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 Réminiscence - Bretagne, 1662 [Duchesse de Chevreuse]

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Réminiscence - Bretagne, 1662 [Duchesse de Chevreuse] Empty
MessageSujet: Réminiscence - Bretagne, 1662 [Duchesse de Chevreuse]   Réminiscence - Bretagne, 1662 [Duchesse de Chevreuse] Icon_minitime04.08.11 4:43


[La faiblesse de la force
est de ne croire qu'à la force]

P.Valéry



Allongée sur le lit, elle ne pouvait calmer son corps frémissant toujours de dégoût de cette première nuit avec son nouvel époux. À son grand soulagement, celui-ci avait dû quitter très tôt pour affaires, mais malgré tout, elle pouvait encore sentir la souillure de ses caresses et de sa salive brûlante sur chaque parcelle de sa peau nacrée. Jamais plus elle n'oserait sortir de chez elle! Quel embarras que cette union! Quelle honte! Il ne lui serait jamais venu à l'idée que sa grand-mère et son oncle auraient osé consentir à une union aussi burlesque!

N
on seulement Jean Le Ros était-il hideux, il n'était, qui plus est, qu'un simple noble, de rang bien inférieur à celui des Chevreuse et même des Rohan; sans grande prestance ni renommée! À quoi avaient-ils donc pensé? Quel était le dessein intriguant de cette union aussi improbable qu'inusitée?

Dépitée et dégoutée, elle demanda à ses femmes de chambre qu'on lui prépare de l'eau bien chaude pour s'y baigner et insista pour être récurée sans ménagement, tentant symboliquement de faire disparaître toutes traces de ce qui fut consommé, à son corps défendant toute la nuit durant.

La peau rougie par les frottements excessifs, elle s'installa à son bureau et parcourut son grimoire, tentant de trouver ce dont elle avait besoin, mais en vain. Plume à la main, déterminée à trouver un moyen d'échapper à une autre nuit répugnante et lubrique avec cet être ignoble; elle écrivit donc à l'une des sorcières avec qui elle correspondait régulièrement depuis déjà quelques temps.

Missive envoyée


Quelques jours plus tard, au retour du messager avec la plante tant convoitée, Sieur Le Ros commença à ingurgiter à son insu et quotidiennement en soirée, des décoctions de Ciguë à très faibles doses. Quelques mois plus tard, lorsqu'il se plaignit de la somnolence ressentie à chaque consommation de cette infusion, Marie-Louise changea sa tactique, et mélangea plutôt le jus de Ciguë à son vin. Son mari croyant s’enivrer déraisonnablement, finit, après quelques mois, par diminuer également sa consommation de vin, au grand damne de son épouse. Elle tenta alors de tremper les grains de blé utilisés pour la fabrication de miches dans le mélange de vin et de ciguë et échappa encore quelques mois aux désirs libidineux un peu trop dissipés du noble répugnant, mais elle se doutait bien que cette dernière astuce ne durerait qu'un temps. De plus, il ne se gavait point de pain chaque soir ; il lui fallait vraiment trouver une meilleure astuce!

Plus le temps passait, plus Jean Le Ros se montrait arrogant et insistant, croyant qu'ainsi, Marie-Louise se ferait une raison et abdiquerait. Il ne se doutait guère qu'un tel comportement ne ferait qu'attiser davantage sa colère et son mépris à son égard, mais surtout, qu'il ne le mènerait que plus sûrement vers le trépas. Malheur à ceux qui osent sous-estimer les capacités des femmes de Chevreuse ; il l'aura appris aux dépens de sa propre vie!

Une semaine avant sa mort, en soirée, il avait eu l'audace du condamné : celle de révéler le fond de sa pensée. Croisant sa jeune épouse dans un couloir du château, il l'avait plaquée contre le mur, la maintenant immobile de ses mains gigantesques empoignant ses bras délicats ; pressant son corps tout contre celui de Marie-Louise aussi affolée qu'effarée, lui soufflant, la mâchoire contractée et sur un ton menaçant voire condescendant:


-Ma femme... vous commencez sérieusement à aiguiser ma patience! À quoi bon tenter de vous rebiffer soir après soir puisqu'au final, vous n'aurez d'autre choix que d'obtempérer avec docilité, comme toute bonne épouse respectable?

Il la toisa un instant, scrutant sa réaction puis la plaquant plus fortement contre le mur, il poursuivit d'un ton excédé

-Effacez dès à présent cet air impertinent de votre visage! Remerciez plutôt le ciel d'avoir un époux à ce point compréhensif et montrez-vous une fois pour toute, reconnaissante à mon égard. Depuis déjà trop longtemps je vous laisse l'opportunité de vous adapter à votre nouvelle vie! Sachez donc que de patience je viens à manquer et que s'il le faut, à votre aïeule je toucherai mot, concernant votre esprit rebelle! Nul doute qu'elle trouvera un moyen efficace d'y remédier!

Un rictus machiavélique s'esquissa sur son visage naturellement difforme, ne l'enlaidissant que davantage. Il lui vola un rude baiser en triturant ses joues de sa main puis fit volteface et s'éclipsa sans mot dire, dans ses appartements.

La blonde épouse sentit aussitôt ses jambes se dérober sous elle puis fondit en larmes... celles de la rage. Se recroquevillant sur elle-même pour tenter de contenir les spasmes nerveux qui avaient pris soudainement possession de son corps gracile, c'est à cet instant précis qu'elle comprit que la mort induite serait la seule voie possible à sa liberté recouvrée . Entre Jean Le Ros et elle, il y avait une lutte à finir, combat pour lequel, il n'y avait plus aucune règle ni morale! Ne pouvant lutter physiquement contre ce colosse, elle se promit de l'anéantir par son ingéniosité!

Elle passa les jours suivants à lire et relire son grimoire avec attention, tentant d'élaborer le plan parfait. Aucune place à l'erreur puisqu'il le lui ferait chèrement payer.

À petites doses, la ciguë ne faisait que provoquer une certaine somnolence, à forte dose par contre, elle s'avérait fatale! Il lui fallait néanmoins trouver un poison équivalent à la ciguë pour s'assurer que la toxicité du breuvage mélangé au vin, serait suffisante à le faire mourir en peu de temps. Elle choisit le jus de datura pour en parfaire le poison de sa boisson, accompagnant le tout de teinture de laudanum, confectionnée par un pharmacien de la capitale avec qui elle fraternisait régulièrement. Le laudanum serait parfait pour rendre supportable la vision de cet époux dont la vie s'échapperait inexorablement de ce corps hideux, là, sous ses yeux, neutralisant de manière efficace les convulsions qu'occasionneraient le mélange des poisons.

Plan ingénieusement fignolé, l'impitoyable épouse donna l'ordre aux serviteurs et cuisiniers la veille au soir, de préparer une table digne des plus grands banquets de Bretagne pour le lendemain! Mentionnant au passage de bien veiller à tout déposer sur la table, que nul service ne serait nécessaire et surtout de ne point les importuner au cours du festin. La blonde finaude se chargerait naturellement de l'approvisionnement en vin ! Ses instructions données, elle alla trouver son mari dans ses appartements, celui-ci fort concentré à la lecture d'une missive.

Le regard aguicheur et le pas feutré tel une féline tentant d'amadouer subtilement la proie qu'elle s'apprête à dévorer, elle s'approcha de lui et lui dit d'une voix mielleuse et doucereuse.


-Cher époux... pourrais-je m'entretenir avec vous un moment ...?

À priori plutôt méfiant, il se contenta de la regarder fixement dans les yeux, comme s'il voulait jauger de lui-même de la dangerosité de sa femme. Apparemment rassuré par la vision étonnante et inhabituelle de douceur qui s'offrait à lui, il se détendit aussitôt, laissant choir ladite missive sur le bureau.

-Je vous écoute lui dit-il en soupirant.

Un léger sourire s'esquissa aussitôt sur les lèvres de la jeune femme, qui réussit tant bien que mal à dissimuler sa fierté en se jetant à ses pieds dans un élan profond de repentir habilement simulé. D'un ton implorant, elle entreprit la phase majeure de son plan diabolique.


-Vous savez... j'ai eu tout le loisir cette semaine, de repenser aux récriminations dont vous m'avez si durement affublée, l'autre soir, au couloir de l'étage. J'admets avoir mal réagit suite à notre union forcée et d'autant plus à vos admonestations de ce fameux soir. Celles-ci, je le conçois aujourd'hui, s'avéraient hautement justifiées! Aussi, je vous demande humblement de bien vouloir me pardonner ... et de faire preuve encore une fois, d'indulgence à mon égard. Je suis encore jeune et fougueuse, vous ne le savez que trop bien, mais je compte bien me racheter auprès de vous, pour toutes les peines et frustrations dont j'ai été la cause par mon mauvais comportement à votre égard...

Laissant courir malicieusement ses doigts sur la cuisse de son époux un bref instant, elle conclut enfin

-Si vous vous sentez favorablement disposé bien entendu... dès demain... en soirée ?

Jean Le Ros resta là, interdit, les yeux écarquillés d'étonnement, la bouche béante, déstabilisé par le revirement soudain de sa jeune épouse. Marie-Louise craint un moment qu'il ne se doute de son stratagème, mais bien vite, il sourit largement, écumant presque à l'avance de tous les scénarios grivois qu'il élaborait déjà en son esprit tordu d'époux trop longtemps laissé pour compte. À constater son visage triomphant, Marie-Louise sut immédiatement qu'au contraire, il se félicitait plutôt d'avoir su mettre à sa main la rebelle Chevreuse dont il avait hérité, pour le meilleur et pour le pire!

-Finalement!! Vous retrouvez enfin la raison et délaissez votre mauvaise foi!

Sur un ton se voulant hautain et détaché

-Je pourrais peut-être, en effet, consentir à vous démontrer une fois de plus ma bonté ainsi que ma bonne nature, mais vous devrez néanmoins faire preuve de bonne volonté ! Plus jamais je ne tolèrerai votre esprit rebelle et buté, ni même que vous vous refusiez à moi! Me suis-je bien fait comprendre?

Faussement joyeuse et soulagée, Marie-Louise crut bon de se jeter à son cou pour fin d'ultime crédibilité

-Je vous en serai éternellement reconnaissante! Je veillerai dorénavant et pour toujours, à ce que vous soyez un époux comblé ! Je ferai donc préparer un repas spécialement en l'honneur de notre réconciliation! Rejoignez-moi à l'antichambre de l'étage dès 20 h, je vous y attendrai avec fébrilité!

Peu désireuse de faire perdurer plus longtemps cette comédie et ayant obtenue ce qu'elle désirait, elle se leva d'un bond, baisa le front crasseux de son époux à la vitesse de l'éclair et s'en fut en sautillant, telle une gamine à qui l'on aurait promis une gâterie à venir.

Une fois à l'extérieur de la pièce, elle ne put réprimer davantage ses réels sentiments, arborant une grimace de dégoût, qu'elle dissimula aussitôt en essuyant sans ménagement du revers de sa manche, ses lèvres souillées.



[Le moment de palpitation qui suit un grand plaisir
est encore un moment fort doux]

Diderot


Le mari ayant anticipé toute la journée l'heure du dîner, se présenta comme convenu, à l'heure sonnante. Il tenta quelques rapprochements dont Marie-Louise arriva à se dérober avec aisance, grâce, et douceur; tantôt le présentant comme un coquin avide et gourmand qui serait bientôt rassasié à sa guise ; tantôt gloussant telle une pucelle que l'on courtise pour la toute première fois. Nombre de mascarades auxquelles elle consentait momentanément à s'abaisser pour éviter de contrarier le condamné!

À peine le couple s'était-il attablé que Marie-Louise insista pour trinquer à leur nouvelle complicité. Le pauvre homme agilement dupé, bomba du torse, tout fière qu'il était déjà de cette chimérique victoire, prit sur-le-champ, plusieurs lampées fatales du vin trafiqué.

Plus rapidement qu'elle n'aurait pu souhaiter, il s'écroula au sol, portant à sa gorge qui se resserrait déjà, ses grosses paluches, qu'elle avait tant voulu esquiver ces deux dernières années, témoignant ainsi de la détresse qui s’emparait de tout son être.

Marie-Louise aurait cru que cette vision l'aurait à tout le moins touchée ou secouée, mais bien au contraire, elle sentit plutôt l'irrésistible désir d'occuper une place de choix au spectacle délictueux dont elle était créatrice ; le cœur palpitant, comme grisée par ce sentiment de toute-puissance qu'il lui procurait. Ainsi donc, la vie pouvait nous glisser des mains si aisément?

S'approchant froidement de son époux, jusqu'à se retrouver juste au-dessus de ce corps de plus en plus paralysé par le poison, elle le toisa de haut avec arrogance, comme il avait toujours fait avec elle. Jean Le Ros sembla tout à coup réaliser ce qui lui arrivait. La peur transformait peu à peu son visage et son regard... émanait de lui soudainement une certaine beauté trouvait-elle ; une humilité qu'elle ne lui connaissait guère et qui lui semblait presque attendrissante à cet instant précis! Le pauvre arrivait à peine à balbutier des mots étouffés complètement inaudibles! Elle s'accroupit à ses côtés, non point pour tendre l'oreille mais plutôt pour lui souffler, d'un calme toujours aussi stoïque empreint de mépris


-Avez-vous réellement cru, ne serait-ce qu'un seul instant, être arrivé à vos fins me concernant?

Ne s'attendant point à une réponse de la part de son époux agonisant, elle se releva tout aussi paisiblement, retournant s'asseoir à la table déterminée à achever son vin et profiter de quelques frugalités avant de héler son supposé désarroi à toute la maisonnée... Un râle final se fit entendre dès la première gorgée déglutie. Fin sourire aux lèvres, Marie-Louise murmura pour elle-même: À quoi bon se hâter à présent puisqu'il a déjà trépassé?!


[Voilà ^^ Vous avez maintenant une idée de ce que la Duchesse a dans le ventre en ce qui a trait à son penchant marqué pour les poisons et la sauvegarde de sa dignité!!]
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