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 Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664)

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MessageSujet: Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664)   Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664) Icon_minitime15.04.13 0:09


« ...Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue »


- Je ne suis pas certain de pouvoir garder la pièce très longtemps à l'affiche, disait Créon avec beaucoup trop d'énergie pour quelqu'un qui venait de revenir des Enfers dans lesquelles il s'était plongé quelques dizaines de minutes auparavant et sans jeter un regard au petit dramaturge qui trottinait derrière lui, dépité.
- Peut-être que si on changeait quelques vers de Jocaste dans le troisième acte..., suggéra Jean Racine en agitant le livret sous le nez de son directeur de troupe et acteur principal.
Molière, arrivé devant sa loge, daigna enfin se retourner vers le jeune écrivain et ôta la perruque qu'il avait arborée pour jouer son rôle (et qui, il fallait l'avouer, ne donnait pas un cachet très antique à son costume) :
- Vous avez entendu comme moi ce que les critiques ont dit : Etéocle et Polynice sont d'une haine monotone, Jocaste lasse par ses longues déclamations au lieu de toucher, Créon est trop cynique et il manque une belle histoire d'amour tragique pour faire flancher le cœur des spectateurs. On parle même de retourner voir la pièce au nom imprononçable de Corneille à l'Hôtel de Bourgogne (il fit référence à cette troupe rivale en adoptant un ton dégoûté) sous prétexte qu'elle leur parle enfin d'héroïsme ! Je vais vous dire, Racine, moi, j'ai un théâtre à faire tourner et des comédiens à payer !
Sur ces belles paroles, il entra dans sa loge d'un pas décidé et, digne de son rôle de traître, claqua la porte au nez de son écrivain qui se retrouva bien bête à agiter son livret, la bouche encore ouverte pour ajouter que la pièce présentée chez ces comédiens bien moins doués (Racine adoptait sans problème les détestations de ses amis surtout quand il s'agissait du metteur en scène de sa pièce et si cela concernait une troupe qui avait déjà refusé ses propres textes) était Sophonisbe et qu'en plus de ne pas savoir prononcer son titre, personne ne comprenait rien à l'histoire non plus. Il aurait bien aimé avancer également que lui aussi avait un besoin urgent d'argent car sa famille lui envoyait plus de lettres de reproches que des liquidités pour lui permettre de vivre décemment. Mais il venait de se faire rabrouer par le grand Molière en personne et il ne lui restait plus qu'à rebrousser chemin comme une âme en peine, non sans grommeler entre ses dents que le directeur de la troupe du Palais-Royal faisait preuve de bien mauvaise volonté. Il croisa quelques comédiennes qui s'éparpillaient dans les couloirs après avoir récoltés les mots d'admirateurs qui leur distribuaient généreusement compliments et fleurs qu'elles fassent rire ou pleurer (en l'occurrence, elles avaient plus fait pleurer de rire mais ce n'était pas volontaire) et il vit à peine Mlle Even chercher à lui adresser la parole, trop occupé à chercher des arguments pour convaincre Molière de continuer à présenter la pièce car il était bien connu qu'avec le bouche à oreille, les spectateurs finiraient bien par se précipiter en foule. Peut-être qu'en raccourcissant légèrement le face à face entre Antigone et Créon au final... ?

Pourtant, si la situation paraissait dramatique et digne du désespoir cornélien tant admiré (en moins sanglant et surtout sans le héros pour la sauver), à l'origine, c'était une chance incroyable qui s'était offerte au jeune Racine. Après avoir versé des larmes de comédie de circonstance suite à l'interdiction du Tartuffe, opinant du chef quand on lui parlait de la censure scandaleuse de l’Église, gardant un air plus neutre quand on lançait des imprécations à la reine mère et au prince de Conti (savait-on jamais), il avait couru jusqu'à la troupe du Palais-Royal sur les conseils de ses amis La Fontaine et Boileau pour proposer ses bons services. La troupe se trouvait sans nouveau texte à présenter lors de cette saison, il avait trouvé Molière, déjà rencontré précédemment grâce aux offices de ces mêmes amis et le reste de ses comédiens abattus et abasourdis – du moins le jeune poète se plaisait-il à se les représenter ainsi et il avait fait figure de sauveur. Racine avait exulté quand le directeur du Palais-Royal lui avait fait confiance pour une pièce sur le sujet de la « thébaïde » et il avait écrit tous ses alexandrins en quelques semaines à peine, prenant à peine le temps de dormir et manger. Enfin une chance de briller au firmament des auteurs de son siècle, de se faire remarquer par des possibles protecteurs haut placés qui lui permettraient de vivre de sa plume sans plus s'inquiéter de l'endroit où il allait dormir dans les semaines à venir. Il était peut-être exagéré de dire que le jeune Racine de 1664, toujours plein d'enthousiasme et d'énergie, songeait uniquement à des considérations aussi matérielles. Au contraire, il avait finir par fuir Uzès et la recherche d'un bénéfice ecclésiastique pour retourner à Paris que la tante Agnès de Sainte-Thècle aimait appeler la « Babylone » dans le but de vivre de sa passion, de ses mots qui l'habitaient, de cette nécessité qu'il éprouvait de faire vivre des personnages à travers de vers harmonieux. Depuis qu'il avait abandonné les projets que sa famille avait pour lui, c'était même devenu un défi personnel que de prouver à tous qu'ils avaient eu tort. Et à vingt-cinq ans, Jean était convaincu de son talent et de ses capacités.

Pour être honnête, il avait du mal à accepter la défaite qui le laissait amer cette soirée-là. Il s'était pourtant efforcé de rendre le plus pathétique possible cet épisode mythologique pour tirer les larmes des spectateurs et il s'était complu à les imaginer sanglotant sur la mort de... Sur l'une des multiples morts de la pièce, mouchoir à la main, touchés en plein cœur par la tragédie de cette sympathique histoire de famille qui s’entre-tuait avec le plus grand entrain, sujet qui concernait tout le monde, Racine l'orphelin n'en doutait aucunement. Quelle n'eut pas été sa surprise quand il vit des aristocrates rire aux balcons, des pouilleux discuter joyeusement au poulailler et même une farandole qui avait été esquissée dans le parterre. En bref, c'était une catastrophe et Racine avait passé son temps, dans sa loge située dans la galerie à s'éventer avec son livret et à écouter d'une oreille distraite son ami Boileau pester contre le chef de claque qui selon toute évidence s'était endormi tant il ne faisait pas son travail et qui lui avait donc volé son argent – Jean Racine à bord de l'apoplexie avait du mal à compatir. A quelques vers de la fin, il avait préféré s'éclipser pour éviter de subir les cris d'égorgé de Molière. Ce ne serait pas encore aujourd'hui qu'il pourrait saluer du haut de sa loge une foule admirative. Il n'était pas du genre à se laisser abattre en règle générale mais juste après cet échec retentissant, il se sentait de mauvaise humeur et quelque peu démoralisé, ce qui, dans sa déambulation dans les coulisses, lui fit soigneusement éviter les salles où il était sûr de pouvoir rencontrer du monde et surtout Boileau. Était-ce le jeu des comédiens qui n'allait pas ? La troupe de Molière était réputée pour être largement surpassée par l'hôtel de Bourgogne en terme de tragédie et en plus, cette dernière bénéficiait des créations de Pierre Corneille qui plaisaient au public, Dieu seul savait pourquoi, ajouta mentalement Racine de pure mauvaise foi. Certes, les comédiens avaient dû apprendre leurs rôles en quelques jours et n'avaient guère l'habitude d'un tel style d'écriture ce qui avait poussé Créon à faire preuve de tyrannie et à modifier certains vers, leurs déclamations sonnaient peut-être faux. Ou alors, perspective qui effraya bien plus Racine et le plongea dans des abîmes d'accablement, ses vers étaient simplement peu naturels et peu élégants. Mauvais ! Pendant un instant terrible, il envisagea cette possibilité et ce mot. Puis secoua la tête en continuant d'avancer. Si tel était le cas c'était la fin de tout !

Jean Racine était tellement plongé dans ses pensées qu'il ne vit pas arriver une silhouette bien connue qui dut même se planter devant lui pour qu'il la remarque enfin et lève le nez de son livret.
- Ah te voilà, Racine ! S'exclama Nicolas Boileau avec un air à la fois embarrassé et soulagé, je te cherchais partout mais tu semblais avoir disparu !
Étonnant vraiment. Le jeune homme songea qu'il s'était mal débrouillé sur le coup et se maudit intérieurement pour avoir marché jusqu'à l'entrée du théâtre réservé aux artistes, regrettant même de ne pas avoir filé au plus vite après la représentation, ne serait-ce que pour retrouver Rose à l'Île d'or. Même s'il ne prenait plus guère de plaisir à retrouver la jeune femme dont il s'était peu à peu lassé, cela aurait toujours été mieux que de jouer les vautours sur les ruines de sa pièce. Certes, Boileau lui remontait le moral quand ça allait mal en le traînant dans une taverne pour noyer son chagrin dans un verre – et même plusieurs, Racine ne se faisait jamais prier mais il aurait préféré ruminer seul ce soir-là. Nicolas était trop pétri de bonnes intentions et assez dépourvu de tact pour ne pas éviter d'évoquer le sujet de La Thébaïde et Racine n'avait pas envie d'entendre son jugement à ce sujet. Pas au moment où il lui fallait un plan d'action pour rebondir. Pas au moment surtout où il était de mauvais poil et ne désirait pas être dérangé si bien qu'il aboya en direction de son pauvre ami :
- Que se passe-t-il ?
Boileau ne se démonta pas, comme à son habitude face aux poètes et leva les yeux au ciel en commentant :
- Voyons, tu es parti si vite que tu n'as même pas salué ton public...
- Navré mais me faire huer ne me tentait guère, répliqua Racine d'un ton acerbe.
- Tu exagères, s'indigna son ami, certes, La Thébaïde n'a pas fait l'unanimité, c'est vrai mais on a pu entendre des applaudissements après la mort de Créon et si la claque avait fait son travail, on aurait presque pu dire que c'était un succès.
Racine leva un sourcil pour signifier tout le bien qu'il pensait de cette méthode – l'achat d'une claque – pour promouvoir une pièce mais s'aperçut que tout en babillant, Boileau l'entraînait vers les théâtre.
-... Tu sais ce que je t'ai déjà dit, tu t'es peut-être laissé emporter vers la fin de La Thébaïde, personnellement j'aurais plutôt vu le triomphe d'Antigone mais...
- Mais pourquoi retourner à la salle de spectacle ? Protesta vigoureusement Racine.
- Oh, une demoiselle de ma connaissance souhaitait te rencontrer, dépêche toi donc un peu, tu l'as déjà assez fait attendre à te cacher dans tous les recoins du Palais-Royal.
Oh non. Ce fut la seule pensée de Racine au moment où il amorça un mouvement de recul mais il était surveillé de trop près par son ami pour pouvoir s'échapper. Quelle était la personne que Boileau avait bien pu dénicher ?... Et de toute façon qui était la personne qui avait aussi peu de jugeote pour vouloir le rencontrer après une telle débâcle, à moins pour se moquer de lui ? Il avança donc à reculons jusqu'aux coulisses et de là, suivant toujours Boileau, il descendit au milieu du parterre. Le théâtre n'était pas entièrement vidé, quelques groupes discutaient encore çà et là. Mais Nicolas les ignora résolument – Racine tenta de se dissimuler derrière sa haute silhouette, il fallait bien un avantage à être petit et maigre – et se dirigea jusqu'à une jeune femme blonde qui semblait bien menue et réservée, bref qui ne semblait pas être le genre de personne à demander à rencontrer un poète inconnu après avoir vu mourir tous ses personnages sur scène.
- Mademoiselle, veuillez nous pardonner, commença Boileau, mon ami Jean Racine est très demandé par ses comédiens, vous vous doutez bien.
Le jeune homme, empli de mauvaise volonté et l'air grognon, leva la tête vers elle, bien décidé à ne pas laisser cette conversation s'éterniser.
- Racine, voici mademoiselle de Listenois.
En croisant pour la première fois le regard bleu de Christine de Listenois, Racine ne se serait jamais douté qu'il serait amené à la revoir. Et de nombreuses fois.
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MessageSujet: Re: Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664)   Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664) Icon_minitime15.05.13 1:39

C’est souriante, et visiblement ravie de franchir à nouveau les portes du salon de madame de Scudéry, que la marquise de Listenois descendit de la voiture qui venait de la mener à Paris. Il ne s’était pourtant guère écoulé que quelques semaines depuis la mort de son père, mais alors que Claude ou Christine elle-même s’attendaient à voir ressurgir les violentes crises qui avaient suivi la plupart des disparitions qui ponctuaient déjà la vie de la jeune femme, celle-ci avait au contraire senti toute excitation anormale et dangereuse la quitter, et goûtait pour la première fois depuis longtemps au plaisir d’être débarrassée des troubles qui la rongeaient. Elle y goûtait d’autant plus que le décès de son père et le départ de son frère pour les terres familiales avaient fait monter en elle un véritable sentiment de liberté. On pouvait bien lui reprocher de ne pas réellement porter le deuil du duc de Bauffremont, de paraître bien trop joyeuse pour quelqu’un qui venait de subir une telle perte, mais la jeune marquise existait si peu aux yeux de son père, sinon comme un fardeau qu’il ne souhaitait pas porter, qu’elle avait dû se rendre à l’évidence : la disparition de celui-ci ne la touchait guère. Et passés les premiers regrets de n’avoir jamais su plaire à l’austère et parfois effrayante figure paternelle, Christine avait tourné la page. Claude était parti, et la maladie avec, elle devait mettre cette soudaine liberté à profit. La vie bouillonnante de la cour, les salons, les missions confiées par le roi... Il y avait tant à faire ! Et comme rien n’était moins sûr que la durée du répit qui lui serait laissé, il n’était pas question de perdre ce précieux temps à pleurer la mort d’un homme qu’elle n’avait jamais fait que décevoir, et qui le lui avait bien fait sentir.

C’est donc tout sourire qu’elle pénétra dans le confortable hôtel particulier. Elle avait beau avoir passé une partie de la nuit à enquêter sur cette mystérieuse femme qui s’obstinait à croiser sa route, et certainement pas avec les meilleures intentions, rien ne semblait pouvoir entamer sa toute nouvelle énergie. Volubile et mutine, pleine d’enthousiasme, elle salua les uns et les autres, entraînant avec elle le baron de Vitré qui avait tenu à l’accompagner, quoi qu’il ne fût pas grand amateur de littérature. Mais le jeune homme tenait tellement à séduire la belle marquise qu’il avait bien fallu accepter de la suivre s’il souhaitait rester avec elle, ce que Christine ne lui avait pas refusé, car si celle-ci ne comptait pas céder à ses avances, elle ne prétendait pas non plus dédaigner les cadeaux dont il la couvrait pour la convaincre du contraire. Il serait toujours temps de lui faire comprendre qu’il se démenait en vain : pour l’heure, il l’amusait beaucoup. Elle se fendit même d’un charmant sourire à son égard, alors qu’ils avançaient tous deux en direction du petit groupe qui s’était rassemblé autour de la piquante Sapho, dont toute l’attention semblait tournée vers un petit cadre posé bien en évidence sur un chevalet.
« Oh chère marquise, quel plaisir de vous voir ! s'exclama Madeleine de Scudéry en apercevant le couple. Votre dernière nouvelle était absolument savoureuse, il me tardait de vous revoir pour vous le dire de vive voix... Oh mais que vois-je, vous n’êtes pas seule ? Parfait, vous tombez bien tous les deux, vous allez pouvoir nous donner votre avis sur ceci, ajouta-t-elle en désignant le tableau sans laisser le temps à qui que ce soit de lui répondre. Monsieur Boileau prétend l’avoir retrouvé dans on ne sait quel vieil hôtel. »
Nicolas Boileau, qui se trouvait non loin de Sapho, esquissa un sourire amusé et adressa un signe de tête à Christine, qui avait déjà eu l’occasion de le rencontrer. Celle-ci lui sourit, puis lâchant le bras de son baron, s’approcha du cadre qui attirait tous les regards, et qui, après un premier instant de stupeur, lui tira un vif éclat de rire.
« Mon Dieu, quelle horreur ! Qui est ce pauvre homme ? demanda-t-elle en observant le visage difforme exposé sur la toile.
- Figurez-vous, ma chère, qu’il s’agit d’Albert II du Saint-Empire, duc d’Autriche il y a de cela quelques siècles, répondit Boileau.
- N’est-il pas affreux ? reprit Madeleine de Scudéry.
- Absolument ! S’il n’y avait pas cette moustache, on ne saurait dire s’il s’agit bien du duc ou de ses tantes Vulfetrude et Théodorade ! Ne trouvez-vous pas qu’il louche, baron ? Où avez-vous trouvé une horreur pareille ? interrogea-t-elle en se tournant vers le poète.
- Dans le grenier de l’hôtel d’une connaissance. Son père collectionnait les portraits des Habsbourg.
- Quelle idée saugrenue... ! »

La joyeuse assemblée se moqua encore un moment de ce pauvre Albert et de sa descendance qui ne valait guère mieux - à l’exception de Sa Majesté la reine, évidemment puis l’on changea de sujet et Christine, abandonnant le baron de Vitré à son sort auprès de Sapho, resta seule avec Boileau pour l’entretenir des vers qu’il lui avait donnés à lire quelques jours plus tôt.
« J’ai beaucoup aimé ce poème, vraiment ! En connaissez-vous bien l’auteur ? s'enthousiasmait-elle
- Tout à fait, Racine est un grand ami à moi. Si vous aimez ses vers, vous devriez apprécier sa première pièce, La Thébaïde. Elle est jouée demain au Palais Royal, souhaiteriez-vous y assister ? Je pourrais même m’arranger pour vous le faire rencontrer.
- Vraiment ? J’en serais ravie ! »
L’affaire fut rapidement conclue, au plus grand plaisir de la marquise dont la passion pour le théâtre dépassait encore celle qu’elle nourrissait à l’égard de la littérature en général. Pour une demoiselle qui avait gardé la faculté enfantine de s’émerveiller d’un rien, l’idée de rencontrer un jeune poète dont les vers étaient si prometteurs avait quelque chose de grisant, si bien qu’elle passa les heures suivantes à s’enthousiasmer à l’avance de cette rencontrer auprès du baron de Vitré. Elle sembla même si joyeuse que ce dernier se sentit obligé de lui proposer de l’accompagner, persuadé qu’il saurait ainsi s’attirer les bonnes grâces de la demoiselle. Ni lui ni cette dernière ne pouvaient se douter qu’en vérité, le baron y perdrait bien au change, et que de l’entrevue promise par Nicolas Boileau en découleraient bien d’autres. Pour l’heure, le jeune homme se contenta de déployer des trésors d’ingéniosité pour tenter d’intéresser Christine à ses propres talents pour la chasse ou la guerre, sans oublier une certaine affection pour la poésie (miraculeusement découverte ces derniers jours) mais en vain. Lorsqu’ils quittèrent le salon de Sapho, après que la marquise eût fait la lecture de sa dernière nouvelle et recueilli les félicitations de ses auditeurs, elle ne parlait encore que de théâtre, au plus grand dam du pauvre baron.

Le soir suivant vint rapidement. La jeune femme était restée à l’hôtel de Bauffremont, prétextant qu’il serait ainsi plus facile de se rendre au Palais Royal le lendemain. En réalité, elle affectionnait peu la majestueuse bâtisse, hantée de vieux démons qu’elle ne souhaitait rencontrer, mais il lui fallait rester à Paris pour poursuivre ses diverses enquêtes. Elle y consacra, une fois de plus, une partie de sa nuit, mais la fatigue semblait ne pas avoir de prise sur elle, mais ce qui, dans d’autres circonstances, l’aurait inquiétée sur son état lui sembla cette fois de bien bon augure. Elle était donc fin prête, vêtue d’une jolie robe bleue, lorsque le baron vint la chercher pour la mener au théâtre. Lorsqu’ils y entrèrent, elle chercha Boileau du regard mais ne pouvant le trouver, s’occupa plutôt à observer les lieux, écoutant d’une oreille distraite ce que pouvait bien lui raconter son compagnon - malgré la charmante attention de celui-ci qui avait trouvé le soir propice à lui offrir un petit pendentif qui ornait désormais son cou. Elle était si plongée dans ses observation que lorsque la pièce commença, elle n’avait qu’une vague idée de ce dont ils avaient parlé. Heureusement pour lui, le baron eut la décence de se taire à l’entrée des deux premiers personnages, ce qu’il aurait été bien imprudent de ne pas faire, car dès les premières plaintes de Jocaste jusqu’aux derniers râles de Créon, pas un instant, les grands yeux de Christine ne se détournèrent de la scène. Et si l’on aurait pu suivre sur ses traits attentifs les rebondissements tragiques de l’intrigue, à la fin de la pièce, elle n’avait pas prononcé le moindre mot. Néanmoins, et malgré quelques moues perplexes face au dénouement sanglant de cette joyeuse tuerie familiale, l’on pu aisément deviner son sentiment lorsqu’elle se joignit aux quelques applaudissements qui retentirent dans le théâtre. L’intrigue était peut-être trop tragique, le nombre de morts sans doute trop élevé, mais les vers étaient beaux, vibrants, touchants et les yeux brillants de Christine en témoignaient.
« Alors, qu’en avez-vous pensé ? interrogea le baron, qui attendait visiblement l’avis de sa compagne pour formuler le sien. »
Mais celle-ci, qui avait complètement oublié la présence du pauvre jeune homme, ne répondit pas, ayant aperçu un signe de Boileau dans sa direction. Elle lui proposa de partir, en lui assurant qu’elle pourrait rentrer par ses propres moyens mais il protesta vigoureusement et lui annonça qu’il l’attendrait dehors, qu’elle pouvait tout à fait prendre son temps. Christine n’ayant pas envie d’argumenter, elle le remercia, et s’empressa de rejoindre Boileau qui l’attendait au bas de la scène.

Ils débattirent quelques instants de l’argument, et devant l’enthousiasme de la demoiselle, Nicolas Boileau lui assura que Jean Racine serait sans doute ravi de faire sa connaissance, qu’il allait s’empresser de le trouver et qu’elle n’avait qu’à les attendre ici quelques instants. La marquise hocha la tête et le laissa partir en quête du dramaturge, l’esprit encore tourné vers la pièce à laquelle elle venait d’assister, et dont elle pouvait encore se souvenir certaines tirades. En matière de théâtre, elle était dotée d’une mémoire plutôt exceptionnelle. Elle patienta quelques minutes, et fut sortie de ses pensées par la silhouette de Boileau derrière laquelle se tenait un jeune homme qu’elle n’avait jamais vu. En les voyant approcher, elle se redressa et vint à la rencontre des deux poètes.
« Mademoiselle, veuillez nous pardonner, mon ami Jean Racine est très demandé par ses comédiens, vous vous doutez bien, commença Boileau. Racine, voici mademoiselle de Listenois. »
Christine leva les yeux sur Jean Racine, un sourire ravi aux lèvres, le regard pétillant. Elle l’observa un court instant, et faisant fi du fait qu’il ne semblait pas exactement aussi ravi qu’elle de cette rencontre, fit un pas vers lui en s’exclamant avec toute la sincérité du monde :
« Monsieur Racine, je suis heureuse de vous rencontrer enfin ! Votre ami m’a beaucoup parlé de vous, il m’a même montré quelques uns de vos poèmes !
- La pièce de ce soir vous a-t-elle plu autant que ceux-ci ? intervint Boileau avec enthousiasme.
- Je n’en ai pas perdu un vers, répondit la marquise avant de détourner à nouveau son regard pour s’adresser à nouveau à Racine. Pour être tout à fait honnête, je pense que vous avez fait mourir un peu trop de vos personnages, surtout dans le dernier acte. Peut-être auriez-vous dû laisser Créon triompher, et laisser Antigone en vie, afin de faire comme un prologue à Sophocle. »
Durant toute cette tirade, elle ne s’était pas départie de son air. Loin d’elle l’idée de donner la moindre leçon, mais elle avait pris l’habitude de donner pleinement son avis en matière de littérature, même si elle veillait toujours à le faire le plus humblement possible. Notant que le poète ne semblait guère à son aise, elle lui adressa un sourire sincère.
« Mais vos vers sont... superbes, reprit-elle, les yeux brillants. Et je ne suis sans doute pas la seule à le penser, je crois qu’à certains moments, toute l’assistance s’y est laissée prendre. Les retrouvailles d’Hémon et d’Antigone sont vraiment touchantes. Et soudain, emportée dans son élan, elle se mit à déclamer :
Permettez que mon coeur, en voyant vos beaux yeux,

De l'état de son sort interroge ses dieux.

Puis−je leur demander, sans être téméraire,

S'ils ont toujours pour moi leur douceur ordinaire ?

Souffrent−ils sans courroux mon ardente amitié ?

Et... »

Un instant, elle hésita, fronçant les sourcils en cherchant à se rappeler le vers suivant qui lui échappait, en dépit de sa mémoire à toute épreuve.
« Et du mal qu’ils ont fait ont-ils quelque pitié ? reprit-elle. C’est bien cela ? Vous avez vraiment du talent, monsieur Racine ! »

À vrai dire, elle avait même été plus touchée qu’elle ne le disait par cette Antigone qui perdait tout à tour ses deux frères et son amant, avant de mettre elle-même fin à sa vie, mais il n’était pas temps de céder à ces songes-là.
« Eh bien marquise, quelle mémoire ! Vous n’avez pas que des talents de conteuse ! Qu’en dis-tu, Racine, tu vois bien que ce n’est pas un échec !
- Loin de là, renchérit la demoiselle, qui avait totalement oublié qu’on l’attendait dehors. »
Tout en espérant sincèrement qu’il ne prendrait pas mal ce qu’elle avait bien pu dire, elle adressa un grand sourire au dramaturge aux yeux bruns, qu’elle devait, mais elle l’ignorait, croiser bien des fois encore.
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MessageSujet: Re: Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664)   Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664) Icon_minitime08.06.13 1:15

Jean Racine n'était pas franchement dans les meilleures dispositions du monde pour aller faire face à la spectatrice que souhaitait lui présenter Nicolas Boileau. S'il avait eu le choix, d'ailleurs, il aurait probablement choisi d'aller se terrer au fin fond de son lit pour ruminer ses déboires (si on considérait que cela était possible pour quelqu'un qui dormait dans une chambre qui n'était pas la sienne) ou alors de faire une tournée des tavernes pour au contraire les oublier quelques instants. Mais au lieu de ça, celui qui se prétendait son ami mais qui semblait prendre un curieux plaisir à le torturer – on ne pouvait plus se fier à personne – l'avait forcé à faire demi-tour et à remettre les pieds dans les lieux mêmes de son échec retentissant. Mais quand il se fût rendu compte du stratagème de son ancien ami, il était trop tard, il était déjà dans le parterre. Il y avait toujours quelque chose de triste à un théâtre vide, aux sièges abandonnés, dont les lumières s'éteignaient petit à petit au fur et à mesure que les bougies mourraient. De triste, sans doute mais aussi d'exaltant comme si les murs répétaient en écho tous les vers qui avaient été déclamés sur scène ou qu'ils gardaient en eux les vibrations conçues au rythme des passions, des larmes et des rires à la fois des personnages mais aussi des spectateurs. Comme si l'endroit, par sa fonction même, continuait à vivre de son existence propre et c'était là que le dramaturge se sentait chez lui. Dans ce monde d'illusions où se révélait la vérité de l'âme humaine. Racine, quand il était de meilleure humeur, se plaisait à imaginer que des années, des siècles plus tard même, des admirateurs continueraient à se déplacer jusque dans ces balcons et ressentiraient tout cela à leur tour, qu'ils se pencheraient par-dessus la balustrade pour suivre ses figures de papier déployer leurs malheurs sous leurs yeux et que la magie des mots, transcendant les époques et les modes, les toucherait en plein cœur. Il les voyait presque, ces visages attentifs, jeunes et plus âgés, ces larmes qui perlaient dans leurs yeux, les mêmes larmes que ceux des spectateurs du XVIIe siècle, tant et si bien qu'ils se fondaient tous dans une seule masse unanime. Si Racine considérait qu'il n'avait pas le choix parce qu'écrire était pour lui aussi essentiel que de manger (bien que dans sa jeunesse, il avait souvent été obligé de sacrifier le second au premier), c'était aussi pour tout cela qu'il voulait faire du théâtre. Pas forcément recevoir la pleine lumière, non juste faire partie de cet univers en restant dans l'ombre, être aimé pour ce qu'il faisait et donc ce qu'il était.

Mais ce soir-là, le théâtre n'était pas totalement vide et Racine n'avait guère le cœur à se laisser aller à telles réflexions alors que tout lui paraissait soudainement compromis, le rêve s'étant confronté à la rude réalité des contraintes économiques d'un directeur de troupe. Au milieu des mouchoirs oubliés et des chaises mal rangées, se trouvait une jeune femme blonde, toute frêle et blanche, certainement pas le genre d'amateur du genre de la tragédie qu'aurait imaginé le dramaturge, sans doute parce qu'elle avait l'allure idéale d'une jeune première. Que lui voulait-elle donc et qu'espérait-elle de cette rencontre ? De son côté, c'était clair, il aurait voulu se trouver à mille lieues de là et devant la mine réjouie de Boileau, Racine se jura de lui faire payer un jour – et à l'époque, il se croyait bien rancunier (c'était avant de se rendre compte qu'il flanchait facilement devant une paire d'yeux bleus). Il était bien décidé à écourter cette entrevue au maximum et ce fut grognon et les sourcils froncés qu'il releva la tête vers elle et posa enfin le regard sur la demoiselle de Listenois. Avec toute la mauvaise foi qui la caractérisait, surtout quand on le forçait à faire ce dont il n'avait pas envie, il se dit en lui-même qu'elle était bien quelconque. Comme ses nombreuses conquêtes l'avaient prouvé, il préférait les femmes de caractère, à la démarche assurée, à la chevelure flamboyante, aux yeux de braise. Christine de Listenois semblait, à première vue, leur exacte opposée. Blonde et rose, elle ne faisait son âge qu'avec peine, ses yeux étaient d'un bleu profond mais sa silhouette maigre et ses traits arrondis étaient illuminés par une sorte d'excitation ou de joie intérieure qui surprit le dramaturge qui se sentit, bien malgré lui, curieux de savoir qui elle était ou ce qu'elle lui voulait. Elle n'attendit d'ailleurs pas qu'il prît la parole – fort heureusement car il n'avait pas envie de faire le moindre effort – pour s'adresser à lui, un large sourire aux lèvres et le regard pétillant, visiblement assez enthousiaste pour deux :
- Monsieur Racine, je suis heureuse de vous rencontrer enfin ! Votre ami m'a beaucoup parlé de vous, il m'a même montré quelques-uns de vos poèmes !
- Boileau est trop bon pour moi, marmonna Racine dans sa barbe, non sans jeter un regard noir à Nicolas qui l'ignora royalement.
- La pièce de ce soir vous a-t-elle plu autant que ceux-ci ? Enchaîna d'ailleurs ce dernier sans prêter attention aux signes de dénégation de son ancien ami qui n'avait guère envie de s'attarder sur le sujet. Tant qu'à faire, on pouvait toujours rester sur les poèmes galants que Nicolas se faisait un plaisir de diffuser dans les salons (dans le but de séduire des jeunes filles, Racine n'en doutait pas un seul instant du désintérêt de son plus fervent admirateur).
Mais c'était peine perdue, ses interlocuteurs faisaient comme s'il n'était pas là alors que c'était lui qui était au centre de la conversation, c'était un comble ! Mais comme il ne tenait pas à être impoli avec une marquise qui pouvait aller à la cour, la mine fermée, croisant les bras sur son torse, il se résigna à se retourner vers Christine de Listenois et à écouter son verdict, non sans une certaine inquiétude. Mais si en bon écrivain, il s'attendait à peu près à tout, la jeune femme réussit à outrepasser son imagination avec la réponse qu'elle apporta à la question de Boileau.
- Je n'en ai pas perdu un vers, dit-elle d'un ton qui semblait sincère (Boileau l'avait-il payée pour lui remonter le moral ? C'était en tout cas un meilleur investissement que la claque), sans se départir de sa bonne humeur malgré la mauvaise volonté du poète, pour être tout à fait honnête, je pense que vous avez fait mourir un peu trop de vos personnages, surtout dans le dernier acte. Peut-être auriez-vous dû laisser Créon triompher et laisser Antigone en vie, afin de faire comme un prologue à Sophocle.
Où est-ce que Boileau avait donc déniché une telle jeune femme ? Loin de pleurnicher ou de faire deux ou trois remarques stupides sur les costumes ou le nombre de larmes de Jocaste, comme toute écervelée l'aurait fait, elle avait répondu de manière constructive sans pour autant se mettre en avant ou faire étalage de son savoir. Elles étaient pourtant rares les dames qui pouvaient se vanter de connaître les pièces d'un auteur grec du Ve siècle ! Cela eut en tout cas le mérite de lui faire oublier la critique qu'elle avait formulé juste avant – car Racine, s'il avait conscience du problème, n'aimait guère que ce soit les autres qui le lui disent, il avait sa fierté. Il voulut lui demander si elle avait étudié le grec ancien comme cela avait été le cas pour lui dans sa jeunesse à Port-Royal mais il surprit le regard amusé que Boileau portait sur lui et se referma, la moue boudeuse.

Mademoiselle de Listenois ne semblait pourtant pas en prendre ombrage mais comme si elle venait de prendre conscience de l'attitude de son interlocuteur, elle s'interrompit un instant avant d'ajouter avec un sourire qui éclaira son visage et la rendit rayonnante :
- Mais vos vers sont... Superbes. Et je ne suis sans doute pas la seule à le penser, je crois qu’à certains moments, toute l’assistance s’y est laissée prendre. Les retrouvailles d’Hémon et d’Antigone sont vraiment touchantes.
- Je vous remercie, osa le dramaturge, bien plus content de savoir que ses vers avaient plu à la demoiselle qu'il ne l'aurait voulu. D'autant plus qu'il était plutôt fier de la scène en question. Mais elle ne l'écouta pas et, emportée par son élan, elle se mit à déclamer avec une exactitude proprement incroyable pour quelqu'un qui n'avait vu la pièce qu'une seule fois :
- « Permettez que mon cœur, en voyant vos beaux yeux,

De l'état de son sort interroge ses dieux.

Puis−je leur demander, sans être téméraire,

S'ils ont toujours pour moi leur douceur ordinaire ?

Souffrent−ils sans courroux mon ardente amitié ?
Et... »

Elle s'interrompit un instant, les yeux un peu perdus dans le vague, cherchant à se remémorer la suite et Racine, malgré sa mauvaise humeur et toutes ses résolutions de rester muet ne put s'empêcher de compléter, par réflexe :
- « Et du mal qu'ils ont fait ont-ils quelque pitié ? ».
Ils avaient parlé en même temps, à l'unisson alors que Boileau prenait un air entendu. Le dramaturge, lui, était troublé : il ne savait rien de cette femme, pourtant le fait de l'entendre prononcer ses vers donnait aux mots une nouvelle signification. Sortis de leur contexte, ces quelques questions prenaient une nouvelle dimension, une autre signification et cette voix ardente, passionnée qui était celle de Christine avait vibré dans tout l'être de Racine. Sans s'apercevoir de l'effet qu'elle avait produit, elle enchaîna sur quelques compliments qui firent légèrement rougir le poète (alors que deux minutes auparavant, il aurait pu mettre sa main au feu qu'il n'avait rien à faire de l'opinion de la marquise de Listenois – et puis d'ailleurs, il n'avait rien à faire d'elle tout court). Mais Boileau, impitoyable jusqu'au bout, ne lui laissa pas le temps de reprendre ses esprits :
- Eh bien marquise, quelle mémoire ! Vous n’avez pas que des talents de conteuse ! Qu’en dis-tu, Racine, tu vois bien que ce n’est pas un échec !
- Loin de là, approuva Christine, en lançant un grand sourire à Racine.
Non finalement, cette représentation n'était pas totalement un échec et peut-être pourrait-il même en ressortir quelque chose de bon. Racine ne l'aurait jamais avoué sous la torture (et ne voulait surtout pas faire plaisir à Boileau) mais il était plus lucide qu'un Henri de Champagne en son temps (qui avait vécu de nombreuses mésaventures à force de se voiler la face) et savait bien que la jeune femme venait irrémédiablement d'attiser sa curiosité et qu'il lui faudrait sans nul doute la satisfaire. Il ignorait juste jusqu'où tout cela allait le mener.

- Votre sollicitude me touche, répondit Racine, j'ai toujours considéré que même si une pièce ne plaisait qu'à une personne, elle valait tout de même la peine d'être écrite et jouée. Car cela signifie qu'elle peut parler à d'autres qu'à son auteur, parfois au plus profond d'eux-mêmes. C'est bien là qu'une œuvre peut devenir universelle et immortelle.
C'était sans doute un peu trop grandiloquent comme réponse mais le dramaturge avait le sentiment que ce n'était pas avec la demoiselle de Listenois qu'il pourrait se contenter des phrases ordinaires. Elle-même n'était pas ordinaire et répliquer autre chose, cela aurait été l'insulter. Néanmoins, il ne tenait pas à s'attarder davantage sur sa propre pièce et il voulait en apprendre davantage sur la jeune femme qui lui faisait face et un mot, dans les paroles de Boileau, avait attiré son attention :
- Mais j'ai cru comprendre que vous avez des talents de conteuse ? De quoi s'agit-il ?
- Figure-toi que mademoiselle a une imagination débordante, intervint Nicolas avec un enthousiasme certain, voulant mettre en avant les qualités de Christine, il suffit de lui donner un mot ou une phrase, une simple expression parfois aussi ridicule qu'« indigestion de melons » pour qu'elle te raconte une histoire extraordinaire comme tu n'en aurais jamais entendu, capable de t'embarquer vers d'autres horizons. Crois-moi, Racine, tu serais impressionné. Et tu fais pâle figure à côté d'elle.
- Ah vraiment ? Fit la pâle figure en question, un brin goguenarde, est-ce vrai, mademoiselle ? Vous seriez capable d'inventer une aventure, là sans préparation, sans réel temps de réflexion ?
- Mademoiselle de Listenois est capable de tout, elle est exceptionnelle, avança une quatrième voix, appartenant à un jeune homme qui venait de pénétrer dans le théâtre et qui se rapprochait de la jeune femme avec une démarche de conquérant (comme si Christine de Listenois lui appartenait), navré de vous interrompre, je suis le baron de Vitré, j'attends mademoiselle pour la raccompagner. Dès que vous aurez terminé bien sûr.
Ils se saluèrent respectueusement mais Racine se sentit un peu contrarié par cette soudaine apparition et par son attitude qu'il trouvait assez insultante. De toute façon, ce baron avait l'allure d'un imbécile et les manières également, il dénotait particulièrement au sein de la compagnie et surtout au bras de Christine. Quel intérêt pouvait-elle donc bien lui trouver ?
- Permettez, avant que vous ne vous occupiez d'elle, que nous testions ces talents que vous nous vantez tant ? Proposa Boileau, mi-figue mi-raisin, presque moqueur, Racine, proposez donc une phrase ou une expression à mademoiselle, vous verriez par vous-même.
- Voyons, je ne sais que...
- Racine, n'importe quoi, selon votre inspiration, vous êtes poète, que diable !
- Fort bien, fort bien, lâcha-t-il, si cela ne vous importune pas, mademoiselle, je vous propose un proverbe qui pourrait fort bien être la morale d'une des histoires de mon cousin La Fontaine. « Amour, Amour, quand tu nous tiens/On peut bien dire : Adieu prudence ».
C'était là la première idée qui lui était sortie de l'esprit et il la regretta immédiatement en entendant le rire de son ancien ami Boileau. Mais pour la première fois de la soirée, il oublia tout ce qui l'entourait, il oublia qu'il était de mauvaise humeur, que son avenir était peut-être remis en question, il oublia même la présence de son bourreau et de l'imbécile de service qui était un peu trop proche de la jeune femme, tout était suspendu aux lèvres de Christine de Listenois. Une simple histoire pouvait parfois conduire loin.
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MessageSujet: Re: Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664)   Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664) Icon_minitime22.06.13 19:01

La jeune marquise de Listenois nourrissait pour le théâtre une passion que l’on pouvait aisément dire enfantine, tant elle s’émerveillait sincèrement de ce qui se passait sur scène et des vers que l’on y déclamait. Elle n’était pas pour autant particulièrement bon public, et savait se montrer critique sur ce qu’elle voyait, mais lorsque la représentation lui plaisait, alors elle se laissait totalement emporter, et il était bien difficile de la ramener sur Terre avant la fin, parfois même pour les quelques heures suivant la pièce. On pouvait comprendre alors à quel point le monde du théâtre la fascinait, et ce depuis bien longtemps. Enfant, combien de fois avait-elle placé ses jeux dans les coulisses d’un théâtre, auprès des costumes et des écrivains aux mains tachées d’encre ? Elle avait écrit cette petite pièce, il y avait bien des années aussi, et l’adulte d’aujourd’hui se souvenait encore du vif plaisir qu’elle avait pris à créer ses personnages - même les plus simple qui soient -, les mettre en scène puis à les voir évoluer sous les traits de ses frères et de ses cousins devant un public pourtant peu disposé à lui faire des cadeaux - c’est-à-dire son père. Elle avait bien grandi depuis, et n’écrivait plus que des nouvelles ou parfois quelques poèmes. Mais tous ces personnages qu’elle créait pour ses missions d’espionne du roi, parfois simplement pour s’échapper un moment, ou s’inventer d’autres vies aux yeux du monde, finissaient toujours par la faire revenir à ses premières amours littéraires, qu’elle n’aurait renié pour rien au monde. Il y avait même plus : au théâtre, Christine se sentait bien, et pour la jeune femme troublée qu’elle était devenue, c’était là quelque chose de précieux. Quel que soit l’état dans lequel elle se trouvait, lors des représentations, elle n’était plus là, elle vibrait, s’effrayait, se passionnait pour les personnages, et même lorsque personne ne jouait, trouvait à ces lieux pleins de fantômes costumés quelque chose d’apaisant. C’est pour toutes ces raisons que les grands yeux bleus de Christine brillaient autant à l’idée de rencontrer Jean Racine, parce qu’elle avait trouvé dans ses vers tout ce qu’elle attendait du théâtre, en plus du fait qu’il y avait toujours, il faut le dire, quelque chose d’excitant à rencontrer l’auteur après avoir vu son oeuvre. Même si l’ensemble des spectateurs - qui avaient alors pour la plupart disparu - n’était visiblement pas de l’avis de la marquise. L’auteur en question lui-même ne semblait pas convaincu par la représentation qui venait de s’achever, pas plus qu’il ne donnait l’impression d’avoir envie de se trouver là. Ses yeux bruns et son air renfrogné exprimaient assez bien toute sa mauvaise humeur, mais Christine était bien trop ravie, elle, de sa soirée pour y prêter la moindre attention, d’autant qu’elle n’était n’avait pas pour but de se répandre en critiques méprisantes ou autres remarques désobligeantes. Elle n’avait d’ailleurs pas de but du tout, n’ayant fait qu’accepter la proposition de Boileau de lui faire rencontrer l’auteur des vers qu’elle avait tant apprécié, et pas la moindre idée des évènements auxquels cette conversation allait bien pouvoir mener. Mais lorsqu’elle vit Racine se détendre légèrement (et furtivement, certes) devant ses remarques, et lorsqu’elle l’entendit retrouver avec elle le dernier vers de la petite tirade qu’elle avait retenue, la jeune femme songea que la soirée n’était pas totalement perdue si elle avait réussi, au moins un instant, à le dérider. Sa pièce n’avait certes pas fait vibrer les foules, et ne convaincrait peut-être pas les spectateurs suivants, mais ceux-là ne savaient tout simplement ni voir au-delà de ce qu’ils avaient sous les yeux - il faut dire que les comédiens de Molière, plus habitués à faire rire, ne les aidaient pas réellement en ce sens -, ni écouter. Christine avait écouté, elle, et quoi que personne ne lui eût demandé son avis, se montra on ne peut plus sincère lorsqu’elle affirma à Jean Racine qu’il avait du talent. Une moue amusée lui échappa lorsqu’elle constata qu’il avait légèrement rougi à ce compliment, mais elle se garda bien de faire le moindre commentaire et laissa à un Boileau visiblement fort enchanté de cette rencontre l’occasion de reprendre la parole.

« Votre sollicitude me touche, répondit finalement Racine, j'ai toujours considéré que même si une pièce ne plaisait qu'à une personne, elle valait tout de même la peine d'être écrite et jouée. Car cela signifie qu'elle peut parler à d'autres qu'à son auteur, parfois au plus profond d'eux-mêmes. C'est bien là qu'une œuvre peut devenir universelle et immortelle.
- Vous avez raison ! s'exclama Christine, même si je suis certaine que d’autres que moi ont apprécié votre travail, ce soir.
- Mais j’ai cru comprendre que vous avez des talents, de conteuse ? reprit le jeune homme. De quoi s’agit-il ?
- Oh ce n’est...
- Figure-toi, l’interrompit Boileau, que mademoiselle a une imagination débordante, il suffit de lui donner un mot ou une phrase, une simple expression parfois aussi ridicule qu'« indigestion de melons » pour qu'elle te raconte une histoire extraordinaire comme tu n'en aurais jamais entendu, capable de t'embarquer vers d'autres horizons. Crois-moi, Racine, tu serais impressionné. Et tu fais pâle figure à côté d'elle. »
La jeune marquise tourna un regard amusé vers le poète, qui lui retourna ce qui ressemblait presque à un clin d’oeil. À son tour, elle n’avait pu s’empêcher de rosir légèrement, mais elle ne chercha pas à nier ce que venait de dire Boileau - excepté pour la dernière partie de sa réplique sans doute - car elle était bien consciente de cette imagination dévorante, et des histoire qu’elle était capable d’inventer. Elle était simplement la seule ici à ne pas considérer cela comme un don ou quelque chose dont il y avait de quoi s’enorgueillir, car les aventures imaginaires qui faisaient son petit succès dans les salons dissimulaient bien des choses dont elle avait terriblement honte.
« Ah vraiment ? Est-ce vrai, mademoiselle ? Vous seriez capable d'inventer une aventure, là sans préparation, sans réel temps de réflexion ?
- Mademoiselle de Listenois est capable de tout, elle est exceptionnelle, lança quelqu’un du fond de la salle, avant que la principale concernée n’ait eu la chance de répondre. »
Tous, et Christine la première, se tournèrent avec surprise vers le baron de Vitré. Elle allait lui demander ce qu’il faisait ici, mais se souvint juste à temps qu’il l’attendait, ce qu’elle avait jusque là totalement oublié.
« Navré de vous interrompre, je suis le baron de Vitré, j'attends mademoiselle pour la raccompagner. Dès que vous aurez terminé bien sûr, conclut-il en se postant auprès de Christine.
- Baron, vous connaissez déjà monsieur Boileau. Et voici son ami, monsieur Racine dont nous avons pu admirer le travail ce soir, lança la jeune femme en guise de présentations.
- Messieurs, c’est un plaisir. »
Tous se saluèrent courtoisement, quoi qu’il parût évident qu’il ne s’agissait pas exactement d’un plaisir pour le baron, qui non seulement n’avait pas particulièrement aimé la pièce, mais l’appréciait d’autant moins qu’elle lui volait, avec son auteur, l’attention de la marquise. C’est pourquoi il réitéra à celle-ci sa proposition de la raccompagner chez elle.

« Permettez, avant que vous ne vous occupiez d'elle, que nous testions ces talents que vous nous vantez tant ? proposa Boileau, ce à quoi le baron ne put qu’acquiescer, Racine, proposez donc une phrase ou une expression à mademoiselle, vous verriez par vous-même.
- Voyons, je ne sais que...
- Racine, n'importe quoi, selon votre inspiration, vous êtes poète, que diable ! Christine esquissa un sourire encourageant.
- Fort bien, fort bien, si cela ne vous importune pas, mademoiselle, je vous propose un proverbe qui pourrait fort bien être la morale d'une des histoires de mon cousin La Fontaine. « Amour, Amour, quand tu nous tiens / On peut bien dire : Adieu prudence ». »
Si Boileau eut un discret éclat de rire, le baron de Vitré, lui, se racla bruyamment la gorge. La marquise, quant à elle, ne chercha pas à s’éviter un exercice auquel elle adorait se livrer, et invita les trois hommes à s’asseoir sur les chaises dont ils étaient entourés et, debout face à eux, s’accorda une courte seconde de réflexion avant de prendre la parole.
« Amour, Amour, quant tu nous tiens, on peut bien dire : Adieu prudence“, telles furent les paroles du vieux sage lorsque Chang, comme chaque garçon du village lorsqu’ils atteignaient leurs vingt ans, avait gravi la haute montagne pour aller lui demander de quoi sa vie serait faite. Après ces quelques mots, le sage se tut, et comme on lui avait bien recommandé de s’en aller dès que le silence se serait installé, alors Chang rebroussa chemin et rentra au village. Lorsqu’il fut rentré chez lui, il compta ce que lui avait dit le sage à ses parents. Son père, qui était expérimenté et savait que la méfiance est mère de sûreté lui fit promettre de ne jamais rien faire d’inconscient par amour, car il s’agissait assurément d’un avertissement. Chang promit solennellement de faire selon les souhaits de son père et tous repartirent travailler. »
Au fil de ces quelques premières phrases, la voix de Christine s’était affermie, et résonnait  avec douceur dans le théâtre vide. Quoi qu’elle se trouvât toujours face à ses trois auditeurs, son regard, lui, semblait tourné vers la lointaine Asie et ce petit village de montagne où Chang, pendant toute une année, respecta à la lettre la promesse faite à son père. Il tomba bien amoureux, mais à la première imprudence, à la première bêtise, il oubliait la jeune femme et s’en retourner travailler la terre avec ses deux parents, et dans les yeux, les traits, les mimiques de la conteuse, on pouvait lire tour à tour la tristesse ou la joie de ses personnages. Elle s’effrayait avec eux, faisait les cent pas, dessinait de grands gestes en racontant quelques uns des déboires amoureux de ce pauvre Chang, que la prudence conduisait toujours à la déception.
« Un jour, la mère de Chang tomba gravement malade. On la porta jusqu’au vieux sage, dans sa maison nichée au coeur de la montagne. Celui-ci se tourna vers Chang et dit : “Pour sauver ta mère, il faut que tu ailles chercher la fleur qui pousse par delà la montagne.“ Chang partit aussitôt se préparer à une telle expédition, et c’est juste avant qu’il ne parte pour de bon que le sage ajouta que s’il suivait le bon chemin, alors il trouverait une réponse. Le jeune homme ne put savoir à quelle question il lui fallait trouver une telle réponse, car le vieux sage s’était tu, mais il partit. »
Pendant quelques instants, Christine s’attarda sur le laborieux voyage du jeune Chang, qui rencontra mille obstacles, et alla de village en village demander où il pourrait trouver fleurs et réponses. Elle commençait à raconter une rencontre qui devait être décisive pour ce voyage, quand elle dût s’interrompre quelques courtes secondes, pour adresser une moue amusé à l’un des comédiens qui, passant par là, s’était mis à l’écouter et n’avait pas pris garde du décor sur lequel il était appuyé, et qui venait de s’effondrer sous son poids. Penaud, le jeune homme disparut derrière les rideaux et la marquise reprit.
« Il était donc sur la route d’un nouveau village quand il vit une jeune femme tomber de cheval. “Princesse, vous avez le derrière à l’air !“ s’exclama-t-il avec humour en allant l’aider à se relever, avant d’être violemment écarté par un homme armé, car il s’agissait véritablement d’une princesse. Afin de ne point être inquiéter, il se fit passer pour le modeste de fils de producteurs d’artichauts et laissa l’escorte poursuivre sa route, tout en lui suivant des yeux, car le visage de la princesse l’avait troublé. Oubliant un instant sa quête, il remua Ciel et Terre pour la retrouver, et sur les indications d’un vieil homme qui logeait non loin du château, parvint à monter un jour jusqu’à sa chambre. La princesse ne l’avait pas oublié non plus et accepta de le laisser entrer. Ils parlèrent un moment, et Chang lui confia alors les raisons qui le poussaient si loin de son village natal. “Tu n’es pas fils de producteurs d’artichauts ! Tu es le jeune homme à la fleur !“ s’exclama alors la princesse, qui, touchée par ses efforts, lui indiqua l’emplacement de la fleur. C’est alors que la porte de sa chambre s’ouvrit et que l’on vit entrer le roi, fou de rage de savoir sa fille seule avec un homme ! »
Christine fit une pause, les traits figés dans un effroi malin, fière de son effet, puis reprit de plus belle. Le malheureux Chang fut chassé sans ménagement et la princesse enfermée dans une tour que l’on disait gardée par un monstre hideux. Elle raconta comment son héros apprit alors que seule une potion faite des pétales de la fleur qu’il cherchait pour sauver sa mère pouvait endormir le dragon, et lui permettre de sauver sa belle en toute sécurité, et son désespoir lorsqu’il réalisa quel dilemme s’imposait à lui : sa mère ou la jolie princesse.Il existait bien une autre façon de sortir cette dernière de sa tour : combattre le monstre, mais c’était quelque chose de fort imprudent et Chang n’avait pas oublié les paroles du vieux sage de son village. Il retourna la question deux jours et deux nuits entières, le temps de trouver la fleur, mais ne put se résoudre à choisir entre les deux femmes. C’est ainsi que pour la première fois de sa vie, Chang se décida à renoncer à toute prudence. Et Christine de conter son combat contre l’affreux dragon, ses difficultés, ses blessures, en prenant un malin plaisir à laisser durer le suspens, jusqu’à ce qu’enfin, Chang l’emporte.
« Il sauva la princesse et ils s’en furent tous deux. Le vieil homme du village lui confia deux chevaux et en quelques jours, ils furent chez le sage qui veillait sur la mère de Chang, et put enfin la soigner. La princesse put rester avec Chang et l’on célébra bientôt leur mariage, à l’occasion duquel celui-ci put retourner voir le vieux sage. “As-tu trouvé une réponse ?“ demanda celui-ci. “Je crois que oui. J’ai compris ce que vous aviez voulu me dire lors de notre première rencontre : il ne faut pas sacrifier l’amour à la prudence, bien au contraire. Pour l’amour de ma mère et celle de ma princesse, il m’a fallu me montrer imprudent. Était-ce bien là votre message ?“ Le sage ne répondit pas à Chang, mais il sourit, et lui fit signe de partir. Il avait bel et bien compris : en amour, il n’est pas de prudence. »

C’est ainsi qui termina l’histoire de la jeune femme. Elle se tut et, quittant les traits de ses héros, adressa un sourire à Racine, qui était celui qui avait commencé l’histoire. Le baron de Vitré et Boileau, après quelques secondes de silence, se levèrent et applaudirent la demoiselle qui, rosissant légèrement, se fendit d’une petite révérence.
« Quelle aventure, marquise ! lança Boileau. Vous nous avez transportés ! Nous vous aurions écoutée toute la nuit, n’est-ce pas Racine ? ajouta-t-il en donnant une vague bourrade au dramaturge, aussitôt appuyé par le baron.
- J’en suis ravie, merci beaucoup monsieur Boileau. Êtes-vous satisfait de la façon dont s’est poursuivie l’histoire ? demanda-t-elle ensuite en se tournant vers le dramaturge. Après tout, c’est vous qui en avez donné les premiers mots, ce sont toujours les plus difficiles à trouver. »
Elle lui sourit à nouveau, en attendant son avis avec curiosité, car elle espérait sincèrement, comme elle le ferait bien des fois encore, avoir réussi à le distraire.
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MessageSujet: Re: Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664)   Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue... (Juin 1664) Icon_minitime12.07.13 23:40

Toute cette rencontre avait, depuis le début, l'allure d'un piège et Racine, malgré sa mauvaise humeur manifeste (ou plus probablement grâce à elle), en avait bien conscience, il lui suffisait d'ailleurs de surprendre les regards amusés que lui lançait son ancien meilleur ami, Boileau qui semblait un peu trop fier de lui. Mais il avait beau lutter de toutes ses forces, se débattre, avoir l'air sombre et désagréable, presque bouder comme diraient certains, il se laissait peu à peu prendre dans les filets de ce piège délicieux. Christine de Listenois ne se laissait de toute façon guère déstabiliser par le visage revêche de l'auteur et avait su choisir les mots qui, loin de vexer le jeune poète, avaient attisé sa curiosité et tout ceci lui donnait l'impression d'un ballet bien réglé dans lequel il était le seul danseur complètement perdu mais qu'on dirigeait inexorablement vers la figure qu'on lui imposait. En temps normal, Racine aurait absolument détesté que quelqu'un comme Boileau ait des idées derrière la tête le concernant mais ce soir-là, cela n'avait guère d'importance d'autant que la jeune femme n'avait pas peur de lui parler franchement et ne semblait donc pas être du complot. Celle-ci était assez fascinante pour qu'il en oubliât où il se trouvait et quels échecs avaient été les siens et malgré lui, il avait envie de l'entendre raconter ces fameuses histoires qu'on lui vantait tant pour comprendre, à son tour, pourquoi elle dégageait ce magnétisme et cette tranquille assurance qui contrastaient si fort avec sa jeune et frêle apparence. Elle n'avait rien à voir avec les femmes qu'il avait rencontrées jusque-là et qu'il avait aimées comme Anne de Gallerande dont la morgue et la beauté parfaite avaient expliqué son attachement durable ou Rose Beauregard qu'il était assuré de ne jamais posséder entièrement malgré ses suppliques. Non, elle était entièrement différente, elle n'avait pas cherché à l'approcher alors qu'il était en pleine lumière et lui récitait un poème d'amour dans un salon, elle ne recherchait pas d'argent de lui ou un peu de respectabilité, tout ce qui l'intéressait, elle, c'était ses vers, même si ceux-ci n'avaient trouvé grâce qu'à ses yeux – quoiqu'elle en dise. Ses vers sans autre arrière-pensée comme le laissaient transparaître ses paroles enthousiastes pour deux et cela ne pouvait que plaire à Racine qui cherchait tant à se trouver une place dans un monde où on lui reprochait son nom et son absence de titre. Ses vers qui n'étaient pas uniquement une commande ou un simple passe-temps, qui étaient bien plus que cela à vrai dire, qui le constituaient, lui, qui étaient si personnels qu'il considérait presque que les aimer, c'était aimer leur écrivain et les détester, c'était le haïr. Les alexandrins si délicats étaient le reflet de sa sensibilité et qu'ils soient parvenus à toucher Christine, c'était être parvenu à créer un lien, même ténu avec la demoiselle mais un lien bien plus fort et plus évident que ne l'aurait simplement tissé une conversation ou une rencontre dans un salon. Quelques minutes auparavant, il ne l'avait jamais vue et pourtant désormais, il lui semblait qu'ils se comprenaient. Sans compter que toutes ces paroles flattaient son ego bien meurtri par la soirée qu'il venait de passer.

« Amour, Amour, quand tu nous tiens / On peut bien dire : Adieu prudence ». Racine ignorait ce qui lui avait pris de donner ce point de départ à la jeune marquise, il avait choisi le premier proverbe qui lui passait par l'esprit et ne se rendit compte de sa signification que lorsque Boileau eut un éclat de rire (lequel s'attira un regard noir) et le compagnon de Christine, cet homme bien trop familier avec elle que Racine détestait d'instinct, se racla la gorge. Mais les yeux bruns du poète les ignorèrent et se posèrent sur le visage de la jeune femme qui n'avait pas laissé paraître le moindre mouvement de surprise, sans doute habituée à ce qu'on lui proposât des points de départ tous plus saugrenus les uns que les autres. Il crut deviner qu'elle réfléchissait à ce qu'elle allait dire et il sentit une profonde curiosité remplacer son exaspération initiale. La marquise ne s'était pas précipitée pour se lancer dans son récit et demanda tout d'abord aux trois hommes de s'asseoir devant elle, sans être le moins du monde impressionnée ou intimidée. Ils s'exécutèrent sans un mot, comme au spectacle sauf que c'était désormais Christine qui faisait toute la pièce, toutes les scènes et tous les personnages. Elle plissa les yeux au départ pour mieux se concentrer et Racine qui ne perdait aucun détail, avide de savoir comment une aventure allait surgir de son esprit, constata que les bougies créaient des ombres sur son visage rosé comme pour présider aux mystères de la création. Il ne se doutait pas un seul instant que l'aventure allait véritablement surgir sous ses yeux, qu'il allait distinctement voir le jeune Chang rendre visite au vieux sage là-haut sur la montagne, qu'il allait trembler pour la vie de sa mère que seules les pétales d'une fleur pouvaient sauver, qu'il allait être ému par la beauté et la tendresse de la princesse rencontrée par Chang et que la lueur des yeux de cette princesse se lirait dans les prunelles de la conteuse. Pas un instant, malgré l'interruption bien involontaire d'un comédien qui avait fait chuter une partie du décor (et qui fila rapidement, sans savoir que l'auteur n'avait guère envie de lui adresser des remontrances), Racine ne détacha ses yeux de la silhouette de la marquise de Listenois. Fasciné, il observait son visage s'animer aux rythmes des sentiments des personnages de l'histoire, de leurs déceptions comme de leurs joies et elle semblait elle-même vivre ce merveilleux conte avec autant d'intensité que si c'était elle qui s'était retrouvée face au dragon. La frêle jeune femme qui semblait si discrète au premier abord s'était métamorphosée et si elle était déjà papillon au départ, elle avait désormais déployé ses ailes. Pour la première fois depuis leur rencontre, le jeune homme la trouva d'une beauté à couper le souffle comme s'il avait fallu attendre qu'elle narre ses histoires pour qu'il remarque la finesse de ses lèvres roses, ce même rose que l'on retrouvait sur ses pommettes, dû à son activité débordante, la blondeur angélique de sa chevelure sagement coiffée en arrière, le bleu pur et profond de ses pupilles pour l'instant perdues dans d'autres horizons et Racine sentit son cœur battre douloureusement dans sa poitrine.

- « Je crois que oui. J’ai compris ce que vous aviez voulu me dire lors de notre première rencontre : il ne faut pas sacrifier l’amour à la prudence, bien au contraire. Pour l’amour de ma mère et celle de ma princesse, il m’a fallu me montrer imprudent. Était-ce bien là votre message ? ». Le sage ne répondit pas à Chang, mais il sourit, et lui fit signe de partir. Il avait bel et bien compris : en amour, il n’est pas de prudence, concluait la jeune femme, comme si elle s'éveillait d'un long songe.
Elle coula un regard à Racine qui demeura figé sur son siège comme s'il ne pouvait croire qu'il s'agissait là de la fin de son aventure en Chine alors que les deux autres spectateurs improvisés se levaient pour applaudir Christine qui se fendit d'une belle révérence, comme un comédienne qui saluerait son public. Le poète ne se redressa pas immédiatement mais lui concéda quelques claquements de mains – non sans penser qu'ils étaient plus efficaces que la claque engagée par son ami.
- Quelle aventure, marquise ! Lança Boileau, enthousiasmé, vous nous avez transportés ! Nous vous aurions écoutée toute la nuit, n'est-ce pas Racine ?
Ce dernier était encore trop émerveillé pour reprocher ces paroles à son ami et de toute façon, la marquise ne lui laissa pas le temps de réagir et se retourna très vite vers Racine :
- J'en suis ravie, merci beaucoup, monsieur Boileau. Êtes-vous satisfait de la façon dont s'est poursuivie l'histoire ? Après tout, c'est vous qui en avez donné les premiers mots, ce sont toujours les plus difficiles.
Christine lui adressa un doux sourire qui affola un peu le pouls du jeune homme qui ne put s'empêcher d'avoir un petit rire devant une telle modestie. Comment osait-elle prétendre cela après leur avoir conté une telle histoire, aussi pleine de rebondissements et qui se tenait de bout en bout alors qu'elle avait eu à peine quelques minutes pour l'imaginer et commencer à la mettre en scène ? Pour la première fois depuis une éternité – soit au moins quelques jours car il avait particulièrement angoissé avant cette représentation, un véritable sourire illumina le visage de Racine et ses yeux bruns se mirent à pétiller. Boileau eut un sourire entendu mais ne fit aucun commentaire, heureusement pour sa survie tandis que le baron dont le dramaturge avait déjà oublié le nom se confondait en compliments, sans paraître s'apercevoir que la jeune femme était suspendue au couperet qu'était le jugement de Racine. Pas un instant, malgré sa situation, il ne songea à être perfide et ignorant les deux autres hommes, il s'adressa directement à elle :
- Vous savez, depuis que je suis poète à Paris, j'ai souvent été déçu de voir que les hommes n'étaient pas à la hauteur de leur réputation, commença-t-il d'un ton volontairement calme et plein de suspens, et il est très rare d'en voir qui sont à la hauteur. Il est encore plus rare de voir des réputations qui sont en-deçà de la réalité mais je pense que vous êtes la plus charmante représentante de cette dernière catégorie.
Boileau qui s'était figé aux premiers mots ne put visiblement s'empêcher de pouffer malgré le coup de coude que lui lança Racine, de meilleure humeur. Le baron, de son côté, s'était tu, comme s'il comprenait enfin que quelque chose d'important venait de se jouer.
- Quant à la façon dont vous avez déroulé votre histoire, je ne reviendrais pas sur les évidentes qualités de votre récit, mais vous avez même réussi à me surprendre sur la façon dont vous avez utilisé mon proverbe qui est pourtant à l'origine bel et bien une mise en garde... Mais je retiens la leçon, mademoiselle, ajouta-t-il en lui adressant un rapide clin d’œil, en amour, il n'est de prudence.
- Tu sauras en faire bon usage, n'est-ce pas, Racine ? Ne put s'empêcher d'intervenir son ancien meilleur ami qui, à cette allure-là, n'allait pas passer la nuit.
- Ai-je déjà été prudent en amour comme en carrière ? Répliqua le dramaturge au tac au tac.

Christine de Listenois eut à peine le temps de répondre que l'intendant du Palais-Royal accompagné de quelques serviteurs pénétraient dans la salle du théâtre pour moucher les bougies, par soucis d'économie. Il parut être surpris de voir encore qu'il y avait des personnes présentes mais il leur permit de se rappeler que la nuit était déjà bien avancée. Il était grand temps de se séparer et d'ailleurs l'imbécile de baron paraissait trépigner sur place à l'idée de ramener la jeune femme chez elle. Animé de sentiments encore un peu confus, se sentait épié du coin de l’œil par Nicolas, Racine souhaita une bonne continuation à la marquise de Listenois sans émettre le souhait de la revoir même si ces mots menacèrent plusieurs fois de franchir ses lèvres. Il n'avait pas été le compagnon de soirée idéal, il en convenait et ne désirait pas qu'elle se forçât à répondre par l'affirmative si elle ne le désirait pas. Néanmoins, il la guetta jusqu'au moment où sa fine silhouette disparut du théâtre, alors que dans son dos s'éteignaient une à une les bougies qui avaient vu à la fois son plus retentissant échec et une rencontre des plus prometteuses, le plongeant petit à petit dans l'obscurité la plus totale. De nouveau, ce fut Boileau qui le tira de ses pensées et l'entraîna vers les coulisses, beaucoup plus calmes depuis que les comédiens avaient désertés les lieux :
- Et bien, Racine, qu'as-tu pensé de cette demoiselle de Listenois ? N'ai-je pas eu raison de te la présenter ? Tu ne me feras pas...
- La prochaine fois, grommela Racine en se retournant vers lui, index levé, évite de te mêler de mes histoires, veux-tu ? Contente-toi de payer une claque digne de ce nom !
Boileau eut un éclat de rire devant la mauvaise foi de son ami mais avant qu'il ne put répondre, le petit dramaturge avait disparu.

***

Racine fut réveillé, ce matin-là par un grattement sous sa porte et après qu'un bout de journal fut, non sans difficulté, passé sous sa porte, des bruits de pas s'éloignèrent pour redescendre les escaliers de service qui menaient jusqu'à sa chambre sous les combles de l'hôtel de Luynes, gracieusement allouée par le duc et surtout par son intendant de cousin. Il avait passé une nuit fort courte à courir les tavernes aussi se demanda-t-il sérieusement pendant quelques minutes si cela valait la peine de se lever mais finalement, la curiosité attisée, en robe de chambre et bonnet (offert toujours par son cousin Nicolas Vitard), il se redressa et regarda les grands titres de l'hebdomadaire. Rien de spécial jusqu'à ce qu'il ouvre sur une page cornée. Et là, ce fut le drame. Il se vit lui-même représenté avec un nez beaucoup trop long et des yeux globuleux en train de pleurer à grosses larmes de manière particulièrement grotesque, vêtu à l'antique, visiblement en train de se désespérer du manque de succès de sa pièce. Sur sa tête, ce qui ressemblait à une femme se prétendait être une muse et vouloir fuir pour retrouver Corneille. En un instant, Racine fut parfaitement réveillé et sauta hors de son lit pour essayer d'attraper l'importun qui avait osé le déranger aux aurores avec une telle horreur. Il descendit quatre à quatre les marches, toujours en robe de chambre et bonnet pour finalement tomber sur un Boileau goguenard :
- Comment oses-tu ? Lui cracha-t-il en lui renvoyant le journal en pleine figure.
- Je pensais que ça te réveillerait de savoir quelles sont les critiques, nous sommes déjà la fin de l'après-midi, il était grand temps, répliqua Boileau dont Racine remarqua uniquement alors le vêtement très soigné et la mine somptueuse.
- Où vas-tu aussi tôt ? Il n'y a pas de salon aux aurores !
- Il doit déjà être quatre heures de l'après-midi, répéta Nicolas, avec patience, je vais chez Madeleine de Scudéry. Figure-toi que je vais y voir Christine de Listenois, tu sais, la jeune femme que je t'ai fait rencontrer il y a quelques jours, tu ne l'as pas oubliée ? Tu veux lui faire passer un message ?
Si Racine l'avait oubliée ? Il n'en était évidemment pas question, il avait songé à elle en permanence depuis qu'il avait fait sa connaissance et il s'était d'ailleurs demandé comment il allait pouvoir la revoir sans qu'elle ne se sente poursuivie. Il n'était évidemment pas question d'aller à la cour mais pour se rendre dans les salons, il fallait pouvoir y être introduit.
- Oh, cela fait si longtemps que je n'ai pas vu la belle Sapho, s'écria-t-il avec entrain, ayant déjà totalement fait abstraction de l'affreuse caricature, voudrais-tu m'attendre le temps que je me change pour que je puisse t'accompagner ?
- La belle Sapho, vraiment ? Rétorqua Boileau, ironique, n'est-ce pas uniquement l'envie de jouer les troubadours du XIIe siècle pour aller chanter l'amour courtois à...
- Je t'en prie, le supplia Racine en lui coupant la parole, tu me dois bien ça pour m'avoir réveillé aussi tôt !

En moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, Jean Racine, mal coiffé mais vêtu de son plus bel habit (ce qui n'était guère impressionnant) fut dans la voiture qui menait Boileau jusqu'à l'hôtel particulier de Scudéry, déjà bien animé par des artistes et des beaux esprits en tout genre. Dès son arrivée, après avoir salué l'hôtesse, il abandonna Boileau à ses discussions et se mit à guetter le visage de Christine de Listenois avec une impatience à peine déguisée.
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