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 [Paris, 1664] « Le plus souvent l'apparence déçoit, il ne faut pas toujours juger sur ce que l'on voit »

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[Paris, 1664] « Le plus souvent l'apparence déçoit, il ne faut pas toujours juger sur ce que l'on voit » Empty
MessageSujet: [Paris, 1664] « Le plus souvent l'apparence déçoit, il ne faut pas toujours juger sur ce que l'on voit »   [Paris, 1664] « Le plus souvent l'apparence déçoit, il ne faut pas toujours juger sur ce que l'on voit » Icon_minitime22.08.13 16:36

- Le diable est de retour ! Il a le corps d'un homme mais croyez-moi, braves hommes et braves femmes, il n'est rien d'autre qu'un démon vêtu de chair et mérite, pour son impiété, un dernier supplice exemplaire et public qui fasse trembler les âmes fragiles, il mérite le châtiment du feu, avant-coureur de celui de l'Enfer !
Émilie de Vendières qui était en train de somnoler depuis le début du sermon – tout en songeant à la meilleure manière d'obtenir de nouveaux cadavres pour ses expériences anatomiques puisqu'elle avait épuisé le sujet de son entrée dans une compagnie secrète d'hommes de science en passant en revue toutes les manières d'entrer en contact avec eux – se réveilla brusquement aux hauts cris du curé. Ce dernier, un petit bonhomme aussi minuscule que rond qui récitait de manière générale, du moins lorsque la jeune femme se rendait dans son église ce qui lui arrivait bien peu souvent, ses sermons avec l'air de s'ennuyer autant que son auditoire semblait avoir eu une attaque de nervosité et déclamait son texte en levant à moitié son poing au-dessus de sa tête, tout en grondant de manière bien propre à effrayer les vieilles rombières vêtues de crêpes noires assises à l'avant et qui se signaient toutes les deux secondes en hochant la tête. En soit, Émilie aurait pu s'intéresser à ce malheureux curé car son enthousiasme actuel à appeler à brûler des sujets du roi était étonnant et méritait analyse mais la scientifique qu'elle était avait, elle, retenu tout à fait autre chose de ce beau discours qui glaçait le reste de l'assemblée.
- Le diable est de retour ? Se pencha-t-elle vers son époux qui arborait le même air serein qu'il avait habituellement tandis que l'homme de Dieu continuait à vitupérer de façon fort peu posée ou mesurée, où peut-on le trouver ? Voilà qui me plairait de faire sa connaissance !
Nicolas Colbert lui jeta un coup d’œil et un sourire ironique à sa femme dont il connaissait les lubies avant de lâcher :
- Vous n'aurez pas à le chercher bien loin, alors, car selon notre curé, il s'agit de monsieur Molière de la troupe du Palais-Royal.
- C'est de lui dont il parle ? S'étonna Émilie, perplexe, mais depuis quand ce bon vieux curé qui ne sait pas écrire deux phrases avec du sens – sauf celles où on parle de brûler des gens visiblement, s'intéresse-t-il au théâtre ?
- Je crains, ma chère, que ce ne soient pas les qualités littéraires de Molière qui le choquent mais plutôt le fait que Molière ait mis un faux dévot dans sa dernière pièce, tout le monde appelle à l'interdiction de la pièce et le roi semble sur le point de céder.
- Sérieusement ? S'écria Émilie d'une voix forte et bien portante jusqu'aux premiers rangs et à plus forte raison à la tribune, mais pourquoi éprouvent-ils donc le besoin de donner leur... ?
En un bel ensemble, ses voisins et le rang devant elle se retournèrent pour lui réclamer le silence tandis qu'elle se faisait fusiller du regard par le curé
qu'elle avait malencontreusement coupé dans son élan des supplices réservés dans l'au-delà à ce pauvre Molière et qui venait de se perdre dans son discours si grandiloquent, tandis que Nicolas Colbert demeurait de marbre à ses côtés, se contentant de lui tapoter la paume pour lui demander de rester calme. Émilie, vexée et de mauvaise humeur, se tassa sur son banc et passa le reste du service à grommeler des remontrances à ce curé indigne. Son époux lui accordait un regard de temps à autre tout en se demandant s'il devait être rassuré de voir qu'elle allait visiblement mieux après l'une de ses traditionnelles attaques de rhume de poitrine qui avait failli la clouer au lit – il avait dû la harceler une journée durant pour qu'elle daigne sortir de son lit pour aller à la messe et et n'avait pas cessé de bouder depuis – ou s'il devait s'inquiéter de voir qu'elle prenait tant à cœur ce sermon. A la sortie de l’Église, sur le parvis où les fidèles évitaient soigneusement la jeune femme, le frère cadet de Jean-Baptiste Colbert, prenant conscience des yeux brillants d’Émilie et de son soudain entrain débordant, opta pour la deuxième solution :
- Promettez-moi, chère Émilie, que vous vous ne dévouerez pas à cette affaire et que vous ne plongerez pas à corps perdu dans cette querelle ? Je dois bientôt repartir en province, je ne souhaite pas que vous vous fassiez – encore – remarquer durant mon absence. Promettez-le moi, insista-t-il en prenant la main de son épouse.
Cette dernière eut une moue mais finit par répondre du bout des lèvres :
- Je vous le promets.

A peine quatre jours après le départ de Nicolas pour le Languedoc où il devait surveiller les levées d'impôts sur la gabelle, ce qui promettait de belles flambées que n'aurait pas désapprouvé le curé de la paroisse des Vendières, Émilie Colbert avait écrit à la Sorbonne, à l'archevêque de Paris dont elle espérait beaucoup depuis qu'elle avait appris qu'il avait rédigé une vie du roi Henri IV, à l'Académie française et à l'Académie des belles-lettres avant de secouer ses réseaux de scientifiques et de libertins dans le but d'en apprendre le plus possible sur cette affaire et de ne pas permettre la condamnation du Tartuffe, pièce qu'elle avait fini par lire un soir où elle avait eu des symptômes de la peste et où elle s'ennuyait sans personne pour lui tenir compagnie. Elle n'avait jamais vu Molière ni sur scène ni au détour de salons qu'elle fréquentait de temps à autres mais la peinture de l'hypocrisie religieuse avait tout pour plaire à la libertine qu'elle était – au sens noble du terme, il ne s'agissait que de douter en l'existence de Dieu, que l'on s'arrête de suite ! De toute façon, la jeune femme avait besoin de croisades à mener pour se sentir utile et la défense de ce monsieur Molière était une cause perdue telle qu'elle les aimait. Heureusement, l'option du bûcher avait été rejetée par les autorités mais la pièce encourrait une interdiction d'être représentée d'autant que la reine-mère lui était bien peu favorable. En conséquence, ils furent bien peu à répondre à l'appel d’Émilie, seul l'archevêque de Paris eut la courtoisie de s'épancher en une lettre injurieuse qui lui demandait de retourner broder comme toute femme mariée devrait occuper ses journées. Mal lui en avait pris car pour Émilie, il s'agissait là d'un crime de lèse-majesté et son enthousiasme redoubla encore. Elle se voyait déjà haranguer les foules pour aller sus aux prêtres indignes, telle une... Telle qu'elle serait la première à le faire ! Au lieu de cela, les réseaux libertins publièrent des pamphlets contre Péréfixe ce qui était une maigre consolation. La dame de Vendières réfléchissait encore à un coup d'éclat qui renverrait l'Inquisition espagnole chez elle quand elle fut cordialement invitée chez madame de La Sablière, une dame de bonne réputation qui donnait salon à La Folie-Rambouillet. La jeune femme décida que même les héroïnes avaient parfois le droit de se reposer – et encore peut-être parviendrait-elle à convaincre quelques personnes d'adhérer à sa cause, en toute subtilité, elle se le promettait – et s'y rendit au jour dit, dans une splendide robe recouverte de dentelles et de pompons du plus bel effet.

Les bonnes résolutions de l'héroïne tinrent environ une demi-heure ce qui était déjà un record la concernant car comme toute héroïne digne de ce nom, sa cause l'accompagnait partout où elle se rendait et n'avait nul besoin de repos comme en prit conscience l'affreux petit bonhomme ventru qui avait osé dire que Molière n'était qu'un écrivaillon de bas étage qui faisait des comédies pour la populace en choquant les bonnes mœurs et la morale. Pourtant la soirée avait bien commencé dans une ambiance festive mais feutrée dans laquelle régnait Madeleine Hessein pour laquelle Émilie avait beaucoup de sympathie car elle était l'une des rares avec laquelle on pouvait parler astronomie et physique et car elle invitait le plus beau monde chez elle, notamment les Perrault et donc les propres frères de la dame de Vendières. Émilie s'était déplacée de groupes en groupes pour apprendre des nouvelles des uns et des autres – car il apparaissait que le monde continuait de tourner même quand elle était malade ou qu'elle se livrait à ses croisades, tout en se plaignant de ne pas avoir de compagnie ou d'homme à tout faire qui pourrait écrire son courrier, elle qui « était si occupée ». On allait lui suggérer d'en choisir un, notamment chez ces nombreux clercs qui cherchaient du travail à Paris quand le petit bonhomme précédemment cité voulut faire son malin, détournant Émilie de sa conversation (dont les conséquences seraient pourtant malheureuses pour un certain abbé Malingre à la recherche d'emploi).
- Les comédies de Molière sont inutiles et blasphématoires, il ne convient pas à des comédiens excommuniés de nous instruire sur la morale chrétienne et la religion ! Insistait l'homme alors que les personnes autour de lui s'étaient figées, lisez donc Corneille, vous verrez enfin du vrai génie !
La dame de Vendières ne voulut pas s'avancer sur le thème des mérites comparés de Molière et Corneille car elle connaissait fort peu ce dernier, ayant été plus formée par son frère aux dissections qu'aux belles-lettres modernes mais elle ne pouvait laisser passer une telle insulte et s'écria avec véhémence en direction de l'imbécile :
- Oh mais tuez-moi, je vous en supplie mais la bouche fermée ! Vous entendez-vous parler ? Le théâtre et la littérature n'ont que faire des sujets autorisés ou non, ils parlent de tout parce que c'est le théâtre et la littérature. Monsieur Molière prend les vices de son siècle pour nous les montrer et ce sont ses personnages qui sont rendus ridicules pour nous faire rire du ridicule de notre siècle !
L'assemblée s'était figée dans l'attente, peut-être, que la confrontation tourne au drame comme s'ils étaient réellement des personnages d'une tragédie de Corneille mais l'homme, en voulant couper la parole à son adversaire qui détestait cela, perdit toute chance de pouvoir l'assassiner d'un dernier trait :
- Ce n'est pas au théâtre de prêcher...
- Vous savez, monsieur, répliqua Émilie emportée dans une flambée toute théâtrale justement, pompons au vent, si cette pièce vous déplaît autant, ce n'est pas qu'elle est immorale, c'est qu'elle met le doigt sur l'immoralité de beaucoup de dévots !
Un raclement de gorge interrompit sa belle diatribe et elle fit volte-face vers l'importun sans lui laisser le temps d'en placer une :
- Et bien quoi, qu'avez-vous à ajouter ? Vous désapprouvez ce que je suis en train de dire ? Poursuivit-elle en direction du nouveau venu qu'elle ne connaissait en aucune manière et qui était un grand homme habillé simplement, aux traits carrés, pas désagréables et aux cheveux bruns ponctués de blanc, pointant son doigt vers lui, et bien laissez-moi vous dire, monsieur, que vous n'avez aucun humour et que vous devez bien vous ennuyer dans votre existence pour dire ou écrire de telles horreurs à propos de cette pièce !
Ce ne fut qu'à cet instant que la dame de Vendières vit les signes de dénégation désespérés que lui adressait Madeleine de La Sablière dans le dos de celui qu'elle venait de provoquer et en plissant les yeux pour voir ce que celle-ci tentait de lui dire, ses joues se colorèrent brusquement et pour la première fois de sa vie, elle en fut mouchée. Il fallait avouer que c'était là une curieuse manière de faire la connaissance du fameux monsieur Molière !
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[Paris, 1664] « Le plus souvent l'apparence déçoit, il ne faut pas toujours juger sur ce que l'on voit » Empty
MessageSujet: Re: [Paris, 1664] « Le plus souvent l'apparence déçoit, il ne faut pas toujours juger sur ce que l'on voit »   [Paris, 1664] « Le plus souvent l'apparence déçoit, il ne faut pas toujours juger sur ce que l'on voit » Icon_minitime05.10.13 15:29


    NON NON NON ET NOOOON !!! S’énervait l’artiste en agitant frénétiquement les bras devant sa troupe médusée. Lionel… Don Juan est un séducteur, un homme à femmes. Es-tu bien sûr d’avoir saisi ce personnage ?

    -Bien sûr ! Je…

    -NON !
    Le coupa net le dramaturge. N-O-N ! Tu n’as pas saisi le personnage… Absolument pas ! Tu te tiens comme un arbre mort !!! Si j’avais voulu d’une bûche dans le premier rôle j’y repenserai, mais là… On parle d’un homme sûr de lui, manipulateur… Il a le sang chaud ! Tu la sens la Sicile ? S’exclama-t-il en roulant des épaules.

    -Oui, je vais…

    -Cesse de blablater dans le vent Lionel !
    Continue de s’énerver Molière en pointant un doigt menaçant vers son comédien. Donne-moi ce que je veux !

    Lionel et les autres comédiens sur la scène s’échangèrent des regards perplexes. Ils connaissaient les lubies artistiques de leur mentor… Mais ce n’est pas toujours facile à suivre… Le comédien essaye ensuite de prendre une attitude plus nonchalante s’apprêtant  à reprendre sa réplique.

    -JE VEUX DU SEXE, MERDE ! Explosa Molière en frappant du poing sur sa table de travail. Séduis-moi Lionel ! Tu es un démon !

    Non, Molière ne se privait d’aucunes excentricités quand il s’agissait de sa direction de comédiens. Il commençait tout juste à écrire les premières scènes ce qui sera plus tard son Don Juan ou le Festin de pierre. Le dramaturge voulait faire plus fort que son Tartuffe, allé encore plus, toujours plus loin… Mais jusqu’où irait-il ? Son talent était de mettre le doigt là où la société avait le plus mal dans sa conscience profonde. Tartuffe avait choqué ces dévots étriqués et hypocrites ? Leurs cœurs allaient lâcher devant son Don Juan ! Et ce n’était certainement pas pour déplaire à Molière… Et le Roi ? Oh il verra bien ce qu’il en dira…

    Après des premiers essais de lectures et de jeux qui occupèrent une bonne part de la matinée, Molière ordonna à sa troupe le repos jusqu’à la représentation du soir de Tartuffe. Tant que Molière n’avait pas reçu l’ordre formel de ne plus la jouer : il poursuivait son œuvre dans la plus grande joie ! (interdiction qu’il recevra officiellement le surlendemain). C’est donc chez madame de La Sablière qui donnait salon à La Folie-Rambouillet, qu’il choisit de passer son après-midi. Non pas que Madame de la Sablière soit une amie proche mais il savait que son salon regorgeait de dévots plus délicieux les uns que les autres… Provocant Molière ? Que nenni, milady… Il savait s’amuser voilà tout…

    Il demanda donc à quelques comédiens qui se rendaient en ville de le déposer non loin du lieu de rendez-vous de ce salon. Habiller simplement comme à son habitude il se présenta à un domestique qui le mena jusqu’aux salons dédiés à la réception. Lorsqu’il franchit la porte pour pénétrer dans un premier salon, tous les regards se posèrent sur lui avec des airs interdits plus hilarants les uns que les autres.

    -Oh ! s’exclama Molière avec un sourire bonhomme. Ne me dites pas que vous parliez de moi dans mon dos, dit-il en agitant un doigt faussement réprobateur. Vous n’oseriez jamais…

    C’est alors qu’un petit homme à l’air fortement contrarié, vêtu à la mode typique des partisans du crucifix vint près de lui avec un air pincé plein de dédain, une coupe de vin à la main.

    -Monsieur, dit-il d’une voix étonnamment fluette. Vous osez avoir le mauvais goût de vous présenté en ces lieux ! Après tout ce scandale, cette insulte faite à la bonne société !

    -Me voilà fort contrarié de vous savoir froisser… Monsieur ?

    -De Bergogne !
    s’exclama le petit rondouillard en levant le menton. Monsieur Pierre Anne-Marie de Bergogne fils.

    -Me voilà enchanté de faire votre connaissance !
    s’exclama Molière avec un grand sourire.

    -Le plaisir n’est pas partagé…

    -Vous m’en voyez navré…N’est-ce pas votre fille qui a fait scandale à la cour dernièrement ?
    demanda Molière comme on demande à quelqu’un de nous passer le sel. Une certaine Michelle, je crois...

    Le Bergogne devint rouge écarlate, surpris par la remarque si soudaine du dramaturge qui ne se gênait pas le moins du monde pour mettre les sujets qui fâche sur la table.

    -Je…, essayai le monsieur, au bord de l’explosion. C’est ma…nièce. Vous êtes répugnant ! Un misérable ! Vous n’avez rien à faire chez une dame aussi respectable. Retournez donc avec votre bande de démons, on ne veut pas vous entendre ici.

    Face à cette réaction, Molière ne pût que rire, ce qui provoqua une somme considérable de regards assassins et autres messes basses derrière des éventails. Mais personne pour venir en aide au Bergogne étrangement… Pas même impressionné par la foule environnante, Molière se pencha calmement pour mettre son visage à la hauteur de son interlocuteur qui transpirait à grosses gouttes.

    -Vous savez, Monsieur de Bergogne, dit-il en articulant bien sur son nom. Si vous ne vouliez rien entendre à mon sujet il faudrait vous boucher les oreilles… et même vous bâillonner ! Car d’après ce que je sais et ce que ce salon me laisse à voir : Vous avez passé surement une heure, voir deux ou trois, à parler de moi (en mal, je n’en doute pas). Mais si j’étais si misérable comme vous dites, vous n’en parleriez même pas. Il faut croire que malgré tout vos standards de bonne conduite, vous me trouvez malgré tout de l’intérêt.

    Un silence tenu régnait sur le petit salon, tandis que l’activité grouillait dans les autres pièces. C’est alors que Molière se permit de remettre en place la cravate de taffetas blanc du petit Bergogne qui ne savait plus quoi dire ni que faire.

    -Alors… Je suppose, poursuivit Molière, que si je n’avais pas écrit tout ceci : vous n’auriez pas grand-chose à raconter… Je me trompe ?

    On pouvait entendre les mouches voler tellement l’assistance restait coite. Satisfait, Molière s’éloigna du minuscule dévot rouge tomate, qui n’avait pas bougé d’un pouce, avant de s’adresser au reste de l’assistance :

    -Faites comme si je n’étais pas là ! Poursuivez ! dit-il en leur adressant une petite révérence avant de quitter ce salon pour entrer dans un autre.

    - Ce n'est pas au théâtre de prêcher..., entendit-il soudain.
    Décidément, il n’en aurait pas fini d’entendre des rabat-joie sur sa dernière pièce (qui est un chef-d’œuvre pourtant, pensa ironiquement le dramaturge).

    - Vous savez, monsieur, répliqua une jeune femme dans l’assistance, si cette pièce vous déplaît autant, ce n'est pas qu'elle est immorale, c'est qu'elle met le doigt sur l'immoralité de beaucoup de dévots !

    Oh ! Quel charmant personnage ! Molière ne pût résister à l’envie d’intervenir. Il écarta quelques personnes sur son passage et vint se placer derrière la jeune femme avant de se racler bruyamment la gorge. Elle fit volte-face :

    - Et bien quoi, qu'avez-vous à ajouter ? Vous désapprouvez ce que je suis en train de dire ? Continuait sa charmante admiratrice en pointant un doigt vers lui.

    Il semblerait qu’elle ne sache même pas à quoi ressemblait Molière vu sa réaction. Le dramaturge trouvait la situation tout à fait délicieuse. Il resta silencieux avec un grand sourire de gamin tandis qu’elle continuait de déverser sa verve enragée :

    -Et bien laissez-moi vous dire, monsieur, que vous n'avez aucun humour et que vous devez bien vous ennuyer dans votre existence pour dire ou écrire de telles horreurs à propos de cette pièce !

    Elle lui offrait une occasion trop belle pour pouvoir la manquer, Molière s’en donna à cœur joie :

    -Il est vrai que cette pièce est immonde ! Qu’on condamne cet auteur infâme ! S’exclama-t-il de façon tragique en levant le poing avant de retrouver son expression de bonhomie habituelle et de prendre la main de la jeune femme afin de la saluer. Madame, dit-il en inclinant la tête, Jean-Baptiste Poquelin. Mais le commun des mortels me connait comme étant Monsieur Molière. Je suis enchanté de faire la connaissance d’une admiratrice aussi fervente que vous ! dit-il avec un regard pétillant et plus qu’amusé.

    Il jeta un regard circulaire sur l’assistance qui n’osait rien dire (encore).

    -Il faut dire que vous êtes bien la seule par ici…

    Les invités recommencèrent à émettre quelques murmures plus ou moins discrets tout en continuant de fixer le scandaleux dramaturge. Celui-ci haussa les épaules :

    -Et bien messieurs dames ? On ne vous a pas apprit qu’il était impoli de dévisager les gens ? dit-il, pas même gêné d’attiser les braises avant de reporter son attention sur la jeune femme quand les conversations reprirent timidement.

    Et vous, madame ? Que fait donc une fleur aussi charmante que vous dans ce parterre d’orties ?... Oh mais vos pompons sont ravissants ! dit-il avant de se pencher vers elle pour lui glisser : Que diriez-vous de fuir ce haut lieu des faux-semblants ? Ce que ces gens peuvent être ennuyeux ! Toujours à parler de ce Molière ! dit-il faussement agacé avant de lui lancer un clin d’œil.
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Il fallait avouer qu’Émilie de Vendières, en  bonne libertine qu'elle était, ne s'était jamais réellement demandé à quoi pouvait ressembler le diable – quoique certains eussent sans doute jugé que c'était une raison supplémentaire pour se pencher sur la question, histoire de savoir ce qui l'attendait après sa mort, mort qui ne saurait tarder au vu de la violence et de la gravité extrême de son dernier rhume de poitrine qui l'avait laissée agonisante pendant au moins trois jours et qui s'était terminé, par une heureuse coïncidence, le jour où elle avait appris que le dramaturge du Palais-Royal était une cause désespérée à aller défendre. Mais au vu des diatribes enflammées des prêcheurs, elle le voyait quand même davantage comme un être hirsute avec des cornes, des crocs et des jambes de bouc (même s'il fallait avouer qu'il y avait plus effrayant comme animal que le bouc – le lapin par exemple propageait des maladies effroyables selon certaines théories), et selon certains qui affirmaient l'avoir vu de leurs propres yeux, il dégageait une abominable odeur de soufre et transportait avec lui, flammes et fumées de sa demeure souterraine (ce qui dénotait tout de même un certain sens de la théâtralité, raison pour laquelle Émilie se sentait en sympathie avec lui et peut-être pour laquelle les prédicateurs croyaient le voir surgir partout au détour des coulisses d'un théâtre). En bref, ce n'était quand même pas le genre d'individu que l'on croisait facilement dans un salon mondain et qui pouvait se mêler aux conversations raffinées de ces dames – ou du moins, s'il le faisait, on le remarquait facilement. Aussi lorsqu’Émilie se retourna dans un volte-face que n'auraient pas renié les plus grands militaires de son temps, armes toujours à la main – enfin en l'occurrence c'était les pompons qui tenaient lieu d'armes, mais on sous-estimait largement le pouvoir distrayant qu'ils avaient sur l'ennemi, elle était loin de s'imaginer que se trouvait devant elle l'auteur vilipendé de toutes parts et notamment dans les chaires d'églises, à savoir le « diable » en personne selon les dires du curé de sa propre paroisse. Il fallait dire qu'il n'était pas reconnaissable au premier coup d’œil : point de cornes ni de pattes de bouc (on pouvait tout de même reconnaître qu'il avait un côté hirsute), et l'air fanfaron qu'il arborait n'avait rien de machiavélique ou tortueux. Non, l'homme qui lui faisait face était plutôt grand et large d'épaules, son visage carré était piqueté d'une barbe de quelques jours et ses yeux brillaient de malice. À bien y réfléchir, on n'aurait même pas forcément pensé qu'il était un auteur de théâtre – mais cela c'était peut-être uniquement parce qu’Émilie les voyait tous comme le grand ennemi de son frère Charles, avorton, lâche et petit comme ce Jean Racine. En tout cas, si le diable revêtait ce genre d'apparences pour tromper les crédules, Émilie se laissait volontiers prendre au piège et décida, après un coup d’œil appréciateur sur la silhouette de ce monsieur Molière, qu'elle se portait volontaire pour une étude approfondie de la question.

L'héroïne de la journée, toujours prête à défendre avec passion ses causes – même devant les imbéciles, c'était dire qu'elle faisait preuve de grandeur d'âme, ne se doutait toutefois pas un instant de l'identité de cet homme qui s'était raclé la gorge derrière elle quand elle se retourna pour l'apostropher. Elle l'aurait volontiers rajouté dans cette liste d'imbéciles, au premier rang de laquelle figurait à présent cet archevêque Péréfixe qui s'était donné pour mission sacrée de renvoyer toutes les femmes à leurs broderies, à cause de ce sourire effronté qui lui donnait la désagréable impression que l'on se moquait d'elle, ce qui constituait un crime de lèse-majesté, à n'en pas douter, jusqu'à ce que son regard accrochât les gestes désespérés de madame de La Sablière qui tentait de se faire comprendre malgré la forte carrure de l'homme qui la cachait en partie. Aussi lorsque ses yeux se posèrent à nouveau sur son interlocuteur, Émilie comprit en un éclair que non seulement, elle venait de déverser sa verve sur quelqu'un qui n'était pas à convaincre, mais également sur un auteur de théâtre protégé de Monsieur, reconnu et détesté par le tout Paris (et le tout Versailles). En lui déniant sens de l'humour et sens commun. Elle se félicita intérieurement d'avoir des nerfs solides – du moins quand elle ne faisait pas une attaque nerveuse, ce qui lui arrivait de manière régulière, certes – car elle aurait pu se pâmer devant une telle surprise, ce qu'il n'aurait probablement pas manqué d'apprécier en bon homme de théâtre mais elle reste, farouche, campée sur ses deux jambes, sentant un mince sourire naître sur ses lèvres à leur tour lorsqu'il leva un poing au ciel pour déclamer dans un « ô rage, ô désespoir » que n'aurait pas renié le grand Corneille lui-même :
- Il est vrai que cette pièce est immonde ! Qu'on condamne cet auteur infâme !
Et une seconde plus tard, il avait quitté son masque de tragédien pour retrouver une bonhomie dont Émilie le soupçonna d'en user de nombreuses fois et lui prendre la main pour la saluer poliment, pendant que le public improvisé se tenait coi :
- Jean-Baptiste Poquelin, mais le commun des mortels me connaît comme étant monsieur Molière. Je suis enchanté de faire la connaissance d'une admiratrice aussi fervente que vous !
Elle lui faisait la grâce de rougir comme une donzelle de quinze ans, preuve que les héroïnes pouvaient être flattées que l'on reconnaisse leurs mérites et leur dévouement exceptionnel mais ne parvint pas à se présenter, comme si cette apparition la laissait muette. A tout bien y réfléchir, de l'extérieur, Émilie paraissait être la fervente adoratrice qui rencontrait enfin l'étoile qu'elle vénérait, trop étonnée que l'on s'intéresse à elle. En apparence toutefois, car en réalité, la belle-sœur de Colbert aurait pu rencontrer un vulgaire comédien dès qu'elle l'aurait souhaité et intérieurement, la jeune femme était plus enthousiaste par l'idée de rencontrer celui que toute la Chrétienté – ou presque – qualifiait de diable que l'auteur et amateur de belles-lettres.

- Il faut dire que vous êtes bien la seule par ici...
Émilie aurait sans doute pu défendre cette chère madame de La Sablière qui avait du bon goût – la preuve, elle invitait régulièrement son frère Charles Perrault à ses petites sauteries, même si Émilie ignorait si Charles parvenait à se faire inviter grâce à l'excellence de sa plume ou grâce à sa place privilégiée dans les multiples intrigues autour de Colbert. Néanmoins, si on pouvait lui dénier sa solitude, même si c'était plus grandiose pour une héroïne, on ne pouvait lui ôter qu'elle était la plus charmante et la plus pomponnée (au sens propre) des soutiens de Molière.
- Et bien messieurs dames ? On ne vous a pas appris qu'il était impoli de dévisager les gens ? Poursuivit le dramaturge décidément bien en verve pour se mettre le reste de l'assemblée à dos, laquelle retourna à ses conversations petit à petit, non sans avoir noté, avec une certaine inquiétude, le rapprochement entre un comédien diabolique et une dame de Vendières qui, pour beaucoup, ne l'était pas moins. Laquelle constatait avec ravissement que Molière se tenait toujours devant elle et semblait lui trouver un certain intérêt.
- Et vous madame ? Que fait donc une fleur aussi charmante que vous dans ce parterre d'orties ?... Oh mais vos pompons sont ravissants !
Émilie s'en serait pâmée, enfin un homme qui savait parler aux femmes !
- Que diriez-vous de fuir ce haut lieu des faux-semblants ? Ce que ces gens peuvent être ennuyeux ! Toujours à parler de ce Molière ! Termina-t-il avec emphase et agacement surjoué qu'il ponctua d'un clin d’œil en sa direction.
- Vous ne fuiriez donc pas avec une inconnue aussi fervente soit-elle, s'amusa Émilie en minaudant à moitié, je suis Émilie de Vendières mais appelez-moi Émilie – si vous saviez à quoi ressemble le village de Vendières, c'est perdu en Champagne, vous seriez d'accord – et je suis absolument ravie de vous rencontrer. Ces pompons sont l’œuvre de mon tailleur, un chef d’œuvre n'est-ce pas ? Je trouve qu'ils devraient revenir à la mode, cela met en valeur la silhouette et la grâce des jeunes femmes. D'ailleurs, vos personnages féminins devraient en mettre, je pense, cela irait parfaitement bien à Elmire ou madame Pernelle.
Après cette minute mode et chiffons qui avait dû passionner l'écrivain, la jeune femme décida de passer à un autre de ses chevaux de bataille, à savoir la défense passionnée de la dernière pièce de Molière, aussi prit-elle un air de conspiratrice pour lui souffler, non sans jeter un coup d’œil aux alentours comme si elle craignait qu'on ne les espionne :
- Mais trêve de badinages, vous vous doutez sans doute que je ne suis pas là par hasard, je ne suis là que pour faire triompher la cause de la vérité (elle n'était pas très loin de la réalité, ses causes ne la quittaient jamais), et pour vous défendre face à toutes ces vipères qui ne cherchent qu'à vous faire du mal, ce n'est que pour cela que j'ai bravé l'ennui de leurs conversations mais je suis bien payée de mes peines puisque vous êtes là. Vous avez raison, éloignons-nous ! Il faut que je vous raconte tout !

Sur cette rime involontaire, ce fut une Émilie ravie qui prit le bras de ce monsieur Molière pour l'entraîner à l'écart, sous les regards bien suspicieux de leur entourage et quand elle fut certaine qu'ils étaient assez loin pour ne pas être entendus, elle le lâcha pour se retourner vers lui et se mit à lui raconter par le menu tout ce qu'elle avait entrepris pour tenter d'enrayer l'interdiction de cette pauvre et malheureuse pièce si formidable et si extraordinaire, un chef d’œuvre d'écriture injustement méprisé et calomnié, c'est-à-dire à ses divers contacts à la Sorbonne, aux académies et à l'archevêque lui-même :
- Il m'a répliqué qu'une femme ne pouvait pas avoir d'opinion sur un tel sujet, termina-t-elle, indignée, alors que ses mains et ses pompons, bien sollicités par sa brillante démonstration digne des plus orateurs de la Grèce antique, s'apaisaient enfin, ce nouvel archevêque Péréfixe est un imbécile doublé d'un méchant qui pense que vous êtes le diable, je suis certaine que lui non plus ne croit pas à la théorie de la circulation sanguine, il est bien trop obtus pour cela !
Se rendant brusquement compte qu'elle avait davantage évoqué ses propres malheurs qu'autre chose, elle fit enfin une pause mais ne reprit sa respiration que pour lancer :
- Mais je vous promets que nous allons arriver à quelque chose, nous ne pouvons qu'obtenir un résultat et au pire la postérité vous rendra justice. Je suis la belle-sœur de monsieur Colbert, le contrôleur des Finances, je peux peut-être...
Elle parut un instant songeuse, en se rappelant que son époux lui avait demandé de ne pas mêler le nom des Colbert à tout cela, alors qu'elle pouvait quand même bien s'en servir pour défendre les opprimés – combien même l'homme amusé devant elle n'avait guère l'air d'un opprimé – mais son visage se fendit en un large sourire mutin pour ajouter :
- J'espère que je pourrais bientôt vous voir enfin sur scène, mon cher Molière, et je ferais tout pour y parvenir ! Mais vous parliez de quitter les lieux, dites-moi ? Je suis bien curieuse de savoir où le diable que vous êtes emmène les jeunes femmes pures et innocentes comme moi !
Autant finir damnée !
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[Paris, 1664] « Le plus souvent l'apparence déçoit, il ne faut pas toujours juger sur ce que l'on voit »
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