► 17ans, née en 1649
► Duchesse de Bouillon
► Italienne
► Mariée depuis 4ans à Godefroy Maurice de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon.
« Il était une fois ... »1649. 19 septembre.Les cloches sonnaient à toutes volées dans ce quartier romain, en cette fin de matinée. Le soleil perçait à peine au travers des lourds nuages, qui présageaient une pluie certaine.
Sortant de l'église, et enfonçant son chapeau sur ses cheveux de jais, Michele Mancini scrutait le ciel, un sourire radieux éclairant son visage fatigué.
-Santa Maria! De la pluie pour notre Marie-Anne, que voilà donc un heureux présage!Il se retourne alors vers la porte de bois, et souriant à sa femme, il lui montra les cumulo-nimbus qui s'amoncelaient.
-Tu les vois, Geronima? Ils offrent un merveilleux avenir à notre fille!Portant l'enfant emmitouflé dans des couvertures, la femme sourit, et descend la volée de marches qui la sépare de son mari. Il faut rentrer. Quelques gouttes de pluie s'écrasent déjà sur le pavé, et dans peu de temps, les rues seront inondées. Courant au devant de leurs parents, Hortense et Olympe rejoignent leurs frères et sœurs, et préparent la maison en vue d'accueillir la nouvelle baptisée.
Marie-Anne, née quatre jours plus tôt, le 17 septembre 1649, est la dernière des 8 enfants qui forment la fratrie Mancini. Ses frères et sœurs se nomment Laure-Victoire, Paul, Olympe, Marie, Philippe, Hortense et Alphonse. Une fratrie unie, avant que la France ne soit leur théâtre.
1653.-Madame, un courrier de France! Je crois reconnaître l'écriture de Mlle Olympe!Geronima se précipite au bas des escaliers, pour recevoir cette missive tant attendue. Galopant dès l'autre bout du couloir, la petite Marie-Anne, au nom d'Olympe, a lâché son recueil de poésies, et courre rejoindre sa mère, qui déjà, fébrile, parcours le papier des yeux.
-C'est Olympe, mère?
-...
-Mère, est-ce Olympe?La petite fille déteste être ignorée. Elle a qui l'on a toujours beaucoup donné ne peut accepter d'être ainsi mise au banc. Elle aussi à droit de lire cette lettre! L'enfant trépigne, s'impatiente alors:
-Mère, est-ce Olympe?!Le ton insistant de sa fille fait lever les yeux à Geronima. S'agenouillant à la hauteur de l'enfant, elle pose alors son doux regard dans les yeux verts de la petite dernière.
-Oui, Marie-Anne, il s'agit d'Olympe.Avec patiente, elle lit alors à haute voix les nouvelles de la Cour de France. La Fronde se termine, laissant le Royaume divisé entre princes, nobles, et royauté. Mais leur oncle, revenu en grâce auprès d'une petite partie du peuple, tient la politique française dans sa main. Et Marianne écoute attentivement, boit les paroles de sa mère. Elle n'a qu'une envie: partir rejoindre ses frères et sœurs. Son oncle le lui a promit dans une précédente lettre.
Marianne se prépare alors. Elle sait que, depuis le jour de son baptême, son avenir est tout tracé, et doit la mener sur un grand chemin. Les astres et les nuages l'ont prédit. Michele en est convaincu. En vue de cet avenir brillant, rien ne doit être négligé.
Marianne jette un dernier regard sur la missive. Quand son tour allait-il arriver? Quand allait-elle pouvoir enfin découvrir la ville dont lui parlaient tant Hortense et Olympe? Elle quitte sa mère pour se réfugier dans son recueil délaissé auparavant.
La poésie est l'art des mots. Elle les a apprivoisé dès son plus jeune âge, et ceux-ci sont ses amis les plus fidèles. Lorsqu'ils la boudent, elle les trompe avec un de ces romans, ou s'essaye à la musique. Mais les mots lui pardonnent toujours ces écarts. Une indéfectibles amitiés les lieront jusqu'à la fin.
L'air sérieux et important, l'enfant, à peine âgée de 6ans, s'enfonce dans le lourd fauteuil de velours, et, après avoir posé l'imposant recueil de vers sur ses petits genoux, entreprend la poursuite de sa lecture.
Dans ces instants, elle est alors loin de l'enfant espiègle qu'elle peut être. Elle offre enfin à sa gouvernante un certain répit.
Celle-ci ne peut que trop se rappeler ce jour, où, ayant dans la tête de faire du "thé", comme il était convenu, la jeune Marianne, 5ans, avait quitté la maison sans crier gare, et s'était retrouvée à quelques lieues, cueillant innocemment des fleurs, pendant que la maisonnée s'inquiétait. Et la gouvernante ne veut en aucun cas revenir sur ce qui a pu effrayer cette vache, quand celle-ci passa la nuit à meugler.
Marianne savait composer un air de chérubin qui attendrissait même les plus durs. Ses cheveux ondulés tombant autours de ses petits épaules encadraient son visage déjà marqué par la vivacité d'esprit de l'enfant. Les yeux brillaient de malice, et son sourire innocent empêchait quiconque de gronder ses écarts de conduites. Mademoiselle Marianne était la petite maîtresse en sa maison.
1665. Mars.Un murmure rompt le silence de la chambre de la Duchesse de Bouillon. Les murs tapissés étouffent chaque bruit, et le claquement de la mallette du médecin sonne la fin de la discrète discussion.
Accompagné par une femme de chambre, tout deux quitte la pièce, laissant-là le duc et sa femme.
Lui, assis sur le fauteuil près du lit, montre alors une marque d'affection peu courante depuis leur mariage. Tenant la main de la jeune femme dans la sienne, il pose alors son regard bleu dans celui de Marianne, assise dans le lit.
Les oreillers la gênent, l'empêchent de se redresser, mais elle ne veut rompre cet instant. Jamais, depuis 3ans, le duc aura été si proche d'elle, en dehors de son devoir conjugal.
-Il vous faudra du repos, Marianne.
-Je ne suis pas malade...Et je refuse de me considérer comme telle.
-Le médecin souhaite...
-Il souhaite que je reste raisonnable. Que je ne chasse pas pendant ces quelques mois, par exemple.
-Ou que vous limitiez vos sorties tardives lors des salons au château, également. Cela vous permettra de réfléchir au nom que vous souhaiterez donner à cet enfant, Marianne.Marianne croise à nouveau le regard de son mari, où brille une lueur amusée. Elle sait autant que lui qu'elle ne pourra tenir aussi longtemps sans courir les salons littéraires.
-Je suis certain que vous y arriverez. Vous êtes une femme raisonnable et sérieuse.
-Vous savez comme moi que je ne peux résister à la tentation d'un jeu. Et Olympe ou Hortense ne pourront me nourrir de ce qui se joue à la Cour très longtemps.
-Oh...je doute qu'elles ne s'en lassent. Il s'agit d'Olympe et d'Hortense, et non de Marie.L'amusement se lit à nouveau dans le regard du duc, laissant Marianne perplexe. Le soudain changement d'humeur de son mari n'est pas toujours de bonne augure, et elle craint une restriction de ses libertés. Elle aime trop la Cour, ses tumultes, ses intrigues et ses habitants. Elle y nourrit sa curiosité depuis son arrivée, il y a bientôt 8ans de cela.
Elle se souvient comme d'hier de l'arrivée de la lettre tant attendue, écrite de la main de son oncle. Elle se souvient du long voyage depuis Rome, et de son arrivée auprès de la famille royale.
L'accueil chaleureux de ses sœurs et guides pendant les premiers jours. Elle se rappelle ses paroles vives, où se mêlaient naïveté et grande franchise, qui faisait parfois les plaisirs de la Reine-mère.
Avec nostalgie, repassent dans sa mémoire ces quelques années d'insouciance, où elle fut l'enfant de la Cour. Celle qui amusait la galerie par ses saillies verbales, qui faisait rire son oncle et parents.
Elle se souvient encore de ce soir d'orage, lorsque, terrifiée par le déchirement du ciel, elle avait quitté sa chambre, et, éclairée à la seule lueur de sa bougie, était allée se réfugier dans la bibliothèque.
Elle y avait retrouvé son oncle, celui qu'elle aimait comme un père, et qui avait le pouvoir de donner une vie presque parfaite à ses nièces. Il l'avait alors rassuré, et, perchée sur ses genoux, elle lui avait lu ces poésies qu'elle chérissait tant, et lui avait raconté cette superbe amitié, mais secrète! qui la liait aux mots. Puis, l'orage passé, il l'avait ramené à sa chambre, et avait veillé jusqu'à ce que le sommeil gagne l'enfant qu'elle était alors.
Peu d'années la séparaient de ce soir-là, mais il semblait pour Marianne qu'une décennie avait passé. La disparition de son oncle avait chamboulé ses rêves de princesse, et depuis, comme en cet instant, elle aimait à se projeter dans ses souvenirs, et quitter un instant le monde réel.
-Reposez-vous, Marianne. Le souper sera servit aux heures habituelles.La voix de son mari rompit le charme des souvenirs. Elle sursauta légèrement, et sourit doucement au duc. Celui-ci se pencha vers la main qu'il tenait encore, et après avoir effleuré la peau de la jeune femme de ses lèvres, quitta la chambre.
1665.Décembre"Il s'appellera Louis-Charles."Ces mots résonnent faiblement dans la tête de Marianne. Epuisée, elle repose la tête sur les oreillers, et ferme les yeux. 9mois de liberté restreinte. 9mois. L'enfant est né, et c'est un garçon. Jamais Marianne ne vit le duc aussi heureux qu'en ce jour.
Elle pourrait se réjouir de cette nouvelle, mais la fatigue est trop forte, et elle s'endort, alors qu'au lointain, résonne les cris de l'enfant. Louis-Charles.
Malgré l'épuisement, elle trouve la force de savourer ce bonheur. Cette naissance est synonyme de liberté retrouvée. Elle pourra retrouver la Cour, ses sœurs et ses amis proches. Elle est certaine d'être passé à côté d'intrigues de la plus haute importance, et être ainsi mise à l'écart commence à lui devenir peu supportable.
Il y a bien eu les visites de ses sœurs, celles du charmant duc de Grammont, ou de courtisans peiné de la brusque disparition de leur amie, mais rien n'amenait la Cour à l'hôtel de Bouillon, et Marianne s'était languie de cela.
Il lui tardait de revenir. D'exposer ce qu'elle avait lu pendant ces longues semaines, de se mettre au frais des intrigues, et de revoir le Roi. La Reine-Mère était malade, Marianne ne songeait qu'à la revoir avant que l'insidieuse Mort ne vienne lui rendre visite.
C'était ainsi. Marianne, à qui l'on avait toujours beaucoup donné, ne pouvait supporter d'être mise à l'écart, et ce depuis toujours. Elle était à la Cour ce que le paon est à la basse-cour. Elle aimait se pavaner au milieu de ses gens faibles d'esprits, de culture et de poésie. Elle aimait à exposer l'intimité qui la liait aux mots, et la vivacité de son esprit. Elle voulait revenir dans le cœur des courtisans qui la chérissaient tant. Elle savait qu'outre sa délicieuse impertinence, sa beauté italienne attirait les regards. Elle en jouait, et plus que jamais, sa modestie s'étouffait sous la fierté.
Elle agaçait-même, parfois, lassant certains courtisans, qui alors piaillaient derrière son dos des petites injures à base de "petite noblesse" et "étrangère". Elle ne s'en souciait guère.
Elle avait acquis un titre, un grand titre non négligeable, qui lui permettait d'atteindre peu à peu la voie qu'avait tracé pour elle les astres.
Marianne était à présent sûre de ce qu'elle voulait être. Sa légère naïveté qui lui faisait parfois accorder sa confiance facilement, ne pourrait l'empêcher d'aller de l'avant, pas plus que son caractère trop affirmé.
Elle saisit son petit miroir posé sur sa table de chevet, et regarda longuement le reflet qui apparu à ses yeux. La fatigue se lisait sur son visage. Cela se verrait lorsqu'elle réapparaîtrait à la Cour, mais elle saurait jouer de ses regards expressifs réhaussés de ses grands cils noirs, de son sourire angélique, et surtout enjôleur. Son visage encore poupin respirait la jeunesse. Elle savait impressionner par ses savantes coiffures qui relevaient ses cheveux bruns d'italienne, dégageant sensuellement son cou pâle. Ses femmes de chambres, son coiffeur sauraient lui rendre sa beauté. Elle en avait l'envie, le temps et l'argent.
L'heure du souper arrivait, que Marianne avait déjà mis au moins son emploi du temps pour les semaines à venir. Dans l'ordre des choses, après s'être occupée de sa toilette mise au goût de la dernière mode dictée par Amy de Leeds, elle verrait son coiffeur, son joailler, son parfumeur. Elle rejoindrait Hortense à l'hôtel Mazarin, la tirer de l'ennui profond de son époux, et se mettrait ainsi aux dernière nouvelles. Voilà déjà trois jours qu'elle n'avait reçu de courrier, et les derniers croustillaient de nouvelles intéressantes.
1666. Fin janvier.La voiture, frappée aux armes du duché de Bouillon, fait son entrée dans la cours du château. Le valet en livrée saute de son siège, déplie l'escalier, et ouvre la portière, s'effaçant avec respect derrière.
Délicatement, comme si 9mois ne s'étaient écoulés, Marianne de la Tour d'Auvergne, née Mancini, duchesse de Bouillon, descend les petites marches, jusqu'à toucher le sol de ses souliers neufs.
Versailles. Enfin. Elle respire l'air à plein poumons, comme une délivrance.
Les mains gantés de noir, elle ôte sa cape grise, et laisse apparaître une toilette sombre, sobre pour une femme de cette trempe. Mais le deuil qui entoure alors Versailles ne laisse aucun choix à Marianne, qui avance vers le château d'un pas sûr. Sa petite cour lui rouvre enfin ses portes. Rien ne vaut un deuil et ses messes basses pour se remettre au parfum.