva les mains en signe de défense. Malgré elle, Eléonore baissa les yeux sur le corps du jeune homme et un intense rougissement envahit ses joues.

- Oh... Oh... Pardonnez-moi, je croyais que vous étiez... Du gibier.

Andrew était lui-même écarlate et se rendant compte de l'identité de la personne qui se trouvait devant lui, il baissa précipitamment les mains pour protéger son intimité. Oh mon dieu ! Venait-elle de surprendre Andrew, le propre cousin du roi, nu comme un ver et venant tout juste de ressortir de la rivière ? Elle se détourna, le visage brûlant, regrettant en cet instant d'être rousse ce qui rendait sa gêne si visible. Des éclats de rire lui confirmèrent qu'il n'était pas seul mais fort heureusement, le roi et ses compagnons s'étaient laissés dériver et se trouvaient hors de portée de regard. Eléonore cherchait désespérément une façon de quitter l'endroit sans perdre la face lorsqu'Andrew prononça enfin d'un ton hésitant :

- C'est à moi de m'excuser, mademoiselle, je ne voulais pas vous importuner mais nous ignorions que vous puissiez venir jusqu'ici, c'est assez loin des chemins de promenade.

Il ajouta d'une voix qui laissait transparaître un certain amusement devant cette situation ridicule :

- Vous pouvez de nouveau tourner ces magnifiques yeux bleus vers moi, je peux vous assurer que rien ne pourra plus les choquer, je suis présentable.

Eléonore, toujours rouge, s'exécuta avec lenteur mais fut à son aise quand elle découvrit qu'il s'était rapidement habillé. Et elle le regarda d'un nouvel œil. Andrew était légèrement plus âgé qu'elle, il était beaucoup plus discret que son frère ou son cousin, elle n'avait jamais vraiment prêté attention à lui. Mais en examinant ses boucles noires, son regard marron amusé et son demi-sourire ironique, elle se dit que l'erreur se devait d'être réparée.

Cour en exil du roi d'Angleterre, France, début de l'année 1653
Il glissa sa main sur sa joue puis le long de son cou et de son épaule ce qui lui arracha un frisson de plaisir. Elle rouvrit les yeux pour se noyer dans son regard noisette et malgré elle, malgré son esprit qui lui criait que ce n'était que folie, elle se leva sur la pointe des pieds pour déposer un tendre et chaste baiser sur les lèvres de celui à qui elle pensait jour et nuit depuis quelques mois. Oh oui, il avait su trouver le chemin de son cœur petit à petit et la tenait désormais enchaînée, à sa merci. Mais il n'y avait pas de prison plus délicieuse, de barreaux plus chéris et si cela pouvait lui permettre de rester pour toujours avec lui, elle était à se livrer comme sa captive. Elle passa ses bras derrière le cou du jeune homme et frotta doucement sa joue contre la sienne tandis qu'il lui enserrait la taille. Elle ne vivait plus que pour ces instants-là. Qui aurait pu croire qu'il aurait pu lui faire découvrir ce qu'était l'amour ne serait-ce qu'à leur première rencontre ? Mais le baiser beaucoup moins chaste qu'il lui offrit lui ôta toute pensée cohérente.

Un bruit de pas venait vers eux ce qui les conduisit à se détacher l'un de l'autre dans la précipitation pour ne pas être surpris dans ce couloir sombre du château où vivait la cour en exil. Eléonore laissa Andrew s'éloigner à son plus grand regret. Il lui semblait que sa peau réclamait celle du jeune homme.

- Que faites-vous ici ? Demanda un Morgan étonné, en les regardant tour à tour.
- Nous étions sur le chemin pour voir mère, expliqua Andrew, peut-être voudriez-vous vous joindre à nous ?
- A vous ? Répéta Morgan, tous les deux ? Rien que par curiosité, je suis obligé de vous suivre.

Sa tentative d'humour tomba à plat car une brusque anxiété venait de gagner le jeune couple. Eléonore échangea un regard un peu inquiet avec Andrew. Désormais, il n'était plus temps de reculer. Ils devaient affronter la duchesse. Le jeune homme caressa tendrement la main de son aimée dans les plis de sa robe puis se décida à ouvrir la marche.

- Que se passe-t-il ? S'exclama Eleanor quand elle les vit entrer tous les trois.

La jeune polonaise serra les dents en songeant à ce qui allait suivre. Et la réaction de la mère de Morgan et Andrew dépassa toutes ses attentes. Elle tempêta, vitupéra, l'accusa d'être une fille facile et une séductrice intéressée. A chaque fois Andrew, parfois Morgan qui se demandait quand même visiblement ce qui était en train de lui arriver, prenait sa défense mais Eleanor s'entêtait. Elle ne pouvait comprendre que son fils aîné, si brillant, porteur de tant d'espoirs puisse s'enticher d'une fille comme elle, avec ses manières « polonaises » et qui n'avait même pas de dot constituée. Et puis ce fut le coup de grâce, l'humiliation suprême :

- Et elle n'est qu'une bâtarde !

Eléonore faillit éclater en sanglots devant cette attaque vile mais elle se retint en toute dignité. A vrai dire, les arguments qu'utilisait la mère d'Andrew ébranlaient ses convictions. Avait-elle le droit de priver Andrew d'une meilleure alliance ? Était-elle seulement digne de lui, elle qui n'était même une vraie Sobieska ? Pire encore, elle qui s'était juré de servir à jamais les intérêts de son lignage et de son frère, pouvait-elle se marier sans son autorisation ? Bien sûr, elle aimait, elle adorait Andrew mais elle ne pouvait en oublier ses devoirs. Peut-être l'amour s'émousserait-il avec le temps et qu'elle devrait lire le mépris dans les yeux de celui qu'elle avait un jour passionnément désiré. Que lui resterait-il alors sinon le regret d'avoir déçu tout le monde ? Ils quittèrent la pièce encore abasourdis sous les reproches de la duchesse. Morgan eut la délicatesse de les laisser seuls mais Andrew attendit à peine la disparition de son frère pour se tourner vers Eléonore :

- Je vous épouserai tout de même, je vous le promets, même si je dois braver la colère de ma mère.

Elle secoua la tête et un éclair de douleur passa dans ses yeux quand il comprit ce qu'elle voulait dire par là. Cela fit encore plus mal à la jeune fille que sa propre déception.

- Je ne peux pas, murmura-t-elle.

Il ne chercha pas à discuter. Sans doute comprenait-il ce qui venait de se produire dans la tête d'Eléonore. Cela avait été un beau rêve mais il était temps de se réveiller, n'est-ce pas ? Ce fut toutefois d'une voix enrouée qu'il suggéra, en la prenant par la main :

- Viens.

Elle le suivit sans discuter, jusque dans sa chambre et après qu'il eut fermé la porte derrière eux, répliqua avec la même passion que lui à ses baisers et à ses caresses dans l'espoir de calmer un peu le feu qui la dévorait. Elle savoura chaque instant car elle savait que c'était un adieu. Elle passa le reste de la nuit dans les bras d'Andrew sans pouvoir dormir, appréciant son étreinte chaude. Au petit matin, comme il s'était endormi, elle quitta le lit sans faire de bruit et déposa juste un baiser sur la joue de l'homme qu'elle aimait :

- Sois heureux, Andrew, promets-le moi.

Et elle s'enfuit.

Palais-Royal, Paris, fin de l'année 1653
En descendant du carrosse, Eléonore songeait qu'elle était bien contente que le grondement en France se calme peu à peu. Le vent de la révolte que l'on appelait déjà la Fronde avait soufflé sur le royaume pendant tout son séjour à la grande inquiétude de son frère Jan, inquiétude qui transparaissait entre les lignes des quelques lettres qu'il parvenait à lui envoyer. Mais la situation ne s'améliorait guère en Pologne et l'on chuchotait même que les Suédois pouvaient profiter de la faiblesse du roi Jean II Casimir pour s'emparer de la partie nord du pays comme ils en avaient toujours rêvé. A force de côtoyer des personnes continuellement obsédées par ces questions de guerres, d'alliances et de complots, Eléonore avait fini par s'y intéresser. C'était un sujet qui occupait son esprit prompt à s'enthousiasmer et à dénicher de nouvelles idées. Et à vrai dire, elle craignait pour la vie de son frère qui s'épuisait de bataille en bataille sans lendemain. Elle avait déjà perdu son père et Marek, avait du renoncer à Andrew, le destin ne pouvait pas être aussi cruel ? La suite se chargerait aisément de lui démontrer que la fortune ne lui souriait pas.

Il était déjà tard, le soleil déclinait doucement à l'horizon et une partie de la cour de France s'était absentée si bien que le château n'était guère occupé que par quelques personnes de rang subalterne et par des domestiques qui s'empressaient d'allumer les chandelles avant que le noir ne recouvre tout. Eléonore remercia le valet qui l'avait aidé à descendre et avança vers l'entrée en retroussant sa robe laissant apercevoir des jupons un peu élimés. Sa situation était particulièrement difficile en cette fin d'année alors que le froid allait bientôt les attaquer sans pitié. Elle n'avait plus de ressources pour vivre, l'occupation hongroise des terres des Sobiescy ne permettait pas à Jan de lui envoyer assez d'argent pour tenir son rang de manière convenable. Alors on faisait des économies comme on le pouvait. Eléonore avait déjà renvoyé une partie des serviteurs qui travaillait pour elle et avait l'impression de vivoter comme une pauvresse ce qui ne lui était jamais arrivé jusqu'à présent. Bien sûr, Charles II Stuart, en tant qu'ami de son frère, lui fournissait de quoi se nourrir quotidiennement mais lui-même, à un moment où le gouvernement de la France cherchait à lui faire quitter le royaume, ne roulait pas sur l'or. Elle avait honte de quémander comme elle allait le faire ce soir-là mais elle n'avait d'autre choix. Elle n'avait même pas assez de monnaie pour pouvoir organiser son retour en Pologne. Elle faillit faire demi-tour au moment de monter les escaliers jusqu'aux appartements où elle avait rendez-vous mais elle se força à respirer calmement pour calmer la boule qui grossissait dans sa gorge et se lança.

Au moment où Jacques d'York lui fit face, instinctivement, Eléonore posa la paume sur son ventre déjà bien rond et prit un air désolé. Ce n'était pas entièrement de la comédie, elle était navrée d'en arriver à de telles extrémités, de se servir de l'amour qu'elle avait éprouvé pour Andrew – qu'elle éprouvait toujours, de manière presque désespérée mais elle s'efforçait de ne pas y penser. Jacques avait à peine deux ans de plus qu'elle et il avait été une de ses victimes favorites encore quelques mois auparavant quand elle vivait au sein de la cour en exil de Charles II. Elle l'appréciait beaucoup et savait qu'elle pouvait se reposer sur lui. Si un Stuart était digne de confiance, c'était bien lui. Bien sûr, elle aurait préféré parler à Morgan mais lui était parti depuis plusieurs semaines déjà pour le Danemark.

- Mademoiselle, c'est un plaisir de vous voir même si j'aurais préféré d'autres circonstances pour cela... Je n'avais pas la moindre idée de votre état. Je suppose que votre visite a un rapport avec celui-ci... ? Permettez-moi en tout cas de vous féliciter, une future naissance est toujours une excellente nouvelle.

Il lui parlait avec une telle gentillesse que la culpabilité la saisit. Elle n'avait pas réagi de façon aussi positive quand elle avait découvert cette grossesse. Oh non, elle avait hurlé et tempêté contre sa propre stupidité, contre cet enfant qui grandissait en elle et qu'elle ne désirait pas. Elle s'était sentie seule et abandonnée à ce moment-là. Elle ne pouvait aller voir Andrew pour le lui avouer, il aurait été capable de chercher à l'épouser alors qu'elle ne pouvait revenir sur sa décision de le laisser partir. Elle avait déjà eu beaucoup de mal à arrêter son cœur de saigner et à forcer son esprit à ne pas se demander ce que le jeune homme pouvait bien faire au moment où elle pensait à lui, si elle lui manquait autant qu'il lui manquait. Alors cet enfant, ce n'était qu'une chaîne qui la reliait à ce qu'elle s'efforçait d'oublier. Elle le détestait rien que pour cela. Seul le souvenir du visage d'Andrew l'avait dissuadée de chercher des moyens de s'en défaire. Andrew et ce qu'elle s'apprêtait à faire. Peut-être même le bébé allait-il lui être utile.

- Je vous remercie, monsieur, vous n'êtes pas sans ignorer le déshonneur qui menace mon nom, je m'efforce donc de me cacher aux yeux du monde depuis plusieurs mois.

La compassion qui émanait de Jacques était si claire qu'elle enveloppa la jeune fille et la rassura un peu.

- C'est Andrew le père, n'est-ce pas ? Murmura-t-il, j'ai appris par Morgan qu'il avait envisagé de vous épouser.
- Andrew n'est au courant de rien ! S'enflamma Eléonore, notre projet de mariage n'avait pas de rapport avec ce bébé, je ne suis pas une femme intéressée.
- Je vous en prie, vous m'insultez en suggérant que j'ai pu le penser, ma chère Eléonore. Mais peut-être faudrait-il le mettre au courant ?
- Non, monsieur... ! Jacques, s'il vous plaît, si je viens vous voir, c'est pour ne pas déranger Andrew. Je ne veux pas qu'il sache que j'ai un enfant, il se sentirait responsable et je ne le veux pas.

Un éclair de compréhension passa dans les yeux de Jacques :

- Vous désirez de l'argent, n'est-ce pas ? Pour pouvoir l'élever selon son rang ?

Eléonore baissa la tête, furieuse d'avoir été découverte aussi rapidement. Mais lorsqu'elle fixa de nouveau Jacques, ce n'était pas de la colère, de la surprise ou du mépris qu'elle voyait chez son interlocuteur, seulement une bonté infinie qui la toucha profondément et lui rappela ignominie de sa conduite. Il s'approcha d'elle et lui saisit les mains tout en cherchant son regard :

- Soyez assurée que je ferai tout pour ne pas laisser cet enfant dans le besoin. Andrew est mon cousin mais je le considère comme un frère. Ce bébé est un petit Stuart, je me chargerai personnellement de vous attribuer une pension et ce, dès maintenant.
- Merci, Jacques, merci... ! Je n'attendais pas autant de bonté envers moi... Je serai à jamais votre obligée ! Mais promettez moi seulement que vous ne direz rien à Andrew.

Il hésita un instant mais finit par lâcher :

- Je vous le promets.

Paris, Royaume de France, hiver 1653
- Nous sommes en train de la perdre, nous la perdons !

Tout était rouge autour d'elle. Elle cligna des yeux pour mieux voir mais il semblait que cela allait de mal en pis. Elle ne savait plus si c'était la flamme de la bougie qui s'était imprimée sur sa rétine ou si ce rouge n'était autre que des tâches de sang. Avant, il y avait une main sur son front mais elle ignorait si elle y était encore ou pas. Elle ne sentait plus rien sinon cette douleur qui lui vrillait le bas du ventre et lui déchirait les entrailles. Un hurlement retentit à ses oreilles et elle voulut lui demander de se taire avant de se rendre compte que c'était son propre cri. Elle eut une pensée pour Dieu, elle lui demanda d'avoir pitié d'elle, de stopper... Mais elle ne se souvint plus de ce qu'elle voulait lui dire à la suite de cela.

Puis tout devint noir.

Sur les routes du royaume de France, début de l'année 1654
Incrédule, Eléonore soupesa le petit paquet mort dans ses bras. Mais l'enfant ne réagit pas. Il était déjà froid, saisi par le souffle de la mort. Elle aurait aimé se sentir bouleversée mais à vrai dire, elle se sentait seulement surprise. Quelques heures auparavant, le petit garçon dormait calmement dans son berceau avant d'être saisi par une fièvre qui l'avait terrassé en peu de temps. Le vieux rebouteux, le seul homme de médecine qu'elle avait pu trouver dans cette région près de la frontière avec la Lorraine n'avait rien pu faire pour le sauver. Elle se sentait affreusement déçue. Elle n'avait même pas eu le temps de s'attacher à lui que déjà il rejoignait le royaume des cieux, ange pur et parfait comme tous les bébés qui n'avaient pas vécu assez longtemps pour pécher. Elle l'avait même haï dans ses premiers jours car son accouchement avait bien failli la tuer. Mais elle était encore jeune, elle s'était rapidement remise et avait décidé de prendre soin du petit garçon qu'elle avait appelé Marek comme son frère disparu ne serait-ce que parce qu'il était sa seule source de revenus. Peut-être apprendrait-elle à l'aimer au fil des années ? Mais la mort venait de lui ôter ce dernier espoir.

Une brusque pensée la saisit et la glaça d'effroi. Cet enfant était son unique ressource pour pouvoir rentrer en Pologne et vivre autrement que dans la misère. Et si Jacques d'York apprenait son décès ? Il l'apprendrait à coup sûr, elle ne pourrait pas lui mentir indéfiniment. Et s'il cherchait à savoir à quoi il ressemblait ? A lui demander des nouvelles de sa santé ? Pire à le réclamer si Charles II revenait un jour sur le trône d'Angleterre ? Non, elle allait devoir renoncer à sa pension. A moins que... A moins qu'il n'y ait une autre solution. Elle se détesta d'avoir cette pensée alors qu'elle tenait encore le petit cadavre dans ses bras aussi le posa-t-elle et décida de lui accorder les sacrements pour qu'il puisse aller dans l'au-delà. Ensuite seulement, elle mettrait en œuvre sa terrible idée. Elle irait dans un des villages pauvres du royaume où on vivait chichement et où ne parvenait pas à élever ses enfants, où ils mouraient souvent jeunes de la disette ou de la famine. Elle trouverait une famille qui venait d'avoir un bébé. Les parents ne pourraient lui refuser sa proposition. Ce n'était toujours qu'une bouche en moins à nourrir. Au pire, elle était prête à sacrifier le reste de sa pension du mois si elle pouvait avoir la certitude que de l'argent frais allait continuer à lui arriver. Et elle le ferait élever comme son fils. Comme un Stuart. Comme le fils d'An... Elle ne parvint pas à prononcer ce nom. Sa seule servante, une jeune fille qui lui était entièrement dévouée, se saisit du corps et annonça qu'elle s'apprêtait à aller trouver le curé de la paroisse la plus proche.

- Faut-il que je renvoie la nourrice ? Ajouta-t-elle d'une petite voix comme si elle craignait la colère de sa maîtresse.

Mais ce ne fut pas un visage furieux ou même choqué qui se tourna vers elle. Les yeux d'Eléonore brillait plutôt d'une flamme inquiétante comme si elle aussi avait une fièvre :

- Non, nous risquons d'avoir encore besoin de ses services.





Dernière édition par Eléonore Sobieska le 17.04.12 11:19, édité 2 fois
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CHAPITRE III

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« Pour parler de la guerre, il n'y a que les larmes »


Constantinople, Empire ottoman, fin de l'année 1654
Eléonore plia soigneusement la lettre, reconstituant le sceau aux armes de la gens Janina, la grande famille qui prétendait descendre d'un des premiers magnats de Pologne, à l'existence quasi légendaire et de laquelle se réclamaient les Sobiescy et la tendit à Jan pour qu'il la glisse dans l'une de ses poches. Petite mère n'avait pas vraiment de bonne nouvelle à lui annoncer sinon que le reflux des Hongrois était désormais réel mais cela, elle le savait déjà. Elle lui écrivait que le petit Marek se portait bien mais que Katarzyna que les années n'avaient apparemment pas changée refusait qu'il puisse jouer avec ses propres fils qu'elle chérissait plus que tout autre chose au monde. A vrai dire, Eléonore ne comprenait déjà même pas comment petite mère avait réussi à convaincre sa demi-sœur de recueillir celui qui grandissait sous le nom de Marek et dont elle avait refusé de livrer le nom du soit-disant père pour ne pas lui causer d'ennuis. Elle soupçonnait Kat de conserver cette preuve de son infamie, cette tache dans son parcours pour mieux s'en servir plus tard. Mais elle n'allait pas sans plaindre, elle n'éprouvait aucune espèce d'affection pour cet enfant et petite mère serait une bien meilleure éducatrice qu'elle. Sans compter que vivre dans le château de l'époux de Katarzyna, Zaslawski, certainement le plus grand nom du duché de Lituanie ne pourrait que lui être bénéfique.

- Mère ne s'ennuie pas avec tous ses petits-enfants autour d'elle, sourit Jan Sobieski en prenant sa sœur par les épaules.

Celle-ci hocha la tête et se laissa aller contre son frère en fermant à demi les yeux et en se laissant bercer par les cahots de la voiture. Pour l'instant, cette dernière n'avançait quasiment pas car il y avait foule dans les rues de la capitale de la Porte. Mais bientôt l'imam ferait l'appel à la prière et la route se viderait de ses habitants. Eléonore avait été très impressionnée par la foi de ces musulmans et elle découvrait chaque jour avec une curiosité insatiable la culture si étrange du peuple de cet empire. Si elle parvenait désormais à rester sur place plus d'une dizaine de minutes (et encore), elle avait toujours besoin de s'occuper. Les voyages étaient la parfaite solution pour elle qui se lassait de tout très rapidement. Mais plus elle explorait Constantinople, plus la ville lui paraissait insaisissable. C'était un contraste étonnant mais qui lui plaisait beaucoup. Et vivre là avec son frère était le plus cadeau qu'on puisse lui faire après ces longs mois loin de lui. Elle s'était rendue compte à quel point il lui avait manqué quand elle avait revu son visage désormais bruni par les longues heures passées à l'extérieur au milieu des troupes. Elle n'avait pas pu s'empêcher de se précipiter vers lui pour le serrer fort contre elle. Et elle s'était promis de ne plus jamais le quitter. Il avait encore gagné en stature, ses épaules s'étaient étoffées, sa prestance était désormais celle d'un vrai chef de guerre. Il ressemblait de plus en plus à père. Même sa voix avait gagné en gravité.

- Où sommes-nous invités ce soir ? Demanda-t-elle d'un ton empli d'excitation.
- Chez le grand vizir, Koca Dervish Mehmed Pacha. Il y aura tous les plus grands noms de l'empire. Sans compter tous les ambassadeurs qui chercheront à gagner des alliés face à la guerre qui se prépare. Pacha est un homme d'une cinquantaine d'années, il n'a pas été nommé depuis très longtemps à ce poste et se méfie des flatteurs. Et malheureusement pour nous, il apprécie et admire les Suédois. Tu le reconnaîtras facilement, il aime beaucoup les parures les plus somptueuses et les plus ridicules pour un homme de son rang. Il a la peau légèrement hâlée et porte la moustache, de tous petits yeux qui brillent d'une lueur un peu perverse, on a toujours l'impression qu'il prépare un mauvais coup en douce. Et on ne parvient pas là où il est sans avoir quelques cartes à jouer dans sa manche.
- Et en tant que grand vizir, c'est lui qui gouverne à la place du sultan, cet homme qui passe sa vie emprisonné dans son palais aux barreaux dorés, au milieu de ses épouses et d'un luxe tapageur, n'est-ce pas ?
- C'est bien, petite sœur, tu commences à bien saisir la réalité de la politique de la Sublime Porte. J'ai bien essayé d'approcher le sultan depuis mon arrivée ici mais il n'a guère de pouvoir sinon celui de faire assassiner ses grands vizirs quand ceux-ci commencent à lui déplaire. Les janissaires, ces esclaves qui forment l'élite de son armée, lui obéissent toujours quand il faut accomplir des meurtres dans le palais. C'est donc Pacha qu'il faut convaincre d'adhérer à notre cause. Heureusement pour nous, il a une faiblesse. Il aime beaucoup les jeunes Européennes.

Eléonore se redressa sur son séant et demanda d'une voix sourde :

- Que veux-tu dire par là ?

Jan eut la décence de paraître gêné.

- Je te demande de le charmer, de le pousser à écouter ton point de vue, de lui présenter l'avantage d'une alliance avec la Pologne. C'est réellement important pour nous, même s'ils restent neutres, cela devrait faire hésiter les Hongrois à se soulever à nouveau malgré les insistances des Suédois. Sans cela, nous allons devoir combattre sur tous les fronts.

Eléonore ne s'attendait certes pas à cela quand elle était venue rejoindre Jan à Constantinople. Ainsi, était-ce ce genre d'utilité que l'on accordait à la bâtarde des Sobiescy ? Mais ne s'était-elle pas juré de servir sa famille et sa patrie jusqu'au bout ?

- Eleonora, je suis conscient du sacrifice que je te demande mais fais-le pour nous. La guerre ne se mène pas uniquement sur les champs de bataille mais aussi dans le secret des alcôves. Et s'il faut séduire Pacha pour vaincre, je t'en prie, séduis Pacha... Fais-le pour moi.

Ce fut ce dernier argument plus que tous les autres qui fit flancher Eléonore. Oui, elle le ferait... Pour lui.

Grand-palais de Constantinople, Empire ottoman, début de l'année 1655
C'était déjà la troisième fois qu'Eléonore se trouvait dans les appartements du grand vizir. Il avait tenu à la recevoir pour boire un peu de thé et lui parler avant de passer à la partie plus secrète de leur relation. Elle aurait presque préféré se trouver tout de suite dans sa chambre plutôt que de sentir les yeux vicieux de l'homme se poser sur elle. Il la jaugeait, la dévorait par avance et elle détestait cela. Elle n'éprouvait aucun plaisir à être là, elle avait hâte d'en finir. Et ce d'autant plus que les deux nuits qu'elle avait passé en sa compagnie n'avaient servi à rien. A chaque fois qu'elle tentait de lui parler de la Pologne et de la guerre qui se préparait, il détournait la conversation ou lui demandait de se taire. Jan était mécontent de ces résultats mais avait épuisé ses idées pour subjuguer Pacha. A vrai dire, Eléonore avait l'impression qu'on se moquait d'elle et que Pacha se servait juste d'elle pour avoir du bon temps, en sachant très bien ce qu'elle avait derrière la tête mais avec la pensée de la laisser frustrée. Pour le moment, alors qu'elle buvait son thé à petites gorgées, il ne cessait de lui adresser des compliments dans un français un peu hésitant :

- Mademoiselle, permettez-moi de vous dire que vous êtes particulièrement en beauté aujourd'hui. Vous avez sans doute volé quelques rayons de soleil pour que votre chevelure soit aussi flamboyante.

Eléonore profita de sa réponse pour poser sa tasse et se rapprocher doucement de lui, presque jusqu'à la toucher :

- Merci, monsieur. A vrai dire dans ma contrée, nous sommes peu à avoir de tels cheveux, c'est pour cela que j'avais un surnom étant enfant...
- Un surnom ? Quel surnom ?

Elle posa sa main sur le bras de Pacha et le caressa tout en susurrant d'une voix langoureuse :

- On m'appelait la renarde.
- La renarde ? Serait-ce pour votre ruse ou pour...

Eléonore ne sut jamais ce qu'il s'apprêtait à dire car au même moment deux janissaires surgirent dans son dos pour se saisir du grand vizir. Elle se releva d'un bond en poussant un hurlement de terreur et recula de plusieurs pas, tremblante. L'un des deux hommes avait immobilisé Pacha tandis que l'autre lui passait un lacet dans le cou et serrait si fort que le visage de Pacha devint violet. Il étouffa pendant d'interminables secondes puis sa poitrine cessa de se soulever et ses yeux de tourbillonner dans leurs orbites. Pendant tout ce temps, Eléonore était restée debout, blême, suffoquant à moitié mais à sa grande fierté, elle supporta le spectacle jusqu'au bout sans détourner le regard. Lorsque ce fut terminé, les janissaires lâchèrent l'homme qui fut le plus puissant de l'empire et son cadavre tomba au sol dans un bruit sourd. Le plus jeune des deux, celui qu'elle retrouvait tous les soirs depuis quelques semaines se tourna vers elle :

- Désolée de vous avoir fait peur, mademoiselle.
- Je ne m'attendais pas à vous voir aussi rapidement, s'exclama-t-elle en reprenant son souffle.
- Vous avez fait du bon travail auprès du sultan. Il était persuadé que le vizir voulait sa mort pour mettre son frère sur le trône. Ce soir, sur les conseils de sa mère, il a décidé de faire d'une pierre deux coups en faisant assassiner son frère et son vizir.

Eléonore songea que Jan allait être furieux de ne pas avoir été prévenu du travail qu'elle avait accompli en sous-main mais qu'il ne pourrait qu'apprécier ce fait. Pacha, leur plus grand ennemi, était désormais mort et le sultan qui allait nommer son nouveau grand vizir leur était favorable depuis qu'il pensait qu'elle lui avait permis de démasquer un complot. Elle récupéra l'usage de ses jambes mais fut néanmoins soutenue par le jeune janissaire qui était devenu son amant et qui avait appuyé sa parole face au souverain de la Porte. Elle était encore abasourdie de la violence de la scène et comprit qu'il lui faudrait sans doute quelques temps pour qu'elle puisse ne plus voir l'agonie de Pacha se dérouler devant ses yeux.

- Mademoiselle, je vous conseille de fuir avec votre frère. Le sultan vous est acquis mais la famille de Pacha sera en colère et cherchera peut-être à venger sa mort. La fin d'un grand vizir est toujours un moment de trouble à Constantinople, je ne voudrais pas qu'il vous arrive malheur.

Elle hocha la tête et fit quelques pas en direction de la porte des appartements de Pacha pour aller retrouver son frère :

- Je n'ai plus besoin de rester ici, j'ai obtenu ce que je voulais.
- Il se murmure un nom pour remplacer Pacha, l'un des amis de Jan Sobieski. Nous ne rentrerons pas en guerre contre la Pologne.


Château de Gniezno, Royaume de Pologne-Lituanie, année 1655
Eléonore arpentait nerveusement la pièce principale de la vieille forteresse médiévale de Gniezno qui servait de salle de réception et dans laquelle elle et ses servantes s'étaient installées dans l'attente de nouvelles. Demeurer ici, impuissante, sans savoir ce qui se passait au-dehors des murailles de la ville était proprement insupportable et la jeune femme ne savait que faire pour s'occuper l'esprit. Elle n'était pas parvenue à fermer l’œil depuis que son frère avait enfourché son cheval et l'avait quittée avec ses hommes pour rejoindre le gros de l'armée royale qui allait stopper l'invasion suédoise. Malgré la fatigue harassante, Eléonore qui se rongeait d'inquiétude ne tenait pas en place. Elle ne cessait de faire des allers-retours entre les maigres ouvertures de la pièce et la porte. Chaque journée, chaque heure, chaque minute était un supplice. Elle ne pouvait s'empêcher de répéter les mêmes phrases à ses domestiques qui ne lui faisaient aucune remarque et se contentaient d'acquiescer à ses demandes. Était-ce un bon signe de ne rien recevoir ? Cela signifiait-il que la bataille ne s'était pas engagée ? Elle tentait de se rassurer en songeant que si les Polonais avaient perdu, les Suédois seraient sans doute déjà là. Mais rien, pas même une possible victoire polonaise ne pouvait la renseigner sur le sort de son frère. Elle avait passé une partie de la matinée à prier pour que Dieu lui accorde la vie sauve. Elle savait bien qu'elle ne pourrait supporter de le perdre lui aussi. Dans son existence assez chaotique, tous les phares qui lui traçaient un chemin, tous ceux qu'elle avait adorés s'étaient évanouis. Il ne restait que Jan. Ne plus sentir son regard bienveillant et aimant se poser sur elle serait un supplice. Que serait son existence sans lui ? Un vide morne, un sentier sans but dont la fin n'arriverait pas assez vite.

Au moment où elle n'y croyait plus, une grande rumeur monta jusqu'à elle. C'étaient des hennissements de chevaux, des cliquetis d'armes et des clameurs qui allaient jusqu'au ciel. Tout indiquait une armée en marche. Dès les premiers bruits, la fatigue envolée, elle voulut se précipiter dans l'entrée dans l'espoir d'y voir la haute silhouette de son frère vainqueur mais la voix d'une jeune servante l'arrêta net :

- Mademoiselle, attendez ! Regardez les bannières !

A ces mots, elle sentit son cœur se serrer et rejoignit au pas de course la jeune fille jusqu'aux fenêtres pour jeter un regard à l'extérieur. Et ce qu'elle vit fut pire que tout ce qu'elle avait jamais imaginé. D'immenses bannières du bleu de la Suède arborant des lions rugissants envahissaient les rues de la ville et approchaient de la forteresse. Comment cela pouvait-il être possible ? Pourquoi avait-on ouvert les portes de la cité aux Suédois alors qu'il était prévu qu'en cas de défaite de l'armée royale, on la mettrait en état de siège ? Qu'était donc devenue l'armée elle-même ? Elle suffoqua un instant, l'angoisse l'empêchant de retrouver son souffle devant le spectacle des soldats suédois qui occupaient désormais la place et qui allaient bientôt la prendre de leurs filets sans qu'elle ne fut capable de faire quoi que ce soit. Elle n'avait jamais prévu que cela puisse arriver, rien ne lui permettrait de mourir dignement avant de servir de butin à des guerriers ivres de sang et de pillages. Des éclats de voix se faisaient désormais entendre partout, un grondement sourd emplissait tout. Et déjà des cris de femmes et d'enfants résonnaient sous ses fenêtres. Une lueur rouge dans le lointain attira son attention : un feu avait débuté dans la partie ouest de Gniezno. Malgré sa stupéfaction et sa peur, lorsqu'elle entendit la lourde porte s'ouvrir dans son dos, elle pivota lentement et s'apprêta à subir son sort avec dignité.

- Jan ! Cria-t-elle, éperdue, en se précipitant vers lui pour le serrer dans ses bras.

C'était bien lui. Il avait un air épuisé, son costume était froissé et crotté et une marque sanglante ornait sa joue. Mais à part cela, il paraissait indemne. Toutefois, après avoir gardé son frère contre elle pendant quelques secondes, trop heureuse de le retrouver en vie, Eléonore le repoussa avec un certaine brutalité et demanda :

- Pourquoi les Suédois sont-ils dans la ville ? Es-tu prisonnier ? Ont-ils gagné la bataille ?

Avec une lassitude qu'il ne chercha pas à dissimuler, Jan se prit la tête entre les mains et un souffle franchit ses lèvres :

- Il n'y a pas eu de bataille.
- Il n'y a pas eu de bataille ? Répéta-t-elle abasourdie, et ta blessure ?

Il releva la tête, les joues baignées de larmes et se détourna de sa sœur pour aller frapper du poing contre les murs, comme si la folie s'était emparée de lui. Eléonore ne chercha pas à l'approcher, l'esprit paralysé, incapable de faire des hypothèses devant cette situation proprement incroyable.

- Ça ? ricana-t-il avec amertume en désignant sa balafre, ça, c'est notre grand hetman Opalinski qui m'a giflé quand j'ai cherché à discuter ses ordres. Cette bataille à Ujscie était un leurre, un piège. Les commandants en chef de notre armée dont ce chien d'Opalinski sont des vendus, grassement payés par ce foutu roi Charles X. Je ne comprenais pas pourquoi l'attaque n'avait pas lieu et j'ai cherché à protester quand Opalinski nous a demandé de baisser les armes. En fait, c'était prévu depuis longtemps, c'était un ralliement. Et nous avons dû marcher de concert jusqu'ici.

Eléonore n'en croyait pas ses oreilles. Elle savait que le roi Jean II Casimir n'était guère aimé des magnats du nord, jaloux de leur indépendance mais cette trahison dépassait tout qu'elle avait pu entendre jusque-là :

- Et tu t'es rallié également, c'est cela ?

Il dut sentir le dégoût qui pointait dans sa voix car il alla vers elle et lui prit les mains en ajoutant d'un ton suppliant :

- Avais-je le choix ? Il me fallait défendre ta vie et la mienne. Qu'aurais-je pu faire, seul ? Toute notre résistance s'est effondrée : nous avons appris que les Moscovites occupent le grand-duché de Lituanie et le roi Jean a fui avec le reste de sa cour en Autriche. Opalinski était notre dernier espoir.

Les flammes venues du dehors dansaient maintenant à travers les fenêtres et les hurlements s'étaient accentués :

- J'ai du demander que l'on ouvre les portes pour qu'ils puissent nous piller, commenta sombrement Jan.
- Mais ils brûlent le couvent de saint...
- Ils brûlent toutes les églises et toutes les abbayes qu'ils trouvent sur leur passage après avoir brisé ce qu'ils appellent nos idoles et après s'être assuré d'avoir bien enfermé les nonnes pour qu'elles meurent dans d'atroces souffrances.

Eléonore, les larmes aux yeux, arracha ses mains de celles de son frère et entendit dans un brouillard le reste du discours de celui-ci :

- Ils ne me faisaient pas confiance, ils pensaient que je voulais les trahir. Ils ont donc donné une condition à mon ralliement... Oh, ma petite Eléonore, je suis tellement désolé d'avoir dû accepter... !
- De quoi s'agit-il ? S'entendit-elle demander. Mais elle savait très bien ce qui allait suivre. C'était dans l'ordre des choses.
- Ils veulent que je donne la main de ma sœur à l'un d'entre eux. Comme ça, je ne pourrai jamais les tromper. Je suis désolé, Eléonore... Je n'ai pas eu le choix...

Elle fut incapable de répondre à cela. Muette pour la première fois de son existence, elle regardait le feu au loin, les yeux brillants.

Château de Poznan, Voïvodie de Grande-Pologne sous occupation suédoise, année 1656
Le seul avantage qu'il y avait à avoir épousé Gustav Eriksson, c'est qu'il n'était jamais très présent, trop occupé à envahir les dernières portions de Pologne libre. C'était que se disait Eléonore en lançant sa monture au galop. Elle aurait aimé qu'il se fasse tuer lors d'une de ces batailles d'où il revenait couvert du sang des siens et de richesses prises aux églises catholiques et aux synagogues des Juifs. Après tout, ne cherchait-il pas la mort cet immense homme venu du Nord en se pavanant sur les fronts de la guerre qui se poursuivait toujours plus féroce dans le sud du royaume ? Mais de temps à autre, Gustav faisait son apparition au château de Poznan où il avait abandonné sa jeune épouse pour partager sa couche quelques nuits, au grand dégoût d'Eléonore et montrer qu'il était le maître en ces lieux qui ne lui appartenaient pourtant pas. La vie de la jeune femme était d'un ennui incommensurable seulement rompu par ces visites impromptues pendant lesquelles elle cherchait à fuir la demeure et se battait avec son époux pour tenter d'imposer ses volontés. Elle avait vite mis au point une tactique pour éviter qu'il ne la rejoigne dans son lit trop souvent et de fait, il la trompait sans état d'âme avec quelques unes de ses servantes, sans se douter le moindre instant que c'était elle qui les avait placées sur son chemin. Cette journée-là, il était de fort méchante humeur à cause de la défaite suédoise devant le monastère de Jasna Gora, défendu vaillamment par les moines et des volontaires de la szlachta, la noblesse polonaise. Il avait surpris le sourire d'Eléonore qui n'avait pu s'empêcher de s'en réjouir et s'en était pris à elle. Eléonore devait reconnaître que c'était un homme effrayant. Il la dominait de plus d'une tête et sa mâchoire carrée tout comme sa brutalité conduisait toujours la jeune femme à le comparer à un ours. Or un ours et une renarde ne pouvaient pas faire bon ménage.

Alors que le vent fouettait son visage pâle, lui faisant sentir cette délicieuse sensation de liberté dont elle était désormais privée, elle ferma les yeux un instant. Ce fut un tout autre visage que celui de Gustav qui s'imposa à elle et elle eut comme un coup au cœur en revoyant, comme s'il était juste devant elle, des boucles noires et des yeux noisettes. C'est lui qu'elle aurait aimé retrouver tous les soirs dans sa chambre. Et pour la première fois, elle regretta de ne pas avoir accepté sa proposition de mariage. Où serait-elle aujourd'hui ? Sans doute, loin d'une Pologne ravagée par la guerre et d'un Gustav Eriksson qui la sommait de se faire luthérienne. Lorsqu'elle avait refusé une fois de plus sous le prétexte de ne pouvoir mettre le salut de son âme en danger, il l'avait giflée avec une telle violence qu'un sang chaud avait coulé sur sa lèvre et que sa pommette était devenue violacée. Après le lui avoir reproché vertement, elle avait donc fui cet homme et ses remontrances pour faire une promenade à cheval. Comment pouvait-il croire qu'il pourrait la faire céder sur un tel sujet ?

- Eléonore !

Elle stoppa son cheval en arrivant près de son frère Jan monté sur son étalon noir et qui lui souriait de manière un peu forcée. Il venait souvent la voir pour s'enquérir de son état. Depuis qu'il avait du marier sa sœur à Eriksson, il n'était plus que l'ombre de lui-même et se trouvait presque désœuvré. C'était Eléonore elle-même qui lui remontait le moral. Elle ne lui en voulait pas, il avait fait ce qu'il fallait pour protéger leurs vies. Et il leur fallait bien s'adapter à l'occupation suédoise. Pendant qu'il jouait son rôle auprès des Suédois, elle prenait des contacts dans le camp polonais. Gustav ne lui laissait pas d'argent et sa maigre dot avait vite disparu. Mais grâce à la pension envoyée par les Stuart qu'elle arrivait toujours à récupérer, elle était parvenue à échanger des lettres avec petite mère et avec des conseillers de Jean II. Elle leur révélait tout ce qu'elle savait des déplacements de son époux en échange d'informations sur l'endroit où se trouvaient les forces royales. Au cas où la fortune tournerait, ils n'auraient pas de difficulté à reprendre leur place au sein de la Diète. Mais en attendant, Eléonore ne disait rien à Jan pour ne pas qu'il puisse se trahir. Même si à chaque fois qu'elle le voyait, elle sentait sa langue la brûler.

- Comment vas-tu, ma petite renarde ? Eriksson est là, ai-je appris... Mais...

Elle le vit distinctement blêmir. Il approcha sa main et toucha doucement la joue endolorie de sa sœur. Celle-ci tressaillit sous la douleur.

- C'est ce salaud qui t'a fait ça ? Demanda-t-il d'une voix blanche.

Elle acquiesça. Cette nouvelle information semblait lui avoir redonné de la vigueur car il se redressa sur sa selle et elle vit ses yeux briller de colère.

- Je le hais, je le hais, je te jure qu'il payera cet affront ! Comment ose-t-il porter la main sur toi ?!
- Je t'en prie, Jan, ne prends pas de décision irréfléchie. Il est en colère et il avait bu, il se calmera et cela ne se reproduira plus.
- Comment peux-tu prendre sa défense ? Dire que c'est moi qui t'ai mariée à ce... Voilà une décision que je regretterai toute ma vie ! Je le déteste.
- Moi aussi, je le déteste, Jan mais tu ne dois pas t'en vouloir...

C'était un mot trop faible sans doute. Sa haine pour Gustav, son dégoût pour lui la rongeaient nuit et jour. Mais s'il lui restait une personne à laquelle elle tenait, c'était Jan. Il n'était pas question que cette grosse brute puisse faire du mal à son frère ! Jan en face d'elle haussa les épaules et lança son cheval en direction du château. Inquiète de la tournure des événements, Eléonore lui emboîta le pas.

La discussion évidemment ne put que déraper. Eriksson ne pouvait supporter qu'un petit blanc-bec lui dise comment il devait se comporter avec sa femme. Heureusement, les serviteurs n'assistaient pas à ce spectacle désolant car Eléonore les avait renvoyés. Elle tenta plusieurs fois de s'interposer entre eux mais ne put rien faire quand ils en vinrent aux mains.

- Non, non, arrêtez ! Je vous en prie, monsieur ! Ne faites pas de mal à mon frère !

Elle sanglotait à moitié en essayant d'empêcher Gustav de frapper. Elle lui saisit le bras mais il la repoussa avec une telle violence qu'elle perdit l'équilibre et eut le souffle coupé sous la douleur. A ses côtés, la situation devenait franchement dramatique. Gustav avait le dessus et penché contre son beau-frère, tombé au sol, le criblait de coups qui faisaient des bruits sourds. Eléonore crut perdre la raison devant ce spectacle. Sans réfléchir, elle saisit un pied de chaise cassée pendant la lutte et de toutes ses forces, elle frappa l'arrière du crâne de Gustav qui en fut projeté contre le mur tout proche. La bagarre s'arrêta aussi vite qu'elle avait commencé, dans un silence de plomb, seul Jan s'était redressé et haletait en essayant de calmer son souffle et de stopper le sang qui coulait de sa tempe. Abasourdie par ce qu'elle venait de faire, Eléonore lâcha son arme et se mit à trembler. Jan chercha un instant le pouls de son agresseur puis se tourna vers sa sœur :

- Il est mort, annonça-t-il d'un ton neutre.

Une peur sourde se mit à grandir en Eléonore. Que venait-elle de faire ? Les alentours étaient emplis d'hommes de Gustav, il était impossible qu'ils laissent ce crime impuni.

- Nous dirons que c'est moi qui l'ai tué. Tu n'y es pour rien, d'accord ?
- Je ne te laisserai pas prendre cette responsabilité, Jan ! Je ne veux pas qu'ils prennent ta tête.
- Je n'ai que faire de ma tête, il n'y a que la tienne qui compte. Et s'ils ignorent ton rôle dans cette mort, ils te laisseront sans doute vivre.

Eléonore secoua la tête, songeuse. Peut-être y avait-il une autre solution... ?

- Jan, dit-elle d'une voix impérieuse, aucun de nous deux n'a à payer pour la mort de ce monstre. Nous allons nous habiller en gueux pour quitter Poznan en toute discrétion. Il est grand temps de rejoindre le roi Jean et les troupes polonaises.




Dernière édition par Eléonore Sobieska le 17.04.12 11:38, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime16.04.12 22:33

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CHAPITRE IV

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« Gouverner, c'est faire croire »


Ville de Lublin, Royaume libre de Pologne-Lituanie, année 1656
Jan Sobieski lâcha les drapeaux bleus aux lions rugissants qu'il tenait en main et s'approcha de sa sœur Eléonore pour la serrer très fort dans ses bras. Sans prêter attention au sang qui maculait l'uniforme, la jeune femme se laissa aller à son soulagement et blottit sa tête dans le cou de son frère. Au bout de tant de mois de guerre, elle s'était habituée à cette odeur un peu âcre mêlée de sueur, de sang et de fumée qu'elle sentait chez Jan. C'était celle des batailles, celle de la mort. Mais elle n'avait que faire de l’état de ses vêtements, du nombre de corps devenus cadavres par sa faute tant qu'il lui était revenu sain et sauf. Serrés l'un contre l'autre comme deux enfants qui se soutiennent devant la cruauté et l'absurdité du monde, ils ne prêtaient plus aucune attention à l'armée épuisée qui continuait à défiler à leurs côtés, le pas lourd, la mine basse.

- Ils avaient quarante-sept canons. Nous n'en avions que dix-huit, souffla-t-il, sans attendre de réponse de la part de sa sœur.

De toute façon, dès l'entrée des premiers soldats dans la ville, Eléonore avait compris que cette bataille de Varsovie n'avait été qu'une défaite de plus face aux envahisseurs suédois. Elle avait lancé son cheval à contre-courant de la vague des Polonais pour tenter d'apercevoir son frère adoré. Elle n'était pas réellement angoissée. Après tout ce qu'ils avaient vécu, la défaite de Ujscie, la fuite de Poznan jusqu'au sud encore libre, déguisés comme des paysans, dans l'espoir de retrouver l'état-major du roi Jean II, Dieu ne pourrait lui enlever Jan maintenant. Elle avait conçu l'idée qu'il avait un destin, que sa vie ne pourrait s'arrêter là, sous le fer d'un traître de Suédois. Elle était persuadée que Dieu avait de grands projets pour son frère. Mais en cet instant où elle pouvait enfin se glisser dans ses bras rassurants et protecteurs, elle ne pensait plus à rien sinon à la joie de le retrouver.

- Et bien, Sobieski ? Ramassez vos dépouilles et brandissez-les en chef de guerre que vous êtes ! Vous mériteriez de conduire cette troupe et d'être acclamé non de marcher à pied comme un fantassin !

Ce fut cette voix forte et grave qui les interrompit et les fit sursauter. Avec empressement, Jan se détacha d'Eléonore et salua le roi qui les observait d'un air à la fois amusé mais aussi très las du haut de sa monture. La jeune femme ne l'avait jamais vu d'aussi près et après avoir plongé dans une profonde révérence, elle put mieux l'examiner. Il avait les traits sévères, tranchés, un nez long et busqué, une moustache fine et bien taillée, signe distinctif de la famille Vasa. Petit et rond, sa prestance n'avait rien de très impressionnant même sur son étalon. Rien en lui n'indiquait la personne royale sinon sa posture droite, son armure finement ouvragée mais cabossée à plusieurs endroits et les éperons d'or qu'il portait. Eléonore n'avait certes pas vu beaucoup de souverain dans sa jeune existence mais elle sut tout de suite que ce ne serait pas lui qui l'intimiderait.

- Vous me voyez navrée, sire, de détourner mon frère de la gloire dont il devrait s'enorgueillir. Mais Jan sait bien que je me suis fait beaucoup de souci pendant son absence, voilà la raison pour laquelle il a mis pied à terre.

Le roi la considéra un instant avec un demi-sourire et rétorqua :

- Que valent donc les honneurs devant l'inquiétude d'une si charmante personne ? Mais vous ne nous présentez pas, Sobieski ?
- Voici ma sœur cadette, sire, Eléonore, marmonna Jan, mortifié devant tant de compliments.

S'il savait qui était Eléonore et quel rôle elle avait joué ces derniers mois dans les informations qu'il avait sur les déplacements de l'armée conduite par Gustav Eriksson et dans le ralliement de Sokieski à la Couronne, Jean II Casimir n'en montra rien :

- Et bien sachez, mademoiselle, que votre frère s'est couvert de gloire devant Varsovie et que ma reconnaissance lui est toute acquise. Remontez en selle, tous les deux et suivez-moi.

Jan, après avoir ramassé les drapeaux pris aux troupes ennemies et Eléonore s'exécutèrent. Sans les attendre, le roi avait lancé son étalon et ils durent trotter pour le rattraper, lui et le reste de son état-major. Tout de suite, la discussion s'était engagée sur la suite des événements et les conséquences de cette défaite. Consciente de l'honneur qu'on lui faisait de chevaucher aux côtés du roi alors que l'on discutait de stratégie militaire, bien que Jean ne lui lançait plus aucun regard, la jeune femme se tint coite pendant un moment.

- Les Suédois ne pourront tenir Varsovie bien longtemps, leur armée est épuisée et les mercenaires allemands sont mécontents ne pas avoir encore reçu leur solde, expliquait un hetman.
- Nous est-il toujours permis de bloquer l'arrivée des soldes ?
- Oui, sire, mais peut-être pas pour longtemps... Si Leszczynski pouvait nous rejoindre...
- Leszczynski n'est qu'un traître doublé d'un hérétique !
- Paix, intervint le roi d'un ton menaçant.

Un silence passa. Eléonore sentait sa langue la piquer. Elle mourrait d'envie d'intervenir mais elle craignait que cela soit mal reçu par le souverain. Mais au bout de quelques dizaines de secondes, elle n'y tint plus :

- Si je puis me permettre, sire...

Tous se retournèrent vers elle avec une surprise non dissimulée. Malgré les yeux de Jan qui la suppliaient de ne pas poursuivre plus en avant, sentant qu'elle avait l'accord du roi, Eléonore se lança :

- Le vrai danger vient de l'alliance entre la Suède et le Brandebourg. Si vous pouviez les séparer...
- Peut-être abandonner au Brandebourg la souveraineté sur la Prusse, suggéra Jan d'une voix blanche mais qui ne pouvait laisser sa sœur seule.
- Nous comptions justement envoyer un ambassadeur à Berlin pour négocier.
- Envoyez-moi, proposa Eléonore d'une voix qui ne pouvait dissimuler son excitation.

Le regard de Jean II croisa celui de la jeune femme et il la fixa d'un air indéfinissable pendant de longues secondes :

- Vous ? Et qu'y feriez-vous ?
- Sire, rien de moins que de rétablir la paix !

Cour du duc de Brandebourg, Potsdam, Duché de Brandebourg-Prusse, année 1657
Eléonore laissa échapper un rire cristallin qui résonna un instant dans la pièce à moitié vide du château de Potsdam et posa des yeux brillants sur l'homme qui lui faisait face. Ce dernier paraissait ravi du succès de sa plaisanterie et dans sa joie, il glissa sa main sur celle d'Eléonore et caressa la paume de la jeune femme de son pouce. Elle le laissa faire sans protester. Cela faisait maintenant plusieurs mois qu'elle passait ses nuits avec Frédéric-Guillaume de Brandebourg et qu'il avait fait d'elle sa favorite officielle. Son plan pour le séduire avait été d'une facilité incroyable. L'ambassadeur de Jean II était parvenue à la convier à une chasse organisée par Frédéric-Guillaume et elle s'était illustrée par son aisance à l'équitation. Mais c'était au moment où elle avait tué un lièvre sous le nez même du duc (merci pour ces leçons, Morgan) et où le regard de ce dernier s'était posé sur elle qu'elle avait compris qu'elle avait gagné. Pendant un court instant, quand elle avait pointé le canon de son arme, elle avait eu une forte impression de déjà-vu. Mais elle avait réprimé les élans de son cœur. Si elle ne pouvait l'empêcher de battre pour un Anglais aux boucles noires, c'était désormais son esprit qui était le maître. Elle avait bien changé la petite Eléonore depuis le temps où elle avait découvert l'amour ! Aujourd'hui, elle dissimulait ses véritables sentiments et elle charmait un homme pour servir sa maison et sa patrie. Certes, le duc, malgré son âge beaucoup plus avancé que le sien, n'était pas un homme désagréable. Cultivé et intelligent, il s'était lassé de son épouse, Louise-Henriette d'Orange-Nassau, encore fatiguée et alourdie par sa récente grossesse. Mais tout en elle était faux. Son intérêt pour lui, son badinage, son sourire amoureux. Le temps avait appris à Eléonore à être une excellente menteuse et dissimulatrice.

Ici, à Potsdam, à la cour, elle ne manquait de rien. Enfin, elle ne devait pas se préoccuper de manquer d'argent. Frédéric-Guillaume la couvrait de cadeaux et s'amusait de tout ce qu'elle pouvait bien inventer et de son culot. Peut-être se sentait-il redevenir jeune homme quand elle le suppliait de lui accorder une promenade et qu'une fois la balade obtenue, elle ne cessait de le taquiner et de courir au-devant de lui pour l'obliger à la poursuivre. Sa plus grande victoire était lorsqu'elle avait osé lui lancer une boule de neige en pleine figure lors du dernier hiver. Bien qu'il n'y eût aucun témoin, sinon un ou deux domestiques, il s'était figé, sans savoir comment réagir. Eléonore avait cru sa dernière heure arrivée et s'était morigénée de son puérilité. Mais il s'était penché puis lui avait à son tour lancé une boule dans l'épaule. Ils avaient bataillé de longues minutes, Eléonore était à bout de souffle à force de rire. Il avait fini par rattraper la jeune femme par la taille et la serrer contre lui pour lui déposer un baiser de ses lèvres glaciales sur le cou d'Eléonore. Malgré la situation terriblement faussée, elle s'était bien amusée. Il lui fallait toujours de quoi s'occuper. C'était bien la seule chose qu'elle avait conservé de son enfance innocente. Ses yeux avaient vu trop d'horreur pour avoir gardé cette innocence elle-même. Au moins, toute cette comédie avait servi ses objectifs. Le Brandebourg était en paix avec la Pologne depuis le traité de Wilhau. Jan avait été récompensé par Jean II qui l'avait fait protecteur de la Couronne. Et la présence d'Eléonore à Potsdam, certes endroit où logeait la cour mais aussi où s'entraînait l'armée du duc lui permettait d'évaluer les forces de Frédéric-Guillaume au cas où il lui viendrait à l'idée de changer d'avis.

- Et bien, vous ne mangez pas, ma chère ?

Eléonore se força à ne penser qu'à l'instant présent et sourit au duc.

- J'admirais cette merveille ! C'est une telle beauté qu'il me semble que c'est un sacrilège de le dévorer comme je rêve de le faire !

Les cuisiniers du duc s'étaient en effet dépassés pour produire ce plat français dont elle raffolait depuis ses années passées dans le royaume de Louis XIV. Frédéric-Guillaume l'avait commandé spécialement pour elle et les serviteurs s'étaient même échinés à donner la forme d'un renard au plat. Pour lui marquer sa reconnaissance, Eléonore se saisit de la main rêche du duc et la porta à ses lèvres.

- Je ne sais comment vous remercier, dit-elle avec un clin d’œil coquin.
- Votre seule joie me comble, s'esclaffa le duc.

Eléonore saisit un morceau de viande qui faisait office de museau au renard et allait le porter à sa bouche quand elle avisa le chien que lui avait offert le duc qui jappait désespérément à ses côtés et qui s'accrochait à ses jupes dans l'espoir d'avoir un morceau. La jeune femme d'un geste désinvolte lança la nourriture à l'animal qui goba tout d'un coup. Pendant un instant, il ne se passa rien puis le chien se mit à gémir et à être pris de convulsions. Eléonore qui avait pris un second morceau lâcha tout et recula sa chaise pour se relever avec précipitation. En moins d'une minute, le chien était mort. Elle ne put s'empêcher de pousser un cri de terreur tandis que Frédéric-Guillaume tonnait des ordres qu'elle ne comprenait pas. Une foule de serviteur passa à ses côtés, on ôta le plat puis le petit cadavre mais elle ne bougea pas. Venait-on de tenter de l'assassiner ? Elle se savait des ennemis dans cette cour, la duchesse en premier lieu puis les conseillers pro-Suède de Frédéric-Guillaume mais elle ne s'attendait pas à ce que l'on ose tenter de la tuer. Malgré elle, consciente d'avoir échappé de peu à la mort, elle tremblait. Le duc finit par la rejoindre et la serra tendrement dans ses bras :

- Là, là, ma chère Eléonore, ma douce, c'est terminé.

Et confusément, elle sut qu'il avait raison. C'était terminé.

Cour du roi de Pologne, Varsovie, Royaume de Pologne-Lituanie, année 1659
Avec excitation, Eléonore rompit le sceau et ouvrit en grand la lettre que lui adressait son frère sous l’œil amusé de son amie Marie Casimire de La Grange d'Arquien. Les deux jeunes femmes avaient savamment ralenti le pas si bien qu'elles se trouvaient légèrement à la traîne du reste de la suite de la reine Louise-Marie, place idéale pour échanger des confidences loin des oreilles indiscrètes des autres demoiselles de la reine. Et en l'occurrence, Eléonore se sentait assez loin du champ de vision de Louise-Marie pour lire ce qu'elle venait de recevoir de Jan qui guerroyait dans le nord. Elle ne l'avait pas revu depuis son retour de la cour de Potsdam tout occupé qu'il était avec son poste de chef des armées de Pologne mais ils entretenaient une correspondance très régulière. L'admiration qu'elle éprouvait pour ce frère lointain s'était encore accrue si cela était possible par ses réussites militaires. Les Suédois étaient sur le point de perdre. Bien sûr, c'était au prix de la destruction de provinces entières et de centaines de milliers de morts mais Eléonore se réjouissait de savoir que la paix allait enfin leur être rendue. C'était comme lui offrir la fin de son enfance dont on l'avait depuis si longtemps privée. Certes, elle avait maintenant vingt-quatre ans mais elle montrait toujours la même joie de vivre. C'était la raison pour laquelle la reine l'appréciait et l'avait choisie tout autant que comme récompense de ses bons services dans le Brandebourg. Elle avait retrouvé avec une joie sans égale petite mère qui était devenue plus dévote que jamais et qui passait ses journées en prière pour ses enfants morts, Marek et Rozalia. Les retrouvailles avaient été beaucoup plus froides avec Katarzyna, remariée avec Michel Radziwill et toujours aussi méprisante envers sa sœur et avec le petit garçon que l'on élevait comme son fils. Il avait à peine six ans, pourtant les événements qui avaient conduit à son enlèvement à ses parents paraissaient terriblement éloignés à Eléonore. La distance n'avait pas permis à la jeune femme de s'attacher à ce petit bout d'homme qui se montra très timide devant sa prétendue mère. Elle se contenta de lui ébouriffer les cheveux puis il retourna dans les jupes de petite mère. Eléonore n'éprouvait rien pour ce garçon aux cheveux bruns et aux yeux verts. Il n'avait même pas pour lui le fait d'être le fils d'un homme qu'elle avait aimé. Elle pensait peu à son fils surtout depuis qu'elle se trouvait au centre d'une cour brillante. Passer le saluer de temps à autre sur la demande de petite mère qui s'inquiétait de la voir le négliger n'était qu'une simple corvée.

La reine Louise-Marie les demanda auprès d'elle. A regret, Eléonore ferma sa lettre et la glissa dans son corsage. Elle saisit le bras de Marie Casimire que tous appelaient Marysienka pour l'entraîner vers la souveraine :

- Votre frère vous dit-il ce qu'il a pensé de sa dernière visite à la cour ? Lui chuchota la jeune Marysienka dont les joues rosirent de manière charmante.

Même si sa jeune amie n'en soufflait mot, il n'était pas un secret pour Eléonore qu'elle appréciait beaucoup trop Jan malgré son récent mariage avec Zamoyski. Pendant tout le séjour de Jan, elle qui était pourtant si assurée et qui était l'une des protégées de la reine en raison de leur point commun, leur naissance française, quelques mauvaises langues allant jusqu'à affirmer que Marie n'était autre que la fille adultérine de la reine, elle donc n'avait cessé de rougir et de baisser les yeux. A chaque attention de Jan, elle se pâmait. Jan lui-même, le grand Hetman de la Couronne en personne, bredouillait devant une si adorable personne. Eléonore avait décidé de les aider à s'avouer ce qu'il ressentait l'un pour l'autre. Il était temps que Jan trouve son bonheur avec la femme qu'avait élu son cœur ! Et ce n'était pas ce Zamoyski qui allait être un obstacle. Toutefois, Jan n'évoquait que très peu Marysienka dans sa lettre ce qui n'arrangeait pas les affaires de sa sœur. Elle allait souffler un mensonge à son amie quand la souveraine apparut devant elles, lui coupant toute possibilité de répondre à la jeune fille :

- Et bien, mesdemoiselles, je m'inquiétais de ne plus vous voir. Aurais-je le plaisir de vous voir toutes les deux dans mon salon littéraire en fin d'après-midi ? Je viens de recevoir les dernières nouvelles de Paris ainsi que l'Œdipe de Corneille. Nous pourrons essayer de déterminer si cette pièce est meilleure que son chef d’œuvre de Nicomède. J'ai aussi une édition des Précieuses ridicules de ce monsieur Molière qui fait beaucoup parler de lui.

Eléonore acquiesça en réprimant une grimace et en laissant répondre Marysienka. Elle n'aimait guère l'idée de rester enfermée sans avoir le droit de bouger pendant des heures en parlant de pièces qu'elle n'avait pas lues mais on ne refusait rien à la reine. Si son époux n'avait rien de royal, Louise-Marie était une vraie souveraine digne de ce nom. C'était sans doute grâce à elle que la Pologne n'avait pas sombré durant toutes ces années. Sa voix avait une autorité naturelle qu'on ne pouvait contester. Et il fallait bien avouer que le destin de Marie-Louise de Gonzague qui avait failli épouser l'oncle de Louis XIV avant de se retrouver femme de Ladislas IV puis de son beau-frère Jean II était fascinant...

Profitant que la reine se soit éloignée, Eléonore sortit de nouveau la lettre pour parcourir des yeux le dernier paragraphe écrit par son frère. Elle ne s'attendait pas à ce qu'elle allait y trouver et à ce que Jan lui disait au détour d'une phrase sans se douter le moins du monde à quel point cela concernait sa sœur. Ce n'étaient que quelques lignes mais elles lui déchirèrent le cœur. Elle fut obligée de relire plusieurs fois. Mais les mots étaient toujours les mêmes. Stupéfaite, elle fut incapable d'avancer à la suite des demoiselles de compagnie et porta les mains à sa poitrine, laissant tomber le papier. Il lui semblait qu'elle étouffait. De l'eau salée humecta ses lèvres et elle se rendit compte avec surprise qu'elle pleurait. Marysienka, inquiète, quitta le cortège, ramassa la lettre et lui demanda :

- Pauvre Eléonore, que se passe-t-il ? Pourquoi ces larmes ?
- Il est mort... ! Il est mort, il ne devait pas mourir, vous savez ? Je trouvais une sorte de consolation à penser qu'il était heureux où qu'il fut. Mais il est mort...
- De qui parlez-vous ?

Eléonore murmura des paroles incohérentes tandis que son amie l'entourait de ses bras dans l'espoir de la consoler. Mais la souffrance que ressentait Eléonore était trop vive pour simplement être exprimée. Elle ne s'attendait pas à ce que cette nouvelle lui cause un tel choc. Et pourtant, pendant de longues minutes, elle pleura dans les bras de Marysienka sans pouvoir se calmer. Seule la phrase cruelle de son frère résonnait dans son esprit : Andrew Stuart avait été tué à la bataille des Dunes. Son cœur était définitivement brisé.

Cour du roi de Pologne, Varsovie, Royaume de Pologne-Lituanie, année 1660
Il s'était endormi à ses côtés, seule sa respiration sifflante se faisant entendre dans le silence qui s'était abattu sur le château de Varsovie. Recroquevillée en chien de fusil, Eléonore essayait de réprimer le dégoût qui s'était emparé d'elle. Elle luttait contre les haut-le-cœur. D'un geste rageur, elle ôta l'alliance qui lui comprimait le doigt et la lança à terre. Elle tomba dans un bruit métallique et froid mais ne réveilla pas l'époux d'Eléonore. Wincenty Gosiewski dormait d'un sommeil de plomb, celui du bienheureux qui bénéficie de la tranquillité d'esprit. Elle lui avait pourtant demandé de ne pas la rejoindre dans sa chambre ce soir-là. Elle ne pouvait supporter l'idée de remplir des devoirs conjugaux auprès d'un homme de plus de trente ans de plus qu'elle et ennemi irréductible de sa famille. Mais il avait forcé la porte et après avoir fait ce qu'il avait à faire, s'était écroulé sur le lit pour s'endormir. Il n'avait qu'une fille de son premier mariage, il voulait un fils. Mais Eléonore s'était juré de ne jamais lui donner d'enfants si tant est qu'elle put encore en avoir après son difficile accouchement. Au moment où on les mariait, c'était la seule chose à laquelle elle avait pensé, la seule idée à laquelle elle avait pu se raccrocher : jamais je ne lui donnerai d'enfants. Il mourra sans descendance et son nom s'éteindra avec lui. Sans cela, elle se serait sans doute effondrée en voyant ce vieillard qui allait partager sa couche.

Elle avait pourtant supplié le roi de ne pas faire ce mariage, elle s'était même abaissée à se mettre à genoux devant la compatissante reine Louise-Marie. Elle avait envoyé lettre sur lettre à Jan, toujours au combat dans le nord. Mais rien n'y avait fait. Jean II tenait à son projet – car c'était le sien – et n'en démordait pas. Il entendait réconcilier les deux familles ennemies des Sobiescy et des Gosiewscy et ce n'était pas la volonté d'une demoiselle qui allait le faire changer d'avis. Jan avait eu à peine son mot à dire. Le roi Jean comprenait d'autant moins la répugnance d'Eléonore que Wincenty était un bon parti en soit. Il était riche et bien en cour. Pour Jean II, que pouvait donc bien demander une femme en plus de cela ? Louise-Marie, l'intelligente Louise-Marie s'était gardée d'intervenir. Et ce couple qu'elle avait pourtant aidé, soutenu et admiré, ce couple, elle le détestait à présent. Sa seule consolation, c'était de savoir qu'elle n'était pas la seule. De nombreux nobles haïssaient le roi, trop grand admirateur de l'absolutisme à l'autrichienne, et étaient ravis de discuter avec elle de ce sujet. Et un grand projet commençait à prendre forme dans l'esprit de la jeune femme...

Elle revêtit une chemise de nuit et, de nouveau assise sur le bord du lit, elle joua négligemment avec un coussin qui se trouvait là. Sa vie avait perdu toute saveur depuis quelques temps. Wincenty lui interdisait de pratiquer l'équitation et la danse pour ne pas gâcher toute chance d'avoir des enfants, selon ses propres paroles. Mais Eléonore pensait devenir folle enfermée dans ses appartements. Heureusement, Marysienka venait régulièrement la voir et sortait avec elle. Son époux, s'il n'appréciait pas la jeune femme et ses mœurs « françaises », ne trouvait rien à redire à ce qu'Eléonore soit amie avec la protégée de la reine. Quand Marysienka devait partir sur ses terres, Eléonore s'abîmait en prière pour la santé de petite mère qui ne cessait de se dégrader, pour la survie de Jan, son frère à la stature de roi. Pour le repos de l'âme d'Andrew aussi. L'homme dont elle aurait dû porter l'alliance. L'homme qu'aucun autre ne valait et qui faisait de Wincenty un monstre.

Eléonore osa un regard vers la figure de son époux. Étrangement, la nuit, loin de détendre ses traits et de le rajeunir, creusait encore ses rides et lui donnait l'aspect d'un cadavre. Un cadavre... Prise d'une soudaine pulsion, la jeune femme se saisit du coussin à deux mains et se rapprocha de Wincenty. D'un geste brutal mais parfaitement maîtrisé, elle appliqua de toutes ses forces le large coussin sur les voies respiratoires de son époux. Presque immédiatement, il se mit à se débattre et son pouls s'affola. Mais Eléonore l'avait prévu et allongée sur Gosiewski, elle l'empêcha de se libérer de l'étreinte qui l'étouffait. Ce petit manège dura quelques minutes puis Wincenty parut perdre toutes forces et cessa de bouger. Par mesure de précaution, Eléonore continua à lui appliquer l'objet sur le nez puis l'ôta. C'était fini. Wincenty n'était plus. Et elle était libre.

Elle ne ressentit pas de joie seulement un immense soulagement. Il était si vieux qu'il lui serait facile de prétendre qu'il s'était éteint dans la nuit. Après tout, il n'était pas conseillé pour des hommes d'un tel âge de faire des efforts physiques et de se remarier. Elle verserait quelques larmes de crocodile et tout le monde n'y verrait que du feu. Elle s'allongea sur le lit, le plus loin possible du cadavre et attendit qu'il refroidisse.

Château de Cracovie, Royaume de Pologne-Lituanie, année 1661
Jan Sobieski entra dans la pièce en claquant la porte mais Eléonore n'eut pas la force de se redresser. A grands pas, il s'approcha d'elle et se jeta à ses genoux. Il appuya sa tête contre les mollets de la jeune femme et se mit doucement à sangloter. Elle ne pouvait même pas le voir, seuls les soubresauts de son dos le lui indiquait.

- Il ne m'accorde pas son pardon ?

Eléonore trouva sa propre voix froide et lointaine. C'était comme si elle assistait seulement à la scène, comme si cela concernait quelqu'un d'autre. Mais l'angoisse qui lui étreignait la poitrine et lui serrait la gorge était bien réelle. Les larmes que produisait son frère également. Ce dernier se détacha enfin d'elle et murmura tout en l'enlaçant d'un geste doux :

- Il consent toutefois à te laisser partir en exil à condition que tu ne reviennes plus ici tant qu'il régnera sur la Pologne.
- Suis-je la seule punie ?

Jan acquiesça. Elle se sentit un peu rassérénée. Il n'était pas question que son frère soit aussi accusé. Certes, il avait été au courant du complot mais il avait bien rempli son rôle en faisant croire qu'il venait de découvrir la trahison d'Eléonore. Il sauvait sa place à la cour et son titre de Protecteur de la Couronne, c'était tout ce qui comptait. Tout ce pour quoi elle s'était battue n'était pas perdu.

- Oh, ma petite renarde, je suis tellement désolé d'avoir dû rejeter la faute sur toi... J'aurais peut-être dû... Dire que moi aussi, j'ai désiré...
- C'était mon idée, répliqua-t-elle avec fermeté, qui m'a dénoncée au roi ?
- Il semblerait que tu aies fait confiance à de petits nobles qui n'ont absolument aucune envie de me voir un jour sur le trône...
- Nous avons pourtant besoin d'un roi fort pour prendre soin de la Pologne, quelqu'un qui serait capable de s'imposer à la Diète pour enfin mettre sur pied une armée digne de ce nom pour faire face à de possibles guerres, capable de supprimer le liberum veto qui permet à un gueux venu du sud et qui se prétend de sang noble de venir bloquer toutes les décisions royales lors des assemblées !
- Ma chérie, c'est exactement ce que les magnats redoutent. Ils préfèrent avoir un fantoche sur le trône avec lequel on peut traiter en égal quitte à ce que cela mène au désastre de la guerre contre les Suédois. Ces gens-là ont trop peur que je me serve de ma gloire militaire pour m'imposer à eux. As-tu des soupçons ? A qui avais-tu confié le soin de soulever la Diète contre Jean II ?
- Ce traître de Michel Wisniowiecki, le porte-parole de la petite noblesse. Je suppose que c'est lui. Je m'en étais aussi ouverte au mari de Katarzyna.
- Malheureuse ! Katarzyna te déteste assez pour te dénoncer même si cela doit me coûter la tête ! Et depuis que mère est morte, personne ne contrôle Kat. Mais tu n'as pas tort de désigner Wisniowiecki, il essaie de ne pas le montrer mais je suis sûr qu'il me hait.

Ils demeurèrent un instant silencieux. Il ne servait finalement à rien de souligner ce qui avait échoué. Cela avait échoué, c'était tout ce qui comptait.

- Que vais-je faire ? Demanda Eléonore d'une petite voix.

La fureur de se voir découverte était retombée, demeurait seulement la lassitude à l'idée de devoir repartir. Elle allait devoir faire ses bagages et ne plus remettre les pieds en Pologne sous peine d'être exécutée comme un vulgaire traître à la Couronne. Oh, elle leur ferait payer à Kat et à ce Wisniowiecki ! Ils comprendraient qu'ils auraient mieux fait de se taire ! Elle devrait aussi prendre son fils avec elle. C'était un poids en plus mais ce n'était pas le célibataire Jan qui allait s'en occuper lui-même. Et ainsi, même si l'argent que lui enverrait Jan pourrait avoir des difficultés à arriver, elle toucherait sa pension des Stuart comme le lui avait promis Jacques d'York des années auparavant. Dans une autre vie.

- Nous avons toujours de nombreux amis en Europe. Ils seront ravis de t'accueillir. Mais tu me manqueras ma petite renarde.
- Toi aussi, Jan. Tu me manqueras à chaque instant. Je continuerai à œuvrer pour toi. Si nous avons le soutien des puissances étrangères, tu arriveras sans doute à t'imposer sur le trône.

Il se redressa et fit quelques pas :

- Tu devrais ne pas trop traîner, Jean II est tout à fait capable de revenir sur sa décision. Marysienka Zamoyska viendra te faire ses adieux.

Incapable de répondre, elle hocha la tête. Alors qu'il s'apprêtait à sortir, il se retourna vers elle et lui dit d'un ton grave :

- Tu sais, j'ignore qui est ta mère. Pourtant j'ai tenté de le faire avouer à père puis à mère. Je voulais savoir de qui tu tenais ta chevelure si flamboyante et ton caractère enflammé. Je crois que mère ne l'a de toute façon jamais su. Mais qui que fut cette femme, tu tiens très peu d'elle. Tu es une Sobieska. Tu l'es bien plus que nous tous. Ton courage, ton opiniâtreté, ta loyauté envers la famille et la Pologne font de toi celle qui ressemble le plus à père. Pourquoi crois-tu que Kat t'ait tant jalousée ? Tu n'as jamais été une pièce rapportée de cette famille. Tu es l'âme de cette famille. Et un jour, je te promets que tu reviendras entre ces murs, que tu seras blanchie de cette accusation de trahison et que tu seras reconnue en tant que Sobieska par tous.

Ce fut les larmes aux yeux face des paroles si douces à ses oreilles qu'Eléonore vit partir son frère. Elle ne devait plus le revoir pendant des années.


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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime17.04.12 22:45

Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Mq1210
CHAPITRE V

_________________________________________________



« Le temps n'attend pas, la bonté est impuissante, la fortune inconstante et la méchanceté insatiable »


Sur la route de Constantinople, Principauté de Transylvanie sous domination ottomane, année 1661
Eléonore laissa échapper un frisson en mettant le dernier point à la lettre qu'elle destinait à l'un de ses contacts à la cour de Constantinople. Elle n'avait pas vu le moindre rayon de soleil depuis qu'elle avait pénétré dans les forêts du sud de la Hongrie et devait cheminer emmitouflée dans ses fourrures. Mais c'était pire la nuit. Un vent glacial traversait tout, les tissus et même la chair pour s'attaquer à vos os. Il fallait dire aussi qu'elle avait quitté les couvertures de sa couche en simple chemise de nuit, laissant l'homme avec lequel elle avait passé la soirée reposer en paix pour écrire librement sa correspondance. Après avoir plié sa feuille, elle se frotta les mains dans l'espoir de se dégourdir un peu les doigts. Ce fut ce bruit qui sembla réveiller le jeune homme au teint mat. Il ouvrit les yeux avec un certaine difficulté et après qu'il les eut frotté, il les posa sur la jeune femme qui lui faisait face, au pied du lit. Eléonore lui sourit tout en se saisissant de l'arme posée négligemment sur un tabouret de bois.

- Que fais-tu debout, ma petite renarde ? Demanda-t-il d'une voix pâteuse, viens donc me rejoindre, tu vas attraper la mort.

- La mort a souvent tourné autour de moi avec sa faux, elle a emporté bien des membres de ma famille et aussi ceux que j'aimais. Parfois, elle a même fait appel à moi pour pouvoir s'emparer de l'âme de certains. Mais moi, je ne l'ai jamais intéressée. A croire que je suis trop insignifiante pour être emportée. Ou alors suis-je une auxiliaire trop efficace, rétorqua Eléonore de manière absente, tout en continuant à jouer avec l'épée.

Elle était d'une pâleur extrême qui contrastait avec la rougeur de sa chevelure et de ses lèvres d'où s'échappaient de la vapeur au fil de sa respiration. C'était le simple fantôme de la jeune femme flamboyante qui avait enchanté la cour en exil du roi d'Angleterre, celle du duc de Brandebourg ou celle du roi de Pologne. Une simple possédée qui retira la lame du fourreau finement ouvragé par les ateliers cosaques appartenant au peuple du jeune homme.

- Range cette épée, veux-tu ? Commanda-t-il d'une voix beaucoup plus impérieuse et mieux réveillée, je ne voudrais pas que tu te blesses ni que tu blesses quelqu'un d'autre. Pourquoi t'es-tu donc levée ? A qui voulais-tu écrire ?

Elle parut revenir à elle-même devant les allusions que faisait le jeune homme et son œil se mit à briller de malice. Toutefois, elle ne lâcha pas la lame.

- Tu exagères toujours, je ne t'ai jamais blessé. Ou alors si peu, une simple piqûre de moustique mais tu n'étais qu'un bégueule à l'époque, Petro, plaisanta-t-elle, et j'écrivais une lettre pour mes amis de Constantinople. Il est plus que temps de se débarrasser du grand vizir actuel. Il a bien trop d'ambitions pour le nord de la Hongrie.

Petro Bulavin, car c'était bien lui, se redressa comme soulagé de voir le tour que prenait la conversation. Il eut un air indigné devant le mensonge éhonté de son amie d'enfance et laissa échapper un petit rire :

- Allons, petite renarde, tu vas bientôt me faire croire que tu commandites des assassinats à Constantinople. Ils n'ont pas besoin de toi pour s’entre-tuer. D'ailleurs, ne devais-tu pas t'y rendre ?

Elle s'assit enfin sur le bord du lit et ramena ses longues jambes fines et blanches sur les couvertures épaisses. Petro ne put s'empêcher d'y porter la main et s'émerveilla de voir la chair de poule se former au fur et à mesure du passage de ses doigts.

- Sais-tu qu'il n'y a qu'une seule manière de se réchauffer ici ?

Eléonore lui lança une pichenette qui lui arracha un éclat de rire.

- Oui, je devais m'y rendre mais j'ai changé d'avis. Je pense qu'il ne sera pas très futé de continuer à m'avancer en Transylvanie après ce que je vais faire.
- Ah oui ? Reprit-il d'un ton absent, et ton autre lettre ? A qui s'adressait-elle ?
- A mon frère Jan. Je tenais à l'avertir de la mort de l'assassin de notre aîné Marek.

Petro Bulavin n'eut pas le temps de réagir que déjà sa propre lame compressait sa gorge, brandie par la jeune femme. Son bras ne tremblait pas et son sourire s'était effacé pour laisser place à des prunelles sombres.

- Que veux-tu dire ? Enfin, Eléonore, lâche ça et cesse de me menacer !
- J'avais vraiment l'intention de rejoindre la Sublime Porte jusqu'à ce que nous trouvions ce campement commandé par le prince Petro Bulavin. Au début, j'ai été ravie à l'idée de te revoir. J'étais vraiment ton amie, tu sais, j'ai toujours pris ta défense quand Marek et Jan te considéraient en traître. Je crois que j'aurais pu tomber amoureuse de toi, le farouche et fier Cosaque qui se montrait si doux avec une jeune fille comme moi.

Il leva les mains et tenta d'échapper à la menace mais elle ne le laissa pas faire.

- Je t'aimais vraiment, ma petite renarde, je te le jure. Mais j'avais des obligations envers ma famille et tes frères ne cessaient de m'humilier.
- Tu mens, marmonna Eléonore, je sais très bien que tu mens. Mais laisse moi terminer mon histoire : les premiers jours ont été parfaits. Tu étais d'une telle galanterie que j'ai pris plaisir à te rejoindre pour la nuit. Jusqu'à ce que j'entende cette rumeur. Qui s'est avérée être bel et bien fondée. Était-ce toi qui commandait les troupes cosaques en 1652 ?
- Oui mais...
- Est-bien toi qui a ordonné l'exécution de 8 000 prisonniers polonais et de mon frère Marek ?
- Qui t'a dit cela ?
- Et tu ne cherches même pas à nier, s'exclama-t-elle, monstre !

Elle faillit lâcher l'épée sous le coup de l'émotion mais elle tint bon. Elle savait qu'il était trop tard pour flancher. Si elle baissait son arme, c'était lui qui la tuerait. Lui s'était encore rapproché et un sourire cruel s'afficha sur son visage :

- J'avoue avoir eu une certaine jubilation quand j'ai vu le grand Marek Sobieski, celui qui avait osé me gifler quand je n'étais qu'enfant, se pisser dessus de peur en attendant...

Les derniers mots disparurent dans un gargouillis. Eléonore avait frappé sans même s'en rendre compte et le sang se mit à couler à flot, lui éclaboussant les mains et les jambes. Elle se releva à bout de souffle. Il était mort. Elle venait de tuer l'un des plus beaux souvenirs de son enfance. Mais son frère était vengé. Sans lâcher l'épée encore rouge, elle se saisit de ses lettres et s'apprêta à fuir.

Château de Bauffremont, Royaume de France, fin de l'année 1662
Ce furent des éclats de voix qui attirèrent Eléonore vers la pièce principale de la forteresse médiévale des Bauffremont. Elle venait de terminer de se débarbouiller après sa chevauchée en compagnie de l'héritier de la maison, Claude François (NDA : Et voilà, cette fiche a perdu toute crédibilité), un homme plus jeune qu'elle de deux petites années et qui était devenu rapidement son ami. Enfin autant qu'on pouvait l'être quand on se trouvait en pleine mission. Voyant qu'elle n'était pas attendue, Eléonore continua d'avancer mais à pas de loups pour ne pas être entendue et pouvoir assister à la dispute sans être repérée. Arrivée derrière la porte, elle se pencha vers le trou de la serrure et reconnut sans peine les silhouettes du maître de maison et de son fils. Elle colla son oreille sur le battant pour être sûre de ne pas rater un seul mot. Après tout, elle était chargée de tout rapporter à l'empereur, peut-être Claude et son père laisseraient-ils échapper une information essentielle dans le feu de la conversation ? Elle eut une pensée pour Léopold Ier qui l'avait accueillie à la cour de Vienne et qui l'obligeait à s'immiscer dans la vie de cette famille. En échange d'informations sur l'attitude de l'héritier de Bauffremont vis-à-vis des guerres incessantes entre la France et la Lorraine, il s'engageait à soutenir Jan Sobieski après la disparition du roi Jean II ou son abdication. Eléonore n'avait pu que douter de sa bonne foi surtout après avoir entendu dire que des émissaires de Michel Wisniowiecki avaient eu le droit à une audience impériale. Mais elle n'avait pas le choix, le possible soutien de l'Autriche et de l'Empire était un enjeu trop important pour être négligé. Peut-être que si elle arrivait à ses fins avec Claude, Léopold serait prêt à oublier que les Sobiescy avaient des liens solides avec le royaume de France...

- Elle n'est qu'une malheureuse folle, qui voudrait épouser une femme comme elle ?

Bon visiblement, la discussion n'avait pas grand-chose à voir avec les guerres et les alliances. Eléonore comprit rapidement que l'objet de l'inquiétude et de la colère du père n'était autre que la deuxième Bauffremont, la petite Christine. Celle-ci avait une vingtaine d'années et malgré leur différence d'âge, la jeune femme avait réussi à s'attirer sa sympathie. A vrai dire, pour la première fois de son existence, elle avait même ressenti un peu d'affection pour quelqu'un qui lui ressemblait autant. Pendant des jours entiers, elles avaient chevauché de concert, toujours pleines d'énergie et épuisantes pour leur entourage. Christine, à l'image de Claude, avait même montré de l'attention pour le petit Marek, l'enfant timide mais fin bretteur pour son âge qui suivait sa mère et sa gouvernante à la trace. Eléonore n'avait pu que s'interroger devant le brusque changement d'attitude de sa jeune amie quelques jours auparavant. Soudain, elle avait perdu son sourire, sa joie de vivre et s'était enfermée sur elle-même. On pouvait presque voir de sombres pensées tournoyer au-dessus de sa tête. Devant le refus de Claude de répondre à ses questions, Eléonore n'avait pu que constater qu'on lui dissimulait des choses et que le passé de la famille n'était pas aussi clair qu'on avait bien voulu lui faire croire.

- Elle n'est pas folle, père, elle est lucide !
- Et comment appelles-tu ses hallucinations ? Elle n'est rien d'autre qu'un poids pour nous désormais..., poursuivait la voix déçue du père.

Un bruit derrière elle fit se retourner Eléonore et elle fit face aux grands yeux bleus désespérés de Christine qui tourna les talons et s'enfuit.

- Christine, non... ! Souffla Eléonore, qu'as-tu entendu ? Tu as sans doute mal entendu !

Mais la porte s'ouvrit sur elle, ne lui permettant pas de se lancer à la poursuite de la pauvre jeune fille. Visiblement, aucun des deux hommes ne s'étaient rendus de la situation et ils se comportèrent tout à fait naturellement avec la jeune femme. Elle parvint toutefois à s'échapper au bout d'une petite heure et monta directement vers les appartements de Christine. Elle devait voir comment allait la jeune fille. Et la convaincre qu'elle n'espionnait pas. Mais parvenue au seuil de la chambre, son souffle se coupa et sa vue se brouilla. Allongée, Christine avait les yeux fermés. Et du sang coulait de ses poignets pour goutter jusqu'au sol.

- A l'aide ! Hurla Eléonore avant de se précipiter vers le corps pour stopper le flux de vie qui s'en échappait, à l'aide ! Elle se meurt !


Les jours suivants furent particulièrement sombres dans la demeure Bauffremont. Eléonore aurait dû quitter les lieux au plus vite mais elle tenait à tout prix à avoir quelque chose à dire à Léopold. Elle ne pouvait s'avouer vaincue. Elle passa parfois au chevet de la jeune Christine qui se rétablissait d'heure en heure et tenta de la faire sourire, elle et son frère même si d'après ce qu'elle avait compris, elle était loin d'avoir le talent de conteuse de la jeune fille. Un soir, alors que le château s'endormait, elle résolut d'agir : vêtue d'une robe noire, elle se coula dans les couloirs de la forteresse et alla forcer la porter du bureau du père. Peut-être y conservait-il des lettres qui lui indiqueraient de quel côté il se trouvait ? Elle se mit à fouiller les lieux avec acharnement, en tentant de faire le moins de bruit possible, seulement éclairée d'une bougie. Mais l'impression d'être fixée lui glaça le dos et elle releva la tête avec rapidité. C'était un jeune domestique qui portait une lanterne à bout de bras et semblait paralysé par la stupéfaction. Se voyant découvert, il se racla la gorge et dit d'une voix faible :

- Que faites-vous ici, madame ? Dans les appartements privés du maître ? Je suis obligé de vous demander de sortir et d'aller avertir le maître...
- Je sors, je sors..., affirma Eléonore d'une voix mesurée alors que son esprit cherchait désespérément une solution.

Celle-ci lui vint quand elle distingua, malgré le noir, un chandelier inutilisé. Elle s'en saisit et d'un geste formidable, elle se retourna et frappa le domestique à la tempe. Il s'écroula inanimé, le crâne à moitié défoncé. Eléonore, encore sous le choc de la frayeur, haletait. Mais de nouveau, l'instinct la fit regarder vers la porte, assez pour voir une petite silhouette maigrichonne et blanche disparaître. Christine ! Elle voulut se précipiter à sa suite mais son hésitation lui fut fatale, la jeune fille avait disparu. Malgré son souffle court, Eléonore s'affola : après avoir glissé une lettre du sceau de Léopold Ier dans la poche du jeune domestique, elle le fit passer par la fenêtre et le cadavre s'écroula au bas du château. Après une telle chute, on ne remarquerait pas l’état de son crâne. Elle essuya le chandelier et s'empressa de prendre la fuite. Sans doute croirait-on qu'il s'était suicidé, pris de remords de trahir la confiance de son maître.

Au moment de regagner sa chambre, elle fut prise d'une brusque panique. Restait Christine. Il était impossible de l'atteindre. L'étage se réveillait déjà. Eléonore se dépêcha de rentrer dans sa chambre et résolut de persuader la jeune fille qu'elle avait rêvé. Hum... Des hallucinations ? Voilà, personne ne la croirait. On connaissait sa propension à inventer des histoires. Ce n'était pas un vrai danger.
Néanmoins, il ne fallait pas traîner ici.

Cour de l’Électeur de Saxe, Dresde, Électorat de Saxe, année 1664
En se levant ce matin-là, Eléonore était d'excellente humeur. Elle avait revêtu l'une de ses plus belles robes qui mettait en valeur sa taille encore fine malgré son âge et sa grossesse et descendait les marches du château ducal en sautillant presque. Elle aurait presque pu chantonner si elle avait connu un air approprié. Mais à vrai dire, à part les chants liturgiques et ceux des soudards suédois, elle n'en savait aucun. L'affaire lui semblait dans la poche et elle venait même de recevoir une lettre d'un Jan qui se félicitait de ses progrès. Avoir un allié en Saxe était une incontestable réussite. Et à vrai dire, il y avait pire mariage, elle pouvait en témoigner. L'héritier de l'électorat n'avait pas une excellente réputation concernant les femmes mais il se comportait galamment avec sa promise, la timide Aleksandra Wiesiolowska et lui montrerait du respect. C'était tout ce qui comptait. Derek de Saxe saurait se souvenir sans doute que son épouse était la cousine de Jan Sobieski au moment où le roi Jean II s'éteindrait. Et qu'avoir un cousin sur le trône de Pologne était un atout. Après avoir passé des mois sur les routes à nouer et dénouer des fiançailles dans les cours allemandes, Eléonore était ravie d'arriver à son objectif. Mais l'atmosphère qu'elle trouva dans le petit salon de réception était loin d'être celle qu'elle imaginait. La maîtresse des lieux, Madeleine de Hohenzollern, l'un des soutiens d'Eléonore dans son projet de marier Derek, fulminait tandis que sa jeune cousine Aleksandra, assise dans un fauteuil, sanglotait.

- Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle d'un ton méfiant en s'approchant pour essayer de calmer sa cousine.

Il n'était pas question que cette sotte fasse tout rater avec son émotivité. Comment pouvait-elle déjà se comporter de manière aussi indécente en compagnie de Madeleine de Hohenzollern, l'une des grandes dames de l'Empire ? Elle s'attendait d'ailleurs à ce que ce soit cette dernière qui réponde à sa question mais Aleksandra leva son visage rond et repoussa des mèches blondes qui s'étaient échappées de son chignon pour balbutier :

- Il... Il est parti... !
- Il est parti ? Répéta Eléonore d'un ton incrédule, mais de qui parlez-vous, ma chère cousine ?
- Et bien... De... De... Monsieur le prince...

L'abominable vérité commençait toutefois à se faire jour dans son esprit. Derek de Saxe avait-il finalement l'intention de renoncer au mariage alors que tout semblait sur le point de réussir ? Voulait-il donc ruiner tous ses efforts ? Pensait-il qu'il était amusant de passer des mois à louer les charmes d'une femme qu'elle n'avait jamais vu ? Elle avait dû commander le portrait d'Aleksandra pour le lui montrer, passer des semaines à vanter son parti à Madeleine de Hohenzollern qui avait déjà pris contact avec l'Angleterre et à Jean-Georges II de Saxe pour lequel elle avait même dû s'intéresser à l'art dans l'espoir de se le concilier ! Elle avait joué le rôle de l'entremetteuse jusqu'au bout en faisant venir la demoiselle Wiesiolowska jusqu'à Dresde pour des présentations officielles, donnant des raisons d'espérer à toute la famille Sobiescy. Ce matin encore, elle avait reçu cette lettre de Jan ! A ses côtés, la jeune fille s'était calmée et avait séché ses larmes comme si elle pensait que son aînée allait tout arranger d'un coup de baguette magique. Mais Eléonore devait bien reconnaître qu'elle était impuissante. Aucun contrat n'avait été signé, aucun engagement clair n'avait été pris, sur quelles bases pourrait-elle attaquer ? La galanterie de Derek – car ce vil personnage savait se montrer charmant, tant et si bien qu'elle-même avait été trompée, les attentions qu'il paraissait montrer à une Aleksandra rougissante ? Allons, rien de cela n'était assez solide.

- Vous me voyez navrée, mesdames, dit enfin Madeleine de Hohenzollern, le comportement de mon fils est inexcusable.

Malgré la colère qui pointait dans la voix de la princesse de Saxe, c'était un ton définitif, de celle qui a renoncé à se battre. Celui de l'échec. Sans doute avait-elle déjà une autre alliance en vue pour son fils. Peut-être même y avait-il déjà engagement avec une fille anglaise si bien que la fuite de Derek l'arrangeait bien. En un instant, Eléonore détesta cette femme, son fils et toute cette cour de Saxe. Tous s'étaient joués d'elle, elle ne pouvait le supporter ! Il lui faudrait annoncer son échec au reste de sa famille, à Jan, les décevoir, pire encore, renvoyer une fille déshonorée par la rebuffade d'un prince chez ses parents. Elle força sa cousine à se relever.

- Permettez que nous nous retirions, madame, glissa-t-elle en faisant la révérence.

Madeleine allait accepter quand un valet s'approcha et tendit un plateau surmonté d'un billet à la jeune femme :

- Madame Sobieska, le jeune maître a laissé cette missive pour vous avant de quitter le château.

Sans jeter de regard aux autres femmes, Eléonore se saisit du billet et arracha quasiment le sceau pour se plonger dans une lecture avide. Donnait-il des raisons ? Elle parcourut rapidement les quelques lignes et ses joues prirent une teinte rouge de honte et de colère. Une phrase en particulier retint son attention et faillit la faire s'étrangler d'indignation : « Puisqu'il me fallait découvrir les grâces féminines des Polonaises, j'aurais préféré que ce fut avec vous, chère Eléonore, il se dit que vous avez un charme dévastateur ». Le reste de la lettre était de cette teneur. Il avait souligné plusieurs fois le terme « dévastateur » et elle se demanda avec inquiétude si son surnom de veuve sanglante avait traversé les frontières de la Pologne.

- Que dit-il ? Demanda Aleksandra avec espoir.
- Rien de nouveau, grogna Eléonora, furieuse, en déchirant le billet.
Elle se promit que Derek de Saxe payerait un jour cette humiliation.

Château de Copenhague, Royaume de Danemark-Norvège, année 1665
- Regardez-moi ! Tonna le petit homme à la mâchoire carrée qui dominait Eléonore à genoux devant lui, baissant la tête dans une attitude de pénitente.

Frédéric III était pourtant réputé pour sa réserve et son incapacité à se mettre en colère. Mais en cette situation, le roi avait perdu toute son austérité et s'emportait contre elle, tout en faisant les cent pas, ses talons qu'il portait hauts, sans doute dans l'idée de paraître plus grand, claquant sur le sol à chaque nouvelle enjambée. Il n'appréciait visiblement pas le fait que la jeune femme se soit jetée à ses pieds dès qu'on l'avait laissée entrer dans la pièce pour le supplier de lui laisser la vie sauve. Elle s'en voulait terriblement non d'avoir trempé dans cette conspiration mais bien de ne pas avoir fui assez vite quand elle avait su qu'elle s'était ébruitée. A cause de son manque de réactivité, les agents de Frédéric III n'avaient eu qu'à la cueillir dans ses appartements, elle et son fils pour la traîner jusqu'ici, sous le regard d'un souverain qui n'était pas non plus connu pour sa clémence. Pourrait-il laisser un tel crime de lèse-majesté impuni ? Elle releva la tête et reprit un peu confiance. Ils étaient seuls à part deux gardes et la gouvernante qui essayait de calmer les tremblements de Marek qui avait à peine douze ans et qui ne comprenait pas ce qui se passait. Si Frédéric escomptait faire d'elle un exemple, il aurait choisi de lui faire cette scène en public, n'est-ce pas ? Loin de ces réflexions, le roi demanda que le jeune garçon et sa gouvernante se retirent. Il attendit que cela fut fait pour se retourner vers la jeune femme et pour stopper sa marche :

- Et bien, madame, votre situation me paraît particulièrement délicate. J'avoue que j'aurais aimé ne pas faire de votre fils un orphelin de mère...

La tête haute, Eléonore se releva et répondit avec précipitation :

- Votre Majesté, je peux vous dire tout ce que je sais. Des gens de votre cour et certains même haut placés ont voulu la mort de la reine, je peux vous dire leurs noms et... N'est-ce pas indispensable pour un souverain de savoir sur qui il peut compter ?

Frédéric eut un geste de la main comme pour chasser un inopportun.

- Je sais déjà tout cela, on a déjà parlé. Vous allez sans doute encore me dire que vous pensiez me rendre un service inestimable en assassinant la reine Sophie-Amélie sous le prétexte qu'elle ne m'a pas encore donné d'héritier ? Laissez-moi deviner... Si vous trempiez dans ce complot, c'est que vous désiriez avoir une reine de Danemark tout acquise à la cause polonaise... Non, ne protestez pas, l'arrêta-t-il en voyant qu'elle s'apprêtait à se défendre, je connais toutes les personnes impliquées et pourquoi. Il est fort dommage que vous soyez la seule qui n'ait pas un rang lui permettant d'échapper à la justice et que nous ayons besoin d'un bouc émissaire dans cette malheureuse histoire. Vous n'êtes qu'une fille illégitime après tout. Bien sûr cela risque de mécontenter le grand Hetman Jan Sobieski qui cherchera à intercéder en votre faveur mais la justice pourrait se montrer rapide et vous trancher la tête avant même qu'il ne soit au courant...

Stupéfaite devant ces menaces bien réelles de la faire mourir, Eléonore ne répondit rien. Elle avait perdu son dernier atout. Le roi Frédéric était loin d'être l'idiot que l'on imaginait, il la tenait.

- Et ne me racontez pas que votre roi Jean II voudra vous défendre ! Nous vous connaissons, madame Sobieska. A vrai dire, nous vous connaissons très bien.

L’œil de la jeune femme se mit à briller. Que savait-il exactement ? Était-il au courant de sa réputation en Pologne, des intrigues qu'elle inspirait ou dans lesquelles elle plongeait dans toutes les cours d'Europe, de sa facilité à mentir et à duper ?

- Vous n'avez pas volé votre surnom de « renarde ». C'est pourquoi je vous propose un petit marché. Acceptez-vous ?
- Ai-je seulement le choix ?

Frédéric laissa échapper un petit rire tout à fait incongru en ce contexte :

- Oui bien sûr. Notre bourreau serait ravi de mettre en service sa lame qui se rouille. Ou si vraiment vous avez des circonstances atténuantes, les Carmélites pourraient accueillir une nouvelle pénitente. On a toujours le choix. Mais si vous acceptez ma proposition, vous pourrez quitter cette cour saine et sauve et tout ce qui s'est dit ici restera entre nous. Bien sûr, il faudra me laisser votre fils, il est grand temps qu'il apprenne les armes à son âge, nous serions ravi de le former, je le parrainerai moi -même.
- Vous voulez garder mon fils en otage ? S'exclama Eléonore en ayant un mouvement de répulsion.
- Allons, le mot est fort. Il ne lui arrivera rien et vous le récupérerez en un seul morceau si vous remplissez votre part de notre petit contrat.
- Et quel est donc ce contrat ?
- Quelle impatience ! Je vais tout vous dire... Savez-vous que mon père, le bon roi Christian IV, a eu plusieurs fils illégitimes ?

Eléonore hocha la tête sans comprendre où il venait en venir.

- L'un d'eux, le fils de cette putain de Vibeke Kruse et baron de Sola, Ulrich, a toujours lorgné sur mon trône.

- Ne se raconte-t-il pas qu'il est mort ? Avança la jeune femme d'un ton prudent.
- Oui c'est ce qu'il se raconte. Je n'en crois rien et j'ai mes raisons. Or, il se trouve que sa prétendue veuve voyage au moment où nous parlons pour la cour de Versailles. Simple coïncidence ? Je ne crois pas aux coïncidences. Voyez-vous, madame, ce sera à vous de vous assurer qu'Ulrich de Sola est bien mort. Et si ce n'est pas le cas, de faire en sorte qu'il ne vienne plus jamais hanter mes cauchemars.
- Je ne peux tuer un homme !
- Ce ne serait pourtant pas le premier. Et bien, acceptez-vous ? Le bourreau attend toujours.

Eléonore hocha la tête. Quoi qu'en dise Frédéric, le choix était simple. Mais elle ne put s'empêcher de se demander dans quoi elle venait de s'embarquer.

Lettre de Marysienka Sobieska à sa belle-sœur Eleonora Sobieska datant de 1666

Ma tendre sœur,

Mon époux et moi venons d'apprendre votre départ pour le royaume de France et nous ne pouvons que vous encourager à vous y rendre. Je n'ai que peu de souvenirs de ma toute petite enfance mais je me rappelle de la splendeur de cette cour, ma foi bien unique dans toute l'Europe. Jan lui aussi est ravi de vous voir à Versailles et espère que vous pourrez rentrer en contact avec des amis de la famille. En parlant de cela, nous avons envoyé une lettre à un proche de Sa Majesté Louis XIV, un certain Aymeric de Froulay, comte de son état et lieutenant général des armées. C'est l'ambassadeur français venu à la cour de Pologne l'année dernière. Il nous avait fait l'insigne honneur d'être présent à notre mariage et lui avait donné un peu de gaieté alors que nos cœurs étaient tristes de ne pas vous avoir auprès de nous. C'est un gentilhomme absolument charmant, je suis sûre qu'il sera un bon guide dans les méandres de la cour française et qu'il vous aidera à faire votre place, ne serait-ce qu'en vous faisant octroyer une charge auprès de la reine Marie-Thérèse. Je vous fais confiance pour vous montrer sous votre meilleur jour avec lui, c'est un ami que l'on ne peut se permettre de perdre et l'un de mes meilleurs correspondants. Je vous sais trop occupée pour m'écrire, indigne amie que vous êtes, j'aurais donc toujours de vos nouvelles par son biais ! Nous avons aussi appris que vous aviez trouvé des affinités avec madame la baronne de Sola. Elle a grande réputation d'épistolière même en Pologne, je ne peux qu'encourager cette amitié. Il serait bon que vous fréquentiez de telles personnes plutôt que des intrigants comme nous en avions eu l'écho lorsque vous étiez à la cour de Bavière ou à celle du Danemark. Je vous imagine en train de soupirer et de hausser les épaules. Mais si j'ose m'adresser à vous ainsi, c'est que je m'inquiète et même si Jan est trop réservé pour m'en dire mot, je le connais assez pour savoir qu'il pense constamment à vous et qu'il me rejoint sur ce point. Vous nous manquez plus que des mots ne sauraient le dire et nous craignons que des personnes malavisées profitent de vous pour vous entraîner dans des affaires louches. Votre vie nous est plus précieuse que la nôtre même ! Tâchez donc de vous en souvenir ! […]

Nous espérons que vous vous portez bien, votre adorable fils et vous. Je vous supplie à genoux de nous écrire au plus vite pour nous donner de vos nouvelles.

Nous vous embrassons bien fort, chère renarde,

Maria Kazimiera Sobieska, votre Marysienka


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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime19.04.12 2:14

Chers admins, ma fiche est cette fois-ci officiellement terminée, le protocole est dûment complété et j'ai même repris mon histoire pour en supprimer les fautes d'orthographe, les incohérences et les lourdeurs Cool
Je suis donc ravie et fière de vous présenter ma petite Eléonore. Et navrée de ce pavé Razz . Bonne lecture et surtout bon courage pour ceux qui se lanceraient dans cette histoire rocambolesque What a Face !
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Amy of Leeds


Amy of Leeds

« s i . v e r s a i l l e s »
Côté Coeur: Mère enfin apaisée et femme comblée mais pour combien de temps encore ?
Côté Lit: Le Soleil s'y couche à ses côtés.
Discours royal:



♠ ADMIRÉE ADMIN ♠
Here comes the Royal Mistress

Âge : A l'aube de sa vingt septième année
Titre : Favorite royale, comtesse of Leeds et duchesse de Guyenne
Missives : 7252
Date d'inscription : 10/09/2006


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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime19.04.12 12:49

TU ES VALIDÉE !
BIENVENUE A VERSAILLES

Bien What a Face Cette fois, je ne ferai donc pas de boulette Razz J'ai bien vérifié tes messages avec Tutur et ton protocole est là. Razz C'est nickel ! PTDR Complète juste, le Si Versailles s'il te plait avec ton discours royal. Smile J'aimais bien quand même ma petite validation personnalisée alors je la copie - colle, j'espère que tu n'y verras pas trop d'inconvénients (a) ! ça commençait donc par : Oh le féminin de Zorro (qui veut dire renard en espagnol) Tu seras donc ma petite Zor(r)a (l'exploratrice PTDR ) I love you Pas besoin de chercher un Disney, tu l'auras déjà Razz Lisa ou comment casser une image trop crédible dès la fiche de présentation ! PTDR Pour parler plus sérieusement, nous manquions de personnes d'Europe de l'Est, que je trouve particulièrement fascinante. What a Face Inutile de te dire que déjà tu marquais un gros point en nous présentant un perso qui sorte de l'ordinaire comme ça. Quant à ta fiche, un petit bijou comme d'habitude, qui rend la lecture si agréable. Sinon c'est très bien que tu te sois liée de base avec plein de persos ici. Ton intégration en sera que plus facile. Smile Je ne vois pas quoi rajouter tant j'aime l'histoire de ta petite polonaise, si ce n'est qu'il y a intérêt à ce que nous ayons minimum un lien ! C'est donc encore une fois un grand OUIIIIIIIIIIII ! Rebienvenue parmi nous, amuse toi bien et n'assassine pas trop quand même hein Razz Enjoy ce QC ! cheers
Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Versai11
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Philippe d'Orléans


Philippe d'Orléans

« s i . v e r s a i l l e s »
Côté Coeur: Il a été brisé, piétiné et maintenant celui qui était à mes côtés est devenu mon ennemi. Quelle cruelle destinée !
Côté Lit: Le lit de mon palais est si confortable et accueillant !
Discours royal:



ADMIN TRAVESTIE
Monsieur fait très Madame

Âge : 27 ans
Titre : Prince de France, Monsieur le frère du Roi, Duc d'Orléans, de Chartres, d'Anjou, seigneur de Montargis
Missives : 10014
Date d'inscription : 03/01/2007


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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime19.04.12 12:59

**
Quelle fiche ! Comme je te l'avais dit, je la dévorais au fur et à mesure, j'adore ! Je n'aimerais pas être à la place d'Eleonore car elle a pas une super vie par contre Razz Mais c'est un personnage tellement romanesque, c'est juste superbe **

Puis Morgan est fan du passage avec les Stuarts, même si c'est quand même super triste Triste Tu m'as arrachée par mal d'émotions, bravo à toi Very Happy

Simple question : combien de page d'histoire ? Razz

En tout cas, rebienvenue encore une fois et amuse toi bien avec ce personnage rocambolesque **
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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime19.04.12 13:10

Helle est fière d'être citée en exemple dans la lettre à la fin PTDR Boudiou, comme l'ont dit les cheffes : quel personnage I love you I love you I love you I love you J'ai hâte qu'on commence à rp, tu peux pas savoir What a Face Et je vais me creuser la tête pour trouver d'autres liens avec Ferdi', Léandre, et Isabeau quand elle sera finie What a Face

Encore une fois, félicitations pour cette magnifique fiche, et re-bienvenue parmi nous ! cheers cheers cheers
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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime19.04.12 19:01

Chris n'est pas validé et Ulrich fait la gueule, alors je viens en Aymeric, même s'il commence à se demander dans quoi on l'a embarqué Razz

Je te l'ai déjà dit mais... han là là, cette fiche ** ** **
Cette Eléonore est juste magnifique I love you

RE-Bienvenue à toi, une fois encore ! Tu ne peux que t'amuser avec ce personnage :3
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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime19.04.12 19:18

Merci beaucoup à vous tous, vous êtes trop adorables **

Lisa : Mais pourquoi Zorra ? Je ne suis pas espagnole que je sache Razz. Merci pour ton "ouiiii" et promis, on va bien se dégotter un lien Twisted Evil

Mister : Merci de ces compliments, ça me fait vraiment plaisir Heuuu . Et je suis contente d'être enfin amie avec Morgan I love you . Pour l'histoire... Hum... ça fait long, je m'en suis rendue compte en descendant la page pour trouver vos messages, je n'arrivais plus à la fin PTDR . Je crois que ça fait bien 32 pages mais sans sauter de lignes.

Cha : Moi aussi, j'ai hâte ** . Et je suis sûre qu'on va se trouver quelque chose avec Ferdi, Léandre et cette chère Mme Semaine (ouais, ça m'éclate Razz ).

Marie : J'ai bien fait de demander ce petit service à Aymeric avant de poster mon histoire, c'est ça PTDR ? Et voyons, Ulul, pas la peine de faire la tête, on va bien s'amuser What a Face . Par contre, je frappe la première d'accord What a Face ?
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MessageSujet: Re: Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde   Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde Icon_minitime

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Eléonore Sobieska # sauvage & dangereuse renarde
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