« Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. »
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Sujet: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. » 28.02.11 19:26
À Isabelle.
La lune m’aveuglait ce soir. Voyez-vous, nous étions dans l’une des ces périodes où je ne supportais plus sa lumière impétueuse parce que j’étais las, fatigué de ces innombrables sorties à répétition qui ne semblaient plus prendre fin. Et ce soir, comme tous les autres d’ailleurs, je n’étais pas sensé rentrer si tôt chez mon amante. Mais j’étais pressé de retrouver ses draps, et si on allait aussi par le fait, j’avais toute hâte de retrouver ses bras. Isabelle était l’une de ces femmes qui savaient ce qui faisait plaisir aux hommes et elle ne manquait jamais de me l’offrir. C’était pour cette raison que j’aimais bien lui revenir le soir alors que mon entourage devenait ma seule solitude et que j’avais besoin d’un peu d’action. Entre Isabelle et moi, rien de plus simple, nous étions totalement indépendants l’un de l’autre et je savais que cette relation était tout bénéfices parce que nous n’étions nullement engagés mutuellement. Et fort heureusement, car un quelconque mariage ou quelconque engagement ne causerait que mon désespoir, comme un oiseau qui se voyait retirer ses ailes, perdant ainsi toute grâce et toute élégance. Je ne me sentais vivre que par l’impression que je rendais de ne pas avoir de contraintes, de n’obéir à rien ni personne d’autre au final que le Roi de France, et encore fallait-il qu’il soit au courant de mon existence.
Pourtant j’avais eu une place à la cour, jadis dorée, qui s’était perdue au fil des ans. Que je veuille bien me l’avouer ou non, il y avait cette part de moi qui me faisait réaliser que Monsieur me manquait. J’étais sans doute trop hautain et trop fier pour le crier sous tous les toits, mais Dieu savait à quel point j’accueillerais chaleureusement le jeune homme s’il venait à me rendre visite, tout comme il l’avait fait quelques jours plus tôt à ma charmante sœur Marie-Anne. Je chassais ces pensées de moi tandis que je me dirigeais en direction du Trianon, les appartements de la belle brune aux yeux bleus. Je marchais d’un pas lent, mesuré, mais qui ne cachait tout de même pas mon impatience de caresser sa peau. Au fur et à mesure que mes jambes franchissant un nouveau mètre, puis un autre et encore un autre, je sentais le désir monter en moi, rien que d’imaginer quelle nuit d’amour nous puissions avoir tous les deux. C’est le cœur au bout des lèvres que j’enfonçais la clé qu’elle m’avait laissée provisoirement dans la serrure, palpitant.
Mais rien. Absolument rien, le vide total. C’était relativement étrange qu’elle m’avait pourtant assuré qu’elle serait là.. Mais il fallait aussi avouer que j’étais rentré un peu plus tôt que je ne l’aurais dû, voyant ma soirée écourtée par une lassitude latente qui ne ferait qu’augmenter ma colère parce qu’on l’avait malencontreusement cumulée à une absence qui ne me plaisait pas beaucoup. Alors je l’attendrais, c’était décidé, de toute manière elle me devait bien quelques explications, c’était la moindre des choses n’est-ce pas ? M’asseyant sur un fauteuil, me mettant à l’aise, j’attrapais du bout du bras un livre qui traînait par là. Andromaque, de Racine. Ainsi donc mon amante se complaisait dans la lecture de vers issus des plus grands poètes grecs. J’avais déjà lu cette pièce, mais j’étais loin de me douter qu’Isabelle l’appréciait. Peut-être ne m’étais-je encore pas assez intéressé à elle, et peut-être le devais-je, finalement. Je connaissais bien plus son parfum que sa culture générale, or c’était une qualité que j’aimais retrouver chez les femmes. Certains hommes les préféraient ignorantes, cupide et candide, mais ce n’était pas mon cas, loin s’en fallait. On m’avait toujours dis de me méfier des femmes intelligentes mais je n’avais qu’à regarder mes sœurs pour me conforter dans l’idée qu’elles étaient d’une compagnie tout à fait charmante. Combien aimais-je converser avec ma plus jeune sœur, Marie-Anne, et combien aussi aimais-je ces instants de tendresse que nous partagions quelques fois.
À travers la fenêtre découverte, j’apercevais la lune. La faible lumière me fit rebaisser le nez sur le livre que je tenais entre les mains, l’ouvrant au hasard.
« Je meurs si je vous perds, Mais je meurs si j’attends. »
J’émettais un soupir. Tous ces vers d’amour et de niaiseries avaient le don de m’agacer, cela ne me ressemblait pas le moins du monde. Mais je compatissais à un point inimaginable avec ce que je lisais, je meurs si j’attends. Je levais les yeux au ciel, où était-elle ? Si c’était une mauvaise blague, si elle voulait se faire désirer, je ne trouvais pas cela drôle du tout et c’était une technique que je n’approuvais pas. Les heures défilaient, et je n’eus pas le temps de les compter - ou plutôt j’avais tellement le temps de les compter que cela m’ennuyait de patienter aussi pour que l’horloge tourne et le temps passe - quand des pas résonnèrent derrière la porte. La bougie que j’avais allumée s’était à moitié éteinte et la pièce était plongée dans l’obscurité, mais ce n’était pas cela qui fit reculer la belle qui avait l’habitude de fréquenter ces lieux. Toujours dans le noir, seule ma voix finit par résonner, claire et blanche.
JULIEN : Heure relativement tardive pour rentrer, n’est-il pas ?
Avais-je placardé durement. Et encore, je n’avais pas vu le pire…
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Sujet: Re: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. » 01.03.11 22:14
♪♫ Song ♫♪
Je ne sais quelle hasard avait mit autant d’embuches sur ma route que de moyens de m’en sortir, mais il est certains que jamais, je n’avais laissé une occasion me passer sous le nez. Ce soir en faisait largement partie. Habillée d’un pourpoint carmin rebrodé d’or, un haut de chausse assorti et des cuissardes noires, une chemise blanche complétant le tout, je regardais mes cartes, avec flegme et lassitude. Main perdante, je le savais d’avances. Ces années à jouer faisaient qu’au final, on savait, dès notre main distribuée, s’il valait la peine de continuer ou non. Alors, vaincue, je jetais mes cartes, portant mon verre à mes lèvres, et laissant couler dans ma gorge une fine rasade de ce délicieux vin blanc que notre hôte du soir avait mit à notre disposition. Grand cru, mais impossible de déterminer sa provenance. Seul l’organisateur la connaissait. Chacun ses petits secrets. En soupirant, je me laissais retomber contre le dossier de ma chaise, un bras par-dessus, mon verre toujours dans l’autre main, suivant du regard les allées et venues des cartes sur le tapis, comme si elles avaient été habités de vie elles mêmes. Le jeu est une religion comme une autre, après tout.
-Vous ne jouez pas, chevalier ? demanda ma voisine de gauche, bouche en cœur, battant des cils.
Je lui souris, amusée de voir que malgré le temps, l’illusion du jeune homme fonctionnait toujours, aidée par le peu d’éclairage de la pièce.
-Hélas, madame, il semble que je ne sois pas en veine ce soir…
-Oh… mais malheureux aux jeux ne signifie-t-il pas être heureux en amour ? répliqua-t-elle, me faisant un charmant sourire.
Je ne daignais pas répondre, me contentant de replonger mon regard dans la partie avec une nouvelle gorgée de ce nectar. Heureuse en amour ? On pouvait dire que je l’étais, s’il fallait appeler ça de l’amour. C’était plutôt un arrangement tacite, officieux, mais que tous connaissaient. Isabelle était la maitresse de Philippe Julien Mancini. Mais une maitresse bien peu contraignante. Quand certaines faisaient des crises de jalousies à leur amant, je me contentais de hausser les épaules en le voyant avec une autre. Non pas par indifférence, mais par peur de trop m’attacher à lui et, à nouveau, de me sentir briser. A quoi bon s’enchainer pour mieux s’entre déchirer ? L’indépendance que nous nous octroyions l’un l’autre nous convenait parfaitement. Tant qu’il payait mes dépenses – qui n’étaient pas si énorme que ça par rapport à d’autres femmes, n’ayant jamais aimé les bijoux trop voyants et préférant les vêtements à la mode certes, mais guère trop ostentatoires – je ne changeai pas d’amant, et lui réservait une exclusivité dont il profitait pleinement, et cela me satisfaisait autant que lui.
Pourtant, certains soir, quand ses « obligations » auxquelles, heureusement, ma présence n’était pas nécessaire, je ne rechignai que rarement devant ma liberté retrouvée. Au début, je n’avais pas osé reprendre ma vie de joueuse invétérée, mais peu à peu, j’avais franchi le pas. Une heure ou deux, un soir où il n’était pas là, à quelques semaines de décalage, pour finalement y rester plus longtemps, et de manière plus régulière, jusqu’à enfin y passer la nuit dès que mon doux amant avait le dos tourné. Bien sur, malgré son charisme et sa beauté, et aussi le fait qu’il soit un merveilleux amant, je ne pouvais pas m’ouvrir à lui. Nous avions si peu en commun, du moins était-ce l’impression qu’il me faisait encore et toujours, malgré plusieurs mois à partager la même couche. Il se passait rarement plus de trois jours sans que nous nous retrouvions pour des ébats passionnés qui nous faisaient souvent voir l’aube, et qui n’étaient pas pour me déplaire, mais cela allait-il vraiment plus loin ? Non… ou alors aucun de nous ne prenait vraiment le temps de découvrir l’autre, n’en avait pas envie. Il viendrait donc un moment où nous nous lasserions l’un de l’autre, et ce moment venu, il me faudrait être prête à toute éventualité. Alors non, je ne me déferai pas de ce monde illégal mais qui m’avait permis de m’en sortir.
Nouvelle donne, toute aussi désastreuse. Lassée, je jetais une nouvelle fois ma main sur la table.
-Il semble vraiment que Dame la Chance m’ait abandonné ce soir… je passe ! décidai-je, à l’intention du croupier qui, indifférent, me répondit par un simple signe de tête, neutre.
Avalant d’une traite la fin de mon verre, et sous le regard déçu de ma voisine, que je gratifiais d’un baise main alors qu’elle faisait la moue, pensant sans doute me faire rester, je quittais la salle de jeu d’un pas rapide, un sourire sibyllin aux lèvres, en me disant que si elle avait espéré me mettre dans son lit, elle aurait certainement été bien plus déçue à l’arrivée qu’elle l’était à cet instant. Alors que j’apparaissais dans le hall, un laquais se précipita pour me présenter ma cape, mes gants et mon feutre, avant de sortir m’arrêter un fiacre. Sans un mot, je sortis de l’imposante demeure pour le moins fréquentée ce soir, malgré son apparente simplicité, avant de m’engouffrer dans le fiacre et de lui donner la direction de Trianon. J’allais retrouver bien plus tôt que prévu mes draps froids et désespérément vides. Le temps était plutôt humide, et les bras de Julien n’auraient pas été de trop pour me réchauffer, ma mélancolie habituelle ajoutant encore à cette sensation. Versailles était un marais, même en plein été, la moiteur y était insupportable. Mais mon amant était à Paris… ou ailleurs en fait. Jamais je ne lui demandais des comptes, comme il ne m’en demandait jamais. Il devait être entre trois et quatre heure du matin, pourtant, ce fut sans la moindre difficulté que le fiacre entra dans la petite cours, et que je me dirigeai d’un pas léger mais rapide, vers mes appartements, bien décidée à me coucher au plus vite. Les escaliers gravis et le deuxième couloir traversé, je passais la clef dans la serrure, et la fit tourner avant de pénétrer chez moi, certaine que personne ne m’avait vue. Refermant soigneusement le verrou dans mon dos, et avec un soupir las et en même temps satisfait, je lançais feutre, cape, gants, épée et pourpoint sur le fauteuil le plus proche, avant de me diriger vers le manteau de la cheminé où je savais pouvoir trouver un briquet et une chandelle, pour m’éclairer un tant soi peu dans cet appartement.
-Heure relativement tardive pour rentrer, n’est-il pas ? m’interpella une voix masculine que je ne connaissais que trop bien alors que je venais d’allumer la bougie.
Je sursautai, manquant de faire tomber le bâton de cire sur le tapis, avant de me retourner vivement. Julien ? Posant une main sur mon cœur, je repris rapidement ma respiration, et contenance par la même occasion. Ne jamais se laisser aller était bien ma première ligne de conduite.
-Julien ? Auriez-vous pour intention de me faire mourir de frayeur ?
D’un mouvement leste, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, j’allumais un chandelier à cinq bougies, en plus de celle que je tenais à la main, tout en réfléchissant à toute vitesse. Que faisait-il ici ? Et comment était-il entré ? Me revint en mémoire cette clef que je lui avais donnée il y a quelques temps, par commodité, oubliant de la récupérer. Quelle bêtise ! Quelle idiote j’avais été !
-Que faites-vous ici ? enchainai-je, faussement imperturbable, une fois que la lumière fut plus importante dans la pièce, n’étiez vous pas sensé être de sorti cette nuit ?
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Sujet: Re: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. » 05.03.11 15:19
L’on m’avait toujours enseigné que l’accumulation des connaissances n’est pas la connaissance elle-même. Et sans doute ce professeur avait-il eu raison, car je connaissais des tas de personnes à la Cour comme dans le monde entier, mais jamais je ne prenais assez de temps pour m’intéresser plus en profondeur à l’une d’entre elles. Et pourtant Dieu savait à quel point certaines l’auraient mérité. Isabelle de Saint-Amand partageait ma couche - et je partageais la sienne - depuis quelques temps déjà, et pourtant je réalisais que je ne la connaissais pas, mentalement parlant. Car les courbes avantageuses de son corps sibyllin n’avaient plus de secrets pour moi, j’en chérissais assez la chair pour en connaître le délicat parfum. Louer ses formes était un peu comme assister au carnaval de Venise, dans le fond : tous les sens se mélangeaient en une explosion de saveurs, mais les masques que revêtaient les forains ne nous permettaient pas de les connaître, de les reconnaître. Je considérais cette relation que j’entretenais avec la belle brune aux yeux bleus comme ce carnaval auquel j’aimais assister : nous faisions « la fête » ensemble, mais au final nous ne savions pas grand-chose l’un de l’autre. Cela ne m’empêchait nullement de l’apprécier à sa juste valeur, et d’être fou d’elle tandis que je réalisais dans le fond que nous ne nous appartenions pas. Oui, Isabelle, je t’aime par périodes, je t’apprécie souvent et j’aime ta présence à mes côtés les soirs où le vent frais frappe contre la fenêtre de mes appartements. Mais mon cœur était encore loin, encore tourné vers le passé, et je m’appliquais à la tâche pour oublier que ce sentiment pouvait être bien plus destructeur que tout le monde le prétendait. Qui de nos jours pouvait prétendre qu’un mariage puisse être bienheureux et fidèle ? Je ne croyais pas une seule seconde que ces femmes puissent croire à l’exclusivité de leurs maris, parce que dans la noblesse, la vie était tellement profitable que dans tous les domaines on se livrait de belles joutes physiques. Comme d’accoutumée, je ne dérogeais pas à la règle, mais j’avais cet avantage de n’être engagé auprès de personne ; et libre comme l’air je demeurerais, pour l’instant. Pourquoi donc cette idée d’engagement me rebutait-elle tant ? Peut-être parce que j’avais trouvé suffisance dans ces relations que j’entretenais avec les femmes, allez savoir. Et peut-être aussi parce que je voyais le mariage comme un pacte scellant officiellement une union et que cela m’effrayait. Je me pensais - de toute manière - incapable d’offrir l’exclusivité à une seule personne, parce que mon caractère volage de bonne humeur italienne m’empêchait de ne pas apprécier toutes ces belles demoiselles que j’avais l’occasion de côtoyer chaque jour.
De toute évidence, Isabelle ne s’était pas attendue à me voir chez elle de si bonne heure. Et elle n’avait pas tort, j’avais écourté ma soirée dans l’espoir de passer quelques heures de plus avec elle, mais tout ce que j’avais obtenu de sa part ce soir était des appartements vides. Le néant total, si je puis dire. Lorsque j’entendis ses clefs pénétrer le trousseau et ouvrir la porte, je n’avais pas bougé d’un poil. C’est aussi pour cette raison que ma voix la fit sursauter, transperçant l’obscurité comme venue de nulle part. Elle venait d’allumer une bougie et je la vis clairement tressaillir, si bien qu’elle faillit en lâcher le petit bâtonnet blanc qu’elle tenait. Elle posa sa main sur son cœur et prit de suite la parole.
ISABELLE : Julien ? Auriez-vous pour intention de me faire mourir de frayeur ? JULIEN : Nullement, bien que vous auriez pu me faire mourir d’impatience, ce soir. Je vous attends depuis plusieurs heures déjà.
Mon ton contenait un certain reproche, mais pour l’instant je conservais encore mon sang froid, bien que j’étais bien décidé à lui faire comprendre que je n’appréciais pas du tout le fait qu’elle m’aie fait poireauter aussi longtemps. C’était certes un peu machiste de ma part de vouloir qu’elle soit ainsi à disposition quand j’en avais envie, parce qu’elle avait une vie en-dehors, mais je compris ma colère mêlée à mon incompréhension lorsqu’elle alluma un chandelier à cinq bougies. Elle revêtait des vêtements… d’homme ? J’écarquillais les yeux, étonné. Elle s’en voudrait sans doute de m’avoir prêté les clefs de ses appartements au Trianon, mais la situation aurait sans doute été bien pire si elle ne l’avait pas fait, et que j’aurais dû attendre comme un chien, devant la porte. Ah non, laissez-moi réfléchir, même les chiens étaient mieux traités, et même eux recevaient de l’affection. S’il y avait bien une chose qui m’insupportait, c’était d’attendre. J’étais arrivé le désir au bout des lèvres, brûlant d’envie, mais son absence m’avait fait l’effet d’un bain glacé.
ISABELLE : Que faites-vous ici ? N’étiez-vous pas sensé être de sortie cette nuit ? JULIEN : Vous n’êtes pas en mesure de poser ces questions.
J’étais implacable, et la tension commençait à monter. Osait-elle vraiment demander ce que je faisais ici ? C’était tellement inconvenant. Je l’attendais, pardi. Quoi d’autre ? J’étais certes sensé être de sortie cette nuit, mais cela ne voulait nullement dire qu’il était impossible qu’un imprévu se produise. Et pas de chance pour la jeune femme, ce soir, un imprévu s’était produit. J’étais là, je la voyais et elle n’y pouvait plus rien y faire : je l’avais prise - malgré moi, malgré elle - sur le fait accompli. Je détaillais avec mépris les vêtements d’homme qu’elle portait, détestant cette allure masculine qui ne mettait aucunement ses courbes en valeur. J’étais capable aussi d’apprécier les hommes - pouvaient en témoigner certains que j’avais croisés et par-dessus tout notre beau Prince de France - mais alors les femmes déguisées en hommes… Non. Décemment, je ne pouvais pas. Et encore moins de la part d’Isabelle, c’était comme ça et pas autrement.
JULIEN : N’étiez-vous pas sensée être une femme ? Pour vous avoir attendu de longues heures durant, j’attends des explications valables à votre regrettable accoutrement.
Mes yeux lagons la transperçaient, et je sentais la lueur orangée provenant du chandelier me brûler la peau, alors qu’en réalité il n’en fit rien. Mon crâne me faisait mal, je m’étais peut-être levé trop rapidement pour faire face à la demoiselle, ou alors était-ce cet incongruité de la situation, je n’aurais su le dire. Je voulais tout savoir, je voulais qu’elle me dise - et vite - ce qu’elle faisait habillée pareil. Je ne pensais pas connaître Isabelle de Saint-Amand, non, je n’avais jamais prétendu le contraire, mais alors là il fallait croire que je la connaissais encore moins bien que ce que je pensais ; et si d’habitude les surprises ne me dérangeaient point, celle-ci m’était fort agaçante.
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Sujet: Re: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. » 07.03.11 20:35
Les surprises que la vie prenait un malin plaisir à me réserver n’étaient déjà pas très agréables, et celle qu’elle me réservait ce soir était sans doute un nouveau coup dont je n’avais pas besoin. Comment me douter que ce soir, alors que j’avais déjà passé une soirée médiocre, mais que j’avais pris un point d’honneur à accomplir, par habitude, pour que rien ne m’échappe, rien ne change, avoir une possibilité de repli, quoi qu’il arrive,… Sans penser une seule seconde que c’était cette volonté de tout garder sous contrôle qui allait me mettre en péril. Après des essais répétés et sans le moindre embarras, j’avais pris cette habitude de revivre ma vie, à travers le masque d’Etienne, toutes les nuits où j’étais certaine que Julien ne me rejoindrait pas. Le jeu était une addiction. La ville de Versailles était le vice incarnée sous les dorures de la magnifique galerie des Glaces qui faisait la fierté de notre roi. Méfiez-vous des apparences… C’était un jeu à double tranchant, mais comme moi, Julien avait ses habitudes, et jamais il n’était revenu plutôt, ou n’avait eut envie de changer ses plains. Il n’était pas homme à suivre une pulsion soudaine pour retrouver sa maitresse, ou alors je n’étais pas le genre de femme qui éveillait ce genre d’instinct chez mon amant, pourtant formidable.
Alors, bien loin de moi, une fois arrivée à Trianon, l’idée de me retrouver face à face avec mon amant, qui était sensé se trouver je ne sais où. Il ne prenait pas la peine de m’informer de ses déplacements avec précision, pas plus que je ne faisais. Un couple, certes, mais un couple éloigné, disparate. Qui refuse de voir à quel point chacun se ressemble, comme si l’on se regardait dans un miroir. Pour moi, nous n’avions rien en commun. Julien était le neveu de feu le premier ministre Mazarin. Homme incompris sans doute… Mal estimé surement. Les troubles de la régence l’avaient desservi. Mais Julien avait-il jamais eus à se vendre pour continuer à vivre ? A se trainer plus bas que terre ? J’en doutais. On lui prêtait beaucoup de maitresses – et quelques amants – au moins autant qu’on me comptait de conquêtes. Autre point commun. Etait-ce ce qui nous avait fait nous rapprocher ? Peut être… Ou la volonté de deux chasseurs de voir lequel serait le plus faible et désigné comme proie. Amusante lutte que celle qui nous avait poussée dans les bras l’un de l’autre. Le feu et la glace… Aussi différent, et pourtant tellement semblable si l’on grattait le vernis avec lequel nous figions nos expressions dans une habitude sans faille.
Heureusement pour moi, personne, jamais, ne s’était rendu compte de mes allées et venues nocturnes. Ma réputation faisait qu’en voyant une silhouette masculine entrer ou sortir de mes appartements, on pouvait l’imputer à un nouvel amant. Pratique… Et très utile. Jamais de questions, ni de sous entendus. Des murmures, par contre, ça, j’en avais l’habitude. Mais jamais de bravade. Si Etienne était un virtuose de l’épée, Isabelle maniait les mots avec facilité. Et l’avantage d’être un sujet de ragot, c’est qu’on vient vous en raconter en espérant en apprendre sur vous. Il est donc facile de savoir les dernières rumeurs et de remettre à sa place qui se pense mieux informé. Une fois la porte refermée sur la nuit, je me laissais aller, selon mes habitudes. Habitudes que j’aurais peut être mieux fais de perdre, mais on ne me change pas si facilement, hélas… Le simple fait d’entendre une voix dans mes appartements, cette voix me fit tressaillir, et cela se remarqua sans doute sans peine, moi si maitresse de mes émotions habituellement. Julien était là. Il était rentré plus tôt que prévu. Bien plus tôt… Bien trop tôt. Pourtant, il était trop tard pour faire marche arrière. Immédiatement, je me mis à réfléchir à toute vitesse, ne voyant pas quel mensonge j’allais pouvoir inventer. Il avait la clef. Clef que je lui avais moi-même remise, forte de ses habitudes de ne pas le voir revenir une fois qu’il m’avait annoncé son absence.
Essayant de ne pas me démonter, je commençais à allumer les bougies, faisant comme si tout ceci était parfaitement naturel, alors que je lui reprochai de m’avoir effrayée :
- Nullement, bien que vous auriez pu me faire mourir d’impatience, ce soir. Je vous attends depuis plusieurs heures déjà, fut sa réponse, sur un ton boudeur.
La bévue était donc encore peut être rattrapable. Je le fixai par le miroir placé au dessus de la cheminé. Il ressemblait à un petit garçon qu’on avait privé de son jouet et sa mine était adorable. Je souris, amusée de son comportement. J’aurais pu répliquer d’un ton enjôleur que je ferais tout pour me faire pardonner, mais préférait m’inquiéter de sa présence ici, tout en continuant à faire un peu de lumière. Au point où j’en étais de toute façon… Il était trop tard, il allait voir. Je me préparai donc à ce que je pensais qui serait une bataille ouverte, et je n’avais pas tort… Je vis l’expression de son visage se modifier dans la glace, alors que toujours assis sur son fauteuil, il me dévisageait. Pourtant, je ne me laissais pas impressionnée. Il n’était pas le premier à partager ma couche, et si l’issue de cette soirée était une rupture, il ne serait pas le dernier. Bien qu’au plus profond de moi, je ne voulais pas d’une rupture…
- Vous n’êtes pas en mesure de poser ces questions, lâcha-t-il d’un ton sec.
Je venais d’allumer la dernière bougie du chandelier. L’ambiance qui aurait pu se réchauffer venait de se glacer. Je me figeai un bref instant, entendant ce ton, impérieux, commandant. Un frisson de colère et de dégoût me parcourut. J’avais ce genre de manière de parler en horreur. Il me pensait sa chose ? Il allait vite être détrompé. Pourtant, refusant de perdre mon sang froid, je finis par ramener la première bougie à mes lèvres pour la souffler, avant de la reposer dans son bougeoir. Brusquement, il s’était levé, et s’imposait à moi, de sa haute stature. Pourtant, je refusais de plier, mes yeux glacés fixant les siens, tout aussi bleus :
- N’étiez-vous pas sensée être une femme ? Pour vous avoir attendu de longues heures durant, j’attends des explications valables à votre regrettable accoutrement.
Un rictus barra un instant mon visage. Il « attendait des explications ». Mais pour qui se prenait-il ? Si je n’occupais pas rapidement mes mains, il allait se faire gifler, c’était certain. Portant mes doigts à mon cou, j’entrepris de défaire ma cravate à jabot, tout en me dégageant de la cheminé, pour mettre un peu de distance entre Julien et moi. Autant pour moi que pour lui d’ailleurs. Une fois le nœud défait, je tirais sur le morceau de tissus pour le dégager de mon col, tout en me laissant aller sur le fauteuil que mon « hôte » venait de quitter, sans me départir de mon sourire ironique, en le fixant toujours. Pourtant, je poussais la provocation jusqu’à défaire les boutons du haut de ma chemise qui m’étouffaient, bien que je doute qu’il cède, vu dans quel état il s’était mit.
-Vous… « attendez » des explications…, répétai-je sur un ton détaché. Dois-je vous rappeler, mon cher, que selon les termes de notre accord, chacun est libre de faire ce qu’il souhaite sans que l’autre ne s’en mêle…
J’avais laissé tomber cette évidence, tout en sachant pertinemment qu’il ne cèderait pas à la facilité. Pourtant, il n’y avait pas mort d’homme… du moins pas cette fois-ci. Mon regard quitta un instant le sien pour s’attarder sur le guéridon où était posée une carafe de Porto, le préféré de mon père, et qui était aussi le mien. Dieu ! Que n’aurai-je donné pour en boire un verre à cet instant, ne serait-ce que pour me donner le courage d’affronter mon amant.
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Sujet: Re: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. » 16.03.11 17:04
Sans doute était-ce mon caractère possessif d’italien de souche qui me causait bien du tort, et qui me faisait détester dans mes moments de grande jalousie. Certaines femmes m’avaient fait comprendre qu’elles en auraient aimé un peu plus de ma part, d’autres - comme Isabelle de Saint-Amand à cet instant - se voyaient offusquées par ce comportement machiste que j’arborais. Me lanceriez-vous un blâme parce que je sais ce que je veux dans la vie et que je veux que mes biens n’appartiennent qu’à moi-même ? Il était dans les mœurs du pays que les italiens aient un caractère bien trempé, et je ne faisais pas exception à la règle, à vrai dire. C’était sans doute pour cette même raison que là, maintenant, à une heure déjà bien avancée dans la nuit qui dissimulait le véritable visage de l’éblouissante Versailles, je ne pouvais supporter de voir que la femme qui partageait le plus souvent ma couche était en vérité… une travestie. Elle ne pouvait décemment me plus faire grand déshonneur, c’était tout bonnement ridicule. Comme l’orgueil masculin est fragile, comme c’est d’instinct animal de se sentir blessé quand la beauté féminine perdait volontairement tous les atouts qui faisaient d’elle une divine créature. Accoutrée comme elle l’était, Isabelle me dégoûtait. Pourtant je n’étais pas homophobe le moins du monde, non, et c’était pour dire : j’avais eu entre mes bras - et draps, si on allait par le fait - le Prince de France lui-même. Et Dieu savait à quel point je repensais à ces délicats moments avec une nostalgie non des moindres. Mon regard halluciné détaillait avec attention les gestes de la jeune femme qui commençait à défaire sa cravate. Oui, vous avez bien entendu ! Une femme défaisant sa cravate à jabots. Je pensais avoir déjà tout deviné venant de la gente féminine mais visiblement je m’étais trompé ; jamais encore on ne m’avait fait le coup, même pas pour rire. Mais là… Elle défit les morceaux de tissus afin de dégager un peu plus son col et son cou, et je la regardais faire, silencieux. Me provoquait-elle ? Cherchait-elle à me tenter ? La colère était encore trop forte pour que je la désire, bien qu’en temps normal il ne fallait pas me prier pour accourir comme un vulgaire pantin mis à disposition.
Je voulais justement casser cette image d’homme qui se pliait à la volonté de toutes les femmes, car j’étais bien plus indépendant que cela. Je n’étais pas jouet, fort heureusement, et j’avais envers et contre tout une fierté qui pouvait aisément être ébranlée par le moindre incident. La belle défit les quelques boutons du haut de sa chemise qui entravait sa respiration, et j’admirais l’adresse de ses doigts fins et agiles. Certes, elle était belle, elle était tout ce qu’il y avait de plus désirable, mais vu l’état dans lequel j’étais, je n’allais pas céder aussi facilement. Réduisant entre nous la distance qu’elle s’était appliquée à imposer, je l’écoutais attentivement prendre la parole pour répliquer.
ISABELLE : Vous « attendez » des explications… Dois-je vous rappeler, mon cher, que selon les termes de notre accord, chacun est libre de faire ce qu’il souhaite sans que l’autre ne s’en mêle. JULIEN : Oh, vraiment ? Les termes dudit contrat incluaient-ils également la fausse identité ?
Je levais les yeux au ciel, me rapprochant encore un peu plus d’elle. Plongeant mon regard plein de questions dans le sien, j’essayais de deviner ce qui se tramait dans son esprit. Les sourcils froncés, je ne pouvais m’empêcher de la trouver magnifique. Calmant légèrement mes ardeurs, ma voix fut un peu plus basse, comme brisée, lorsque je repris la parole.
JULIEN : Puis-je au moins avoir une raison ?
Hasardais-je, la tension retrouvant un niveau à peu près stable. J’étais sans doute trop fatigué pour hausser le ton à nouveau, et ne voulais pas en rajouter davantage à la jeune femme. De toute façon, nous le savions tous les deux, personne n’aurait le fin mot de l’histoire. Son caractère bien trempé était tellement semblable au mien, dans le fond, que nous aurions droit à une nouvelle guerre pour conquérir l’avis de l’autre. Elle n’avait pas froid aux yeux, et je ne me laissais pas faire non plus, alors à quoi bon débuter les hostilités ? Je désirais réellement savoir pourquoi elle était vêtue ainsi, dans un tel accoutrement. Dans le fond, je ne voulais pas l’admettre mais j’aimais bien Isabelle, prenez cela dans le sens où je tenais assez à elle pour craindre qu’elle ne fasse une bêtise qui gâcherait cette « belle relation » que nous entretenions. Si l’on pouvait parler de nos petits rencards nocturnes qui constituaient à eux seuls l’intégralité de cette histoire que nous vivions.
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Sujet: Re: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. » 19.03.11 16:26
Connaitre un être par cœur, le voir, le sentir, le regarder respirer, vivre à ses côtés, n’est rien, si son âme vous reste inatteignable. Je connaissais le corps de Julien, savait quoi faire pour susciter le désir en lui, mais rien ne me permettait de dire que je le connaissais vraiment, pas plus qu’il ne me connaissait. Peu de ce qu’il aimait, et qu’il détestait m’était connue, et je ne pouvais pas me targuer de répondre avec assurance, quand on me posait une question à propos de lui. A ma décharge, il en valait de même pour lui. Je faisais toujours attention à distiller le moins possible de moi dans mes relations, pour ne pas montrer mes faiblesses, pour ne pas qu’on puisse me blesser, m’enchainer. Je ne voulais pas être une femme à atteindre, ni de celles qui ont donné trop de facilitées à leurs amants, pour qu’ils puissent les blesser une fois l’idylle terminée, les laissant éplorée et vidée de toute envie de continuer. Je blesse, mais ne me laisse jamais blesser. Du moins, jusqu’à maintenant. Car malgré mon refus de le voir, Julien et moi étions par trop semblables, et ne recherchions que notre intérêt, quoi qu’il advienne. Il me déroutait, me surprenait, ne me demandant jamais plus que ce qu’il m’avait juré d’exiger, à part ce soir.
Ce soir où il n’aurait jamais dû être là, ce soir où j’avais toutes les libertés, mais où je venais de me faire berner. Il était revenu, alors que je ne m’y attendais pas. Je n’avais pas l’habitude qu’on me surprenne, et détestais cela. Tout était toujours murement calculer, mesuré, et réfléchit dans ma vie, dans mes actions, mes décisions. Sa simple présence ici était comme un animal ayant sauté sur l’échiquier à la stratégie murement réfléchie qu’était ma vie. Toutes les pièces avaient volées et tout était à refaire. J’essayais de rattraper cette erreur stratégique, basée sur l’assurance que jamais, il ne reviendrait à l’improviste, puisqu’il ne l’avait jamais fait auparavant. Lourde erreur, les hommes aussi sont imprévisibles et réagissent parfois à des pulsions. Une pulsion qui m’aurait agréablement surprise, dans d’autres circonstances que celle-ci. Comment me sortir de cette impasse, dans laquelle ma seule et trop grande assurance m’avait jetée ? Je savais la tendance, toute italienne, de Julien à s’énerver assez vite. Plus je resterai calme, plus il s’énerverait, et en même temps, je ne voulais pas aller trop loin. Sans vouloir me l’avouer, je ne voulais pas le perdre. Pas que pour la sécurité qu’il m’apportait, mais parce qu’au fond…
Et je n’avais pas tort. A peine Julien avait-il vu comment j’étais habillée que le sang chaud du sud qui bouillait dans ses veines n’avait fait qu’un tour. Sa manière de me parler, fort sèche, était bien différente du ton qu’il adoptait habituellement envers moi. Je devinais presque, dans la pénombre, la veine de son cou qui palpitait d’agacement. J’aurais presque eus des scrupules à le mettre dans cet état. Presque. Mais je doutais qu’il comprenne. Et l’histoire de ma vie, si je l’avais toujours cachée, ce n’était pas pour la dévoiler ainsi. Nous n’avions pas encore confiance l’un en l’autre, et cela n’avait jamais été au programme, jusqu’alors. Lui livrer mon passé, c’était, une fois de plus, me mettre en danger, dans une situation précaire. J’étais ce que j’étais, et mon orgueil, tout aussi grand que celui d’un homme, refusait de s’abaisser à une telle confession. Sans perdre mon sang froid, ni que le masque que je porte ne fasse que se fissurer une seule minute, j’avais pris la place de Julien dans le fauteuil où il se trouvait avant que la vision de mon accoutrement ne le fasse bondir sur ses pieds. Il était aussi très désirable quand il était en colère. Pourtant, pour le moment, j’étais plus assurée qu’il ne passe la porte d’entrée de mon appartement que celle de ma chambre.
Assise dans le fauteuil, les jambes croisées, et le haut de ma chemise déboutonnée, les bras allongés sur les accoudoirs, je le regardais qui s’énervait de plus en plus, me demandant comment calmer le jeu, sans pour autant vouloir m’abaisser à quémander son pardon. Sa manière d’exiger des choses ne me plaisait pas le moins du monde, et je le lui fis savoir, d’un ton ironique et sec à la fois. Pourtant, sa réponse ne se fit pas attendre pour autant :
-Oh, vraiment ? Les termes dudit contrat incluaient-ils également la fausse identité ?
Je ne répondis pas, me contentant de le fixer durement, serrant les dents pour ne pas céder à mon tour à l’emportement. Il se rapprocha de moi, et nos regards s’affrontèrent dans une lutte silencieuse, où aucun ne voulait céder. Pourtant, à ma grande surprise, ce fut lui qui « céda ». Sa voix se calma, et ses épaules se détendirent un peu, quand il reprit la parole :
-Puis-je au moins avoir une raison ?
Je le dévisageai. Quelle ruse me réservait-il ? Je ne pouvais pas croire qu’il venait de se calmer si vite, c’était impossible. Et pourtant, nulle trace de mensonge ou de dissimulation dans ses yeux. Je le connaissais bien mal… Ma réaction mit un peu de temps à venir, tellement j’étais surprise. Je ne pouvais penser avoir « gagné » si rapidement, et pourtant, je ne voulais pas réenvenimer la situation, un conflit verbal à cette heure n’avait rien de bon. Finalement, après avoir laissé plané le silence, sans que rien ne bouge, pas même la flamme des chandelles qui ne vacillait pas, je me relevais, et m’approchais de lui, de manière à ce que nos corps se sentent, sans réellement se toucher, et je plongeais mes yeux bleus dans son regard gris-vert, osant, lentement, remonter ma main vers son visage, pour retirer de son front une mèche qui, dans un mouvement d’agacement, s’était déplacée et l’avait barré.
-Nous avons tous un passé, et certains sont bien moins glorieux que d’autres, répondis-je à mi-voix, en laissant ma main retomber le long de mon corps.
C’était la seule concession que j’étais prête à lui accorder, du moins pour le moment. Je n’avais jamais été très bigote, et encore moins depuis que mon père n’était plus là, mais à cet instant, j’aurais volontiers prié Dieu pour qu’il se contente de cet aveux.
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Sujet: Re: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. » 27.03.11 16:04
Un passé. Oui, bien sûr, un passé. Comme ce mot m’était désagréable à entendre, bien que le mien n’ait été que partie de plaisir, le plus souvent charnel. Je n’avais jamais aimé me référer à cette notion trop concrète pour être douce à notre orgueil ; voyez-vous, j’étais plus du genre à me tourner vers l’avenir plutôt que de repenser à tous ces moments qui ne vivaient plus qu’au titre de vestiges qui faisaient ce que nous étions aujourd’hui. Non pas que je n’aimais pas le passé, mais pire, il m’indifférait. Il avait la capacité de détruire un homme - tout comme l’amour avait ce pouvoir - et il était d’autant plus dangereux que l’on s’y reportait souvent. Le temps passait, c’était un fait, et nous ne pouvions le regarder passer puisque nous passions avec lui. Vous voyez, nous n’étions à l’abri de rien et nous étions forcément obligés de nous rappeler un jour. Les souvenirs, plus précisément. Ceux que j’avais toujours lorsque je me remémorais mes après-midi avec le jeune prince de France. Monsieur, comme tout le monde s’appliquait à l’appeler. Avais-je eu des sentiments pour lui un jour ? Sans aucun doute. En avais-je à cet instant même pour Isabelle de Saint-Amand ? J’aimais sa beauté, mais aimer une apparence n’était en aucun cas s’attacher à une âme. Être un esthète, c’était ça. C’était tomber amoureux des belles choses, de les apprécier, de les utiliser même, pour enfin trouver quelque chose de plus beau encore, de plus profond. Je m’émerveillais plus facilement devant une chevelure ondulée retombant gracieusement sur une nuque mise à nue plutôt qu’à l’écoute d’un beau et long poème pleins de sentiments. J’étais ainsi et certainement ne changerais-je jamais. Ou ne changerais-je pour rien au monde.
ISABELLE : Nous avons tous un passé, et certains sont bien moins glorieux que d’autres. JULIEN : Le passé n’a de charme que parce qu’il est passé. L’invoquer dans un présent où il ne faut voir que l’avenir ne justifie ni le fond, ni la forme.
La main d’Isabelle était venue affronter cette mèche de cheveux qui me barrait le visage, caressant ma joue d’un air tendre qui - avec les paroles qu’elle avait prononcées - avait eu le don de m’agacer plutôt que de m’apaiser. Comme l’être humain était compliqué, et sans doute l’étais-je encore bien plus. Je passais du coq à l’âne, de l’agacement digne d’une tempête à un calme plat, puis dans la seconde qui suivait, une nouvelle saute d’humeur me prenait. Cependant, les paroles que j’avais prononcées étaient parfaitement calmes, je ne m’étais pas emporté. Ma main remonta lentement le long de son avant-bras, prenant soin de rendre ce contact épidermique aussi sensuel que possible - comme c’était d’ailleurs dans ma manière d’être de toujours un peu séduire pour ne pas dire allumer mes interlocuteurs -, remontant du coude jusqu’à son poignet dans une opération qui dura plusieurs secondes tant la lenteur de mon geste était appliquée. Une fois que j’atteins son poignet, je le retirais lentement de mon visage, le lui plaquant le long de son corps tout en prenant - là encore - bien soin d’effleurer sa hanche de ma paume, baissant les yeux pour accompagner mon geste.
JULIEN : Je n’exige de toi que la vérité.
Ma voix avait brisé le silence, douce et basse comme si nous étions en train de parler dans une église pendant qu’un repenti confessait un pêché. Mes paroles étaient simples mais elles voulaient à la fois tout dire, et j’étais quasiment persuadé qu’elle avait saisi le sous-entendu. Mon regard bleu gris se planta dans ses prunelles et je m’avançais encore un peu vers elle, la dominant de ma hauteur et mon corps frôlant le sien, je la regardais comme si elle n’avait d’autre choix que de parler. Mes pupilles descendirent sur ses lèvres que je contemplais d’un œil fiévreux, désireux, me délectant bien de ce genre de situation. Pour l’heure, je jouais autant avec les mots qu’avec la gestuelle, et je me complaisais parfaitement dans le jeu qu’elle avait lancé en revenant pareillement accoutrée.
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Sujet: Re: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. » 29.03.11 14:26
« On combat le mensonge par la vérité » paraissait-il. Mais je n’avais jamais menti à Julien, pour la simple et bonne raison que je n’avais jamais été amenée à faire face à cette situation. Lui, moi, face à face, ce soir, ou plutôt cette nuit, et pas pour une joute dont nous avions l’habitude et qui nous aurait menée entre mes draps, si nous avions tenus jusque là. Ce soir, la langue était une arme, ainsi que les attitudes. Les mots se faisaient secs et acérés, cherchant à blesser, avant de se radoucir pour nous amadouer mutuellement. Mais la bataille ne peut jamais être totalement gagnée tant qu’on n’a pas mit son adversaire à genoux. Et cette lutte serait ardue. Julien n’était pas de ceux qui courbent l’échine. Moi non plus. Deux âmes brulantes dont la flamme refusait de s’éteindre, jamais, et qui voulaient absolument dominer l’autre. C’était enfantin, puéril même, mais notre relation – si nous pouvions appeler ça de la sorte – était ainsi. La liberté était primordiale, pas de comptes à rendre.
Pourtant ce soir, il avait décidé de briser cette règle de base, primordiale, entre nous, en exigeant des explications. Qu’avait-il le droit d’exiger ? Rien ! Il n’avait aucun droit sur moi, pas plus que je n’en avais sur lui, et j’avais dus faire un énorme effort pour ne pas céder à la colère devant son caprice. Oui, c’était bien cela. Julien était un homme, certes, en apparence, mais dans sa tête, ce n’était qu’un petit garçon capricieux, habitué à obtenir tout ce qu’il désirait en claquant des doigts. L’habitude d’avoir toujours eus ce genre de vie, et un oncle premier ministre de France. Certaines vies sont belles, d’autres le sont moins. Ce n’était pas pour autant que je le jalousai. A vrai dire, je ne ressentais pas grand-chose, ou alors refusait de l’admettre, et encore, je n’en étais même pas certaine. Mais il représentait un confort non négligeable à ma vie. Un confort pratique, et que je me devais, hélas, de ménager. Pourtant ce soir, je refusais de m’abaisser à supplier un pardon dont je n’avais pas besoin.
Il s’était calmé, peu à peu, heureusement d’ailleurs, et j’avais essayé d’aller dans ce sens, essayait moi aussi de rester calme, et de ne pas raviver les flammes des braises encore vives. Pourtant, ce n’était qu’un leurre. J’aurais dus m’en douter, il était courtisan, et savait parfaitement tourner les choses à son avantage. Hélas, nous étions deux. Sa main se referma sur mon poignet que je reculai déjà après avoir débarrassé son front d’une mèche volage, et le contact brulant me fut très agréable. Pourtant, je n’avais pas gagné et ne le savait que trop, à la simple lueur de nos deux regards qui s’affrontaient.
-Le passé n’a de charme que parce qu’il est passé. L’invoquer dans un présent où il ne faut voir que l’avenir ne justifie ni le fond, ni la forme.
Il était désespérant. Ne comprenait-il pas qu’à travers ses exigences, c’était justement le passé qu’il voulait faire renaitre ? Un passé que je récusai, encore et toujours. J’aurais voulu l’enterrer, l’effacer de ma mémoire, mais ça aurait été trop simple, surtout quand je jouai avec le feu, comme ce soir. N’aurait-il pas pu rester là où il était pour une fois ? Avec sensualité, et fermeté en même temps, il ramena mon bras à ma hanche qu’il effleura. Dans d’autres circonstances, par ces petits gestes, il aurait sans doute enflammé mes sens, mais ce soir, je gardai sans aucune difficulté toute ma lucidité, ne lui déplaise. Sa voix se fit murmure, un murmure doux et tendre presque, mais qui ne dissimulait que trop mal la fin derrière les moyens qu’il employait :
-Je n’exige de toi que la vérité.
Exiger, ce simple terme me faisait frissonner de colère. Personne n’exigeait rien de ma part ! Me prenait-il pour une de ces petites vierges, effarouchée et naïve, toute droit sortie du couvant et qui ne connaissait rien de la vie, se laissant aller à la moindre parole doucereuse, et allant se perdre par curiosité ? Non, Monsieur Mancini, ne vous déplaise. Avec douceur, je dégageai mon poignet de son étreinte, pour continuer ce jeu étrange, alors que mon caractère enflammé aurait voulut le lui arraché. Un sourire sibyllin aux lèvres, mais une flamme de cheval sauvage refusant de se faire amadoué dans les yeux, je m’écartais de lui, pour me diriger vers le guéridon où la carafe de porto n’attendait que moi. La douceur du vin Portugais viendrait réhydrater ma gorge desséchée par la colère que je peinais à maitriser. Sans un mot, je m’en servie un verre que je pris entre mes doigts fins, avant d’en avaler une petite gorgée.
-« Exiger » est un mot que tu n’as pas le droit d’employer… soufflai-je en fermant les yeux, savourant le gout du breuvage.
Me livrer, c’était lui faire confiance, lui livrer un moyen de me faire mal, de me salir bien plus que ne le faisaient ces souvenirs. Et quand bien même l’aurai-je voulu, la méritait-il, cette confiance que je ne plaçais jamais en personne ?
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Sujet: Re: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. » 26.04.11 20:29
Pourquoi n'avais-je pas le droit d'exiger ? Tout le monde exige, c'est dans la nature de l'Homme d'avoir des exigences. Pourtant il semble que ce soir, j'aie trouvé adversaire à ma taille ; une adversaire avec un caractère que je haïssais au moins autant que j'aimais son physique. Qu'aimais-je chez Isabelle de Saint Amand ? Les longues nuits d'hiver passées sous la couette, à se réchauffer mutuellement ? Ou bien les conversations que nous tenions ensemble, rares certes, mais existantes néanmoins ? Si vous m'aviez posé la question, là maintenant, dans le vif j'aurais certainement opté pour la première option, mais sans doute avais-je encore trop peur de m'engager pour pouvoir mettre à nu de quelconques sentiments. J'avais extrêmement de mal à m'imaginer enchaîner à une dame, et quand bien même m'y obligerait-on, que je savais que ce ne serait point avec la jeune brune au regard azur. Ma sœur avait raison, elle qui savait tout, elle à qui je ne voulais rien cacher, Isabelle et moi n'étions pas faits pour être ensemble. Je partageais cette opinion, mais pourtant quelque chose me poussait à quand même rester en la compagnie de la belle, partageant de chaleureux instants, tantôt dans ses draps, tantôt dans les miens. La nuit était notre alliée, ou du moins l'avait-elle été jusqu'à maintenant. Voir son corps emmailloté dans des vêtements d'homme m'exaspérait, et cela avait changé la donne. Mais pour combien de temps ? Sans doute étais-je fatigué, las d'avoir attendu toute la nuit pour au final me retrouver déçu de ce que j'avais pourtant espéré de si longues heures durant. Oui, cela devait être ça. Parce que jamais, ô grand jamais, je ne vous dirai que je suis en réalité déçu parce que l'une des plus belles femmes de la Cour se travestissait. Qu'était-elle, au juste ? Faisait-elle partie de ces femmes qui ne se contentaient pas que des hommes ? Avait-elle besoin de plus que ce que je m'appliquais à lui apporter ? Nous nous ressemblions plus que nous ne voulions l'admettre dans le fond, nous ne valions pas mieux l'un que l'autre. La seule différence pouvait bien être que ma famille était plus noble que la sienne, et que mon rang m'attitrait un peu plus d'importance auprès de la famille royale. Et encore !
ISABELLE : « Exiger » est un mot que tu n'as pas le droit d'employer.
Voilà ce qu'elle m'avait dit, tout en se servant un verre de vin. Non merci, ma chère, je n'ai pas soif. Elle était d'une audace et d'une provocation déconcertante. Dans le fond, j'avais bien envie de lui mettre une baffe, histoire de la faire réagir un peu, et de me détendre. Mon sang affluait vite sous ma peau, tant et si bien que mes veines auraient pu m'être douloureuses si je n'étais pas tant préoccupé par ce petit jeu malsain dont elle semblait se délecter. Pour qui se prenait-elle, sérieusement ? Un tel affront en pareille période, j'aurais facilement pu me débarrasser d'elle. J'en avais toujours le pouvoir d'ailleurs, n'allez pas croire que les femmes avaient le monopole sur la parole. Mais c'étaient là des pensées bien trop misogynes pour un homme qui, comme moi, appréciait tellement la compagnie des femmes. Aimer leur physique, certes, mais de là à tomber amoureux de l'une d'entre elles, il y avait un monde. Les seules femmes à qui je portais de l'amour étaient bien mes sœurs. Marie-Anne était à mes yeux la plus belle créature de la Cour, et ça elle le savait. Personne – je dis bien personne – n'avait plus d'importance à mes yeux qu'elle, et rien plus que ses petites prunelles noisettes. S'il y avait une chose de laquelle je pouvais bien remercier Dieu – dont je négligeais légèrement le culte ces derniers temps, faute à des nuits prolongées dans la matinée -, c'était de m'avoir donné une si belle famille. J'en étais si fier, malgré toutes les médisances qui circulaient à notre sujet...
Isabelle venait perturber cette fierté que j'avais d'être moi-même, comme si elle voulait me provoquer volontairement en duel. Quoique, vous me direz, étant donné l'accoutrement dans lequel elle était revenu, elle aurait pu. Dardant mes prunelles sur elle, je me rendais compte du degré de haine que j'avais envers elle. Ô ça oui, je la haïssais d'être si belle malgré tout, d'avoir un caractère si détestable, je la haïssais d'animer en moi de telles sensations aussi violentes que douloureuses alors qu'elle n'était qu'une figure parmi tant d'autres. Je soupirais, allant m'appuyer dos contre la fenêtre, après avoir levé les yeux au ciel.
JULIEN : D'accord, si tu le prends comme ça.
Un temps de silence.
JULIEN : Quels mots peut-on employer avec toi, je te demande ?
Mon fort accent italien avait le don d'atténuer un peu le sérieux de la situation, puisque l'accent chantant – comme si je chantais mes paroles – était beaucoup moins cru que le français, ou pire encore, l'allemand. Mais elle avait compris le principe. Je croisais mes bras sur ma poitrine, la regardant se délecter du vin qu'elle venait de se servir.
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Sujet: Re: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. » 02.05.11 15:43
A force de jouer avec le feu, on se brule, disait l’adage. Eh bien pour moi, cela serait sans doute aucun le bucher éternel. Je jouais, au sens propre comme au sens figuré, avec une telle aisance et une telle délectation que s’en serait presque devenu indécent. Une vengeance comme une autre, quand, après avoir été l’objet de toutes les avilissements, je pouvais enfin me venger et devenir celle qui tirait les ficelles. Passer de poupée soumise à maitresse – ou maitre, tout dépend du point de vue – du jeu. C’était grisant. Tellement grisant qu’à chaque fois, comme une drogue, il en fallait plus, bien plus. Tromper son monde dans cet univers étrange qu’était Versailles était une chose si simple, si facile… Personne n’est proche de personne, ou alors fais semblant de le croire. Les confidences se font ragots, et on distille soi même de quoi faire des rumeurs sur notre compte. Sont-elles vraies ? Sont-elles fausses ? Ce n’est pas cela qui compte, loin s’en faut. Tout ce qui compte, c’est que la nouvelle soit assez énorme pour faire trembler les positions des gens concerner, et les perdre dans l’esprit de ceux qui peuvent leur accorder des faveurs. C’est amusant de voir que plus l’on s’élève, plus la chute sera rude. Rester dans l’ombre de mes amants était largement suffisant. Avoir juste assez d’ambition pour vivre d’une manière confortable, en m’amusant et reprenant ce qui aurait toujours dû être mien et que la mort de mon père m’avait volé. C’était si simple…
Si simple qu’on oubliait les revers de la médaille, et de temps à autre, une monté d’adrénaline était inévitable. Un piège tendu par les hommes du guet, un démantèlement de ces cercles de jeu, considéré comme illégal et immoral quand ce n’est pas à la table du souverain que l’on s’amuse. Ironique n’est ce pas, quand on sait que le roi est souverain de par la volonté de Dieu, supérieure à tout ce qui se passe ici bas, que seul à sa table on puisse jouer ainsi ? Ce genre de chose me dégoutait, mais comme tout, il fallait dissimuler ses véritables pensées à Versailles, si l’on voulait rester dans la course. Se plier, en apparence, à la bienséance et à toutes les décisions prises. Suivre la mode, le bon ton, le bon goût que toutes les cours d’Europe, jusqu’en Russie même, l’on nous enviait. Venez vivre cela de l’intérieur, mes seigneurs et gentes dames, vous verrez que nous ne sommes pas mieux lotis que vous. Et dans un monde où tout n’est qu’apparence, il n’est pas difficile de donner celle que l’on souhaite. Etre et paraître sont deux choses totalement différentes, des règles qu’il faut apprendre dès l’arrivée dans la place si on ne veut pas se noyer dans la masse et y disparaitre. Un jeu d’échec en somme, où il faut mettre à bas tous les pions et rester le meilleur défenseur de son roi pour lui plaire. Certains y réussissent d’ailleurs fort bien. Comme mon amant…
Parfois, je me demandais comment Julien et moi pouvions avoir été amenés à tomber dans les bras – oui, les bras seulement, le cœur fait partie de ces choses qui n’existe pas à Versailles, aimer nous perd – l’un de l’autre. Nous sommes tellement différents, ou du moins essayons-nous de nous en persuader. Nous ne savions que peu de choses l’un de l’autre, et pourtant… Derrière ces apparences, nous étions tellement semblables que nous n’arrivions pas à le voir. Mais nous ne pouvions pas nous aimer, pas maintenant, et qui sait si jamais cela serait possible ? Il parait que quand on aime, on commence à mentir. Je lui dissimulais déjà beaucoup de choses, qu’est ce que cela serait si jamais j’étais tombée amoureuse ? Ca aurait été totalement ridicule. Et pourtant, ce soir, son caprice d’enfant gâté qui a toujours eus ce qu’il voulait était entrain de me taper sur les nerfs. Je voyais bien qu’il s’énervait de plus en plus. J’imaginais déjà les ragots sur la rupture du Mancini avec la Saint-Amand. La cours en aurait fait des gorges chaudes et dès midi, une dizaine d’écervelées, se seraient pâmées devant lui pour entrer dans sa couche qui n’avait pas encore refroidie de ma présence. Si l’heure de la rupture était venue, je l’aurais acceptée et serais passée à autre chose comme à mon habitude. Pourtant, quelque chose me disait qu’il ne pouvait en être ainsi, pas tout de suite, pas encore. Il y a encore des choses que nous devons faire, monseigneur…
Debout à quelques mètres de lui, j’avais parfaitement conscience de mettre sa patience à rude épreuve. Peut être que ce qui l’a attiré chez moi est le fait que je ne me plie pas à ses quatre volonté comme ses précédentes maitresses – et amants, il ne faut pas me prendre pour une idiote, moi aussi j’écoute les ragots.
- D'accord, si tu le prends comme ça, lâcha-t-il alors qu’en me servant un verre, je lui avais dis qu’il n’avait rien le droit d’exiger.
Oui, je le prenais « comme ça »… Le silence tomba, que je ne rompis pas, attendant de voir s’il avait décidé de quitter la pièce, ou de rester. L’attente ne fut pas très longue, mais pesante dans le silence de la nuit à Trianon que pas un bruit ne venait troubler. Les quelques chandelles donnaient une ambiance étrange à la pièce, rendant les ombres mouvantes et n’éclairant pas parfaitement nos visages. Finalement il prit sa respiration pour reprendre la parole alors que j’avalais une nouvelle gorgée de Porto :
- Quels mots peut-on employer avec toi, je te demande ?
Un premier temps, je me figeai, fixant toujours obstinément devant moi, n’étant pas sure de ce que je venais d’entendre. Monseigneur Mancini venait-il de, par le plus grand des miracles, me demander mon avis ? Il semblait bien que oui. Lentement, je fini mon verre, avant de défaire bouton par bouton mon justaucorps assorti au pourpoint qui trainait sur le second fauteuil de la pièce, et de l’enlever à son tour, avant de retirer le ruban qui retenait ma lourde chevelure noire en catogan. Celle-ci tomba sur mes épaules, encadrant mon visage. Enfin je tournais le regard vers Julien. S’il fallait faire preuve d’un tant soi peu de sincérité, c’était maintenant ou jamais. Je ne voulais pas le faire craquer, je savais bien que s’il avait décidé de faire – ou dans le cas précis de ne pas faire – quelque chose, rien ne le ferait changer d’avis, mais voulais tout simplement mettre tous les atouts de mon côté.
-Essaie la douceur.
Mon regard chercha le sien qui brillait étrangement à la lumière tremblante des bougies.
-Avec douceur, tu aurais peut être pu savoir que pour sortir de la boue, on est prêt à tout, pour ne pas mourir de faim, on gravit tous les échelons, par tous les moyens, lit après lit, amant par amant. Avec douceur, tu aurais compris que ma réputation, que tu connaissais quand nous nous sommes rencontrés, il serait idiot de l’oublier et encore pire de le nier, n’était qu’un dixième du reflet de la réalité. Avec douceur, j’aurais pu te dire révéler bien des secrets… Que salie et trompée, je suis prête à tout pour ne pas retomber aussi bas que la boue dans laquelle j'ai pu me retrouver...
Ma voix, douce, avait fini murmure. Tout n’est que calcule. Comment faire confiance à un homme qu’on ne connait qu’à peine et qui ne vous connait pas plus ?
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Sujet: Re: « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. »
« Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. »